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La culture technique de Simondon

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 98-101)

l’information à la lumière de la culture technique

1.3.1.1 La culture technique de Simondon

Simondon entrevoit notre relation à la technique au sein de deux états opposés. Nous sommes donc selon Simondon soit dans un état de minorité, soit dans un état de majorité face à l‘objet technique :

L‘objet technique peut être rattaché à l‘homme de deux manières opposées : selon un statut de majorité ou selon un statut de minorité. 177

Dans l‘état minoritaire, la technique n‘est justement pas pensée, elle est oubliée voire évacuée tant elle est devenue constitutive de notre environnement :

Le statut de minorité est celui selon lequel l‘objet technique est avant tout un objet d‘usage, nécessaire à la vie quotidienne, faisant partie de l‘entourage au milieu duquel l‘individu humain grandit et se forme. (…) Le savoir technique est implicite, non réfléchi, coutumier. 178

Il n‘y a donc pas de réflexion sur les usages ni prise de distance par rapport à l‘objet. Seule la logique purement utilitaire prédomine. Nous avons retranscrit dans le tableau suivant ce qui caractérise ces deux états autour de termes et de notions utilisées par Simondon.

Etat de Minorité Etat de Majorité Fonction

utilitaire

Fonction culturelle

Usage Maîtrise

Apprenti Ingénieur

Enfant Adulte

Intuition Science

Tableau n°7. Etat de minorité et de majorité par rapport à la technique d’après Simondon

177 Ibid., p.85

178 Ibid., p.85

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98 Cette difficulté pour atteindre l‘état de majorité vis-à-vis de la technique s‘explique notamment par un rejet de cette dernière. Simondon considère que ce rejet de la pensée de la technique s‘observe depuis l‘Antiquité :

Dans l‘Antiquité, une très grande partie des opérations techniques étaient rejetées en dehors du domaine de la pensée : c‘étaient les opérations qui correspondaient aux occupations serviles. 179 Un constat également repris longuement par Bernard Stiegler dans ses différents ouvrages sur la philosophie de la technique qui constituent en fait une archéologie de l‘impensé technique et une généalogie de nos modes de pensée, notamment occidentaux, marqués par des rejets successifs de la technique depuis les mythes de Prométhée et le Protagoras180.

Cet impensé notamment philosophique a laissé des traces dans nos sociétés occidentales trop souvent dichotomiques avec de grands partages entre nature et culture et qui nous empêchent fréquemment de penser la complexité et notamment les relations entres les objets techniques et les humains. Cette critique avait été déjà effectuée par les japonais Nonaka et Takeuchi181 qui dans leur théorie de la gestion des connaissances (Knowledge Management) tentaient notamment de penser les savoirs implicites pour les rendre davantage explicites. Les japonais ne sont pas parvenus toutefois à penser l‘individuation dans leurs travaux mais en sont demeurés à la construction d‘un collectif qui surplombait l‘individu.

L‘apport de Simondon peut-il être intéressant pour la définition de la culture de l‘information dont un des buts est notamment de pouvoir répondre à l‘imprévu en sortant d‘une logique procédurale figée ?

Nous pouvons faire un parallèle avec l‘invention permise selon Simondon grâce à une tension entre le fond qui constitue des virtualités potentielles, et la forme qui constitue le système de l‘actualité. L‘individu doit donc sortir de la servilité technique via l‘intégration de l‘objet technique au sein de la culture. Il en va de même pour les outils informatiques actuels.

La démarche procédurale, notamment à l‘œuvre dans les référentiels de compétences, est insuffisante. Elle ne vise qu‘à améliorer l‘usage en tentant de combattre les éventuels mésusages et ce parfois de manière prescriptive. Elle laisse ainsi l‘usager dans un état de

179 Ibid., p.86

180 Bernard STIEGLER. La Technique et le temps 1 : La faute d'Epiméthée. Paris : Galilée, 1994 -. La Technique et le temps 2 : La désorientation. Paris : Galilée, 1996

181 Ikujirô NONAKA, Hirotaka TAKEUCHI. The Knowledge-Creating Company: How Japanese Companies Create the Dynamics of Innovation. Oxford University Press, USA., 2006

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99 minorité d‘autant que la rencontre avec l‘objet technique s‘effectue dans les premières années de l‘individu :

La rencontre entre l‘objet technique et l‘homme s‘effectue essentiellement pendant l‘enfance. 182 Cette position de minorité ne signifie pas qu‘elle ne présente pas des savoirs, mais plutôt que ces derniers restent dans une forme proche de l‘enfance (in-fans), c‘est-à-dire qu‘ils reposent sur l‘intuition et qu‘ils ne sont pas réellement exprimés. C‘est cette même intuition qui permet au marin ou au mineur de pressentir le danger. Mais ces ressentis sont des connaissances intangibles, impossibles à partager à l‘extérieur car ils sont non construits, non rationalisés, non écrits et nous oserions même dire non formalisés et encore moins didactisés. Pour Simondon, ce type de connaissances ne permet ni le partage, ni le progrès autant technique que social. Certes ces professionnels peuvent être décrits comme des experts mais ils sont dans une démarche quasi religieuse comme l‘exprime parfaitement Nicolas Auray :

L‘homme ainsi ― expert ‖, au sens étymologique de ― pair ‖, avec la matière, forme un ― couple ‖ avec elle, et, après l‘avoir domptée, ne la livre qu‘avec réserve au profane, car il a le sens du sacré. 183 Dès lors, la formation peut-elle se contenter d‘un positionnement minoritaire vis-à-vis de la technique ou doit-elle privilégier une ambition plus grande en allant vers un état de majorité :

Le statut de majorité correspond au contraire à une prise de conscience et une opération réfléchie de l‘adulte libre, qui a à sa disposition les moyens de la connaissance rationnelle élaborée par les sciences : la connaissance de l‘apprenti s‘oppose ainsi à celle de l‘ingénieur. 184

Il s‘agit donc le plus souvent de sortir de la seule logique de l‘usage pour entrer dans un nouvel état dans lequel l‘individu et l‘objet technique ont pu établir une relation quasi sociale telle que la décrit Simondon. Cette relation est ce qui constitue la culture technique.

Il reste selon Simondon à trouver la voie médiane qui permette la réelle incorporation de l‘objet technique à la culture. L‘artisan et notamment l‘ingénieur sont de ceux qui peuvent réaliser cette incorporation, seulement ils ne parviennent pas à passer outre un jugement humain vis-à-vis de la technique qui conduit fréquemment à opérer des distinctions entre des techniques jugés nobles et d‘autres considérées comme méprisables. Le rapport entre l‘homme et l‘objet technique se situe donc à mi-chemin entre la position trop pragmatique de

182 Gilbert SIMONDON. Du mode d'existence des objets techniques. Op. cit., p.84

183 AURAY Nicolas. Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers. In Jacques ROUX.

(sous la dir. de) Gilbert Simondon, Une pensée opérative. Publications de l'Université de Saint Etienne, 2002, p.141

184 Gilbert SIMONDON. Du mode d'existence des objets techniques . Op. cit., p.84

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100 l‘artisan et la vision trop surplombante de l‘ingénieur que semble privilégier néanmoins Simondon :

Pour découvrir un rapport adéquat de l‘homme à l‘objet technique, il faudrait pouvoir découvrir une unité du monde technique, par une représentation qui incorporerait à la fois celle de l‘artisan et celle de l‘ingénieur.(…) Ainsi la condition première d‘incorporation des objets technique à la culture serait que l‘homme ne soit ni inférieur ni supérieur aux objets techniques, qu‘il puisse les aborder et apprendre à les connaître en entretenant avec eux une relation d‘égalité, de réciprocité d‘échanges : une relation sociale en quelque manière. 185

La culture technique est de ce fait déjà une culture de l‘information, basée sur des échanges provoquant des changements de phases chez les différents types d‘individus, qu‘ils soient humains ou techniques.

1.3.1.2 Le projet encyclopédique : exemple de culture

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