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Ventes en urgence d’actifs sur des marchés illiquides

CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

1. Instabilité bancaire : définition, facteurs explicatifs et rôle de l’information comptable

1.2. Instabilité bancaire : facteurs explicatifs

1.2.2. Contagion view

1.2.2.2. Ventes en urgence d’actifs sur des marchés illiquides

Les paniques de déposants sont une source de contagion des chocs par le biais du passif des bilans bancaires : ce sont les fuites des dépôts, éléments du passif, qui causent les crises systémiques. À l’inverse, Schnabel et Shin (2004) et Cifuentes, Ferrucci et Shin (2005), notamment, proposent des modèles de contagion des chocs fondés sur l’effondrement de la

valeur des actifs bancaires, en présence de marchés illiquides. Pour opérer, le canal de contagion présenté dans ces modèles requiert la conjugaison des deux facteurs suivants :

(1) les marchés d’actifs sur lesquels interviennent les banques sont imparfaitement

liquides à court terme – les prix extraits de ces marchés sont donc sensibles aux variations des volumes de titres offerts et demandés à court terme ;

(2) les actions des dirigeants des banques sont contraintes par les tests de solvabilité

imposés par les superviseurs et/ou les maxima de pertes autorisés par les modèles de

gestion interne des risques (type contraintes journalières de value-at-risk, « stop loss

orders », minima prudentiels Bâle II fondés sur les valeurs en risque, etc.), lesquels sont alimentés par l’information de marché.

Dans ce cadre, le mécanisme de propagation des chocs procède de la façon suivante. Supposons que des établissements, composant un système bancaire, financent par dette et fonds propres une même classe d’actifs risqués. Supposons, de plus, qu’un choc survienne dans l’un des établissements du système et que ce choc, pour illustration, cause la défaillance de cet établissement (le choc peut ne pas causer la défaillance ; il suffit seulement que ce dernier entraîne une cession d’actifs risqués par la banque supportant le choc initial, par exemple en raison d’un risque de violation des tests de solvabilité). La faillite de l’établissement entraîne la liquidation de ses actifs, en vue de désintéresser ses passifs. En cas de liquidité imparfaite, la mise sur le marché des actifs de la banque défaillante cause une chute du prix de ces actifs à court terme. Ce prix alimentant les tests de solvabilité et les procédures de gestion des risques dans les autres banques du système, les conditions pour une contagion du choc initial sont réunies.

La raison, plus précisément, est que la baisse de la valeur des actifs, en accroissant la

probabilité de non-respect des limites de pertes autorisées par les procédures de risk

management et en rendant plus difficile le respect des tests de solvabilité alimentés par les prix de marché, contraint les autres banques du système à céder des actifs. Ces cessions d’actifs en masse entraînent une nouvelle baisse de prix, laquelle déclenchera un nouveau

cycle de cession d’actifs, et ainsi de suite jusqu’à la dissipation des effets de feedback. Durant

le processus d’ajustement, certains établissements obtiendront de la vente en urgence des

actifs (« fire sales ») un volume de liquidité insuffisant pour faire face à leurs engagements de

passif et feront défaut, d’où la contagion du choc initial aux banques de l’environnement non sujettes au choc initial.

Le mécanisme de propagation identifié ci-dessus souligne les effets pervers des modèles de gestion des risques quantitatifs alimentés par les données de marché, lorsque les prix sur les marchés d’actifs sont influencés – à court terme – par les décisions d’achat et de vente des opérateurs (Shin 2008, Danielsson, Shin et Zigrand 2004, Persaud 2000, Morris et Shin 1999). De fait, l’utilisation de ces modèles en temps de crise contraint les opérateurs à mettre à la vente des actifs risqués, ce qui accentue les problèmes d’illiquidité et précipite l’effondrement de la valeur des portefeuilles d’actifs bancaires. Néanmoins, d’autres facteurs que ceux liés aux procédures de gestion des risques permettent d’expliquer les ventes en urgence à l’origine de la propagation des chocs (voir, notamment, Shim et Von Peters 2007). Par exemple, il est possible que des déposants observant les chocs initiaux paniquent et exigent le remboursement immédiat de leur dépôt, auquel cas les banques sont contraintes de céder des actifs risqués, en vue d’obtenir les liquidités nécessaires à l’extinction des passifs. Dans la même veine, il aussi probable que, face aux chocs initiaux, les opérateurs soient incités à mettre immédiatement à la vente leurs actifs, par crainte d’avoir à supporter, à terme, lorsque tous les opérateurs auront débouclé leur position, une décote de liquidité plus importante que celle supportée en cas de cession immédiate des actifs (Bernardo et Welch 2004 proposent un

modèle de run sur les marchés financiers conforme à cette dernière hypothèse).

Allen et Gale (2003) et Diamond et Rajan (2005) proposent également des modèles de

contagion dans lesquels un choc initial est amplifié par le biais d’effets de feedback, en

présence de marchés d’actifs illiquides. À la différence des modèles précédents, ces modèles

ne requièrent pas que les actions des banques soient contraintes par les procédures de risk

management alimentées par l’information de marché. Dans ces modèles, un choc de liquidité initial, à savoir, un déséquilibre ponctuel entre offre et demande de liquidité dans l’économie, est transmis par des ventes d’actifs en urgence déclenchées par les banques à la recherche de liquidités immédiates pour la satisfaction de leurs engagements de passif. Dans les modèles présentés ci-dessus, pour rappel, le choc est transmis par des cessions d’actifs déclenchées par les opérateurs en réponse à un accroissement de la probabilité de violation des tests de solvabilité et/ou des limites de pertes autorisées par le contrôle interne.

Le modèle de Allen et Gale (2003) s’étend sur trois périodes t0, t1 et t2 et comprend des

déposants ayant des besoins de consommation prématurés en t1 et des déposants ayant des

besoins de consommation tardifs en t2. Les banques y financent, par dépôts à vue

remboursables sur demande, des actifs longs arrivant à maturité en t2 et des actifs courts dont

des actifs longs, illiquides. Dans ce cadre, il est montré que lorsque la demande de liquidité globale dans l’économie est inférieure à l’offre de liquidité globale, l’existence d’un marché d’actifs longs assure un partage optimal du risque (local) de liquidité supporté par les banques (c'est-à-dire du risque, pour une banque prise individuellement, d’avoir à faire face à trop de

déposants « prématurés » en t1). À l’inverse, lorsque la demande de liquidité globale excède

l’offre de liquidité globale, la mise sur le marché des actifs longs par toutes les banques de l’économie créé un déséquilibre entre acheteurs et vendeurs sur ce marché. Il s’ensuit un effondrement du prix des actifs, lequel contraint les banques à céder une plus grande quantité d’actifs pour l’obtention d’un même volume de liquidité, d’où une amplification du choc

initial et, in fine, l’effondrement du système bancaire.

Dans Diamond et Rajan (2005), la liquidation, avant leur échéance, de projets illiquides par les banques en difficulté cause une contraction du volume des liquidités disponibles dans l’économie, ce qui déclenche, dans un effet de second tour, des fuites de dépôts dans les banques saines de l’environnement. Dans le modèle, les banques financent des projets illiquides (sur la base desquels les banques collectent de l’information privée) par des dépôts à

vue non assurés, remboursables sur demande. À la date t0, les banques financent des projets

arrivant à maturité à la date t1 (projets « prématurés ») ou à la date t2 (projets « retardés »). À

la date t½, comprise entre t0 et t1, deux situations sont possibles. (1) Les déposants anticipent

que leur banque sera incapable de lever des liquidités pour faire face à leur besoin de consommation futur, auquel cas ils retirent immédiatement leur dépôt. Les banques sont alors contraintes de mettre fin, par anticipation, à tous les projets financés, en vue d’obtenir des liquidités pour éteindre leurs passifs. (2) Les banques sont jugées solvables, auquel cas les projets sont conduits jusqu’à leur échéance et les déposants se présentent aux guichets des

banques en fonction de leur besoin réel de liquidité aux dates t1 et t2 (les besoins de

consommation des déposants à la date ½ sont nuls).

Dans ce cadre, l’intuition du modèle est la suivante. Lorsqu’il est anticipé, qu’en t1, la

demande de liquidité par les déposants sera supérieure aux ressources pouvant être collectées par les banques, une solution consiste à restructurer les projets retardés (ceux arrivant à

échéance en t2), de façon à pouvoir en mettre un terme en t1. Bien qu’elle nuise à la

performance de l’économie à long terme (les projets longs créent davantage de valeur que les projets courts), cette solution permet d’obtenir les ressources nécessaires à la résorption du

déséquilibre de liquidité en t1, ce qui évite l’effondrement du système bancaire. Avant que les

plus fragiles que d’autres, feront défaut. Anticipant le risque de faillite, les déposants se

précipitent immédiatement – c'est-à-dire en t½ – aux guichets des banques pour exiger le

remboursement des dépôts, ce qui contraint ces dernières à mettre un terme à tous les projets

financés, projets prématurés compris. Compte tenu de la spécificité des projets, leur

liquidation prématurée en t½ génère un volume de ressources inférieur à celui qui serait

généré à l’échéance des projets, en t1. Les liquidations prématurées ont alors pour effet de

diminuer le pool de ressources disponible pour la satisfaction des besoins de consommation

futurs des déposants, ce qui accentue le déséquilibre de liquidité dans l’économie et accroît,

par effet de feedback, le risque de survenance de fuite des dépôts dans les autres banques de

l’environnement.