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Les milieux associés…et dissociés

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 116-119)

l’information à la lumière de la culture technique

1.3.4 Les milieux associés…et dissociés

Une des pistes de Simondon est la description de milieux associés qui permettent l‘individuation et que Stiegler redéfinit parfaitement :

Le concept de milieu associé a été forgé par Simondon pour caractériser un milieu technique d‘un type très particulier : est appelé « associé » un milieu technique tel que l‘objet technique dont il est le milieu

« associe » structurellement et fonctionnellement les énergies et les éléments naturels qui composent ce milieu, en sorte que la nature y devient une fonction du système technique. C‘est le cas de la turbine Guimbal qui, dans les usines marémotrices, assigne à l‘eau de mer, c'est-à-dire l‘élément

229 Yves CITTON. « Sept résonances de Simondon. » Multitudes 18, automne 2004, .p.26

« Notons dřabord que tout effort dřappropriation simple de sa pensée court le risque dřen trahir la nature profonde. Si cela est vrai de tout auteur, ce lřest doublement de Simondon. Dřune part, à lřoccasion de remarques semblables à celle donnée en ouverture de cet article, il nous invite à faire résonner ses idées dans des champs autres que ceux quřil avait lui-même sous les yeux, avec tout ce que cette entreprise de traduction - ou, dans le lexique simondonien, de transduction - implique de trahison, de décalage et de déphasage possibles.

Il nous invite à le faire en affirmant que cřest précisément en ceci que son travail restera vivant, actif, productif.

On pense alors au potentiel de germination que recèle chacune de ses pages, selon le modèle du germe cristallin capable, malgré sa petitesse infinitésimale, dřamorcer et dřorienter le processus de cristallisation. Lire Simondon, cřest faire lřexpérience de ces germes qui sřinsinuent dans notre réflexion, qui y produisent des effets de prise de forme, et qui en retour augmentent notre puissance de saisie, de compréhension, dřemprise sur notre fonctionnement et notre devenir. »

230 Isabelle STENGERS. Résister à Simondon ? Multitudes 18, 2004/4

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116 naturel, une triple fonction technique de fourniture de l‘énergie, de refroidissement de tout le corps de la turbine et d‘étanchéisation des paliers par pression de l‘eau. 231

Le milieu associé étant celui que nous avons tendance à oublier tel le poisson ignorant son élément aquatique. Pour autant, c‘est bien le milieu associé qui rappelle que nous sommes des individus relatifs. Quelque part, la conscience du milieu associé ajoute une dimension écologique au sens scientifique mais également au sens politique. Cette écologie se complexifie avec le développement des réseaux et des techniques numériques :

Or, à l‘époque des hypomnemata numériques, il existe de tels milieux techniques et industriels où c‘est l‘élément humain de la géographie qui est associé au devenir du milieu technique : tel est le cas du réseau internet. Et elle est la raison pour laquelle internet rend possible l‘économie participative typique du logiciel libre. Internet est en effet un milieu technique tel que les destinataires sont mis par principe en position de destinateurs. Cette structure participative et en cela dialogique est la raison de son succès foudroyant. 232

Stiegler souligne à raison donc la force de l‘Internet dans les possibilités d‘échanges et de partages sur lesquelles s‘appuient notamment les communautés open-souce. En ce sens, Internet ou plutôt le web d‘ailleurs, opère parfaitement comme un milieu associé permettant la concrétisation des objets techniques, en l‘occurrence numérique le plus souvent, mais également l‘individuation des co-créateurs comme celle de communautés. Quelque part, la communauté (Gemeinschaft) met davantage l‘accent sur ce qui est partagé, commun voire mis en commun que sur la société davantage normalisatrice voire idéologique. Il est d‘ailleurs étonnant que Daniel Bell et les penseurs de l‘informationalisme se réfère au terme de société tout en prétendant sortir des idéologies. Il est probable que dans le seul choix de ce terme, ils aient clairement inscrit la société dans le domaine de l‘idéologique. A l‘inverse, la communauté implique un caractère participatif plus ou moins volontaire sans qu‘elle soit pour autant exempte de règles ou d‘implicites.

La notion de milieux associés devient opérationnelle pour le concept de culture de l‘information dans le sens où ce sont les milieux associés qui permettent l‘individuation et notamment l‘accès à la majorité de l‘entendement.

L‘originalité de Stiegler est de montrer quelque peu le visage de Janus de l‘objet technique et des milieux associés. Ces derniers en effet peuvent s‘avérer tout autant des

231 Bernard STIEGLER. Réenchanter le monde. Op. cit., p.53

232 Ibid., p.53

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117 conditions d‘individuation que des conditions qui annihilent cette individuation. L‘objet technique s‘avérant un pharmakon, tantôt remède tantôt poison, les milieux associés peuvent être tout aussi bien des milieux dissociés. Dans le cadre de milieux dissociés, il ne peut plus y avoir de culture de l‘information et peut-être plus de culture tout court. Il n‘y a pas de prise de forme, de transformation chez l‘individu mais plutôt une déformation comme l‘explique encore Stiegler :

Or, le « service » qui est offert par les industries culturelles, et qui décharge les individus de leur temps, est aussi celui qui prend en charge « l‘éducation des enfants », c'est-à-dire, pour parler clair et franc, qui tend à faire de ces enfants une jeunesse désemparée, grégaire, impulsive, c‘est-à-dire pulsionnelle et d‘autant moins cultivée qu‘elle est surinformée – et en réalité dé-formée par la saturation cognitive et affective, désaffectée par l‘hypersollicitation de des affects, condamnée par la dissociation au devenir-informe et amorphe de l‘individuation collective, sinon à la pure désindividualisation sociale. 233

Ces déformations, engendrées par des informations non trans-formées en connaissances personnelles puis en savoir collectif, conduisent au rejet de la culture ; cette dernière nécessitant du temps, une nécessaire différence, sans quoi il ne peut y avoir d‘intégration.

C‘est ici que la culture de l‘information joue ce rôle de distance sans quoi il n‘y pas d‘autre issue que les flux d‘informations ne demeurent que des choses à voir : c‘est-à-dire des monstres. Le risque étant que les individus ne deviennent à leur tour des flux à voir et surtout à oublier pour inlassablement passer au suivant.

La culture de l‘information consiste selon nous en une capacité à justement marquer un arrêt voire à établir une distance. Nous rejoignons ici Yves Jeanneret dans sa critique des utopies communicationnelles et informationnelles qui privilégient les aspects de transmission et la circulation et qui négligent justement les objets qui permettent les in-formations et les trans-formations :

On peut donner comme exemple de la première attitude la somme de Manuel Castells, « L‘ère de l‘information » qui règle la question de la société et de ses ordres en imposant une équivalence entre réseau technique et formes du social. La seconde est bien représentée par les annonces de Pierre Lévy, dont le Cyberculture prévoit l‘émergence d‘une nouvelle forme d‘universel par la vertu des flux informationnels. Ni l‘une ni l‘autre de ces mégathéories du futur ne procèdent à quelque arrêt sur l‘image de l‘écran. Il est même nécessaire à leur prospective que le regard ne s‘attarde pas sur ces objets. Dans une telle rhétorique, ceux-ci sont inéluctablement traversés et dissous par une matière

233 Ibid., p.57

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118 (une immatière ?) aussi fluide qu‘irrésistible. Paradoxal effet de son omniprésence, l‘écran menace aujourd‘hui de devenir un objet invisible. 234

En effet, l‘objet écran a tendance à être oublié, ce que démontre de manière quasi paradoxale le succès du média Internet, puisqu‘un média efficace est justement celui qui sait se faire oublier selon la médiologie. D‘autre part, peu d‘usagers ne soupçonnent réellement les infrastructures techniques en œuvre et a fortiori leur genèse. Il en est dès lors de même pour les formes héritées que les objets techniques numériques incorporent et transforment. C‘est justement cette question de l‘héritage qui nous semble assuré et assumé dans la culture de l‘information et la culture technique de Simondon.

Quelque part nous pourrions à nouveau opposer société de l‘information et culture de l‘information en considérant que la société de l‘information privilégie certains éléments proche d‘un milieu dissocié tandis que la culture de l‘information s‘inscrirait dans celle d‘un milieu associé (Annexe 4.1).

1.3.5 Culture technique et information : quelle

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