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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

A. La suspension du fonctionnaire fautif

Nombreux sont les cas où la procédure disciplinaire commence par la suspension du fonctionnaire, c’est-à-dire l’interruption de l’exercice des fonctions.

D’ailleurs, il est indispensable de retirer provisoirement et rapidement un fonctionnaire de son service lorsqu’il s’est rendu coupable d’une faute grave. Afin de préserver la continuité satisfaisante du service, l’autorité administrative peut, de la même façon et avant de déclencher les poursuites disciplinaires, prononcer contre le fonctionnaire une mesure de suspension.

1. Les caractères de la suspension

Bien qu’il s’agit là d’une simple mesure de service568, qui n’est disciplinaire que si elle est assortie d’une peine complémentaire569, cette mesure n’est justifiée qu’en cas de faute grave.

a. L’existence d’une faute grave

La jurisprudence est bien constante en ce que la décision de suspension prise par l’administration n’est justifiée qu’en cas d’existence d’une faute grave, sinon cette décision est viciée et mérite d’être annulée570.

Cela n’empêche que le juge administratif admette la légalité de la décision de suspension si une présomption de faute grave est établie. La présomption sérieuse et objective suffit pour justifier la suspension, ainsi « les faits invoqués à l’appui de la suspension doivent avoir un caractère de vraisemblance suffisant »571.

566- C.E, 11 mai 1956, Chomat, rec. 200 et C.E, 21 juillet 1995, Capel, AJDA1996, p. 83, obs. S. Salon et dans le

même sens C.E.L, 1995, Rached, RJA 1996, II, 595.

567- Plantey (A) ; La fonction publique, Traité général, préc., p. 458. 568- C.E, 10 février 1965, Morati, rec. 91.

569- C.E, 8 janvier 1930, Michel, rec. 10 et C.E, 1er

mars 1963, Lefèvre, rec. 127.

570- C.E, 24 juin 1977, Dame Deleuse, rec. 294 et 29 janvier 1988, Moine, rec. tables p. 867 et C.E.L, 3 février 1971,

S.A., rec. 111 et C.E.L, 10 mai 1972, Al-Jarrah, rec. 214.

De ce qui précède, nous pouvons dire que si l’autorité administrative parvient à prendre une décision de suspension d’un fonctionnaire n’ayant pas commis une faute grave, sa décision fera l’objet d’un recours en annulation, d’une part, et elle pourra, d’autre part, être considérée comme responsable du préjudice matériel ou moral que pourra encourir le fonctionnaire suite à cette décision572.

b. La mesure de suspension est une mesure provisoire non pas disciplinaire

La suspension est une mesure provisoire qui a un caractère urgent et conservatoire573. Elle n’a pas le caractère disciplinaire, elle est destinée, dans l’intérêt du service, à interdire au fonctionnaire fautif l’exercice de ses fonctions d’une manière provisoire jusqu’à ce que sa situation soit, disciplinairement ou pénalement, statuée d’une manière définitive574.

Ainsi, et du fait qu’elle n’est pas une sanction et parce qu’elle est décidée en raison de l’urgence, la suspension est prononcée sans formalités ; c’est-à-dire elle n’a pas à être précédée de la communication du dossier575 ou autres droits à la défense576, elle n’a pas à être motivée577.

Il faut signaler, d’une part, l’acceptation de la part du juge administratif de l’hypothèse d’une suspension partielle des fonctions578 ; et d’autre part, en cas d’absence du texte, la jurisprudence établie admet que l’autorité compétente pour prendre la mesure de suspension c’est l’autorité administrative détentrice du pouvoir de nomination dans le corps579. Ça revient au fait qu’il serait impossible de priver l’autorité administrative compétente de son droit à suspendre un fonctionnaire fautif jusqu’à la conclusion de l’enquête, et dont la présence de ce dernier à ses fonctions pourra nuire à l’intérêt général et à l’enquête, surtout que la suspension ne forme pas une sanction disciplinaire et donc la règle « pas de sanction sans texte » ne s’appliquera pas580.

Le Conseil d’État a jugé qu’en cas de délégation du pouvoir disciplinaire, le pouvoir de prononcer la suspension est aussi emporté581. D’ailleurs, le principe général du pouvoir hiérarchique

572- C.E, 26 juin 1954, Reinhart, rec. 397 et C.E.L, 7 mai 1968, Chouaybe, rec. 140 et C.E.L, 10 mai 1972, Al-Jarrah,

préc.

573- Heller (Ch), « La suspension dans la fonction publique », RDP 1980, p. 417.

574- C.E, 13 juillet 1966, Fédér. de l’éducation nationale et synd. Génér. de l’Éducation nationale (CFTC), rec. 497 ;

AJDA 1967, p. 51, concl. Rigaud et C.E, 7 novembre 1986, Edwige, rec. 592 ; AJDA 1987, p. 286, obs. S.S. et C.E.L, 1er octobre 1965, Salam, rec. 240 et C.E.L, 6 janvier 1994, Al-Ghorayyebe, RJA 1995, p. 220 et C.E.L, 22 avril 1997, Ibrahim El Khoury, RJA 1998, p. 437.

575- C.E, 6 novembre 1946, Dumesnil, rec. 256.

576- C.E, 23 janvier 1953, Sieur Chong-Wa, rec. 34 et C.E, 1er

décembre 1967, Sieur Bô, rec. 458 et C.E, 22 septembre 1993, Sergène, rec. 851 ; D. 1993, IR, 229 ; DA 1993, nº 490 ; RFDA 1993, p. 1214.

577- C.E, 7 novembre 1986, Edwige, préc.

578- C.E, 26 mars 1965, Sieur Villeneuve, rec. 207.

579- C.E, 26 juin 1959, Reinhart, rec. 397 et C.E, 25 juin 1982, Odeye, DA 1982, nº 300. 580- C.E.L, 22 avril 1997, Ibrahim El Khoury, préc.

581- C.E, 22 novembre 2004, ministre de l’Éducation nationale, req. nº 244515, rec. tables ; Cah. fonct. publ. 2005, nº

qui habilite l’autorité hiérarchique à prendre les dispositions nécessaires pour assurer la bonne marche de ses fonctions implique, entre autres, le pouvoir de suspension582. Concernant le fonctionnaire en détachement sa suspension sera prise par le chef de l’administration à laquelle il a été détaché et non pas par son administration d’origine583.

2. Les conséquences

En cas de faute grave constituant une infraction de droit commun, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut donc suspendre le fonctionnaire responsable pour un certain temps. Cette durée est fixée à quatre mois en France584 ; alors qu’au Liban cette durée est indéterminée, le décret-loi nº 112/59 stipule explicitement que le fonctionnaire reste suspendu de ses fonctions jusqu’à ce que le conseil disciplinaire tranche sa situation ou jusqu’à ce que l’autorité qui l’a renvoyé en discipline retire sa décision585. La durée de suspension ainsi que la suspension en elle-même affecte

directement les droits du fonctionnaire. a. Le délai

Lorsqu’une décision de suspension est prise sans texte l’organisant, sa durée dépend de l’appréciation de l’autorité administrative compétente, cela se passe sous le contrôle du juge administratif qui n’hésite pas à condamner tout abus qui pourra vicier l’utilisation de ce pouvoir586.

La suspension exige la retenue de la rémunération du fonctionnaire suivant la règle de service fait. Les traitements ne sont dus qu’en présence d’un service effectif rendu par le fonctionnaire587.

Mais, en vertu d’une solution récemment consacrée et par exception à la règle du service fait, le fonctionnaire a droit à recouvrer la rémunération dont il a été privé, dans le cas où, en fin de compte, aucune sanction, disciplinaire ou pénale, ne lui est infligée588. D’ailleurs cette règle procède d’un principe général du droit non explicite.

La jurisprudence libanaise, malgré l’explicité du texte589, et tout en admettant la continuité de la suspension comme prévue par le texte, a refusé la retenue de la moitié du traitement pour toute la durée de la suspension. Ainsi, le juge administratif a limité cette durée à quatre mois commençant à

582- Tercinet (M.R) ; L’acte conservatoire en droit administratif, LGDJ, 1979, p. 31 et Corail de (J.-L), « La distinction

entre meure disciplinaire et mesure hiérarchique dans le droit de la fonction publique », AJDA 1967, p. 3 et s.

583- C.E, 29 juillet 1950, Gidon, rec. 486 et C.E, 29 janvier 1988, Moine, préc.

584- Il est possible de prendre un nouvel arrêté de suspension si au terme de ce délai la procédure pénale n’est pas

achevée : C.E, sect., 8 avril 1994, Gabolde, rec. 185 ; RFDA 194, p. 467, concl. S. Fratacci.

585- Art. 58 al. 2.

586- Cf. les arrêts Reinhart et Odeye préc.

587- C.E.L, 27 octobre 1962, El-Halaby, rec. 1963, p. 65 et C.E.L, 3 juin 1968, Arabe, rec. 138 et C.E.L, 6 janvier 1994,

Ghorayyebe, préc.

588- C.E, Ass., 29 avril 1994, Colombani, rec. 209, concl. S. Fratacci ; RFDA 1994, p. 479 ; AJDA 1994, p. 376, chron.

C. Maugüé et L. Touvet.

partir de la date de la décision de renvoi devant le conseil disciplinaire. Ainsi, il a concilié l’intérêt général avec l’intérêt pécuniaire personnel et légitime du fonctionnaire intéressé.

En effet, le Conseil d’État libanais a considéré que le renvoi du fonctionnaire au conseil disciplinaire permet à l’administration de retenir la moitié de son traitement, en rappelant que la finalité de la loi n’admet pas que le fonctionnaire reste en suspension sans fin. Ainsi, il a jugé qu’il est du droit du fonctionnaire de recouvrer la moitié de son traitement pour la période qui dépasse les quatre mois590.

Dans un considérant, le juge libanais précise qu’ « il ressort des articles de la loi 54/65 du 2/10/1965 créant le conseil disciplinaire (à présent la Haute Commission de Discipline) et du décret nº 7236 du 7/5/1967, et du décret-loi nº 112 du 12/6/1959 connu comme le statut de fonctionnaires, que la totalité des délais qui alternent entre la date du renvoi du fonctionnaire devant la cour disciplinaire et la date de la décision disciplinaire, atteint quatre mois […], l’administration est tenue à prendre en compte ce délai pour la retenue de la moitié du traitement en résultat de l’instance disciplinaire, le fonctionnaire n’est pas responsable pécuniairement de ce qui dépasse ce délai, du fait qu’il n’est pas possible de lui retenir la moitié de son traitement pour une période excédant les quatre mois […] »591.

De son côté le Conseil d’État français a établi les solutions selon si le fonctionnaire suspendu fait, ou non, l’objet de poursuites pénales.

En absence de toute poursuite pénale dans le délai de quatre mois, la situation du fonctionnaire concerné doit être réglée dans ce délai. Si aucune mesure n’est prise à son encontre, il sera, à la fin du délai, rétabli dans ses fonctions592.

La jurisprudence insiste aussi à ce que l’expiration du délai de quatre mois, et le retour du fonctionnaire à ses fonctions, n’est pas, et c’est normal, un obstacle à l’exercice normal de la répression disciplinaire. Cette expiration n’a également pas pour effet d’emporter l’illégalité de la mesure de suspension593.

Dans le cas où des poursuites sont exercées dans les quatre mois, le fonctionnaire peut continuer à tomber sous le coup de la suspension. Et, de plus, la possibilité est ouverte de retenir la moitié au plus de son traitement594.

590- C.E.L, 24 novembre 1965, A. J., rec. 1966, p. 29. 591- C.E.L, 29 mars 1972, req. nº 107, rec. 213.

592- Mais, dans le cas considéré, la responsabilité de prononcer une sanction n’est pas pour autant exclue : C.E, 10 juin

1964, Brugère, Dr. adm. 1964, nº 363 ; RDP 1964, p. 1242 et C.E, 12 février 1988, Mme Alezra, D. 1988, SC, 269, obs. F. Llorens.

593- C.E, 31 mai 1989, Tronchet, Dr. adm. 1989, nº 339.

594- C.E, sect., 19 novembre 1993, Védrenne, rec. 323 ; AJDA 1993, p. 854, chron. C. Maugüé et L. Touvet ; RFDA

1994, p. 452, concl. G. Le Chatelier : il ne suffit pas qu’il y ait eu dépôt d’une plainte, ni même ouverture d’une enquête préliminaire, mais il faut qu’une réquisition du parquet ou qu’une constitution de partie civile de la victime soit établie.

Ainsi, il nous semble d’après cette comparaison de jurisprudences en la matière, que la jurisprudence libanaise est celle qui prend le plus en charge, soin et protection des droits pécuniaires du fonctionnaire

. Nous devons lui reconnaître, d’ailleurs, son pouvoir à rendre plus docile le texte de loi, malgré son explicité, selon les exigences, matérielles et morales, du principe de la justice et de l’équité ainsi que celles des droits de l’homme.

Le Conseil d’État précise que l’autorité administrative compétente n’est pas liée à un délai déterminé pour rendre sa décision de suspension. La suspension peut être prise après des semaines, par exemple, ou des mois de la survenance des actes reprochés à condition toutefois qu’elle soit prise avant le prononcé de la sanction disciplinaire595. Sinon, elle fera l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir596, de même elle peut ouvrir droit à dommages-intérêts au profit du fonctionnaire si elle paraît finalement comme injustifiée597.

La décision de suspension ne peut être affectée d’un effet rétroactif598 sauf dans le cas d’arrestation d’un fonctionnaire en prison conformément aux lois applicables. Dans ce cas, l’effet de la décision de suspension peut se retirer à la date de l’arrestation qui doit être antérieure à la date de la suspension599. D’une façon exceptionnelle, l’effet rétroactif de la suspension est possible en présence d’un texte explicite qui l’autorise600.

L’autorité administrative compétente peut prendre une décision de suspension d’un fonctionnaire qui se trouve en congé maladie, mais cette décision ne prendra effet que lorsque son congé arrivera à terme601.

Vu que la suspension a un caractère provisoire, comme nous l’avons indiqué, la jurisprudence considère que l’administration compétente peut mettre fin à cette mesure à tout moment602.

b. Les droits du fonctionnaire suspendu

Le fonctionnaire, conservant sa qualité, reste soumis pendant la suspension à son régime statutaire. C’est ainsi par exemple qu’il ne pourra pas exercer d’activités incompatibles avec la

595- C.E, 24 mai 1967, Modigliani, rec. 220. 596- C.E, 23 décembre 1974, Vulcain, rec. 1035. 597- C.E, 19 mai 1965, Dme Cirio, AJDA 1965, p. 623. 598- C.E, 29 janvier 1988, Moine, préc.

599- C.E, 22 décembre 1958, Sieur Jayet, rec. 661. 600- C.E.L, 29 janvier 1963, Ezzein, rec., 149.

601- C.E, 29 octobre 1969, Commune de Labeuvrière, rec. 459. 602- C.E, 13 novembre 1981, Commune de Houilles, rec. 410.

mission du corps auquel il appartient603. Il est toujours soumis au pouvoir disciplinaire de l’autorité compétente604. Il bénéficiera de certains droits attachés à l’activité, tel le droit à congé605.

Le Conseil d’État précise que vu le caractère provisoire de la décision de suspension, celle-ci n’ouvre pas une vacance d’emploi. L’administration ne peut attribuer l’emploi du fonctionnaire suspendu à un titulaire car la suspension n’ouvre pas une vacance d’emploi dans les fonctions occupées et la désignation sera viciée d’excès de pouvoirs. Ainsi par ces termes le Conseil d’État précise que « […] compte tenu de la nature essentiellement provisoire d’une mesure de suspension, celle-ci ne peut avoir pour effet de rendre vacant l’emploi occupé par le fonctionnaire qui en est frappé […] »606.

La suspension peut être attaquée devant le juge sans attendre l’intervention de la sanction607. Son illégalité peut entraîner la responsabilité de l’administration608.

Le fonctionnaire une fois suspendu, la procédure se poursuit conformément aux principes généraux du droit. Ainsi la première phase de l’instruction se termine lors du commencement de la seconde étape qu’est la phase de la communication du dossier.