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Canaux d’influence de l’information comptable et attributs d’une information comptable

CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

1. Instabilité bancaire : définition, facteurs explicatifs et rôle de l’information comptable

1.3. Canaux d’influence de l’information comptable et attributs d’une information comptable

Les éléments développés dans les points précédents indiquent que le risque d’instabilité bancaire est d’autant plus fort que :

- les conflits d’agence menant aux activités de transfert de risque (point 1.2.1) et à

l’amplification des cycles économiques (point 1.2.3.1) sont intenses ;

- les déposants sont enclins à paniquer, notamment en raison de problèmes

informationnels conduisant les déposants sous-informés à se ruer aux guichets des banques au moindre signal bruité de dégradation de la santé financière des banques (point 1.2.2.1) ;

- les dirigeants des banques détenant des actifs échangés sur des marchés illiquides sont

contraints (par exemple en raison de l’obligation de respecter des minima prudentiels) ou incités (par exemple pour des motifs de rémunération à court terme), face à un choc négatif survenu sur les marchés en question, à céder en urgence des actifs, amplifiant ainsi le choc initial (point 1.2.2.2) ;

- les interconnexions interbancaires sont « fortes » (point 1.2.2.3) ;

- les dirigeants sont enclins à opter pour des stratégies d’endettement pro-cyclique

- l’optimisme des marchés d’actifs sur lesquels les banques interviennent est fort (point 1.2.3.3).

Ayant identifié les principaux déterminants microéconomiques de la survenance des crises

systémiques (voir la figure I.1, infra), nous en venons maintenant à discuter des canaux

d’influence de l’information comptable sur le risque d’instabilité bancaire. L’information

comptable est définie au sens large : elle couvre l’ensemble des informations contenues dans les états financiers publiés par les banques, tels que préparés en application des

référentiels comptables en vigueur. Ces informations incluent les éléments comptabilisés

(les « recognitions ») au bilan, au compte de résultat net et au compte de résultat global (ou

dans un tableau de variation des capitaux propres), ainsi que les notes annexes aux comptes (les « disclosures »).

Figure I.1 – Principaux déterminants de l’instabilité bancaire

Crise bancaire systémique Propagation à l’économie réelle Instabilité Aléa moral de l’assurance des dépôts Crises de confiance et paniques Ventes en urgence d’actifs illiquides Interconn-exions réelles Conflits d’agence de phase haussière de cycle Endettement pro-cyclique Myopie du désastre

« Contagion View » « Pro-cyclicality View »

Contagion d’un choc idiosyncrasique aux banques

saines d’un environnement

Amplification des phases haussières de cycle et formation de « bulles » Prises de

risque excessives

Adaptant la définition des incidences économiques des modes de reporting financier

proposée par Brüggemann, Hitz et Sellhorn (2011), nous dirons que l’information

comptable est une source d’instabilité si elle conduit les individus prenant des décisions basées sur les informations extraites des états financiers publiés par les banques, ou ceux qui sont affectés par ces décisions, à opter pour des comportements contribuant à la

survenance d’une crise systémique.21 Dans ce cadre, l’information comptable influe sur

l’instabilité par le biais des deux fonctions principales qu’elle assure :

(1) la mise à disposition, au profit des utilisateurs des états financiers, d’informations sur

la performance, la situation financière et l’exposition aux risques des établissements

de crédit (perspective informationnelle de l’information comptable) ;

(2) l’alimentation des arrangements contractuels fondés sur les chiffres comptables et

destinés à garantir l’alignement des intérêts des agents sur ceux des principaux (perspective contractuelle de l’information comptable).

Sous l’angle informationnel, l’information comptable influe sur les comportements amenant à l’instabilité par le biais des deux canaux suivants :

(1) La réduction des asymétries d’information ex ante et ex post entre internes aux

banques et créanciers exposés au risque de défaut. Par exemple, des états financiers de qualité facilitent l’exercice de la discipline de marché et, en cela, aident à contraindre l’incitation des dirigeants à prendre des risques excessifs.

(2) La formation des anticipations des investisseurs. Par exemple, des comptes donnant

une image excessivement mauvaise de la situation financière des banques peuvent provoquer des fuites de dépôts, si les déposants « fixent » naïvement l’information contenue dans les états financiers et conditionnent l’octroi de liquidités à la performance comptable des établissements de crédit.

Sous l’angle contractuel, l’information comptable influe sur les comportements menant à

l’instabilité par le biais des contrats utilisant les chiffres comptables comme inputs et dont les

termes orientent les décisions des parties prenantes à ces contrats (Watts et Zimmermann 1986). Par exemple, des comptes ne reflétant pas de manière opportune les dégradations de situation financière des banques empêchent la mise en place par les apporteurs de dette

21

« [We] use the term economic consequences to denote any effects of financial reporting on firm values and on the wealth of those who make decisions based on accounting information or are affected by such decisions

d’actions correctrices en temps utile, lorsque celles-ci sont déclenchées suite à la violation de ratios financiers minimaux fondés sur l’information comptable. Suivant, une nouvelle fois, Brüggemann, Hitz et Sellhorn (2011), nous distinguons les contrats définis au niveau des

banques (des firmes) (« individual contracts ») de ceux définis pour l’ensemble des banques

(des firmes) d’un environnement (« collective contracts»), par exemple à des fins

réglementaires, juridiques ou fiscales.22 Le premier type d’arrangements contractuels inclut

principalement les contrats de rémunération, destinés à aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, et les contrats de dette, destinés à aligner les intérêts des actionnaires sur ceux des créanciers prêteurs. Le deuxième type d’arrangements inclut, notamment, les restrictions de bénéfice distribuable définies dans les codes de commerce nationaux (Leuz, Deller et Stubenrath 1998) et les règles de calcul des ratios de fonds propres réglementaires

définies par les accords de Bâle.23

Combinant, à présent, les fonctions de l’information comptable avec les facteurs

d’instabilité identifiés supra, nous concluons cette première section en mettant en évidence

les attributs d’un référentiel comptable compatible avec l’objectif de stabilité bancaire. Ces attributs serviront de support aux développements, présentés dans les sections suivantes, relatifs à la compatibilité des normes comptables IAS/IFRS avec l’objectif de stabilité. Plus précisément, nous distinguons les trois principaux attributs suivants.

(1) Les règles comptables s’imposant habituellement pour le calcul du bénéfice

distribuable aux actionnaires (que ce soit dans le cadre des clauses de contrat de dette limitant le dividende ou des dispositions légales contenues dans les codes de commerce nationaux), elles conditionnent le maintien du capital disponible pour

l’apurement des pertes. Par suite, des normes comptables compatibles avec

l’objectif de stabilité bancaire devraient faire une application stricte du principe

de prudence et favoriser la production de bilans conservateurs. De telles normes,

en effet, permettent de contrebalancer les effets néfastes induits par l’enclin des banques à opérer avec insuffisamment de capitaux propres, eu égard aux risques encourus.

22

« Individual contracts are set at the firm level and, as most prominent examples, include management

compensation plans and lending agreements. Collective contracts are determined for groups of firms; [they use accounting information] as a basis for dividend payouts, regulatory restrictions, taxation, and employee benefits

(Brüggemann, Hitz et Sellhorn (2011, p.20). »

23 Il existe d’autres types de contrats collectifs, telles les modalités de détermination du résultat fiscal ou les

règles de calcul de la participation des salariés au résultat de l’entreprise. Dans la suite du texte, nous ne nous intéresserons, toutefois, qu’au cas des contrats collectifs fixant les règles de calcul du bénéfice distribuable et les règles de calcul des ratios de fonds propres prudentiels.

Une des critiques majeures formulées à l’égard des normes IAS/IFRS est qu’en autorisant la distribution de bénéfices latents, par le biais de la comptabilité en juste valeur, notamment, ces normes nuiraient à la protection de l’assureur des dépôts et des créanciers non assurés (Strampelli 2011, Pellens et Sellhorn 2006, Banque Centrale Européenne 2004). Nous discutons de la validité de cet argument dans la section 2, infra.

(2) L’information comptable réduit les asymétries d’information entre banques et

déposants ou entre classes de déposants et sert une fonction gouvernance, par exemple

en facilitant l’exercice de la discipline de marché. Dans ce cadre, des normes

comptables compatibles avec l’objectif de stabilité bancaire devraient fournir l’image la plus fidèle possible de la réalité de la situation financière des banques

et de leur exposition aux risques. Les états financiers préparés en application de

telles normes, en effet, devraient contribuer à réduire la probabilité de survenance des paniques déclenchées par les déposants sous-informés et à atténuer l’ampleur des comportements opportunistes des dirigeants menant à l’instabilité (Financial Stability Forum 2008, par exemple).

Conçu pour satisfaire les besoins d’information des utilisateurs des états financiers ayant à prendre des décisions économiques et opérant à distance des firmes, le référentiel IAS/IFRS est généralement perçu comme doté d’un contenu informatif supérieur, comparativement à la majorité des référentiels locaux (des référentiels continentaux, plus particulièrement). Par suite, l’adoption des IAS/IFRS devrait être la source d’avantages économiques liés à l’atténuation des problèmes informationnels

menant à l’instabilité. La section 3, infra, revient sur la validité de cet argument.

(3) L’information comptable affecte les décisions des dirigeants, par le biais des contrats

fondés sur l’information comptable, et celles des investisseurs utilisant les états financiers publiés par les firmes, par le biais de la formation des anticipations. Dans ce

cadre, des normes comptables compatibles avec l’objectif de stabilité bancaire

devraient proscrire d’intégrer aux items comptables influençant les

comportements des dirigeants et des investisseurs des accruals donnant une

image excessivement bonne ou excessivement mauvaise de la performance et de

la situation financière des banques. Les items comptables ayant une incidence sur

- le résultat net, lorsqu’il sert d’input aux contrats de rémunération dont les termes orientent les comportements managériaux ;

- les capitaux propres, lorsqu’ils servent de base au calcul des exigences

minimales en capital prudentiel, ou au calcul des ratios financiers seuils des contrats de dette, dont le risque de violation orientent les décisions managériales ;

- le résultat net (ou tout autre item « saillant »), lorsque les déposants (les

investisseurs, moins strictement), « fixant » naïvement l’information

comptable, conditionnent leurs retraits de liquidités au niveau de performance comptable.

Les justes valeurs d’actifs déterminées en référence à des prix extraits de marchés

illiquides à court terme constituent un exemple d’accruals donnant une image biaisée

de la performance bancaire. De fait, ces justes valeurs reflétant les effets de chocs de liquidité, elles sous-estiment les flux de trésorerie qui pourraient être obtenus de la réalisation de ces actifs dans des conditions normales de marché. Par suite, si ces justes valeurs ont une incidence sur les comportements des dirigeants ou des investisseurs, elles sont susceptibles de générer des effets économiques pervers.

Le problème posé par l’incorporation dans les états financiers bancaires d’estimations de juste valeur donnant une image biaisée de la performance et de la situation financière constitue l’une des principales critiques formulées à l’égard du référentiel IAS/IFRS (Leuz et Laux 2009a, 2009b, Plantin, Sapra et Shin 2008, Allen et Carletti

2008, par exemple). Ceci est notamment vrai depuis que la comptabilité en fair value

– dont le référentiel comptable international fait un usage massif – a été mise en cause comme ayant contribué à amplifier la récente instabilité des secteurs bancaires. Plus précisément, il est souvent avancé que le modèle comptable en juste valeur aurait pour effet :

- d’accroître le risque de panique de déposants enclins à « fixer » naïvement

l’information comptable saillante, par exemple le résultat net ;

- d’accroître le risque de contagion des chocs, en incitant les dirigeants dont la

rémunération est liée au niveau de performance comptable et/ou dont les actions sont contraintes par les tests de solvabilité alimentés par l’information

comptable à céder en urgence des actifs illiquides (Plantin, Sapra et Shin 2008, Cifuentes, Ferrucci et Shin 2005) ;

- d’amplifier les cycles économiques, en incitant les dirigeants à opter pour des

stratégies d’endettement pro-cyclique (Plantin, Sapra et Shin 2004, 2005).

La section 6, infra, revient en détail sur la validité de ces arguments.

La figure I.2, infra, récapitule les canaux d’influence de l’information comptable sur le

risque d’instabilité bancaire.

Figure I.2 – Canaux d’influence de l’information comptable sur l’instabilité bancaire Les caractéristiques de l’information

comptable produite par les banques conditionnent…

- la sauvegarde du capital bancaire ;

- l’efficacité du monitoring de la prise

de risque ;

- l’ampleur des asymétries

d’information et l’incertitude ;

- l’optimalité des décisions prises en

référence aux items comptables « sensibles », communiqués par les banques et/ou inclus dans les

contrats dont les termes affectent les actions des parties prenantes.

…et affectent le risque d’instabilité bancaire en influant sur…

- la protection de l’assureur des

dépôts ;

- l’ampleur des conflits d’agence

menant à l’instabilité ;

- la probabilité de survenance des

paniques et des crises de confiance dont sont à l’origine les apporteurs de ressources sous- informés ;

- la probabilité de survenance de

paniques provoquées par les déposants « fixant » l’information comptable saillante, la probabilité de survenance des ventes d’actifs en urgence et la pro-cyclicité.

2. Conséquence attendue n°1 : l’atteinte, induite par le plus faible