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Veille et culture de l’information

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 127-132)

l’information à la lumière de la culture technique

1.3.6 Veille et culture de l’information

La culture de l‘information ne peut donc être une culture de la surveillance, de l‘espionnage, de la prise de renseignement sur l‘autre par méfiance voire défiance. Cette position est d‘ailleurs souvent celle de l‘intelligence économique bien qu‘elle s‘en défende.

Pour cela, l‘objet technique ne peut être pensé de manière isolée tout comme l‘individuation.

L‘individu est donc relatif :

L‘individu est ainsi relatif en deux sens : parce qu‘il n‘est pas tout l‘être, et parce qu‘il résulte d‘un état de l‘être en lequel il n‘existait ni comme individu ni comme principe d‘individuation. 248

Cette relativité rappelle donc le caractère collectif de la culture de l‘information qui fait que nous sommes des êtres culturels :

(..)J‘entends par « être culturel » un complexe qui associe des objets matériels, des textes, des représentations et qui aboutit à l‘élaboration et au partage d‘idées, d‘informations, de savoirs, de jugements. Il s‘agit de configurations dynamiques qui traduisent l‘élaboration historique des ressources et enjeux de la culture pour une société : des postures, des savoirs, des valeurs, qui ne se comprennent pas les uns sans les autres et qui reposent sur une panoplied‘objets et de procédures, sans toutefois se résumer à ce seul inventaire technique. 249

En tant qu‘êtres culturels, nous sommes donc toujours des êtres hybrides ne pouvant pas penser et agir sans technique et ce depuis fort longtemps. Nous songeons ici bien évidemment aux travaux de Leroi-Gourhan. Une origine que Bernard Stiegler fait remonter symboliquement à la faute d‘Epiméthée, coupable d‘avoir oublié l‘homme dans ses attributions. Une erreur réparée par l‘acte démesuré du titan Prométhée qui donne le feu à l‘homme. Nous serions tentés ici de passer outre la recommandation foucaldienne de la quête de l‘origine qui produit un effet similaire à celui du péché originel : celui du « dégoût d‘être un homme » sur lequel Bernard Stiegler rappelle qu‘il constitue un facteur de crise actuelle.

L‘origine de l‘humanité provient de la technique et c‘est son oubli qui permet la prise de

247 Yves JEANNERET. Penser la trivialité : Volume 1. La vie triviale des êtres culturels. Hermes Science Publications, 2008

248 Gilbert SIMONDON. L'individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité. op.cit., p.25

249 Yves Jeanneret. Penser la trivialité. Op. cit.

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127 contrôle sans cesse accrue des industries de services via le marketing publicitaire face aux institutions politiques et éducatives. Un oubli qui est à la base de la philosophie depuis le Phèdre de Platon, rejetant la technique et l‘écriture avec la parabole du mythe de Theut. Le rejet de la technique a produit un oubli que Bernard Stiegler souligne en affirmant que c‘est le seul « connais toi toi-même » qui a triomphé par opposition au « prendre soin », l‘introspection par rapport à la veille. Or l‘oubli du « prendre soin » d‘un grand nombre de penseurs même si Foucault évoque le souci de soi, empêche de comprendre l‘objet technique comme moyen pour l‘institution de former et de prendre soin.

Le feu constitue ce premier « objet de soin » qui permet de s‘éclairer et qui tient lieu de foyer, dans les deux sens du terme quand vient le temps de la veillée. La veillée joue un rôle de partage, de prise de soin ainsi que de mise en relation, parfois matrimoniale surtout si nous songeons au texte de Noël du Fail250. Dans la veillée, il n‘y a pas de télévision pour capter l‘attention et casser l‘échange notamment lors du repas251. Bernard Stiegler considère d‘ailleurs la télévision comme un milieu dissocié à part entière au service notamment de la publicité et des industries de programmes. Ces dernières court-circuitent l‘individuation psychique et collective et mettent également à mal le rôle des institutions de programmes comme l‘Ecole. Les hypomnemata sont ainsi transformés en technologie de captation de l‘attention :

(…) ces technologies R que Deleuze avait désignées sous le nom de technologies de contrôle dont il précisait aussi que le principal instrument en était la télévision. Ce contrôle détruit à présent l‘espace et le temps public, et c‘est pourquoi il engendre des sociétés incontrôlables : il conduit à la liquidation du désir, c‘est-à-dire une économie qui est de moins en moins libidinale et de plus en plus pulsionnelle. 252

La captation de l‘attention n‘est pas nuisible en soi, puisqu‘elle recherche l‘intérêt, la concentration et notamment la méditation dans une optique de réflexion sur soi et de création de connaissances, voire d‘inscription dans le registre des savoirs. Cette captation de l‘attention est notamment du ressort de l‘Education. Seulement, l‘attention est de plus en détruite par les médias qui déversent des flux informationnels. L‘individuation n‘est alors plus

250 Noël du FAIL. Propos rustiques de maistre Leon Ladulfi champenois. éd. critique d‘Arthur de La Borderie, 1547

251 Zep dans une planche de Titeuf montre bien cet aspect où la télévision capte l‘attention lors du repas du soir.

Zep montre d‘ailleurs que ce n‘est pas l‘enfant qui est le plus obsédé par la télévision mais bien les parents.

L‘occasion de remarquer que l‘état de minorité informationnelle concerne parfois bien plus les anciennes générations. Zep et Bruno CHEVRIER. Titeuf, Tome 11 : Mes meilleurs copains. Glénat, 2006

252 Bernard STIEGLER. Réenchanter le monde. Op. cit., p.60

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128 permise du fait d‘un capitalisme pulsionnel qui cherche à susciter l‘achat et une frustration sans cesse régénérée. Cela finit par aboutir à une destruction de l‘attention :

Cette destruction de l‘attention est une désindividuation, et c‘est à la lettre une dé-formation : c‘est une destruction de cette formation de l‘individu en quoi consiste l‘éducation. 253

Stiegler appelle par conséquent à un sursaut de la valeur esprit, dans la lignée de Paul Valéry, afin que la société ne soit pas seulement ancrée dans un simple retour sur investissement. Pour cela, il opère une revalorisation des institutions notamment celles qui permettent la démocratie au travers la formation. Jean Paul Pinte254 avait déjà effectué un rapprochement entre la veille et la culture informationnelle. Nous pensons que ce rapprochement mérite d‘être développé en donnant une impulsion collective et collaborative à la veille. Ce rapprochement ne peut s‘effectuer que si nous reconsidérons la veille, non comme un instrument de surveillance mais comme un milieu associé.

Il s‘agit d‘une dimension qui cherche à développer le sens de « prendre soin » de l‘autre, ce qui est valable pour nos proches, mais aussi collègues et élèves. Veiller, c‘est donc prendre soin de soi mais aussi des autres :

Prendre soin, ici, signifie aussi faire attention, et d‘abord porter et prendre attention à soi-même, et par la même occasion, aux siens, et aux amis des siens, et donc de proche en proche, à tous : aux autres quels qu‘ils soient, et au monde que l‘on partage avec eux en sorte que la formation d‘une telle attention constitue une conscience d‘universalité fondée sur (et profanée par) une conscience de singularité. 255

Dès lors, ce n‘est pas de la veille type surveillance qu‘il faut mettre en place, mais de la confiance et de la mise en valeur. En quelque sorte, c‘est là que réside la différence entre la culture de l‘information de type citoyenne ou éducative par rapport à la vision « intelligence économique » : la confiance plutôt que la défiance. Un travail peu évident car notre époque est profondément marquée par la guerre froide et la lutte contre le terrorisme. Dans ces conditions, l‘autre est souvent synonyme de danger ou de méfiance. Aujourd‘hui si

« pronétariat »256, il y a vraiment, il s‘agit pour ce dernier de travailler à la création de valeur et de veille. Et c‘est bien cette dimension qui peut permettre aux réseaux d‘être véritablement

253 Bernard STIEGLER. Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations. Op. cit., p.327

254 Op. cit.

255 Bernard STIEGLER. Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations. Op. cit., p.319

256 Joël de ROSNAY, Carlo REVELLI. La révolte du pronétariat : Des mass média aux média des masses.

Fayard, 2006

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129 sociaux. Nous ne devons pas surveiller les activités dans un but d‘espionnage mais dans une optique de partage de connaissances, de savoirs. Il s‘agit de travailler à de la confiance mutuelle et à la mise en valeur de personnes que nous avons identifiées comme fiables et intéressantes.

1.3.6.1 Internet comme milieu associé pour le bien commun?

Internet est vu davantage comme un milieu associé selon Stiegler. Il semble qu‘en effet, le milieu présente plus de possibilités d‘individuation et de culture technique. Pour autant, ce milieu est de moins en moins préservé de la sphère marchande et les aléas dénoncés par Stiegler en ce qui concerne la télévision, pourraient tout aussi bien se transposer sur ce nouvel espace public. Internet poursuit son évolution mais il ne faut pas oublier sa genèse et son mode de gouvernance dont il faut prendre soin, comme le montre Hervé Le Crosnier :

Préserver cette infrastructure est une bataille quotidienne. (…) Les idées circulent très vite, nul ne peut se prévaloir d'elles, et ce n'est pas par ―copie‖ ni parce qu'ils ont consulté un brevet qu'un développeur, qu'un concepteur d'application internet, qu'un ergonome... construisent un nouveau service. C'est parce l'idée était là, rendue possible par les investissements antérieurs dans l'infrastructure commune et par le partage (coopétition) des connaissances. Qui peut être le garant d'une telle architecture coopérative ? Existe-t-il des outils juridiques, politiques, collectifs pour maintenir et développer un bien commun de cette ampleur ? Comment faire accepter aux marchands envieux la nécessité de maintenir le réseau global, interconnecté, interopérable, de le faire exister comme un commun, utile tant pour les autres entreprises que pour les usagers et les développeurs ? Surtout quand ces marchands arrivent en maîtres, en venant d'autres expériences et d'autres cadres de pensée ? Les secteurs des télécommunications et des médias, qui se précipitent aujourd'hui sur l'internet, ont-ils la capacité à préserver ce commun, alors même que leur richesse antérieure est basée sur l'accaparement des infrastructures (par répartition des fréquences, en augmentant les conditions d'entrées dans ces métiers) ? Les Etats, qui visent de plus en plus à servir de base arrière aux entreprises de leur pays plutôt qu'à maintenir leur rôle de préservation de l'équilibre social et d'élargissement à tous des bénéfices et des promesses des développements techniques, sont-ils de même aptes à protéger ces communs, ce nouveau ―domaine public ? 257

Internet peut-être considéré de ce fait comme un milieu associé menacé. Une fois de plus, il faut probablement rappeler la différence entre l‘Internet qui concerne principalement

257 Hervé LE CROSNIER. Construire le libre-accès à la connaissance. Intervention lors du colloque « Entre public et privé : les biens communs dans la société de l'information » le 20 octobre 2005. Université de Lyon 2.

Disp sur : < http://conferences.univ-lyon2.fr/index.php/avenir/BiensCommuns/paper/view/1/1>

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130 des infrastructures et le web qui est une application. Dans les discours, les infrastructures et les contenus ne sont pas toujours distingués et cela ne fait que renforcer cette confusion entre les objets techniques physiques, comme les ordinateurs, serveurs, backbones, modems et les objets techniques numériques tels que les logiciels et les documents produits par ce biais. Cela signifie selon nous, que nous pouvons rejoindre la position d‘Hervé Le Crosnier sur l‘intérêt que l‘Internet ne soit pas exclusivement un espace dominé par les marchands et entrepreneurs et qu‘il convient de réfléchir aux biens communs que le réseau Internet peut constituer et développer. Ce bien commun, objet de partage et espace non marchand peut constituer un socle pour la culture de l‘information. Il reste encore à se mettre d‘accord sur ce point, ce qui est un débat politique international qui mêle Etats, ONG et institutions internationales telle l‘UNESCO. L‘enjeu de ce bien commun est d‘éviter la logique propriétaire qui court-circuiterait alors totalement les échanges d‘idées et d‘informations et le progrès technique, qui ne pourrait s‘effectuer que pour ceux qui auraient les moyens de payer les brevets. Cela conduirait à une limitation des acteurs pouvant participer à l‘avancée des objets techniques ; ces derniers ne pouvant plus poursuivre leur individuation du fait d‘une « stabilité brevetée » qui nuit donc à une métastabilité. De même, l‘individuation humaine s‘en trouve contrariée car elle suppose sans cesse le paiement de droits d‘auteurs et brevets pour pouvoir être réalisée. Evidemment, nous n‘en sommes pas à ce stade, l‘accès à l‘information est facilité mais il ne faudrait pas qu‘une logique propriétaire ne vienne prendre trop d‘ampleur sous peine de considérer que l‘individuation ne peut s‘effectuer qu‘au sein de la piraterie.

Dès lors, les propos d‘Hervé Le Crosnier montrent bien qu‘il s‘agit désormais d‘une bataille, une bataille de l‘intelligence comme la qualifierait Stiegler258. Ces appels constituent une réaction à ce qu‘Hannah Arendt appelait la crise de la culture. Nous serions tentés de dire que nous sommes peut être également dans une crise de la culture de l‘information.

258 Bernard STIEGLER. Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations. Op. cit.

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1.3.7 Conclusion sur la culture de l’information à

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