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Le projet encyclopédique : exemple de culture technique et de culture de l’information

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 101-104)

l’information à la lumière de la culture technique

1.3.1.2 Le projet encyclopédique : exemple de culture technique et de culture de l’information

Ce passage de la technique à la raison s‘illustre parfaitement avec le projet encyclopédique. Brigitte Juanals avait montré avec le projet de Diderot et de d‘Alembert cette volonté de rassembler les savoirs et de les diffuser. Simondon nous rappelle que dans cet épisode s‘ajoute également une rationalisation de savoirs notamment techniques.

Cette rationalisation permet de pleinement réaliser l‘accès au savoir notamment par la

« sortie » hors du secret préservé par les systèmes d‘initiés ou les corporations. La culture de l‘information partage donc ici avec la culture technique ce caractère scientifique et universel que représente le projet encyclopédique qui est par excellence le symbole de cette sortie vers la majorité, vers les Lumières :

L‘encyclopédie réalise une universalité de l‘initiation, et par là produit une sorte d‘éclatement du sens même de l‘initiation, le secret de l‘universel objectivé garde de la notion de secret le sens positif (perfection de la connaissance, familiarité avec le sacré), mais annihile le caractère négatif (obscurité, moyens d‘exclusion par le mystère, connaissance réservée à un petit nombre d‘hommes) La technique devient mystère exotérique. 186

185 Ibid., p.87-88

186 Ibid., p.95

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101 Simondon insiste d‘ailleurs sur le fait que l‘encyclopédie n‘est pas l‘ouvrage ou le pamphlet le plus révolutionnaire, mais que son caractère essentiel réside dans le fait qu‘elle s‘inscrit dans une démarche « adulte », c'est-à-dire basée sur une connaissance rationnelle, théorique, scientifique et universelle.187Cette connaissance technique, permise par le rassemblement d‘une communauté d‘hommes animés par un même esprit, se manifeste notamment par des planches détaillées pouvant satisfaire la curiosité du lecteur en quête d‘érudition mais incitant l‘esprit éclairé à agir et poursuivre le travail réalisé par ses prédécesseurs :

La grandeur de l‘Encylopédie, sa nouveauté, résident dans le caractère foncièrement majeur de ces planches de schémas et de modèles de machines qui sont un hommage aux métiers et à la connaissance rationnelle des opérations techniques. Or, ces planches n‘ont pas un rôle de pure documentation désintéressée, pour un public désireux de satisfaire sa curiosité ; l‘information y est assez complète pour constituer une documentation pratique utilisable, de manière telle que tout homme qui possède l‘ouvrage soit capable de construire la machine décrite ou de faire avancer par l‘invention, l‘état atteint par la technique en ce domaine, et de faire commencer sa recherche au point où s‘achève celle des hommes qui l‘ont précédé. 188

Nous notons ici au passage que la documentation est simplement évoquée comme un objet simplement pratique et utilitaire et que ni son aspect disciplinaire ni son aspect technique ne sont entrevus. Le côté trans-générationnel est cependant clairement ici mis en avant comme inscription permettant le progrès. Et cette inscription est déjà présente d‘ailleurs dans l‘objet technique qui constitue une forme de mémoire que Bernard Stiegler appelle épiphylogénétique :

Cela veut dire que la technique est avant tout une mémoire, une troisième mémoire, ni génétique ni simplement épigénétique. Je l‘ai appelée épiphylogénétique, parce qu‘étant le fruit d‘une expérience, elle est d‘origine épigénétique, et parce que cette expérience individuelle étant sommée, cette mémoire technique rendant possible une transmission et un héritage, un phylum qui ouvre la possibilité d‘une culture, elle est également phylogénétique. 189

L‘enjeu n‘est donc pas seulement l‘accès à l‘information mais la possibilité de faire, de refaire et de modifier. Une éthique qui se retrouve d‘ailleurs chez les Hackers selon Nicolas

187 Ibid., p.92

188 Ibid., p.92-93

189 Cette troisième mémoire s‘ajoute aux deux autres distinguées par la science, la mémoire génétique qui est spécifique à l‘espèce, en l‘occurrence humaine, la mémoire épigénétique ou nerveuse qui correspond à la mémoire individuelle. La troisième mémoire étant donc technologique.

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102 Auray190. Cette culture technique se caractérise notamment dans les communautés open source autour des partages de fichiers, des phases de test dites beta où la communauté teste, signale les bugs éventuels et propose des améliorations en vue d‘une version dite stable, nous serions tentés de dire concrète, qui sera proposée au développement. L‘évolution des projets open source correspond étonnamment à cette genèse de l‘objet technique, à cette évolution quasi darwinienne191, rejoignant en cela les propos de Simondon sur l‘ordre quasi naturel de l‘objet technique :

On pourrait dire que l‘objet technique évolue en engendrant une famille : l‘objet primitif est ancêtre de cette famille. On pourrait nommer une telle évolution évolution technique naturelle.

En effet, l‘observation des projets open source montre des évolutions, des améliorations mais aussi des branches divergentes au sein des projets ce qui aboutit à la création de forks192. Un ancien salarié de Microsoft, qui s‘est rallié désormais à lřopen source, effectue une comparaison entre les logiciels propriétaires et les logiciels « libres », qui se rapproche fortement de la vision de Simondon :

La différence entre le Logiciel Libre et le logiciel propriétaire est similaire à la division entre Science et alchimie. Avant la Science, il y avait l'alchimie: les gens gardaient secrètes leurs idées car ils voulaient

"manipuler le marché" via les mécanismes de conversion du plomb en argent. 193

Cette possibilité d‘évolution et d‘invention qui caractérise cette culture technique est à rapprocher d‘une qualité qui peut se retrouver dans la culture de l‘information : la capacité à trouver une nouvelle voie, à innover.

190 Même si ce dernier souligne à juste titre que Simondon ne connaît pas l‘informatique : « On ne peut manquer cependant de constater lřironie de cette pensée magistrale de la technique, qui fait lřimpasse sur lřun de ses principaux développements récents : lřinformatique. Simondon est incapable de comprendre ce qui fait la spécificité dřun ordinateur ou dřun logiciel. Il associe lřinformatique à lřautomatisme » in Nicolas Auray. Op.cit.

191 Bernard Stiegler parle de théorie générale de l‘évolution technique amorcée notamment par les travaux de Leroi-Gourhan. Bernard STIEGLER. « Leroi-Gourhan : l‘inorganique organisé » op. cit., p. 188.

192 Fork : Expression familière à l'univers des logiciels libres et désignant un projet logiciel dérivant de la modification du code du logiciel libre que le nouveau logiciel utilise pour base. Définition issue du Glossaire du projet Debonair SIDUY. Disp sur : <http://clampin.free.fr/sidux/manuel/fr/sm_glossary.html>

193 Traduction de Didier Durand des propos de Keith Curtis :

«The difference between free, and non-free or proprietary software, is similar to the divide between science and alchemy. Before science, there was alchemy, where people guarded their ideas because they wanted to corner the market on the mechanisms used to convert lead into gold. » Propos rapportés par le New York Times

<http://bits.blogs.nytimes.com/2008/12/01/a-microsoft-veteran-embraces-open-source/> Traduction disponible :

<http://media-tech.blogspot.com/2008/12/citation-open-source-et-alchimie.html>

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