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CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

3. Conséquence attendue n°2 : la réduction, induite par la qualité supérieure des états

4.1. Canaux d’influence des accruals de juste valeur sur l’instabilité

4.1.1. Canal des arrangements contractuels

(1) les relations entre dirigeants et apporteurs de ressources sont encadrées par des contrats dont les termes conditionnent les décisions managériales menant à l’instabilité64 ;

(2) l’information comptable sert d’input à ces contrats ;

(3) les données comptables alimentant les contrats en question intègrent des accruals de

juste valeur, c'est-à-dire des gains et pertes latents constatés sur des positions non débouclées aux dates de clôture des comptes.

Plantin, Sapra et Shin (2008), Cifuentes, Ferrucci et Shin (2005) et Allen et Carletti (2008) proposent des modèles fondés sur le canal des arrangements contractuels pour justifier

l’incidence néfaste du modèle comptable en fair value sur la stabilité des secteurs bancaires,

lorsque les justes valeurs sont extraites de marchés sur lesquels les prix intègrent une prime

ou décote de liquidité (« liquidity pricing »). Nous présentons, ci-dessous, les conclusions de

ces modèles.

Le modèle de Plantin, Sapra et Shin (2008) comporte trois dates t0, t1 et t2, des banques

homogènes détenant, en t0, des crédits de nature similaire d’une valeur v0 et des dirigeants

cherchant à maximiser le résultat comptable à court terme, à savoir le résultat généré en t1. Le

portefeuille de prêts est remboursé en t1 (en t2) avec une probabilité 1 – d (avec une

probabilité d), d pouvant être interprété comme une mesure du risque de remboursement

anticipé des prêts. L’hypothèse de maximisation du résultat est justifiée par le fait que ce

dernier sert d’input aux contrats de rémunération conclus entre les actionnaires et les

dirigeants, en vue réduire les conflits d’agence. Afin de maximiser le résultat comptable, les dirigeants disposent de deux options :

(1) titriser le portefeuille de prêts et comptabiliser le résultat de titrisation ;

(2) conserver le portefeuille de prêts au bilan et comptabiliser les produits afférents

(produits d’intérêts, notamment). Lorsque l’option (2) est retenue, le portefeuille d’actifs est valorisé en conformité avec les normes comptables applicables à la clôture des comptes, en t1.

64 Les contrats en question peuvent être individuels (cas des contrats spécifiques à une firme, tels les contrats de

dette ou contrats de rémunération des dirigeants) ou collectifs (cas des contrats s’imposant à l’ensemble des firmes d’un environnement, telles les contraintes prudentielles ou les règles fiscales) (Brüggeman, Hitz et Sellhorn 2011).

Dans ce cadre, les auteurs étudient l’impact sur les décisions managériales du recours par les banques aux deux méthodes suivantes de valorisation du bilan :

(1) la méthode du coût historique, en application de laquelle la valeur au bilan des prêts en

t1 équivaut à v0 ;

(2) la méthode de la juste valeur, en application de laquelle la valeur au bilan des prêts en

t1 équivaut au prix p extrait d’un marché secondaire des crédits.

Le prix p est donné par la relation suivante : p = δv – γs, où : v est la valeur fondamentale des

prêts ; δ, constante positive comprise entre 0 et 1, capture la perte de capital relationnel

induite par les opérations de titrisation ; γ, constante positive, est un indicateur de la liquidité

sur le marché ; s est la proportion de dirigeants vendeurs d’actifs sur le marché secondaire,

relativement au nombre total de dirigeants dans l’économie. Lorsque γ = 0, le marché sur

lequel s’échange les prêts est parfaitement liquide, ce qui implique que p n’est pas affecté par

le nombre de vendeurs sur le marché. A contrario, p est sensible au volume des actifs offerts

et demandés sur le marché lorsque γ > 0. Il suit de la relation donnant p que le résultat obtenu

de la titrisation du portefeuille de prêts à une date quelconque t est fonction, en présence d’un

marché illiquide, du nombre de dirigeants ayant décidé de céder leur portefeuille de crédits en

t. Ainsi, plus il y a de vendeurs en t, moins le résultat de cession (de titrisation) à

comptabiliser est important, du fait d’un discount de liquidité important.

Sur ces bases, l’intuition générale du modèle est la suivante. Lorsque les bilans des

banques sont valorisés en juste valeur en t1et que γ > 0 (c'est-à-dire que le marché secondaire

des crédits est imparfaitement liquide), les dirigeants, qui anticipent un nombre important de

vendeurs sur le marché d’actifs, à une date quelconque comprise entre t0 et t1, sont incités à

vendre immédiatement leur portefeuille de prêts. La raison est que sur des marchés illiquides, les dirigeants perdent à se placer en dernier rang de la file des vendeurs d’actifs : en cédant immédiatement leurs actifs illiquides (c'est-à-dire avant les autres dirigeants), les managers comptabilisent en résultat une décote de liquidité inférieure à celle qu’ils auraient à constater à terme (c'est-à-dire après que les autres dirigeants aient mis à la vente leurs actifs illiquides), lors de la clôture des comptes et de la valorisation à la juste valeur des actifs conservés au bilan.

Ces cessions d’actifs, toutefois, ont un effet déstabilisateur : elles accroissent l’illiquidité sur le marché, ce qui incite les dirigeants, dans un effet de second tour, à céder plus d’actifs illiquides, d’où un nouvel impact défavorable sur les prix et un nouveau cycle de ventes

d’actifs en urgence. « In other words, marking-to-market adds a source of endogenous risk in the economy that has nothing to do with the fundamental volatility of the portfolio’s value

(Plantin, Sapra et Shin 2008, p.445). » À l’extrême, l’effet de feedback généré par la chute de

prix liée au choc négatif initial peut provoquer des faillites de banques, ces dernières obtenant

des ventes d’actifs en urgence un volume de cash insuffisant pour faire face à leurs

engagements de passif (voir le point 2.2.2.2, supra).

À l’inverse, l’incitation aux ventes d’actifs en urgence est contrainte en cas de valorisation des bilans au coût historique. De fait, en n’autorisant pas la comptabilisation en résultat de la

décote de liquidité anticipée en t1, le modèle en coût historique réfrène l’enclin des dirigeants

anticipant un nombre élevé de vendeurs sur le marché (à une date comprise entre t0 et t1) à

céder immédiatement leurs actifs. In fine, la comptabilité en juste valeur apparaît être, dans le

modèle, d’autant plus déstabilisatrice que :

- le marché d’actifs sur lequel les banques interviennent est illiquide ;

- les normes régissant l’usage de la comptabilité en juste valeur imposent de valoriser

les actifs illiquides en référence au prix du marché en t1, c'est-à-dire à un prix reflétant

des conditions de marché anormales et transitoires ;

- la rémunération des dirigeants est sensible à la performance comptable mesurée en

juste valeur.

Inversement, l’usage du modèle fair value n’apparaît pas être déstabilisateur lorsque, toutes

choses égales par ailleurs :

- les prix cotés sur le marché d’actifs servant de support à la détermination des justes

valeurs sont insensibles au niveau de l’offre et la demande sur ce marché ;

- les normes encadrant l’usage de la comptabilité en juste valeur prévoient, en période

de crise, notamment, des exemptions d’application du modèle en juste valeur ;

- la rémunération des dirigeants est indépendante du résultat comptable dans lequel est

comptabilisé des accruals de juste valeur.

Le modèle « à effets de feedback » proposé par Plantin, Sapra et Shin (2008) illustre les

effets néfastes que peut avoir le modèle comptable en juste valeur sur la probabilité de survenance des crises systémiques. D’une part, les conclusions du modèle indiquent que la

comptabilité en fair value est susceptible d’accroître le risque de contagion des chocs par le

utilisées pour justifier l’incidence néfaste de la comptabilité en juste valeur sur la pro-cyclicité. Lorsque la rémunération des dirigeants dépend de la performance comptable de court terme, mesurée en juste valeur, ces derniers ont intérêt à inonder les marchés d’actifs de liquidités, en vue de comptabiliser à terme, lors de la valorisation des bilans à la juste valeur, un gain latent supérieur à celui qui serait comptabilisé en l’absence d’injection de liquidités. L’existence de contrats indexant la rémunération des dirigeants sur la performance comptable mesurée en juste valeur aiguiserait l’incitation des dirigeants à opter pour des politiques d’endettement pro-cyclique, ce qui aurait pour effet d’accroître le risque d’instabilité (voir le

point 2.2.3.2, supra).

Cifuentes, Ferrucci et Shin (2005) proposent un modèle dans lequel la comptabilité en

juste valeur exacerbe les phénomènes de ventes d’actifs en urgence (« fire sales »). Les

principales hypothèses du modèle sont les suivantes :

(1) les décisions managériales sont contraintes par l’obligation des banques de respecter,

dans le cadre d’un contrat collectif de surveillance prudentielle, des ratios de capital pondérés des risques minimaux, fondés sur l’information comptable ;

(2) les comptes des banques sont établis en juste valeur de marché ;

(3) les banques détiennent un même actif risqué A ;

(4) le marché d’actifs A sur lequel interviennent les banques est imparfaitement liquide à

court terme.

Dans ce cadre, il est montré que la faillite d’une banque B est susceptible de provoquer, par

réactions en chaîne, la faillite d’autres banques du système. Plus précisément, la défaillance

de la banque B s’accompagne de la mise en liquidation de ces actifs, en vue d’éteindre ces

passifs. L’afflux d’actifs en liquidation sur le marché crée, du fait de l’imparfaite liquidité, une baisse des prix et provoque un effondrement de la valeur des capitaux propres comptables mesurés en juste valeur dans les autres banques de l’environnement. Dans ce cadre, les banques qui opèrent à proximité des ratios prudentiels minimaux sont contraintes de céder à leur tour des actifs risqués, en vue d’éviter la violation des minima réglementaires. Cela accentue l’ampleur du choc de liquidité initial et provoque de nouvelles ventes d’actifs risqués en urgence. Durant le processus d’ajustement, certains établissements obtiendront de la vente de leurs actifs un volume de liquidité insuffisant pour faire face à leurs engagements de passif et feront défaut, d’où la contagion du choc initial aux banques saines de l’environnement.

Allen et Carletti (2008), enfin, développent un modèle dont la logique est proche de celle de Cifuentes, Ferrucci et Shin (2005). Dans le modèle, schématiquement, la survenance d’un choc de liquidité provoque un effondrement de la valeur des situations nettes bancaires mesurées en juste valeur et conduit les établissements de crédit à ne plus pouvoir satisfaire les minima de ratios de fonds propres prudentiels, dont le calcul est déterminé sur la base des données comptables. La violation des minima réglementaires pousse les superviseurs à fermer des banques, bien que celles-ci soient viables à long terme, ce qui contribue à propager le choc de liquidité initial.