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Literacie, littératie ou littérisme ?

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 153-158)

Introduction de la seconde partie

2.1 LITTERATIE ET INFORMATION LITERACY ? LITERACY ?

2.1.1 Qu’est-ce que la littératie ?

2.1.1.1 Literacie, littératie ou littérisme ?

Le terme anglo-saxon de literacy ne fait pas débat dans sa forme mais connaît des évolutions dans le sens qui lui est conféré. Selon le Chambers English dictionnary, literacy possède deux sens295:

The ability to read and write.

The ability to use language in an accomplished and efficient way.

Etymologiquement, le terme vient du latin litteratus derivé de littera qui signifie la lettre. Le terme literate pourrait donc être traduit par lettré d‘autant que le contraire de literacy est illiteracy que nous pouvons par traduire par illettrisme. Derrière cette première acception du terme se trouve l‘opposition entre alphabétisme et analphabétisme. Le terme semble connaître un élargissement de signification. Il renvoie à trois voies possibles :

Premier sens : capacité à lire et écrire (a simple ability to read and write)

Deuxième sens : Possession de compétence et d‘habileté. (Having some skill and competence)

Troisième sens : Elément d‘apprentissage (Element of learning)

Le concept est souvent perçu comme relatif et diffère selon les pays et connaît par conséquent des variations. Ainsi le concept est qualifié d‘élastique par Tracy Whalen :

295 Définition proposée par l‘édition en ligne du dictionnaire Chambers :

< http://www.chambersharrap.co.uk/chambers/features/chref/chref.py/main?title=21st&query=literacy>

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153 En théorie, la littératie est un concept élastique. Dans la réalité aussi, elle est comme un élastique : un outil pour garder les choses en ordre et à leur place — mais qui peut aussi « claquer » et revenir en arrière en laissant des marques si on n'a pas la bonne « prise ». Telle qu'on la définit de manière conventionnelle, la littératie renvoie aux compétences en lecture et en écriture et implique une forme de familiarité avec des manières de faire et de penser. Plus encore, elle fait référence à la manière dont les lecteurs s'orientent en fonction des messages qui les environnent. 296

Néanmoins, il nous semble que la somme d‘exigences pour être qualifié de literate augmente.

Désormais le terme de literacy dépasse de beaucoup son sens premier. Ainsi, sa traduction française pose problème. Le bulletin officiel a tranché récemment en proposant la traduction par « littérisme »297. L‘usage ne semble pas l‘avoir imposé néanmoins comme le montre le tableau de mesure des usages sur les moteurs de recherche. Michel Fingerhut, directeur de la médiathèque de l‘IRCAM, très critique avec cette traduction proposait celle de « lettrisme » par opposition à illettrisme298. Seulement « lettrisme » entraîne une confusion avec le mouvement littéraire du même nom. Il semble donc que les termes « littératie », « littéracie », ou bien encore « litéracie » soient beaucoup plus usités. Une nouvelle fois, le moteur de recherche est un bon élément de mesure des usages tel que le préconise le professeur de linguistique Jean Véronis qui privilégie d‘ailleurs le moteur Yahoo en la matière.

296 Tracy WHALEN. « High Stakes, Mistakes, and Staking Claims : Taking a Look at Literacy / Grosses mises, méprises, mainmises : Regard sur la littératie. » Ethnologies, vol. 26, n° 1, 2004, p. 5-34. p.16

297 Ministère de l‘Education Nationale. Bulletin officiel n°37 du 13 octobre 2005 : Littérisme n.m.

Domaine : Éducation.

Définition : Capacité à lire un texte simple en le comprenant, à utiliser et à communiquer une information écrite dans la vie courante.

Note : Ce terme est lřantonyme dř Ŗillettrismeŗ, qui ne doit pas être confondu avec Ŗanalphabétismeŗ.

Équivalent étranger : literacy.

298 Michel FINGERHUT. Avant, pendant et après le livre. In Miklos. Billet du 28 février 2006

<http://mmdl.free.fr/blog-m/?p=311 >

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Terme Nombre de pages

renvoyées par

Yahoo. Avril

2007/Juin 2009

Littérisme 724/2 340

Littéracie 970/ 29 100

Litéracie 740/ 12 700

Littératie 38 200/ 252 000

Lettrisme 20 900/ 124 000

Tableau n°12. Mesure des usages des traductions de « literacy » sur le moteurs Yahoo.

Le terme de « littératie » apparaît le plus utilisé. Les variantes d‘écritures de « littératie » se rencontrent notamment dans des articles de recherche. « Litéracie » est ainsi employée pour qualifier une équipe du laboratoire LEAPLE qui travaille sur l‘acquisition et les pathologies de l'apprentissage de la lecture-écriture.299

Par conséquent, le terme de « littératie » ainsi orthographié semble pouvoir être privilégié.

Selon Régine Pierre, le terme apparaît pour la première fois en français en 1985 et son usage en tant que concept dans une revue scientifique n‘est avéré qu‘en 1991.

C‘est un terme fortement utilisé notamment par les canadiens qui poursuivent beaucoup d‘études dans le domaine et qui l‘utilisent tel quel comme la traduction du terme literacy. La définition qu‘ils en donnent nous éclaire sur l‘élargissement de sens du concept :

Dans les grandes lignes, nous pouvons décrire la littératie comme un déterminant clé des chances d'une personne, que ce soit du point de vue de la carrière ou de la qualité de vie. Plus qu'une simple mesure des compétences en lecture, la littératie sert à évaluer la façon dont les adultes utilisent l'information écrite pour fonctionner en société. De fortes compétences en littératie sont étroitement liées à la probabilité d'obtenir un bon emploi, à des gains décents, et à l'accès aux possibilités de formation. (…)Traditionnellement, la littératie a fait référence à la capacité de lire, de comprendre, et d'utiliser l'information. Cependant, la signification du terme s'est élargie pour englober une gamme de

299 Equipe Litéracie. LEAPLE-CNRS. <http://www.vjf.cnrs.fr/umr8606/DocHtml/EQUIPES/m3.htm>

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155 connaissances, de compétences et d'habiletés qui ont trait à la lecture, aux mathématiques, aux sciences, et plus encore. Cet élargissement du sens reflète les changements profonds et généralisés qui se sont produits dans les domaines de la technologie et de l'organisation du travail au cours des 25 dernières années. 300

Un élargissement confirmé par la définition qu‘en donne l‘UNESCO en prônant une functional literacy :

A person is functionally literate who can engage in all those activities in which literacy is required for effective functioning in his group and community and also for enabling him to continue to use reading, writing and calculation for his own and the community‘s development.301

Selon Eric Delamotte, la ―literacy‖ ―recèle le pari implicite, celui de réconcilier pratiques sociales et disciplines scolaires.ŗ Cette vision nous semble effectivement très nette dans les littératies que nous présenterons après. Eric Delamotte montre également l‘étendue du concept :

Le concept a, d‘abord, une assise anthropologique, car l‘idée qui lui est sous-jacente est qu‘il existe un lien entre l‘apparition de l‘écrit dans les sociétés et de nouveaux modes de pensée ou de raisonnement. Ensuite, la Literacy représente non seulement la prise en compte d‘une évolution culturelle, mais elle introduit aussi une prise de position dans les débats sur l‘éducation. Enfin, la Literacy est pragmatique et volontariste. Le mot important, ici, c‘est évidemment « volontariste » qui indique que des objectifs précis sont définis et que des moyens et démarches sont consciemment mis en place pour les atteindre..302

L‘usage du terme de littératie implique un lien avec l‘écriture et les rapports que la culture entretient avec la raison graphique. Mais il ne faudrait pas voir dans la littératie une vision simplement basée sur l‘alphabétisme mais bel et bien sur le concept de texte tel qu‘il est défini par Yves Jeanneret303. L‘article de Régine Pierre démontre bien les réelles ambitions du concept de littératie et de sa lente reconnaissance en français. Elle montre, en s‘appuyant sur

300 Statistique Canada. La littératie compte. In Statcan. Disp. sur : <http://www.statcan.ca/francais/freepub/81-004-XIF/200404/lit_f.htm>

301 UNESCO. Revised recommendations concerning the international standardization of educational statistics, UNESCO‘s standard-setting instruments, V3 B4, UNESCO, 1986

302 Eric DELAMOTTE. « Information and knowledge literacy. ». Esquisse. Eduquer à /par lřinformation, janvier 2007, no 50- 51, p.41-53

303 « Nous pouvons considérer comme des textes une affiche et le jeu quřelle établit entre images et mots écrits, lřorganisation de lřécran dřaccueil de notre ordinateur (…), le découpage reconnaissable dřun journal télévisé.

Parle de texte, cřest simplement indiquer quřune forme générale doit organiser un espace dřexpression pour quřil soit lisible, que les messages ne nous parviennent que sous une forme matérielle, concrète, organisée. A cet égard, on peut dire que le texte est toujours un objet technique, mais dřune nature particulière : un objet techno-sémiotique » in Yves JEANNERET. Y a-t-il (vraiment) des technologies de l'information ? PU du Septentrion, 2007, p.106

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156 des travaux de chercheurs anglo-saxons, qu‘il convient bien de la distinguer de l‘alphabétisation car selon elle la littératie est une démarche qui débute bien avant l‘apprentissage scolaire. Elle considère d‘ailleurs que la functional literacy, évoquée d‘ailleurs par l‘UNESCO, n‘est pas une valeur universelle mais diverge selon les lieux et les époques :

Le concept de littératie fonctionnelle englobe des réalités différentes selon les époques, les sociétés et les groupes sociaux (…). Ainsi savoir lire n'a plus la même signification pour les enfants d'aujourd'hui qui sont nés après la Révolution informatique que pour les enfants du début du XXe siècle pour qui la scolarisation primaire n'était même pas encore obligatoire. 304

Elle situe d‘ailleurs la confusion entre alphabétisation et littératie a un autre niveau que celui du simple problème terminologique. 305

Nous sommes ici dans la nécessité de faire face à la confusion développée notamment dans les discours. Il s‘agit d‘opérer une distinction entre ces différents concepts pour mieux distinguer celui de littératie :

Le fait de maîtriser l'écrit pour pouvoir penser, communiquer, acquérir de nouvelles connaissances, résoudre des problèmes, réfléchir sur notre existence, partager notre culture ou se distraire est ce qui définit le type et le niveau de littératie atteint par des individus que l'on dira lettrés - litterati - au sens où l'entendait Cicéron qui posait la littératie - scientia litteratura - à la fois comme le fondement de la sagesse et de l'éloquence (…). Au plan individuel, le concept de littératie réfère à l'état des individus qui ont assimilé l'écrit dans leurs structures cognitives au point qu'il infiltre leurs processus de pensée et de communication et que l'ayant ainsi assimilé, ils ne puissent plus se définir sans lui (…). Un parallèle peut être établi, au niveau individuel, entre le concept d'intelligence qui est une mesure du degré d'assimilation par un individu des connaissances sur le monde et le concept de littératie qui est une mesure du degré d'assimilation des connaissances sur l'écrit. 306

L‘enjeu posé par la littératie est donc bien différent de celui de l‘alphabétisation, plus ambitieux, au final plus proche de la définition de l‘homme cultivé d‘Hannah Arendt. Le concept renvoie également à ce qu‘on pourrait qualifier de représentation du monde (Weltanschauung) et se trouve donc fortement lié avec le concept de culture à tel point que

304 Régine PIERRE. « Entre alphabétisation et littératie : les enjeux didactiques » Revue Française de Linguistique Appliquée. 2003/1, Volume VIII, p. 121-137. p.124

305 « Cette confusion entre alphabétisation et littératie déborde une simple querelle terminologique. Elle est le reflet d'une étonnante ignorance des origines de l'écriture et des mécanismes par lesquels l'Homme a développé et transmis la connaissance de cet outil qui façonne aujourd'hui nos existences. Dans tout ce débat terminologique, on confond l'écrit, l'écriture, la lecture et la littératie. » Ibid.., p.124

306 Ibid., p. 124

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157 l‘on pourrait intervertir les deux termes et dire que la littératie donne forme à l‘esprit pour paraphraser Bruner307. Une dimension culturelle qui nous ramène fortement avec l‘adjonction du mot information à l‘étymologie de cette dernière, c'est-à-dire au moule, lieu de formation et de déformations. Une transformation qui s‘opère autant sur les esprits que sur les corps selon Tracy Whalen :

Tout d'abord, la littératie met les corps en jeu. La littératie, en ce sens, se rapproche beaucoup de la notion d'habitus d'Aristote, idée développée par le sociologue français Pierre Bourdieu (1991), les dispositions durablement inculquées que nous développons au cours de nos vies, qui signalent notre aisance et nos aptitudes dans le monde. 308

La littératie ainsi définie, il convient de s‘interroger sur la résistance du concept face aux mutations du numérique.

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 153-158)