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Les chercheurs américains et la culture de l’information

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 144-148)

ELLE UN CONCEPT INTERNATIONAL ?

1.4.3 Les chercheurs américains et la culture de l’information

Deux chercheurs américains ont particulièrement retenu notre attention : Danah Boyd et Alan Liu.

1.4.3.1 La piste Danah Boyd : la culture de l’information à l’épreuve des réseaux sociaux

Danah Boyd emploie l‘expression information culture qui a été traduite par « culture de l‘information » dans la version française de Tilly Bayard-Richard. Il nous semble que ce concept est assez proche de l‘expression française « culture informationnelle » et qu‘il diffère du concept information literacy, vraisemblablement trop marqué par l‘usage effectué par les bibliothécaires américains et les chercheurs en science cognitive.

La culture de l‘information définie par Danah Boyd est essentiellement basée sur les réseaux numériques et notamment les réseaux sociaux utilisés par les adolescents291 :

A tous les niveaux on constate un décalage croissant entre les habitudes quotidiennes des jeunes et ce qui leur est demandé dans leur environnement éducatif traditionnel. Au moment où ils vont devoir s'adapter à une société dans laquelle la productivité est le meilleur moyen d'obtenir la reconnaissance de ses pairs, on ne leur laisse aucune chance de tester leur créativité intellectuelle. On leur donne les moyens d'accès à une culture de l'information largement interconnectée tout en leur disant que la

291 Danah, BOYD. « Accéder à l'information dans un monde interconnecté «traduction de l‘article. «Information Access in a Networked World.» Talk presented to Pearson Publishing, Palo Alto, California, November 2008

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144 connaissance, la vraie, ne se trouve que dans des manuels, des supports imprimés qui sont difficilement accessibles en réseau. Jamais on ne leur apprend comment avoir une pensée critique vis-à-vis de l'information délivrée, jamais on ne les encourage à faire preuve de créativité.

Nous retrouvons dans ses propos la mise en garde que nous avions effectuée en ce qui concerne les cultures adolescentes qu‘il ne s‘agit pas de rejeter. Nous retrouvons l‘idée qu‘il faille s‘appuyer sur ces pratiques, en ce qu‘elles ont de positif mais aussi de critiquable, pour pouvoir transmettre de manière plus efficace une réelle culture de l‘information :

Aujourd'hui, ce sont la production, la recherche et le partage qui sont au centre de la culture de l'information, pas seulement la consommation. Plutôt que diaboliser les nouvelles technologies, et les déclarer anti-éducatives, essayons de trouver les moyens d'aider les jeunes à faire leur éducation au sein de ce nouvel environnement interconnecté. Nous avons le privilège de vivre dans une « société de l'information ». Il est largement temps de nous débarrasser de la nostalgie des temps anciens, et de nous y plonger, enfin. 292

Il reste que cette volonté de table rase est évidemment trop simpliste et elle contraste fortement avec l‘analyse bien plus prudente que fait Alan Liu.

1.4.3.2 La piste Alan Liu : la culture de l’information et les lois du cool

Ce dernier est professeur d‘anglais à l‘Université de Californie de Santa Barbara et effectue une critique des nouveaux modes de management en qualifiant de « lois du cool » cette volonté de faire paraître le travail plus agréable. Il critique aussi cette culture qui en prétendant jouer sur la diversité accroît l‘uniformité culturelle en produisant une doxa managériale niant la division travail et loisir et qui prétend à une supériorité vis-à-vis de la science. Liu prône une destruction créative et un regain d‘intérêt pour la culture face à ce mouvement qualifié de « nouvelles Lumières » (new enlightenment ou post-enlightenment) qui s‘avère destructeur en fait pour la construction de l‘individu :

Nous comprenons ainsi que la société postindustrielle doit agir pour gérer l'identité des groupes et des classes en profondeur afin qu'elle élimine leurs derniers vestiges. Elle cherche à cacher leur histoire.

De même que la Révolution française a tenté de supprimer l‘identité historique des régions afin de

292 Ibid.

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145 veiller à ce que tous, haut placés comme citoyen lambda, parisiens et provinciaux soient fraternels, c‘est désormais la nouvelle société qui fait de même pour les classes et les groupes de sujets. 293 C‘est probablement pour cette raison qu‘Alan Liu insiste sur la « literary ». Pourquoi literary plutôt que literacy ? Literacy renvoyant plus à l‘usuel, Literary à une notion plus culturelle, quasi proche de ce qu‘en français, nous emploierions pour qualifier quelqu‘un de lettré.

Il faut également prendre en considération que l‘ouvrage d‘Alan Liu concerne principalement les knowledge workers ainsi que les enseignants-chercheurs à l‘université. Il cherche donc à valoriser la culture et les savoirs face à la montée en puissance des formations uniquement basées sur des compétences. Literary renvoie à une vision opposée au développement d‘une

« subculture » uniformisante. Une sous culture qualifiée par Liu de cool et qui aboutit à un relativisme. Ce dernier pouvant être symbolisé par l‘encylopédie Wikipédia où les internautes peuvent trouver une page sur Paris Hilton qui parait avoir une importance similaire à celle d‘un article sur un philosophe. Finalement la culture de l‘information souhaitée par Alan Liu repose autant sur la « literary » que sur la « literacy » Certes le terme de literacy n‘apparaît jamais dans l‘ouvrage d‘Alan Liu, néanmoins ce dernier est un des instigateurs du projet de transliteracy. Ce projet anglo-saxon mêle essentiellement des anglais et des américains qui partagent le constat qu‘il est nécessaire de revoir les formations et de mettre en place une transliteracy qui prenne en compte les évolutions technologiques et la nécessité qui incombe à chacun de savoir rechercher l‘information, la comprendre et la communiquer via les nouveaux dispositifs techniques. Nous y reviendrons plus en détail dans la seconde partie à propos des littératies émergentes.

1.4.3.2.1 L’éthique hacker

Alan Liu voit dans les « hackers éthiques », une alternative aux divers formatages issus soit des institutions, soit des sphères médiatiques et commerciales qui poussent à un renouvèlement permanent des outils.

Alan Liu déplore que le poids des institutions, des corporations et des normes obligent l‘individu à se conformer (et donc quelque part à se déformer) pour pouvoir évoluer dans la société. Il est très nettement influencé par les travaux de Foucault et de Bourdieu dans ses ouvrages. De ce fait, il évoque l‘idée d‘une destruction créatrice dans le sens où il faut déconstruire pour pouvoir réellement innover. Cette déconstruction implique donc une

293 Ibid., p.51

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146 capacité d‘analyse et de critique qui prenne en compte aussi la technique. En cela Liu rejoint fortement Simondon, avec cette optique de déconstruction-construction.

L‘expression de culture de l‘information ne présente pas toujours un caractère réellement positif chez Liu dans la mesure où elle désigne l‘intégration de formes non conscientes notamment dans l‘usage des outils informatiques comme les systèmes d‘exploitation et les logiciels de traitement de texte. Nous reviendrons sur ces aspects avec le concept d‘architexte.

Ces formes intégrées et prédominantes expliquent la volonté de Liu de les déconstruire pour les faire évoluer. Alan Liu s‘avère donc sceptique à l‘idée de changement impulsé par le web 2.0 en prenant notamment exemple sur la manière dont fonctionnent les blogs :

Just how many people in the world, for example, can make one of the current generation of open-source content-management systems (which often start out as blog engines) do anything that isn‘t on the model of ―post‖-and-‖category‖ or chronological posting? Even the more trivial exercise of re-skinning such systems (with a fresh template) requires a level of CSS knowledge that is not natural to the user base. 294

Il relativise par conséquent le caractère novateur du web 2.0 en montrant que la lecture d‘imprimés ne constitue pas nécessairement une activité passive et qu‘elle a permis des évolutions techniques mais aussi cognitives.

Les différentes acceptions rencontrées en langue espagnole, anglaise, italienne ou portugaise confirment cette richesse de points de vue qui n‘est donc pas seulement francophone ni même européenne. La culture de l‘information peut alors être considérée comme un concept vraiment international par son association et sa forte proximité avec l‘information literacy et la transliteracy. Les acteurs de la culture de l‘information devront veiller toutefois à ce que cette culture ne soit pas productrice d‘uniformité bien au contraire afin que le bouillonnement demeure.

294 Citation extraite de l‘interview réalisée par Geert LOVINK. Net critique. Disp. sur <

http://networkcultures.org/wpmu/geert/interview-with-alan-liu/>

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