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CHAPITRE II Passage obligatoire aux normes comptables IAS/IFRS, discipline de marché et

1. Cadres théoriques et hypothèses testables

1.3. Synthèse des hypothèses testables

Les points précédents ont présenté les arguments permettant d’expliquer pourquoi le passage obligatoire aux normes IAS/IFRS a pu contraindre les dirigeants des banques à réduire leur exposition au risque de défaut. Dans ce point, nous formulons les hypothèses testables.

L’explication fondée sur la réduction de l’aléa moral, ainsi que celle basée sur la hausse du risque réglementaire, mènent à la formulation de l’hypothèse principale suivante :

H1: le passage obligatoire aux normes comptables IAS/IFRS contraint les banques à réduire leur exposition au risque de défaut, donc à détenir plus de capitaux propres, à niveau de risque d’actif constant.

Les deux cadres théoriques utilisés amenant à la même hypothèse testable, nous formulons maintenant des hypothèses auxiliaires, afin d’identifier laquelle des deux thèses mobilisées est mieux à même d’expliquer la relation attendue. L’explication fondée sur l’hypothèse d’aléa moral suppose que l’effet positif du passage aux IAS/IFRS sur le ratio de fonds propres doit être plus fort dans les banques (1) les plus exposées à la discipline de marché et (2) les plus incitées à exproprier l’assureur des dépôts et les créanciers non assurés.

L’hypothèse auxiliaire (1) est justifiée par le fait que la transparence n’a d’effets que si les créanciers exposés au risque de défaut sont incités à discipliner la prise de risque bancaire

(Hyytinen et Takalo 2002, par exemple). A contrario, les effets positifs d’une amélioration de

établissements où les investisseurs sont peu enclins à assurer le monitoring de la prise de risque (Baumann et Nier 2006, Fernandez et Gonzalez 2004). Les détenteurs de dette subordonnée sont particulièrement incités à assurer le contrôle des risques : non couverts par les mécanismes d’assurance des dépôts et placés en dernier rang des créanciers à désintéresser en cas de faillite, ils sont les plus exposés au risque de défaut des banques. Inversement, les déposants assurés étant immunisés contre le risque de faillite bancaire, ils n’ont pas d’intérêt à supporter le coût du contrôle de la prise de risque. Sur ces bases, nous formulons l’hypothèse suivante :

H1A : conformément à l’hypothèse d’aléa moral, on s’attend à ce que l’effet positif du passage obligatoire aux normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres décroisse avec la part des dépôts–client (assurés) dans le passif total et croisse avec la part des dettes subordonnées dans le passif total.

L’hypothèse auxiliaire (2) est justifiée par le fait qu’une information comptable de qualité est d’autant plus utile que l’incitation des dirigeants à exproprier les apporteurs de ressources est élevée. Les banques fragiles financièrement, d’une part, sont particulièrement enclines à exproprier l’assureur des dépôts et les créanciers prêteurs non assurés. Dans ces banques, l’option de vente détenue par les actionnaires sur les actifs bancaires étant très dans la monnaie, l’incitation des créanciers résiduels à accroître le risque de défaut est maximale (Park et Peristiani 2007, Merton 1977). D’autre part, il est bien établi, dans la littérature en banque, que les établissements dotés d’une valeur de franchise élevée (c'est-à-dire d’un modèle économique générateur de rente) sont moins enclins à prendre des risques excessifs (Marcus 1984). La raison est évidente : lorsqu’ils bénéficient d’une rente, les actionnaires sont incités à en sécuriser l’accès, en opérant avec suffisamment de capitaux propres eu égard aux risques encourus (Park et Peristiani 2007, Furlong et Kwan 2005). Sur ces bases, nous formulons l’hypothèse suivante :

H1B: conformément à l’hypothèse d’aléa moral, on s’attend à ce que l’effet positif de l’adoption obligatoire des normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres soit plus fort dans les banques fragiles financièrement et dans celles dotées d’une valeur de franchise faible.

L’explication contractuelle implique, quant à elle, que l’effet positif du passage aux IAS/IFRS sur le ratio de capitaux propres doit croître avec la part des instruments financiers

valorisés à la juste valeur au bilan. La norme IAS 39 distingue trois catégories d’instruments financiers : (1) les actifs et passifs détenus à des fins de transaction, comptabilisés à la juste valeur par le résultat ; (2) les actifs disponibles à la vente, comptabilisés à la juste valeur par les capitaux propres ; (3) les titres détenus jusqu’à échéance, les prêts et créances et les dettes,

autres que celles liées à des opérations de trading, comptabilisés au coût amorti. Plus les

instruments financiers de catégorie (1) et (2) représentent une part importante du bilan des banques, plus la volatilité du ratio de fonds propres prudentiels, calculé sur la base des capitaux propres comptables, est susceptible de croître suite à l’adoption des normes IAS/IFRS. Il suit alors l’hypothèse testable suivante :

H1C : conformément à l’explication réglementaire, on s’attend à ce que l’effet positif du passage aux normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres soit plus fort dans les banques dont le bilan est composé de beaucoup d’instruments financiers valorisés à la juste valeur.

Plus précisément, l’effet positif attendu doit être plus fort dans les banques faisant un usage massif de la comptabilité en juste valeur et opérant, par ailleurs, à proximité du ratio de capital pondéré des risques minimal. De fait, plus la distance au point de défaut réglementaire est courte, plus il probable que l’adoption de la comptabilité en juste valeur, en rendant plus volatils les fonds propres bancaires, ait accru le risque d’intervention des superviseurs. Comme ci-dessus, toutefois, cette relation ne tient que si les banques développent des activités requérrant la détention d’actifs comptabilisés à la juste valeur. Par suite, nous formulons l’hypothèse suivante :

H1D : conformément à l’explication réglementaire, on s’attend à ce que l’effet positif du passage aux normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres soit plus fort dans les banques opérant à proximité du point de défaut réglementaire et dont le bilan est composé de beaucoup d’instruments financiers valorisés à la juste valeur.

Pour finir, nous cherchons à voir si le contexte d’adoption des normes IAS/IFRS importe. Notre échantillon couvrant la période 2003-2008 et étant composé de banques adoptant les

normes comptables internationales en 2005, 2006 et 2007 (voir la section 3, infra), il est

possible de tester l’hypothèse selon laquelle l’effet (à court terme) de l’adoption des normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres est plus fort en période de crise, à savoir durant la période 2007-2008. Dans la mesure où les deux cadres théories mobilisés sont susceptibles

d’expliquer cette hypothèse (voir ci-après), nous justifions le test de cette dernière par les motifs suivants. Premièrement, il est intéressant, compte tenu des nombreuses critiques formulées à l’encontre du référentiel de l’IASB durant la crise bancaire de 2007/2008, de chercher à voir si l’effet positif attendu de son adoption sur les ratios de capitaux propres est plus fort en temps de crise. En effet, vérifier l’existence d’une telle relation contribuerait à tempérer les critiques formulées par les opposants à l’introduction des normes IAS/IFRS dans les banques. Deuxièmement, montrer que cette relation existe concourt à valider la robustesse des tests. Dans la mesure, en effet, où cette relation est conforme aux cadres théoriques mobilisés, vérifier son existence nous conforte dans l’idée que l’effet observé empiriquement est bien lié au changement de référentiel comptable.

L’explication fondée sur l’hypothèse d’aléa moral et celle fondée sur l’existence d’un risque réglementaire permettent toutes les deux de justifier l’hypothèse selon laquelle l’effet positif du passage aux normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres doit être plus fort en période de crise. Les arguments justifiant cette relation, pour chacun des deux cadres théoriques mobilisés, sont les suivants.

- Explication fondée sur l’hypothèse d’aléa moral. Les incitations aux prises de risque

excessives liées à la proximité du point de défaut (« gambling for resurrection ») sont

exacerbées en temps de crise, périodes durant lesquelles le risque de faillite des

banques est élevé.82 Par ailleurs, les créanciers étant exposés à un risque de faillite des

banques plus important en temps de crise, l’intensité de la discipline de marché doit être plus forte durant les épisodes d’instabilité. L’accroissement du risque moral et la plus forte incitation des créanciers à discipliner la prise de risque impliquent que la publication par les banques d’états financiers de qualité importe plus en période de crise, toutes choses égales par ailleurs.

- Explication fondée sur l’existence d’un risque réglementaire. L’hypothèse réglementaire prédit que les dirigeants, averses au risque d’intervention des superviseurs, ont été incités à opérer à une distance plus éloignée du point de défaut réglementaire, suite à l’accroissement de la volatilité des ratios de fonds propres, induite par l’adoption de la comptabilité en juste valeur. Dans la mesure où les

marchés sont plus volatils en temps de crise et où la comptabilité en fair value conduit

à indexer la valeur des actifs et des passifs bancaires sur les valeurs de marché, il suit

82

Il est aussi probable que les valeurs de franchise soient plus faibles en période de crise, d’où une incitation supplémentaire aux prises de risque excessives (Baumann et Nier, 2006).

que la volatilité des capitaux propres estimés en juste valeur doit être plus forte durant les épisodes d’instabilité. En conséquence, l’incitation des dirigeants à détenir plus de capitaux propres doit être plus forte en cas d’adoption des normes IAS/IFRS durant une période de crise. Par ailleurs, il est probable que les superviseurs, sensibles au risque politique associé à la gestion des crises, soient plus enclins à intervenir rapidement dans les banques durant les épisodes d’instabilité (Berger, Kyle et Scalise 2001).

Au final, il suit l’hypothèse testable suivante :

H1E : conformément à l’hypothèse d’aléa moral et à l’explication réglementaire, on s’attend à ce que l’effet positif du passage aux normes IAS/IFRS sur les ratios de capitaux propres soit plus fort dans le cas où les banques adoptent les normes comptables internationales durant la crise bancaire de 2007/2008.