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Modalités d’utilisation de l’information comptable IAS/IFRS dans les contrats

CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

2. Conséquence attendue n°1 : l’atteinte, induite par le plus faible conservatisme des états

2.2. Discussion

2.2.2. Modalités d’utilisation de l’information comptable IAS/IFRS dans les contrats

À admettre que le référentiel IAS/IFRS fasse une application moins stricte du principe de prudence, son adoption par les banques n’est toutefois la source de transferts de richesse qu’à la condition que, suite au passage aux normes internationales, les contrats protégeant l’assureur des dépôts utilisent l’information comptable telle qu’elle est produite en application

des nouvelles normes (contrats basés sur des « rolling GAAP »). Alternativement, le passage à

des normes moins conservatrices est sans incidence économique si les chiffres comptables

produits en application de ces normes ne sont pas utilisés comme inputs aux contrats

conditionnant la sauvegarde du capital. Sur ces bases, deux éléments principaux tendent à rejeter la validité de la position selon laquelle le passage aux normes IAS/IFRS, réputées moins conservatrices, nuirait à l’objectif de sauvegarde du capital bancaire.

Le premier est que l’objectif généralement recherché par les régulateurs requérrant l’usage des IAS/IFRS est avant tout (uniquement ?) informationnel. Par exemple, l’article 1 du

Règlement IAS adopté dans l’Union Européenne stipule que « [IAS regulation] has as its

objective the adoption and use of international accounting standards in the Community […] in order to ensure a high degree of transparency and comparability of financial statements and hence an efficient functioning of the Community capital market and of the Internal Market ». La focalisation sur l’objectif informationnel implique que ce sont les comptes consolidés qui sont affectés en priorité par le passage aux normes IAS/IFRS, ceux-ci ayant pour objet, par nature, de satisfaire les besoins d’information des investisseurs. À l’inverse, il doit exister une résistance plus grande à l’introduction des normes comptables internationales

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Voir, pour d’autres études analysant l’effet du passage aux IAS/IFRS sur les fonds propres et le résultat net des firmes : Schatt et Gross (2007) pour la France, Aisbitt (2006) pour le Royaume-Uni, Lopes et Viani (2007) pour le Portugal, Bertoni et De Rosa (2006) pour l’Italie et Hung et Subramanyam (2007) pour l’Allemagne.

dans les comptes individuels, lesquels sont généralement utilisés à d’autres fins qu’à des fins informationnelles (Leuz et Wüstemann 2003). Dans la mesure où cette résistance doit être plus forte dans les environnements où la comptabilité sert de support aux dispositifs de sauvegarde du capital (Sellhorn et Gornik-Tomaszewski 2006), il est légitime de penser que les réglementations imposant l’usage des normes IAS/IFRS doivent avoir des conséquences limitées sur le niveau de protection des créanciers prêteurs dans ces environnements – du moins lorsque celui-ci dépend des contrats fondés sur les données comptables extraites des comptes individuels.

Sur ce point, les modalités d’adoption des normes IAS/IFRS dans l’Union Européenne constituent une bonne illustration. Le règlement (CE) no 1606/2002 du 19 juillet 2002 relatif à l'application des normes IAS/IFRS dans l’UE impose (cas des groupes cotés) ou autorise

(cas des groupes non cotés)33 l’adoption du référentiel de l’IASB pour la préparation des

comptes consolidés, mais laisse aux États membres le choix d’imposer, de permettre ou de proscrire le recours aux normes IAS/IFRS pour la préparation des comptes individuels. Sur l’ensemble des États membres, la moitié environ autorise l’usage des normes comptables internationales dans les comptes individuels, un tiers environ proscrit l’utilisation de ces normes dans les comptes sociaux et une minorité seulement requiert la présentation des comptes individuels en normes IAS/IFRS. De manière intéressante, il apparaît que les pays ayant interdit le recours aux normes IAS/IFRS pour la préparation des comptes individuels (Allemagne, Autriche, Belgique et France, notamment) sont ceux des économies

continentales d’insiders, où les règles comptables ont traditionnellement des implications

juridiques et/ou fiscales fortes.34 En outre, les pays ayant requis ou permis le recours aux

normes internationales dans les comptes sociaux ont souvent instauré, en contrepartie de l’application de ces normes, des dispositifs destinés, notamment, à exclure du bénéfice distribuable les gains latents constatés sur les actifs valorisés à la juste valeur (cas de l’Italie et du Royaume-Uni, par exemple – voir Strampelli 2011).

Le deuxième élément contribuant à tempérer l’argument selon lequel le passage aux normes IAS/IFRS nuirait aux intérêts de l’assureur des dépôts est que les instances prudentielles internationales (Comité de Bâle et Comité des Superviseurs Bancaires

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Plus précisément, le règlement laisse le choix aux États membres d’imposer, de permettre ou de proscrire l’usage des normes IAS/IFRS pour la préparation des comptes consolidés des groupes non cotés. Aucun pays de l’UE, toutefois, n’interdit d’utiliser les normes IAS/IFRS dans les comptes consolidés des groupes non cotés.

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L’Allemagne autorise l’usage des normes IAS/IFRS dans les comptes sociaux mais uniquement à des fins informationnels et en complément des états financiers individuels préparés en conformité aux normes locales allemandes.

Européens – CEBS, notamment) ont imposé, suite au passage aux normes internationales, l’application de « filtres » prudentiels pour le calcul des exigences minimales en fonds propres. Ces filtres, qui constituent des retraitements des capitaux propres IFRS, ont pour objectif de rétablir une dose de prudence dans les règles de détermination du capital

réglementaire, notamment en excluant des fonds propres « durs » (core capital ou Tier 1

capital) les réserves de juste valeur positives dont la réalisation est aléatoire (soit parce que les actifs sont détenus à long terme, soit parce que le marché d’échange de ces actifs est illiquide). Plus précisément, les principaux filtres prudentiels IFRS sont les suivants (Comité de Bâle 2004a, 2004b, CEBS 2004, Banque de France 2004).

- Déclassement en fonds propres complémentaires Tier 2 des réserves de juste valeur

positives constatées sur les titres de capital du portefeuille des actifs disponibles à la

vente (available for sale securities – AFS). Outre d’être déclassées, ces réserves de

gains latents ne doivent être intégrées dans les fonds propres complémentaires qu’à hauteur d’un prorata (en général égal à 50%) dont la détermination est laissée à la discrétion des superviseurs nationaux.

- Élimination des fonds propres prudentiels des gains latents et des pertes latentes,

autres que les dépréciations liées au risque de crédit constituées en application d’IAS 39, constatés sur les titres du portefeuille AFS ayant la nature de prêts et créances (mortgage-backed securities, par exemple).

- Retraitement, suivant l’une des deux modalités détaillée ci-dessus, des gains et pertes

latents constatés sur les autres titres du portefeuille AFS (obligations, par exemple).

- Déclassement en fonds propres complémentaires Tier 2 des écarts de réévaluation

positifs éventuellement constatés en application de la norme IAS 16 (de la norme IAS 40) sur les immobilisations corporelles (les immeubles de placement). En plus d’être déclassées, ces réserves de valeur ne doivent intégrées dans les fonds propres complémentaires qu’à hauteur d’un prorata dont la détermination est laissée à la discrétion des superviseurs nationaux.

- Élimination des fonds propres prudentiels des variations de juste valeur constatées sur

les passifs valorisés à la fair value sur option, lorsque ces variations de valeur reflètent

les effets d’un changement de notation propre.35

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La norme IAS 39 adoptée dans l’Union Européenne comprend un carve-out proscrivant l’option juste valeur

- Non prise en compte, pour la détermination des fonds propres prudentiels, de la réserve de juste valeur liée aux opérations de couverture de flux de trésorerie. À la différence des filtres précédents, ce retraitement n’a pas pour objet principal d’éliminer des capitaux propres prudentiels « durs » des réserves de valeur positives dont la réalisation est aléatoire. Ce retraitement est justifié par le caractère transitoire

des réserves de valeur liées aux opérations de couverture de cash flows, amenées à se

résorber lors de la perception ou du versement des flux de trésorerie liés à l’élément couvert.

- Dans le même objectif que précédemment, élimination du capital prudentiel de la

composante « instruments de capitaux propres » des instruments financiers hybrides émis par les banques (cas de l’émission d’obligations avec options d’achat), lorsque cette composante n’a qu’un impact transitoire sur les fonds propres.

Outre ces filtres prudentiels, les dispositions Bâle II requièrent que les capitaux effectifs (ceux constituant le numérateur du ratio McDonough) soient minorés de l’insuffisance éventuelle de provisionnement du risque de crédit constaté en application d’IAS 39 (Dumontier, Dupré et Martin 2009). La réglementation Bâle II impose que les dépréciations relatives au risque de crédit couvrent, outre les pertes avérées, les pertes anticipées (estimées, par exemple, dans le cadre de l’approche « en notations internes »), les fonds propres ne

devant servir qu’à couvrir le risque de perte inattendue. A contrario, on l’a vu dans le point

2.1, supra, la norme IAS 39 ne permet de doter la réserve de provisionnement du risque de

crédit que lorsqu’il est possible de justifier l’existence d’un événement encouru et générateur

de perte (« loss event »). En conséquence, les dépréciations constatées en application des

normes IAS/IFRS diffèrent de celles requises du point de vue prudentiel. Lorsque les dépréciations comptables sont inférieures aux dépréciations prudentielles, l’insuffisance de dépréciations doit être imputée sur les fonds propres effectifs, en règle générale à hauteur de

50% aux fonds propres Tier 1 et pour 50% aux fonds propres Tier 2, ce qui a pour effet de

rendre l’estimation des capitaux propres utilisés à des fins prudentielles plus prudente. Enfin, il convient de rappeler que les banques doivent éliminer totalement ou partiellement des fonds

intangibles (IAS 38) et d’actifs d’impôts différés (IAS 12), éléments dont la réalisation future est incertaine.36

L’application des filtres prudentiels vise à éliminer des fonds propres réglementaires les composantes de capitaux propres « molles » (telles les réserves de juste valeur positives dont la réalisation dans le futur est incertaine) et/ou transitoires (telles les réserves liées aux opérations de couverture de flux de trésorerie), dans l’objectif d’aligner la notion de capital prudentiel sur celle de capital disponible pour l’apurement des pertes. Dit autrement, l’application de ces filtres a pour conséquence de rétablir une dose de prudence dans l’estimation des fonds propres réglementaires (CEBS 2007). La neutralisation, par le biais des retraitements prudentiels, des principales dispositions des normes IAS/IFRS remettant en cause le principe de prudence implique qu’il est peu probable que le passage aux normes internationales (réputées moins conservatrices) rende plus facile le respect des ratios de capital réglementaire minimaux. Par extension, il est peu vraisemblable que le passage aux normes IAS/IFRS soit la source de transferts de richesse défavorables à l’assureur des dépôts et aux créanciers prêteurs non assurés. Cela ne reste, toutefois, qu’une prédiction : malgré l’intérêt de la problématique, nous n’avons pas connaissance, en effet, d’études empiriques traitant le sujet.

Au final, la résistance à l’introduction des normes IAS/IFRS dans les comptes individuels, lesquels servent de support au calcul du bénéfice distribuable, et l’application de filtres prudentiels aux capitaux propres IFRS, sur la base desquels sont évalués les fonds propres réglementaires, impliquent que les dispositifs de sauvegarde du capital bancaire sont vraisemblablement peu affectés par l’adoption des normes comptables internationales. Cela est d’autant plus vrai que :

- l’objectif affiché par les régulateurs imposant le recours aux normes de l’IASB est

avant tout informationnel ;

- l’assureur des dépôts supporte des coûts de modification des contrats faibles, ce qui lui

permet de contraindre les banques à retraiter les capitaux propres servant au calcul des minima prudentiels, au cas où l’usage des normes IAS/IFRS serait perçue comme portant atteinte à l’objectif de stabilité.

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L’obligation d’éliminer les actifs intangibles existait, avant le passage aux normes IAS/IFRS, pour le calcul du ratio Cooke.

Néanmoins, ces arguments sont à tempérer, ce pour les raisons suivantes. Premièrement, les capitaux propres prudentiels ne sont pas totalement isolés des dispositions des normes IAS/IFRS remettant en cause le principe de prudence. Par exemple, les gains latents constatés sur les instruments financiers du portefeuille de transaction valorisés à la juste valeur ne sont

pas exclus des fonds propres de base Tier 1. Deuxièmement, il est probable que les normes

IAS/IFRS, même si elles affectent en premier lieu les comptes consolidés, imprègnent, à plus ou moins long terme, les comptes individuels. Cela est notamment vrai si les coûts liés à la production d’états financiers multiples sont la source d’un désavantage concurrentiel incitant les régulateurs nationaux à imposer l’usage d’un référentiel commun (Sellhorn et

Gornik-Tomaszewski 2006).37 Troisièmement, il est possible que l’adoption de normes comptables

non conservatrices incite les dirigeants à accroître le montant des dividendes versés aux actionnaires, même si le changement de normes est sans incidence sur les arrangements contractuels encadrant les possibilités de distribution. Par exemple, si le passage aux normes IAS/IFRS, en éliminant les dotations aux réserves de fonds propres cachées, accroît le résultat consolidé, il est probable que les actionnaires se focalisant sur la performance des groupes mettent la pression sur le dirigeant pour qu’il distribue davantage (Brüggemann, Hitz et Sellhorn 2011, par exemple). Une telle contrainte peut pousser les dirigeants à octroyer plus de dividendes, même si le passage aux normes IAS/IFRS est sans effet sur les comptes individuels, lesquels servent de support au calcul du bénéfice distribuable.

3. Conséquence attendue n°2 : la réduction, induite par la qualité