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Quelles autres « cultures » ?

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 90-93)

1.1.4 « Culture de l’information » oxymore ou pléonasme ?

1.2 LE RAPPORT AUX DISCOURS : QUELLES CULTURES DE QUELLES CULTURES DE

1.2.2 Quelles autres « cultures » ?

Nous avons choisi de nous attarder particulièrement sur deux cultures qui peuvent interagir avec la culture de l‘information. Nous avons donc choisi d‘insister plus particulièrement sur la cyberculture d‘une part, et sur les pratiques adolescentes d‘autre part. Certains chercheurs, comme Danah Boyd, qualifient d‘ailleurs ces pratiques de cultures informationnelles adolescentes.

1.2.2.1 La Cyberculture

Le terme est de moins en moins utilisé puisque ces principales mentions se rencontrent à la fin des années 90 notamment avec l‘ouvrage éponyme de Pierre Lévy ainsi que deux ouvrages de David Bell. La notion est évidemment très liée à celle de cyberespace et ne manque pas de nous faire songer à la cybernétique de Wiener. Pierre Lévy liait la cyberculture, qu‘il décrit comme « un universel dans totalité », aux possibilités de mettre en place une intelligence collective. Christian Godin décrit ainsi cette vision quelque peu « enchantée »:

Certains auteurs voient dans la cyberculture ce qui permettrait enfin de surmonter la vieille aporie de l‘intelligence individuelle et de la bêtise collective. Pierre Lévy pensent que des groupes d‘humains peuvent être collectivement plus intelligents, plus sages, plus savants, plus imaginatifs que les individus qui les composent. 161

La cyberculture s‘inscrit donc dans la postmodernité et cherche à être pleinement novatrice dans ces modes d‘actions et de pensée :

La cyberculture s‘inscrit dans un ensemble culturel complexe dont les racines plongent tout autant au chœur historique de notre modernité que dans ce que celle-ci peut avoir de plus actuelle, c'est-à-dire aussi de plus insignifiant, de plus marginal même. Elle convoque, agit et suscite des discours, des pratiques, des imaginaires et des valeurs hétéroclites, voire contradictoires. Elle requiert par

161 Christian GODIN. La totalité. Vol.6 La totalité réalisée. Champs Vallon 2003, p.573

tel-00421928, version 1 - 5 Oct 2009

90 conséquent une posture analytique ouverte aux multiples réagencements de tous ordres à l‘œuvre dans cette culture « post-moderne »162

Plusieurs articles et ouvrages se sont attardés sur la définition de la cyberculture. David Bell, qu‘il ne faut pas confondre avec le Daniel Bell, le théoricien de la société de l‘information, définit ainsi la cyberculture par ces propos très généraux :

It‘s a serie of ideas, issues and questions about what happens when new conjoin the words ―cyber‖

and ―culture‖ 163

Un autre ouvrage dirigé par David Bell164 concerne la cyberculture d‘un point de vue lié à l‘idéologie cyberpunk et ses concrétisations technologiques. Nous sommes parfois ici dans une démarche proche d‘un « culte de l‘Internet ». L‘ouvrage de Stéphanie Gibson165 et d‘Ollie Oviedo s‘inscrit davantage dans une analyse des évolutions des littératies liées aux nouvelles technologies. Dans ce domaine, une floraison de littératies diverses et variées sont en train d‘émerger comme nous le verrons dans la seconde partie.

L‘article sur les trois lois de la cyberculture d‘André Lemos, qui est docteur en sociologie et professeur associé à l‘université de Bahia, est ancré dans une vision plus récente et démontre des liens avec la culture de l‘information des documentalistes, notamment en ce qui concerne un accès libre à l‘information:

La devise de la cyberculture est : "les informations doivent être libres". Elles ne peuvent pas être considérées comme des commodités, comme des oranges ou des bananes. Les nouvelles dynamiques technique et sociale de la cyberculture instaure ainsi, non une nouveauté, mais un radicalité : une structure médiatique sans précédent dans l'histoire de l'humanité où, pour la première fois, n‘importe qui peut, a priori, émettre et recevoir des informations en temps réel, sous les plus divers formats et modulations médiatiques, à n‘importe quelle place de la planète. Ainsi nous pouvons modifier, ajouter et collaborer avec des morceaux d'informations créées par d‘autres. C‘est le remix. Le remix culturel n‘existe aujourd‘hui que par la libération de l‘émission, la connexion généralisée et la reconfiguration culturelle. 166

162 Philippe RIGAULT. Au-delà du virtuel : exploration sociologique de la cyberculture. 2001, L‘harmattan, p.14

163 David BELL. An introduction to cyberculture. Routledge, 2001, p.1

164 David BELL, Barbara M. KENNEDY. The Cybercultures Reader. Routledge, 2000

165 Stephanie GIBSON, Ollie OVIEDO. The Emerging Cyberculture : Literacy, Paradigm, and Paradox.

91 Cette position de l‘ouverture de l‘information et de ses potentialités de formes ouvertes rejoint fortement selon nous la définition de la culture technique décrite par Gilbert Simondon. La cyberculture s‘appuie donc sur une logique de l‘accès, du partage, et de la reconfiguration.

Cependant, il nous semble clairement que ce type de discours, qui emprunte fortement d‘ailleurs au cyberpunk, à la fois dans les expressions employées et les références notamment à William Gibson167, repose sur une logique d‘affrontement avec des modèles jugés comme dépassés : à savoir les logiques de productions industrielles de masse et les firmes développant des technologies propriétaires. Cette vision reste quelque peu angélique vis-à-vis du monde de l‘open source et accentue l‘impression de décalage entre des univers virtuels et la réalité. La cyberculture nous donne parfois l‘impression d‘être désincarnée voire déshumanisée et ne parait concernér qu‘un nombre d‘acteurs restreints. Sa position dans l‘alliance homme-machine conduit parfois à des positions qui en deviennent technophiles et qui produisent une culture technique bien différente au final de celle prônée par Simondon qui dénonçait le mythe du cyborg. Dans la cyberculture, ce n‘est pas nécessairement le robot qui devient humanoïde mais plutôt l‘homme qui devient machine168 ; les théories délirantes du

« transhumanisme » s‘inscrivant dans cette lignée.

Il convient aussi d‘examiner d‘autres cultures quelque peu « technophiles » : les cultures adolescentes.

1.2.2.2 Les cultures « adolescentes »

Ce sont des cultures non-adultes ou tout au moins non-majeures au sens conféré par Kant puis par Simondon et Stiegler comme nous le verrons dans l‘étude de la question technique. Nous pouvons les considérer comme des cultures de l‘information en formation ou en déformation.

Selon nous, il s‘agit plus souvent de pratiques que véritablement de culture. Nous avons pu au cours de nos années sur le terrain en tant que professeur-documentaliste les observer pour les qualifier notamment de « négligentes » comme nous le verrons dans la seconde partie.

Elles connaissent des évolutions fortes avec le développement des nouvelles technologies comme les téléphones portables, les messageries instantanées, les blogs et plus récemment les réseaux sociaux. Bien souvent, elles constituent des formes d‘obstacle à la pleine réalisation d‘une culture de l‘information notamment du fait que ces cultures ne sont pas inscrites dans

167 Ce dernier se considère plus comme un critique de la société contemporaine qu‘un visionnaire.

168 Nous songeons ici à ces personnes qui s‘implantent des éléments étrangers dans le corps. Sur ces aspects, voir l‘ouvrage de Christophe BOURSEILLER. Les Forcenés du désir. Paris, Denoël, 2000

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92 du durable mais dans des stratégies à court terme où l‘information échangée vise principalement à une inscription et à l‘acquisition d‘une légitimité au sein de groupes.

Même s‘il y a apprentissage de moyens techniques de diffusion d‘information, il n‘y a pas pour autant création de connaissances et encore moins de savoirs. Toutefois même si ces techniques ne participent pas vraiment de l‘individuation intellectuelle, elles sont des moyens d‘accéder à des formes d‘individuation sociale :

Le nouveau panorama de services communicationnels permet donc au jeune d‘avoir une gestion plus aisée de son portefeuille de relations. Tandis que pendant la journée du collège, les conventions demandent de respecter l‘impératif de fidélité à son groupe de pairs, il devient possible, le soir, de mobiliser ses liens strictement personnels, et en cela d‘affirmer et d‘être reconnu dans son individualité. Les outils de communication offrent également de nouvelles modalités pour partager confidences, secrets et « délires », tout en éludant les indésirables de la cour. Leurs usages sont donc indirectement un moyen de tracer et de redessiner les frontières du groupe, sur le mode de l‘inclusion et de l‘exclusion. On est invité sur la liste de Msn ou on ne l‘est pas : le processus d‘élection renforce les solidarités. C‘est pour cette même raison que les jeunes qui ne sont pas équipés d‘internet à domicile disent éprouver un certain manque. 169

Par conséquent ces pratiques qui gèrent de l‘information à portée courte, à la fois en termes de temporalité et d‘intérêt localisé, ne méritent pas un rejet de la part des institutions scolaires mais peuvent selon nous constituer des moyens pour former à la culture de l‘information.

Encore faut-il pour cela utiliser ces technologies avec une visée pédagogique.

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