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CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

2. Conséquence attendue n°1 : l’atteinte, induite par le plus faible conservatisme des états

2.1. Exposé de la problématique

Le principe de sauvegarde ou de maintien du capital (« capital maintenance ») vise à

prévenir le risque de dilution du capital social et des réserves liées (primes d’émission perçues en cas d’augmentation de capital, par exemple), dans les firmes où la continuité d’exploitation n’est pas remise en cause (Haaker 2010, Armour 2000, par exemple). De manière générale, l’application du principe conduit à restreindre le montant des distributions bénéficiant aux actionnaires (dividendes, rachats d’actions, remboursements de capital, etc.) aux seuls profits réalisés (donnés par la différence entre l’actif net, d’une part, et le capital social et les réserves liées, d’autre part), ce qui a pour effet de garantir la protection des créanciers prêteurs. L’application du principe garantit la protection des créanciers non résiduels en assurant que, postérieurement à l’apport de dette, les actionnaires n’amputeront pas le gage représenté par le capital social, par exemple en cédant des actifs ou en souscrivant à des dettes nouvelles, en vue de distribuer un montant de dividendes supérieur aux résultats générés par l’actif économique. Un tel niveau de distribution, en effet, entraînerait un transfert de richesse défavorable aux apporteurs de dette, ces derniers supportant alors un risque de défaut

supérieur à celui « tarifé » initialement, lors de l’apport de fonds.24 Par extension, le principe,

qui vise à préserver le capital disponible pour l’apurement des pertes, aide à atténuer les effets

24 Les règles encadrant le principe de sauvegarde du capital visent à limiter les distributions bénéficiant aux

actionnaires aux seuls bénéfices réalisés postérieurement à l’apport de dette. Corollairement, ces règles, qui définissent aussi les modalités de réduction de capital motivée par des pertes, proscrivent d’utiliser des réserves de réévaluation positives, dont la réalisation future est aléatoire, pour compenser des pertes constatées.

pervers, pour les créanciers non résiduels, induits par la responsabilité limitée des actionnaires. En banque, l’application du principe permet notamment de contrebalancer les conséquences néfastes liées à l’incitation des banques dont les dépôts sont assurés à opérer

avec insuffisamment de capital eu égard aux risques encourus (voir le point 1.2.1, supra).

En pratique, les restrictions de distributions (ou règles de sauvegarde du capital) sont encadrées par deux types de mécanismes (Leuz, Deller et Stubenrath 1998) :

(1) les mécanismes imposant aux firmes un plafond maximal de distribution, telles les

clauses limitatives de dividendes, incluses dans les contrats de dette, ou les dispositions légales définissant la notion de bénéfice distribuable, contenues dans les

codes de commerce nationaux (un type de contrat collectif – cf.supra) ;

(2) les mécanismes contraignant les firmes à respecter des ratios financiers minimaux, tels

les clauses de défaut technique intégrées dans les contrats de dette ou, en banque, plus particulièrement, les accords régissant la réglementation du capital (un autre type de contrat collectif). Ces derniers mécanismes, à l’opposé des premiers, contraignent indirectement la distribution de dividendes. Par exemple, les accords de Bâle requièrent des banques qu’elles détiennent un minimum de fonds propres prudentiels équivalant à 8% des encours pondérés en risque, ce qui exerce une contrainte indirecte sur la politique de dividendes. De fait, plus le taux de distribution des bénéfices est élevé, plus la probabilité de violation du ratio prudentiel minimal est forte, toutes

choses égales par ailleurs.25

Dans ce cadre, la comptabilité joue un rôle primordial, dans la mesure où (1) les codes de commerce nationaux assimilent généralement le bénéfice distribuable au bénéfice

comptable26, où (2) les clauses des contrats de dette limitant le dividende tendent à être

fondées sur le résultat, plutôt que sur le flux de trésorerie d’exploitation (Leuz, 1998) et où (3) les ratios financiers des contrats de dette et les ratios de fonds propres prudentiels utilisent

comme inputs les données comptables, éventuellement retraitées. Plus précisément, le niveau

de protection offert par la comptabilité aux créanciers prêteurs est lié à son degré de prudence

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Notons que les clauses de défaut technique, outre de contraindre les politiques de distribution, servent aussi à déclencher l’intervention des créanciers prêteurs dans les firmes en difficulté (Leuz, Deller et Stubenrath 1998, Dhaliwal 1980). En banque, par exemple, la survenance d’un choc, qui provoquerait le non-respect des minima imposés par le Comité de Bâle, déclenche l’intervention des superviseurs et la mise en place, par ces derniers, d’actions correctrices destinées à prévenir le risque d’une gestion inappropriée des situations de crise.

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Cela est surtout vrai dans les pays d’Europe Continentale, où la comptabilité sert traditionnellement un objectif de protection des créanciers prêteurs (Sellhorn et Gornik-Tomaszewski 2006, Leuz et Wüstemann 2003, Leuz, Deller et Stubenrath 1998).

ou de conservatisme (au sens du conservatisme de bilan ou conservatisme « non conditionnel » – voir, entre autres : Hung et Subramanyam 2007, Garcia-Lara et Mora 2004). Une comptabilité prudente, c'est-à-dire sous-estimant de manière permanente la valeur de l’actif net bancaire, permet la constitution d’un matelas de capitaux propres de sécurité (ou réserves de capitaux propres « cachées »), disponible en cas de difficultés pour la résorption

des pertes. Notant RC* le résultat comptable « réalisé », donné par la différence des seuls

produits réalisés (excluant les gains latents) et des seules charges engagées (excluant les

pertes latentes), ΣRC*, les bénéfices réalisés accumulés, et α, le taux de rétention de bénéfice

(supposé constant), le montant théorique D distribuable aux actionnaires, au titre d’une

période t, équivaut à :

D t≤ Max [0 ; Σ((1 – α)ÌRC*)]. (1) Une comptabilité prudente reconnaît en résultat toutes les pertes, pertes latentes comprises, sans n’anticiper aucun gain latent. Le montant distribuable aux actionnaires d’une firme appliquant un référentiel comptable prudent est donné par :

D t≤ Max [0 ; Σ((1 – α)Ì(RC* – PL))], (2)

PL est le montant des pertes latentes non engagées mais comptabilisées en vertu du

principe de prudence. Lorsque ces pertes latentes ont un caractère récurrent (cas, par exemple, d’une banque sur-provisionnant systématiquement le risque de non- remboursement de ses prêts), le modèle comptable conservateur (équation (2)) conduit à priver les actionnaires d’une partie des profits qui pourrait être distribuée en cas de recours au modèle comptable non conservateur (équation (1)), d’où un renforcement du niveau de protection des créanciers prêteurs.

Parallèlement, une comptabilité excessivement prudente rend aussi plus difficile le respect des ratios financiers minimaux inclus dans les contrats de dette ou définis par la réglementation du capital, ce qui, indirectement, exerce une pression à la baisse sur les possibilités de distribution. Supposons, par exemple, qu’une banque dispose d’un montant de 8 en capitaux propres, ces derniers étant composés du capital social et des réserves, données

par αÌΣRC*, soit la somme des résultats réalisés et non distribués depuis la création de la

banque. Si les encours pondérés s’élèvent à 100, la banque, avec un ratio de capital réglementaire de 8%, satisfait aux exigences du comité de Bâle. Supposons maintenant que la banque opère dans un environnement requérrant l’usage de normes comptables conservatrices

et que ces normes, en moyenne, conduisent à sous estimer l’actif net comptable d’un montant de 1. Sous cette hypothèse, les capitaux effectifs ne s’élèvent plus qu’à 7, ce qui cause la violation du ratio prudentiel minimal, toutes choses égales par ailleurs. Un moyen (parmi d’autres) de rétablir le ratio réglementaire consistant pour la banque à réduire le montant des distributions (à supposer que le taux de distribution avant violation du seuil minimal soit différent de zéro), on vérifie l’existence d’une relation négative entre le degré de conservatisme de l’information comptable et les possibilités d’octroi de dividendes.

Les éléments qui viennent d’être développés expliquent pourquoi les superviseurs sont particulièrement intéressés par l’utilisation, dans les banques, de normes comptables conservatrices (Matherat 2008, Borio et Tsatsaronis 2004, Wall et Koch 2000, par exemple). D’une part, de telles normes, en sous estimant l’actif net et en rendant plus difficile le respect des ratios de capital prudentiel minimaux, exercent une pression à la baisse sur les montants distribuables aux actionnaires. Cela assure la protection des intérêts de l’assureur des dépôts, en évitant une trop forte dilution du capital disponible pour l’apurement des pertes. D’autre part, dans la mesure où la probabilité est plus forte, toutes choses égales par ailleurs, que les banques des environnement comptables conservateurs opèrent à proximité des ratios de capital prudentiel minimaux, le risque que ces banques violent ces ratios, en cas de survenance d’un choc négatif, est aussi plus élevé. En cela, des normes comptables conservatrices permettent une intervention par anticipation des superviseurs dans les banques en difficulté, avant l’aggravation des conflits d’agence de la dette et de ceux liés à l’assurance des dépôts.

Qu’en est-il, dans ce cadre, des effets à attendre de l’adoption par les banques des normes comptables IAS/IFRS ? Les normes IAS/IFRS visent principalement à « satisfaire les besoins d’information des agents ayant à prendre des décisions économiques et opérant à distance des

firmes (IAS 1, §3, §7) ».27 L’importance accordée à l’objectif d’utilité des états financiers

pour la prise de décision économique permet de classer le référentiel international parmi les

systèmes comptables anglo-saxons. Ces systèmes sont typiques des économies d’outsiders, où

l’importance des marchés financiers, la diffusion de la propriété et le caractère transactionnel des relations banque/entreprise, notamment, placent les investisseurs à distance des équipes

dirigeants (« at arm’s length »), ce qui crée une demande forte pour la production d’une

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Le paragraphe 7 de la norme IAS 1 – Présentation des états financiers indique que « the objective of general

purpose financial statements is to provide information about the financial position, financial performance and cash flows of an entity that is useful to a wide range of users in making economic decisions. » Le paragraphe 3

de cette norme indique, quant à lui, que « general purpose financial statements are those intended to meet the

information comptable de qualité, utile pour les prises de décisions économiques et le contrôle des décisions managériales (voir, entre autres : Garcia-Lara et Mora 2004, Leuz et Wüstemann, 2003, Ball, Kothari et Robin 2000, Nobes 1998).

La primauté faite, dans le référentiel IAS/IFRS, à l’objectif d’utilité des états financiers pour la prise de décision économique a pour corollaire la renonciation aux autres objectifs traditionnellement assignés à la comptabilité, tels l’objectif de détermination du résultat

imposable, satisfait via l’alignement des règles de comptabilisation des produits et des

charges sur les règles d’imposition/de déductibilité de ces produits et de ces charges, ou

l’objectif de protection des créanciers prêteurs, satisfait via la production de chiffres

comptables prudents (voir supra). Au cas particulier, la primauté faite à l’objectif d’image

fidèle, plutôt qu’à l’objectif de protection des créanciers prêteurs, implique que les bilans produits en application des normes IAS/IFRS sont moins conservateurs, comparativement, notamment, aux bilans produits en application des normes comptables continentales, privilégiant davantage la sauvegarde des intérêts des apporteurs de dette (Hung et Subramanyam 2007, Sellhorn et Gornik-Tomaszewski 2006). Par suite, l’adoption par les banques du référentiel comptable international serait susceptible de nuire à l’objectif de maintien du capital et à la protection de l’assureur des dépôts et des créanciers non assurés (Strampelli, 2011, Pellens et Sellhorn 2006, Banque Centrale Européenne, 2004).

Plusieurs éléments permettent de justifier le faible conservatisme des normes IAS/IFRS.

Ces derniers incluent, notamment, le non amortissement du goodwill (IFRS 3), la possibilité

de comptabiliser dans les fonds propres des gains latents, par le biais de la réévaluation postérieure des immobilisations (qu’elles soient corporelles (IAS 16), incorporelles (IAS 38) ou représentatives d’immeubles de placement (IAS 40)), l’activation obligatoire des coûts de développement (IAS 38) ou encore les règles strictes encadrant les possibilités de constitution de provisions (par exemple, la norme IAS 37, qui subordonne la constatation de provisions à l’existence d’une obligatoire juridique ou implicite de l’entité vis-à-vis d’un tiers, réduit à néant les possibilités de création de réserves dites de « propre assureur »).

En banque, plus spécialement, deux dispositions essentielles de la norme IAS 39 sont susceptibles de rendre les bilans des établissements de crédit moins prudents. D’une part, la valorisation du portefeuille des titres de transaction et des titres disponibles à la vente à leur juste valeur peut conduire les banques à comptabiliser des plus-values latentes tirant respectivement à la hausse le résultat et les capitaux propres (les changements de juste valeur

des titres disponibles à la vente transitent directement par les capitaux propres). Le risque d’atteinte au principe de prudence, par ailleurs, apparaît d’autant plus grand que :

- les établissements de crédit ont recours à des modèles internes de valorisation, dont le

faible niveau d’observabilité des paramètres par les outsiders offre aux dirigeants

l’opportunité de gérer à la hausse le résultat et les capitaux propres28 ;

- l’aléa portant sur la réalisation future des plus-values latentes est élevé, par exemple

en raison de problèmes de liquidité sur les marchés d’échange des actifs valorisés à la fair value.

D’autre part, les règles de dépréciation des crédits douteux, généralement plus restrictives en normes IAS/IFRS (Gebhardt et Novotny-Farkas 2010), tendent à affecter à la baisse le montant des réserves de provisionnement du risque de crédit. Plus précisément, IAS 39 ne permet de déprécier que le risque de crédit encouru (ou avéré) résultant d’événements passés

connus (« incurred losses ») ou d’événements passés qui, bien que non connus à un niveau

individuel, peuvent être identifiés au niveau d’un groupe d’encours présentant des

caractéristiques similaires (« incured but not reported losses »).29 En contradiction avec les

dispositions des accords de Bâle et les pratiques usuelles généralement permises par les superviseurs nationaux (voir, sur ce point, Gebhardt et Novotny-Farkas 2010), la norme

proscrit de constituer des réserves de provisionnement du risque de crédit attendu (« expected

losses »), résultant d’événements futurs et non connus à la date de clôture des comptes.30 Au final, les éléments développés ci-dessus indiquent que l’adoption par les banques des normes IAS/IFRS pourrait nuire à l’objectif de stabilité, par le biais d’une atteinte au principe de sauvegarde du capital. D’une part, les normes IAS/IFRS autoriseraient la distribution de gains latents, dont la réalisation dans le futur est aléatoire. D’autre part, ces normes rendraient les ratios financiers minimaux des contrats de dette et les ratios de capital prudentiel

28

Par exemple, les dirigeants peuvent être incités à gérer à la hausse le résultat et les fonds propres afin de minimiser le risque d’une intervention (coûteuse, en termes de réputation, notamment) des superviseurs (Gaver et Paterson 2004, Petroni 1992).

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Objective evidence that a financial asset or group of assets is impaired includes observable data that comes to the attention of the holder of the asset. [Loss events may include…] (f) observable data indicating that there is a measurable decrease in the estimated future cash flows from a group of financial assets since the initial recognition of those assets, although the decrease cannot yet be identified with the individual financial assets in the group, including: (i) adverse changes in the payment status of borrowers in the group […] or (ii) national or local economic conditions that correlate with defaults on the assets in the group (IAS 39, §59).

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A financial asset or a group of financial assets is impaired and impairment losses are incurred if, and only if, there is objective evidence of impairment as a result of one or more events that occurred after the initial recognition of the asset (a ‘loss event’) and that loss event (or events) has an impact on the estimated future cash flows of the financial asset or group of financial assets that can be reliably estimated. […] Losses expected as a result of future events, no matter how likely, are not recognised (IAS 39, §59).

minimaux plus faciles à respecter. Notamment, l’inclusion de réserves de juste valeur positives dans le numérateur des ratios de capital pondérés des risques permettrait aux

banques de substituer ces réserves de gains latents à des fonds propres « durs » (« core

capital »), sans altérer le risque de violation des minima prudentiels.31 En outre, l’inclusion de ces réserves positives dans le numérateur du ratio de fonds propres réglementaires, en accroissant, toutes choses égales par ailleurs, la distance au point de défaut technique conditionnant la mise en place d’actions correctrices, aurait pour effet de retarder l’intervention des superviseurs dans les banques en cas de survenance de chocs. Dans le point qui suit, nous discutons de la validité de l’argument selon lequel l’adoption des normes IAS/IFRS nuirait à l’objectif de sauvegarde du capital bancaire.