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CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

5. Conclusion

Après avoir défini la notion d’instabilité bancaire, présenté les principaux facteurs explicatifs de l’instabilité et isolé les canaux d’influence de l’information comptable sur les facteurs d’instabilité identifiés, ce chapitre a débuté par lister les attributs d’un référentiel comptable compatible avec l’objectif de stabilité. Un tel référentiel, pour rappel, devrait :

- faire une application stricte du principe de prudence, en vue d’assurer la sauvegarde

du capital disponible pour l’apurement des pertes ;

- fournir l’image la plus fidèle possible de la situation financière et de l’exposition des

banques aux risques, en vue de renforcer l’efficacité du monitoring des décisions

managériales, par le biais des arrangements contractuels ou de l’exercice de la discipline de marché ;

- proscrire d’intégrer aux items comptables affectant les décisions des dirigeants et des

investisseurs des estimations du futur non fiables, donnant une image excessivement bonne ou excessivement mauvaise de la performance et de la situation financière des banques.

Sur ces bases, le chapitre a ensuite proposé une revue de la littérature traitant des incidences économiques de l’adoption par les banques des normes IAS/IFRS, dans le but de

discuter de la compatibilité du référentiel comptable international avec l’objectif de stabilité bancaire. La revue a aboutit aux trois conclusions générales suivantes.

- Les normes IAS/IFRS, parce ce qu’elles ne sont pas conçues pour assurer la protection

des créanciers prêteurs, nuisent à la sauvegarde du capital bancaire et, en conséquence, portent atteinte à la protection de l’assureur des dépôts. Cet argument, valide en théorie, est discutable en pratique, compte tenu, notamment, des filtres prudentiels instaurés lors de l’adoption des normes internationales et de la relative neutralité des normes IAS/IFRS sur les comptes sociaux.

- Les normes IAS/IFRS, parce qu’elles sont conçues pour la prise de décision

économique, contribuent à améliorer l’efficacité du contrôle des décisions managériales, par exemple par le biais d’une discipline de marché renforcée, et à réduire les asymétries d’information à l’origine des épisodes de panique. Cet argument n’est toutefois valide que si les dirigeants sont incités, en premier lieu, à ne pas faire une utilisation opportuniste de la discrétion attachée à l’application des référentiels comptables. Ainsi, nous avons vu que l’étendue des bénéfices économiques à attendre du passage aux normes IAS/IFRS dépend de la soumission des établissements de crédit à la discipline de marché, de l’efficacité avec laquelle les systèmes légaux et politiques nationaux limitent le risque de « capture » de l’activité bancaire ou encore de la nature des relations banque/firme.

- Les normes IAS/IFRS, en recourant à la comptabilité en fair value, nuisent à l’objectif

de stabilité, dès lors que les décisions des dirigeants et des investisseurs sont fondées sur des items comptables imprégnés de justes valeurs donnant une image excessivement bonne ou excessivement mauvaise de la performance et de la situation financière des banques. Par exemple, la comptabilité en juste valeur peut inciter les dirigeants dont la rémunération est indexée sur le résultat comptable à céder en

urgence des actifs (« fire sales »), lorsqu’il est inclus dans ce résultat des estimations

de juste valeur fondées sur des prix extraits de marchés illiquides. Bien que souvent cité par les opposants à l’adoption par les banques des normes IAS/IFRS, cet argument a, dans l’état actuel du référentiel international, une portée limitée. D’une part, il apparaît que la plupart des changements de juste valeur constatés sur les instruments financiers détenus par les banques n’affecte pas les items comptables susceptibles d’orienter les décisions des dirigeants et des investisseurs. D’autre part, certaines

dispositions de la norme IAS 39 permettent aux banques de faire un usage plus souple, en temps de crise, de la comptabilité en juste valeur.

Au final, les conséquences attendues du passage aux normes IAS/IFRS sur le risque d’instabilité bancaire apparaissent contradictoires. Si, dans certains cas, le référentiel de l’IASB va dans le sens des attentes des superviseurs et des créanciers exposés au risque de faillite bancaire, il est susceptible de nuire, dans d’autres cas, à l’objectif de stabilité. Tout dépend, en fait, de l’approche théorique retenue pour appréhender les causes de l’instabilité. La question de l’effet du passage aux normes IAS/IFRS sur le risque d’instabilité relève donc d’une analyse « coûts–bénéfices » (les avantages à attendre de l’adoption des normes internationales sont-ils globalement inférieurs ou supérieurs aux coûts attendus ?), que seule, a priori, la recherche empirique est susceptible de clarifier.

Sur ce point, la revue de littérature présentée dans ce chapitre a souligné le faible nombre de travaux empiriques s’intéressant aux incidences économiques – en termes de stabilité – de l’introduction du référentiel comptable international dans les banques. Le faible nombre de travaux peut notamment s’expliquer par la difficulté à tester empiriquement certaines des hypothèses formulées dans les sections précédentes. Par exemple, le test de l’hypothèse selon laquelle la comptabilité en juste valeur est un facteur de pro-cyclicité et de contagion des chocs, par le biais de ventes d’actifs en urgence, est délicat, ce pour les raisons suivantes. Premièrement, l’hypothèse repose sur l’existence de justes valeurs non fiables, estimées en référence à des prix extraits de marchés illiquides. Or mesurer le degré de liquidité des marchés sur lesquels les banques interviennent et mesurer la déviation des prix sur ces marchés par rapport aux valeurs intrinsèques sont deux choses complexes. Deuxièmement, il apparaît difficile de calibrer un modèle de contagion isolant de façon précise les effets de propagation liés aux normes comptables des effets de propagation liés aux autres facteurs de transmission des chocs (interconnexions réelles, crises de confiance, etc.). Troisièmement, les instruments du portefeuille de transaction constituent la plupart des instruments financiers valorisés à la juste valeur. Or, pour ces instruments, il est impossible de reconstituer les

valeurs historiques.78 Dans ce contexte, il est difficile d’apprécier les effets de la comptabilité

78

En effet, le résultat dégagé par l’activité de transaction est donné, dans le compte de résultat IFRS (et US GAAP) par la différence entre les gains réalisés et latents, d’une part, et les pertes réalisées et latentes, d’autre part, sans possibilité de distinguer les gains et les pertes réalisés des gains et des pertes latents. Au bilan, pareillement, la valeur du portefeuille de transaction est donnée directement pour sa juste valeur, sans constatation d’une réserve spécifique de réévaluation (comme dans le cas des titres disponibles à la vente). Les tableaux de flux de trésorerie, enfin, ne distinguent pas non plus le résultat réalisé de l’activité de transaction (qui constitue un flux encaissable) du résultat latent de cette activité (qui constitué un flux non encaissable).

en fair value, relativement au benchmark naturel que constitue le modèle comptable en coût historique. Quatrièmement, enfin, la faible taille des échantillons bancaires (comparativement aux études basées sur des échantillons d’entreprises non-financières), la non disponibilité, dans la plupart des bases de données commerciales, de données relatives aux justes valeurs et la difficulté à constituer des échantillons de contrôle composés de banques n’ayant pas opté pour les normes IAS/IFRS, en vue de neutraliser l’incidence des effets d’environnement non liés à l’adoption des normes comptables internationales, complexifient la tâche du chercheur.

Dans les chapitres qui suivent, nous proposons de combler une partie du vide empirique, en proposant trois études en lien avec certaines des problématiques soulevées dans la revue de littérature. L’étude du Chapitre II traite de l’incidence du passage obligatoire aux normes IAS/IFRS sur le niveau d’adéquation des capitaux propres au risque des actifs bancaires. La problématique de l’adéquation du capital est d’un intérêt particulier, dans la mesure où l’incitation des banques à transférer des risques aux créanciers prêteurs constitue un facteur explicatif souvent avancé des crises bancaires. Pour un échantillon de banques européennes, sur la période 2003-2008, nous montrons que l’adoption obligatoire des normes comptables internationales a contraint les banques à réduire leur exposition au risque de défaut, en raison d’un exercice plus efficace de la discipline de marché, en environnement IFRS.

L’étude du Chapitre III s’intéresse à l’effet du passage obligatoire aux normes IAS/IFRS sur le rationnement du crédit bancaire. L’intérêt d’étudier une telle relation est riche du point de vue de l’objectif de stabilité bancaire, dans la mesure où le rationnement de l’offre de prêt constitue un canal de propagation majeur des difficultés financières des banques à l’économie réelle. Pour un échantillon d’établissements de crédit européens, sur la période 2003-2008, nous trouvons que l’adoption obligatoire des normes comptables internationales a conduit à une hausse de l’offre de crédit, mais uniquement dans les banques contraintes en liquidité. Ce résultat est conforme à l’hypothèse d’un accès facilité des banques aux ressources externes, en environnement IFRS.

Dans l’étude du chapitre IV, enfin, nous comparons le pouvoir explicatif d’un modèle de risque de défaut des banques fondé sur des variables mesurées en coût historique, relativement à celui d’un même modèle fondé des variables mesurées en juste valeur. Si la comptabilité en juste valeur donne une image plus fidèle de l’exposition des banques au risque de défaut, alors elle est susceptible de réduire le risque d’instabilité, par exemple en améliorant l’efficacité des modèles prudentiels d’alerte précoce et en facilitant, durant les épisodes de panique, l’identification des banques en difficulté par les déposants

sous-informés. Pour un échantillon de 136 banques européennes, sur la période 2005-2008, nous trouvons que le pouvoir explicatif d’un modèle de risque de défaut des banques fondé sur des variables financières mesurées en juste valeur est supérieur à celui d’un même modèle fondé sur des variables mesurées en coût historique, mais seulement au titre de la période précédant la crise bancaire des années 2007/2008.