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CHAPITRE I Conséquences attendues sur l’instabilité bancaire de l’adoption des normes

3. Conséquence attendue n°2 : la réduction, induite par la qualité supérieure des états

3.4. Synthèse

Cette section a discuté des avantages à attendre, en matière de stabilité bancaire, de l’adoption par les banques des normes comptables IAS/IFRS. Conçues pour satisfaire les besoins d’information des investisseurs, ces normes doivent contribuer :

(1) à réduire les problèmes informationnels à l’origine des paniques de déposants ;

(2) à réduire – en temps de crise, notamment – l’ampleur des contraintes en liquidité à

l’origine d’une contraction de l’offre de crédit, laquelle constitue un canal classique de propagation des crises bancaires à l’économie réelle ;

(3) à faciliter l’exercice du contrôle des décisions managériales, par le biais de la

discipline de marché ou par le biais de la rédaction de contrats basés sur une information comptable reflétant mieux les effets des actions managériales.

Les effets positifs à attendre du passage aux normes IAS/IFRS apparaissent toutefois dépendre d’un ensemble de facteurs conditionnant l’incitation des dirigeants bancaires et des

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La synchronicité des prix des actions est mesurée par le coefficient de détermination obtenu de la régression du taux de rentabilité des actions sur le taux de rentabilité d’un portefeuille de marché (voir Jin et Myers 2006).

auditeurs à produire, en premier lieu, des comptes de qualité. En banque, ces facteurs incluent principalement :

(1) le niveau d’exposition des banques à la discipline de marché, lequel est notamment

fonction de la générosité des mécanismes explicites et implicites d’assurance des créanciers ;

(2) le degré de responsabilité (« accountability ») des agences de supervision, lequel

influe sur la qualité des missions d’audit accomplies par les superviseurs ;

(3) le risque de capture de l’activité bancaire par le pouvoir politique en place ;

(4) le caractère stratégique des informations collectées par les établissements de crédit

dans le cadre de la relation banque/entreprise.

4. Conséquence attendue n°3 : la hausse, induite par l’incorporation dans

les états financiers IFRS d’estimations du futur non fiables, des risques

de contagion et de pro-cyclicité

Les sections précédentes ont traité des conséquences à attendre du passage obligatoire aux normes IAS/IFRS sur la sauvegarde du capital bancaire (section 3) et la réduction des problèmes informationnels menant à l’instabilité (section 4). Cette dernière section évoque le risque posé par l’intégration dans les états financiers IFRS d’estimations donnant une image biaisée (soit excessivement bonne, soit excessivement mauvaise) de la performance et de la situation financière des banques. Plus précisément, la section discute des incidences

économiques néfastes liées à l’usage de la comptabilité en fair value, lorsque les justes

valeurs d’actifs (de passifs) sont extraites de marchés où les prix reflètent des conditions de liquidité anormales et transitoires (le cas des prix extraits des marchés d’actifs liés aux « subprimes », durant la récente crise bancaire).

La comptabilité en juste valeur consiste à mesurer, à chaque date de clôture des comptes, la valeur des actifs (et des passifs) sur la base d’un prix d’échange convenu entre des parties consentantes, bien informées et intervenant dans le cadre d’une transaction conclue dans des

conditions normales.63 La juste valeur décrite dans le référentiel IAS/IFRS est donc une

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« Fair value is the amount for which an asset could be exchanged, or a liability settled, between knowledgeable, willing parties in an arm’s length transaction (IAS 39, §9) ».

valeur de marché – à défaut, il peut s’agir d’une valeur déterminée en référence à des modèles

internes, mais dont les inputs sont extraits de marchés actifs – et non pas une valeur d’utilité,

qui correspond, pour une firme donnée, à la valeur des avantages économiques futurs générés par un actif employé dans un contexte particulier, par une équipe dirigeante spécifique. Par

suite, si le recours à la fair value a pour avantage de réduire les risques de gestion

opportuniste des comptes, du fait notamment de la bonne observabilité des prix de marché, il a aussi pour effet de rendre les capitaux propres des firmes sensibles aux biais prévalant sur les marchés financiers, à l’origine de distorsions entre prix et valeurs intrinsèques.

La problématique posée par l’utilisation du modèle comptable en juste valeur suscite, en banque, un débat intense, notamment depuis que ce modèle a été mis en cause par certains responsables politiques, certains dirigeants bancaires et une bonne partie de la presse financière comme ayant contribué à amplifier la récente crise bancaire (Badertscher, Burks et Easton 2010, André et al. 2009). L’idée communément admise par les opposants à la

comptabilité en fair value est que ce mode de valorisation du bilan bancaire générerait de la

pro-cyclicité et contribuerait à accroître le risque de contagion des chocs par le biais de ventes d’actifs en urgence. Plus précisément, en permettant la reconnaissance de gains latents sur les phases haussières de cycle, le modèle comptable en juste valeur donnerait une impression de richesse qui faciliterait la levée de liquidités par les banques, lesquelles liquidités

alimenteraient la formation d’une « bulle » dont l’éclatement, à terme, provoquerait

l’effondrement des secteurs bancaires (Plantin, Sapra et Shin 2005, 2004). Corollairement, la comptabilité en juste valeur contribuerait aussi à accentuer les épisodes de crise : la reconnaissance de pertes latentes liées à un choc de liquidité survenu sur un marché d’actifs inciterait les investisseurs à retirer leurs liquidités, ce qui forcerait les banques à céder en urgence des actifs et aurait pour effet d’amplifier le choc de liquidité initial.

L’argument selon lequel le modèle comptable en juste valeur favoriserait la pro-cyclicité et concourrait à propager les chocs négatifs paraît, à première vue, doté d’une portée limitée. Après tout, sur des marchés efficients, où seules comptent les informations affectant la valeur intrinsèque des actifs, les formats de présentation de l’information comptable n’importent pas. En outre, il n’est pas dit que les investisseurs conditionnent l’octroi de liquidités au niveau de performance ou de solidité financière, tels qu’apparents à la lecture des comptes publiés par

les banques. Pour pouvoir affirmer que la comptabilité en fair value est la source d’effets

économiques pervers, il convient donc, dans un premier temps, d’identifier les conditions

est susceptible de nuire à l’objectif de stabilité bancaire. Le premier point de la section (point 4.1) traite cette question. À ce stade, il est montré que le modèle comptable en juste valeur est une source potentielle de pro-cyclicité et de contagion des chocs lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

(1) les justes valeurs des actifs et des passifs sont extraites de marchés illiquides, de sorte

qu’il est des cas où ces justes valeurs, en intégrant les effets des chocs de liquidité, manquent à refléter fidèlement le niveau de performance et la situation financière des banques ;

(2) ces justes valeurs sont intégrées dans les items comptables « sensibles », à savoir ceux

conditionnant les décisions managériales prises en référence aux contrats ou affectant la formation des anticipations des investisseurs « fixant » naïvement l’information contenue dans les états financiers.

Le deuxième point de la section (point 4.2) discute de la validité de l’argument selon lequel les dispositions des normes IAS 39 et IFRS 7 auraient contribué à amplifier la récente instabilité des secteurs bancaires. Le troisième point, enfin, (point 4.3) présente une revue des preuves empiriques existantes.