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Risque lié à la « capture » de l’activité bancaire

CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

3. Conséquence attendue n°2 : la réduction, induite par la qualité supérieure des états

3.2. arguments justifiant la qualité supérieure des normes IAS/IFRS

3.3.2. Effets de la qualité des institutions légales et politiques

3.3.2.2. Risque lié à la « capture » de l’activité bancaire

Lorsque les insiders capturent de la rente indûment, ceux-ci utilisent la discrétion attachée

à l’application des référentiels comptables à des fins opportunistes, en vue de masquer les activités d’expropriation. En ligne avec ce raisonnement, Leuz, Nanda et Wysocki (2003) font état d’une association négative entre gestion du résultat et protection légale des investisseurs. Dans la même veine, Haw et al (2004) trouvent que les pratiques de gestion du résultat sont

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Pour un échantillon de banques japonaises, Horiuchi et Shimizu (2001) trouvent que les établissements proposant des offres d’emploi aux superviseurs en fin de mandat opèrent avec un niveau d’adéquation des fonds propres plus faible et plus de crédits douteux.

plus répandues dans les firmes où le rapport des droits de vote aux droits pécuniaires est élevé. Ces deux résultats, souvent cités dans la littérature, sont conformes à l’hypothèse selon

laquelle l’incitation des insiders à produire une information comptable de qualité est plus

faible lorsque l’environnement légal (Leuz, Nanda et Wysocki 2003) ou la spécificité de la structure organisationnelle (Haw et al. 2004), par exemple, offrent aux internes aux firmes

l’opportunité de mettre en place des stratégies de capture de rente.55

Compte tenu du caractère stratégique de l’activité d’octroi de crédit, les banques, plus que

les entreprises non-financières, sont sujettes au risque de capture politique.56 L’allocation du

crédit bancaire, d’une part, est une arme à détenir par les politiques en vue de rallier à leur

cause les groupes d’intérêt nécessaires aux succès électoraux (« directed lending »).57 La

gestion des faillites bancaires, d’autre part, est la source d’un risque d’impopularité incitant les élus à faire pression sur les superviseurs afin que ces derniers remettent à plus tard leur intervention dans les banques en difficulté, ou qu’ils cautionnent la réalisation d’opérations de restructuration viables à court terme mais destructrices de valeur à long terme (pratiques dites

de « forbearance »).58

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Notons que les incitatifs liés à la mise en place d’activités d’expropriation et ceux résultant de la pression des

outsiders pour la production d’une information comptable de qualité sont étroitement liés. De fait, il est probable

que les insiders cherchant à exproprier les apporteurs de ressources soient aussi plus incités à opter pour des

modes de financement, une structure de propriété ou, en cas d’appel public à l’épargne, un lieu de cotation des titres les isolant des investisseurs exigeant la production d’une information comptable de qualité. Conformément à cette hypothèse, Leuz et Oberholzer-Gee (2006), pour un échantillon d’entreprises indonésiennes, trouvent une association négative entre la proximité des firmes avec le pouvoir politique en place et la probabilité d’émission de titres (dette et capital) sur les principaux marchés financiers internationaux, où les exigences de communication financière sont plus strictes.

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L’emprise du pouvoir politique sur les banques peut résulter de la propriété étatique ou de l’étroitesse des relations entretenues entre les dirigeants bancaires et les responsables politiques.

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Pour 44 pays développés et pays émergents dans le monde, Dinç (2005) trouve que les banques étatiques accroissent leur offre de prêt durant les périodes électorales. Sapienza (2004) étudie les pratiques d’octroi de crédit de banques d’État italiennes. Entre autres résultats, l’auteur trouve que les pratiques de prêt des banques étatiques sont affectées par les résultats électoraux du parti politique d’affiliation des banques. Il apparaît, en effet, que plus le parti politique d’affiliation est dominant dans une province, plus le coût du crédit facturé aux firmes par les banques d’État située dans cette province est faible.

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Bennett et Loucks (1996) s’intéressent aux décisions de fermeture des banques, dans le cadre de la crise

américaine des Savings & Loans. Les auteurs trouvent que les banques faiblement capitalisées bénéficiant d’un

appui politique sont restées en activité plus longtemps que les banques faiblement capitalisées sans soutien politique. Bongini, Claessens et Ferri (2001) constatent que la probabilité que des banques fassent défaut durant la crise bancaire asiatique de la fin des années 1990 est plus forte en cas de connexion politique. Les auteurs attribuent ce résultat au laxisme des superviseurs, non enclins à mettre en liquidation d’une manière opportune les banques connectées avec le pouvoir politique en place. Brown et Dinç (2005) étudient les politiques de gestion des faillites bancaires pour un échantillon de 21 pays émergents. Les auteurs trouvent que la probabilité qu’une banque défaillante fasse l’objet d’une prise de contrôle par l’État ou d’une fermeture est plus faible avant la conduite d’élections qu’après les échéances électorales. Pour un échantillon mondial de firmes, Faccio, Masulis et McConnell (2006), enfin, trouvent que la probabilité que les firmes en difficulté fassent l’objet d’un

sauvetage par leur gouvernement national (bailout) est plus forte lorsque celles-ci entretiennent des liens étroits

L’incidence des interférences du pouvoir politique sur l’incitation des banques à produire des comptes reflétant fidèlement la performance et la situation financière peut jouer par deux biais. Premièrement, les banques à niveau de performance élevé peuvent être incitées à dissimuler leur profit, en vue d’éviter d’attirer l’attention du pouvoir politique corrompu (hypothèse des coûts politiques de la gestion du résultat – voir : Bushman et Piotroski 2006, Watts et Zimmermann 1986). Deuxièmement, l’opacité est une condition requise pour la mise en place des stratégies d’expropriation dans les banques sous l’emprise du pouvoir politique corrompu. L’opacité, en effet, assure que les politiques d’octroi de crédit orientées vers les bénéficiaires de la capture des banques ne sont pas révélées aux non-bénéficiaires des

activités d’expropriation.59 En outre, il est probable que les banques capturées soient moins

incitées à révéler d’une manière opportune la survenance des pertes. Ceci est vrai si les faillites bancaires sont la source d’un risque d’impopularité pour le pouvoir politique en place, incitant celui-ci à retarder la gestion des crises dans les banques en difficulté.

Les résultats de Skinner (2008), Peek et Rosengren (2005) et Bischof, Brüggemann et Daske (2011), notamment, illustrent les effets de l’interférence du pouvoir politique sur la qualité de l’information comptable produite par les banques. Dans des contextes différents, ces études indiquent qu’en temps de crise, le pouvoir politique interfère dans le processus de production de l’information comptable bancaire, en vue de minimiser les coûts politiques liés à la gestion des épisodes d’instabilité. Skinner (2008) étudie les modalités de l’adoption par le régulateur japonais, durant la crise bancaire des années 1990 au Japon, de règles comptables

permettant la comptabilisation de l’imposition différée.60 L’auteur montre que l’adoption de

ces règles s’est faite dans l’objectif d’éviter les coûts politiques qui auraient été encourus en cas de violation par les banques des minima prudentiels Bâle I. Plus précisément, le régulateur japonais autorisa les banques à comptabiliser l’imposition différée et à inclure dans les fonds propres prudentiels les actifs d’impôt différé. Il en résulta une hausse des ratios de capital réglementaire qui permit au pouvoir politique de justifier l’injection de fonds publics dans des

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Pour un échantillon mondial d’entreprises, Chaney, Faccio et Parsley (2010) cherchent à voir si les firmes connectées au pouvoir politique produisent une information comptable d’une qualité inférieure à celle de firmes

non « connectées ». Approximant la qualité de l’information comptable par l’importance des accruals

discrétionnaires et identifiant les firmes connectées comme des firmes contrôlées par, dirigées par ou entretenant des liens étroits avec un membre du parlement, un ministre ou un chef d’état, les auteurs valident l’hypothèse d’une opacité plus forte de l’information comptable dans les firmes sous l’emprise du pouvoir politique.

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Schématiquement, l’imposition différée est l’imposition encourue d’un point de vue économique, c'est-à-dire l’imposition théorique encourue lors de la comptabilisation d’un produit taxable ou d’une charge déductible, mais non encourue d’un point de vue fiscal. L’imposition différée résulte donc de décalages temporaires entre la date de comptabilisation des produits et des charges et la date à laquelle ces produits et ces charges sont respectivement taxables et déductibles.

banques non solvables d’un point de vue économique, mais solvables d’un point de vue réglementaire.

Peek et Rosengren (2005) s’intéressent aux pratiques de prêt des banques japonaises durant la crise des années 1990. Les auteurs montrent que les banques opérant à proximité des ratios prudentiels minimaux étaient incitées à renouveler les lignes de crédit aux emprunteurs risqués, en vue de retarder la défaillance de ces emprunteurs et d’éviter d’avoir à comptabiliser des pertes sur créances irrécouvrables. Les auteurs indiquent, par ailleurs, que ces pratiques, qui conduisaient à une sous-estimation chronique du risque de crédit dans les états financiers, furent encouragées par le régulateur japonais, averse à gérer les situations de crise.

Bischof, Brüggemann et Daske (2011) étudient les déterminants des choix de reclassement des instruments financiers permis par l’amendement d’octobre 2008 à la norme IAS 39. L’amendement à IAS 39 fut introduit en urgence par l’IASB durant la crise bancaire de 2007/2008, suite à la pression de certains responsables politiques européens (français, notamment), lesquels arguaient que l’ancienne version d’IAS 39 créait une distorsion de concurrence défavorable aux banques européennes vis-à-vis des banques américaines appliquant les US GAAP. L’amendement d’octobre 2008 permet aux banques de reclasser, sous conditions, des actifs détenus à des fins de transaction, valorisés à la juste valeur par le

résultat, et des actifs disponibles à la vente (available for sale securities – AFS), valorisés à la

juste valeur par les fonds propres, en actifs détenus jusqu’à échéance ou en prêts et créances, valorisés au coût historique (une telle possibilité était offert en US GAAP, avant octobre 2008, par la norme SFAS 115). Pour 302 banques appliquant les normes IAS/IFRS dans le monde, les auteurs trouvent que la probabilité d’option pour le reclassement d’actifs à la juste valeur en actifs au coût historique est plus forte :

(1) dans les banques opérant à proximité des ratios de capital pondéré des risques

minimaux ;

(2) dans les banques situées dans les environnements où la réglementation ne permet

d’intégrer dans les fonds propres prudentiels Tier 2 qu’une part faible de la réserve de juste valeur sur les titres disponibles à la vente.

Pris globalement, ces résultats sont conformes à l’hypothèse selon laquelle, en temps de crise, lorsque la valeur des actifs bancaires diminue, les banques gagnent à « extraire » du

latentes, en vue d’éviter la violation des minima prudentiels.61 Bischof, Brüggemann et Daske (2011) interprètent ces résultats comme validant l’hypothèse d’une interférence du pouvoir politique, cherchant à se protéger des effets néfastes de la crise. Dit autrement, la pression exercée sur l’IASB n’aurait pas eu pour cause la volonté de niveler les règles du jeu concurrentielles entre l’Union Européenne et les États-Unis, mais plutôt d’éviter les coûts politiques (liés, par exemple, à l’impopularité des procédures de sauvetage des banques en difficulté ou à l’accroissement du déficit budgétaire induit par l’injection de fonds publics dans les établissements défaillants) qui auraient été encourus en cas de violation par les banques des minima réglementaires.