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CHAPITRE II Passage obligatoire aux normes comptables IAS/IFRS, discipline de marché et

1. Cadres théoriques et hypothèses testables

1.1. L’hypothèse de réduction du risque moral

L’une des raisons la plus classique et la plus souvent avancée pour justifier l’origine des

crises bancaires est celle fondée sur l’hypothèse d’aléa moral (« moral hazard hypothesis »).

Sous cet angle, il est montré que, lorsque les garants des dépôts facturent aux banques des primes fixes en fonction des risques, les dirigeants satisfaisant les intérêts des actionnaires sont incités à financer par un maximum de dette des actifs présentant un risque maximum

(c'est-à-dire à accroître la probabilité de défaut), en vue de maximiser la valeur du put de

l’assurance des dépôts (Park 1997, Park et Peristiani 2007). Dans un papier célèbre, Merton (1977), en effet, montre que cette dernière croît avec le risque d’endettement et le risque du portefeuille d’actifs, toutes choses égales par ailleurs. L’insensibilité des actionnaires au risque de défaut, permise par la responsabilité limitée, explique la propension des créanciers

résiduels à prendre des risques excessifs.79 Pareillement, les mécanismes d’assurance

implicite (type « too-big-to-fail » ou « too-many-to-fail »), en réduisant l’incitation des

apporteurs de ressources à discipliner la prise de risque, rendent les comportements excessivement risqués impunis, d’où l’opportunité pour les dirigeants d’opérer avec insuffisamment de capital et/ou avec un excès d’actifs risqués, en vue de maximiser la

richesse pour les actionnaires (Morgan et Stiroh 2002, O’Hara et Shaw 1990).80

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En ligne avec ce raisonnement, Esty (1997a, 1997b) montre que l’abandon par des caisses d’épargne américaines de la structure mutualiste au profit de la structure actionnariale s’est accompagné, sur la période

précédant l’éclatement de la crise des Saving & Loans dans les années 1980, de prises de risque excessives,

corroborant ainsi l’hypothèse d’une incitation plus forte des banques actionnariales à soutenir des activités de transfert de risque, du fait de la séparation des statuts de créanciers résiduels et de créanciers non résiduels dans ces établissements. Dans la même veine, Lamm-Tennant et Starks (1993) trouvent que les banques mutualistes opèrent avec des portefeuilles d’actifs moins risqués, toutes choses égales par ailleurs.

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Une multitude de travaux valide l’hypothèse selon laquelle les banques assurées prennent plus de risque en moyenne. Pour un échantillon de banques américaines, Hovakimian et Kane (2000) trouvent que l’ampleur des activités de transfert de risque croît avec la part des dépôts assurés dans la structure d’endettement des banques. Pour un échantillon mondial de banques, Hovakimian, Kane et Laeven (2003) constatent une association positive entre générosité des dispositifs d’assurance des dépôts et incitation des banques à transférer des risques. Demirgüc-Kunt et Detragiache (2002) trouvent que la probabilité de survenance des crises bancaires est plus

Dans ce cadre, l’information comptable publiée par les banques importe, dans la mesure où elle assure une fonction gouvernance (Hope et Thomas 2008, Bushman et Smith 2001), en informant les parties prenantes externes aux firmes de la situation financière, du niveau de performance et de l’exposition aux risques de ces dernières. Ainsi, une information comptable « de qualité » facilite l’exercice du contrôle de l’usage des ressources déléguées et aide à

réduire l’ampleur des conflits d’agence entre insiders et créanciers prêteurs exposés au risque

de défaut des banques. Une telle information, notamment, contribue à accroître le degré d’information des marchés, renforçant, en cela, l’efficacité de leur fonction gouvernance (Kanodia et Lee 1998). Une telle information place aussi les dirigeants sous la menace d’une intervention des créanciers et des superviseurs au moindre signe de difficultés, en rendant plus opportun le déclenchement des clauses de défaut technique incluses dans les contrats de dette (Wu et Zhang 2009b) et mieux calibrés les modèles prudentiels d’alerte précoce alimentés par les données comptables (Gunther et Moore 2003a). Au cas particulier, l’adoption par les banques de normes comptables d’une qualité supérieure pour la prise de décision économique a dû contraindre l’incitation des dirigeants bancaires à opérer avec insuffisamment de capitaux propres eu égard aux risques encourus (c'est-à-dire l’incitation à exproprier l’assureur des dépôts et les autres créanciers non assurés), en soumettant ces derniers à une menace accrue de retraits de dépôts, de hausse du coût du financement ou de révocation (Bushman et Williams 2007).

Plusieurs arguments sont généralement avancés pour justifier la qualité informationnelle supérieure des IAS/IFRS (Ball 2006, Daske 2006, Barth, Landsman et Lang 2008). Premièrement, le référentiel IAS/IFRS fait une application stricte du principe de la prééminence de la substance sur la forme. Deuxièmement, les normes IAS/IFRS incorporent

aux états financiers plus d’anticipations sur les cash flows futurs, notamment par le biais de la

comptabilité en juste valeur, et font du résultat comptable un reflet plus opportun des changements de situation financière survenus une période de reporting (Ball 2006, Bleck et Liu 2007, Barth, Landsman et Lang 2008). Troisièmement, les normes IAS/IFRS contraignent certaines pratiques de gestion opportuniste des comptes. En banque, l’application de la comptabilité en juste valeur a notamment pour effet de contraindre les stratégies notoires

forte en présence d’assurance des dépôts, résultat conforme à l’hypothèse d’aléa moral. Dans le contexte de la

crise bancaire américaine des Saving & Loans, Brewer et Mondschean (1994), enfin, font état d’une association

positive entre rendement des titres des caisses d’épargne sous-capitalisées et détention d’actifs risqués, résultat conforme à l’hypothèse selon laquelle le marché actions récompense les activités d’expropriation de l’assureur des dépôts dans les banques en difficulté.

d’allers et retours sur les marchés financiers (Bleck et Liu 2007).81 Quatrièmement, le référentiel IAS/IFRS requiert des banques qu’elles communiquent plus d’informations en annexe sur les composantes du bilan et du compte de résultat, notamment sur le risque des instruments financiers détenus.

Récemment, plusieurs travaux ont analysé l’incidence de la « transparence » des banques sur la prise de risque et l’adéquation du capital. Pris globalement, ces travaux valident l’hypothèse selon laquelle les banques communiquant des informations reflétant leur situation financière et leur risque tendent à opter pour des comportements moins risqués, vraisemblablement parce que la discipline de la prise de risque s’exerce plus efficacement en environnement transparent. Baumann et Nier (2006) utilisent un indice de transparence de

l’exposition au risque construit à partir des données disponibles dans BankScope – l’indice est

donné par la somme des scores attribués (1 en cas d’information renseignée dans Bankscope ;

0, sinon) pour chacun des dix-sept items de risque retenus pour la construction de l’indicateur. Sur ces bases, les auteurs trouvent que les banques communiquant plus d’informations sur leur exposition au risque tendent à détenir plus de fonds propres, à risque d’actif constant. Recourant au même indice de transparence, Nier (2004) constate que la probabilité que les

banques expérimentent une baisse brutale de leur cours de bourse (« crisis at the bank level »)

est liée négativement à la quantité d’informations sur l’exposition au risque communiquée par les établissements de crédit.

Partant de la base de données développée par Caprio et Kingebiel (2003) sur les pratiques de supervision bancaire dans le monde, Tadesse (2006) montre que la probabilité de survenance des crises bancaires est plus faible dans les environnements où les banques sont contraintes à communiquer plus et où la crédibilité des procédures d’audit est meilleure.

Utilisant la même source d’informations pour la construction de leurs variables proxy de

transparence, Fernandez et Gonzalez (2004) constatent que les banques opérant dans les environnements opaques tendent à détenir un portefeuille d’actifs plus risqué, toutes choses égales par ailleurs. Demirgüc-Kunt, Detragiache et Tressel (2008) trouvent que les établissements de crédit localisés dans les secteurs bancaires se conformant aux « bonnes » pratiques énoncées par le Comité de Bâle en matière de transparence bancaire sont mieux

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Les normes IAS/IFRS ont pour effet de contraindre d’autres pratiques de gestion des comptes dans les banques. Par exemple, l’obligation de comptabiliser les dérivés au bilan réduit à zéro le degré de latitude discrétionnaire des dirigeants quant à l’affectation des dérivés au bilan ou au hors-bilan (Gebhardt, Reichhardt et Wittenbrink 2004). En outre, l’application du principe de la prééminence de la substance sur la forme pour le traitement des opérations de titrisation contraint les pratiques visant à délester le bilan d’un certain volume de

dette, par le biais de la création de véhicules ad hoc logés en dehors du bilan (Feng, Gramlich et Gupta 2009,

notés par l’agence Moody’s et présentent un score « Z » de défaillance plus faible. Enfin,

Bushman et Williams (2007) trouvent que la sensibilité de la valeur du put de l’assurance des

dépôts au risque supporté par les banques est plus faible dans les environnements où les résultats comptables présentent moins de signes de manipulation (dans un contexte de fixité des primes d’assurance des dépôts, une sensibilité positive indique que les actionnaires s’enrichissent au détriment du garant des dépôts, en cas d’accroissement du risque).