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L’objection sensorielle :

Dans le document La culture de l'information en reformation (Page 161-164)

Les nouveaux médias seraient vecteurs de nouvelles sensations, nouvelles sollicitations visuelles, immersion dans de nouvelles réalités, de la réalité augmentée à l‘univers fictionnel des jeux vidéos. Selon nous, le texte demeure bel et bien présent dans ces évolutions médiatiques, d‘une part parce qu‘elles reposent sur des stratégies d‘écriture et d‘autre part parce qu‘elles nécessitent une « interprétation », une forme de lecture. Le terme d‘hypermédias est d‘ailleurs également utilisé, s‘il convient de manière à montrer l‘extension du terme d‘hypertexte, il se révèle en fait un contresens dans la mesure où l‘hypertexte est nécessairement un hypermédia tout comme le texte est un hypertexte potentiel.

2.1.1.3 Le texte, l’hypertexte et l’architexte.

L‘hypertextualité du texte est déjà là et s‘avère ancienne dans sa relation avec son lecteur.

D‘ailleurs le texte a toujours été un peu hypertextuel y compris dans sa matérialité comme nous le rappelle justement Barthes :

Texte veut dire Tissu ; mais alors que jusqu'ici on a toujours pris ce tissu pour un produit, un voile tout fait, derrière lequel se tient, plus ou moins caché, le sens (la vérité), nous accentuons maintenant, dans le tissu, l'idée générative que le texte se fait, se travaille à travers un entrelacs perpétuel ; perdu dans ce tissu -- cette texture -- le sujet s'y défait, telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions constructives de sa toile. Si nous aimions les néologismes, nous pourrions définir la théorie du texte comme une hyphologie (hyphos, c'est le tissu et la toile d'araignée). 314

Il est tentant de voir dans les propos précédents une description de l‘hypertexte. Seulement, il est probablement plus juste d‘y voir des qualités intrinsèques du texte avec la prise en compte à la fois de son contenu, de son support et de sa dimension sociale. L‘hypertexte est cet entrelacs dont parle Barthes, qualité présente dans le texte et qui tend à se développer avec les nouveaux médias. Seulement l‘hypertexte ne peut être opposé au texte puisqu‘il est justement une des qualités du texte. L‘opposition entre l‘hypertexte qui relèverait de l‘informatique et le texte qui viendrait de l‘imprimé constitue une vision simpliste et erronée. Cette antithèse, serait basée selon Jeanneret, sur une conception liée à la micro-informatique, à la démocratie participative et à l‘idée d‘un hypertexte ouvert par opposition à un texte fermé. Cette antithèse ne permet pas de prendre en compte les formes éminemment textuelles de l‘hypertexte.

D‘ailleurs, le créateur du terme hypertexte, Ted Nelson avait probablement une définition

314 Roland BARTHES. Le plaisir du texte : précédé de Variations sur l'écriture.Seuil, 2000, p.126

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161 différente des visions actuelles de l‘hypertexte tout comme Vannevar Bush, souvent perçu comme le créateur d‘un concept dont il n‘a jamais écrit le nom. Nous sommes d‘ailleurs confrontés à une confusion entre l‘outil ou la technique qui permet de générer et de lire des hypertextes et l‘hypertexte lui-même ; le Memex, Xanadu ou le web ne sont pas l‘hypertexte.

De là, viennent probablement les erreurs qui conduisent à faire de l‘hypertexte, un concept davantage ouvert que le texte qui serait refermé sur lui-même. La meilleure solution n‘est donc pas de voir l‘hypertexte comme un au-delà du texte mais bel et bien comme un en deçà.

D‘autre part, le projet de Ted Nelson associait un modèle économique et un respect de l‘auteur ce qui impliquait une forme de régulation tout en parvenant à briser ce que Barthes nomme « la fixité du texte » afin de garantir son fonctionnement dans sa mise en rapport avec l‘autre : le lecteur mais aussi les autres documents.

La textualité numérique demeure dans l‘appellation « écrit d‘écran », complexité spatiale du déploiement du texte et inscription au sein de l‘émergence des formes et des acquis historiques. Ces derniers étant visibles sur les portails de presse qui reproduisent une forme de une. Selon Jeanneret, la sémiotique des écrits d‘écrans s‘est ainsi développée depuis quelques années. Ces travaux de recherche s‘inscrivent dans une « matérialité visuelle » de l‘écriture entre technique (technologie du logiciel et informatique comme propagateur de formes écrites) et sémiotique (culture des formes écrites et circulation et appropriation sociale des textes). L‘informatique produit une sorte d‘hybride entre les impératifs de la programmation et les formes culturelles de l‘écriture héritées d‘une histoire plus longue, en demeurant les mêmes qu‘avant mais transformées.

De là, émerge alors l‘architexte qui comprend des formes écrites stabilisées dans les logiciels et encapsulées dans des objets. Le terme vient des travaux d‘Yves Jeanneret et d‘Emmanuel Souchier qui l‘ont emprunté à Genette315 mais dans un sens différent, car chez Genette il s‘agissait de démontrer que de nombreuses productions de textes renvoient à des modèles plus généraux que lui, le surplombant et constituant des références de formes ou de genres.

L‘architexte peut ainsi se résumer en une seule phrase : Nous écrivons dans des formes écrites par d‘autres.316

315 Jean GENETTE. Introduction à l'architexte. Éditions du Seuil, collection Poétique, 1979

316 Propos tenus par Yves JEANNERET. Interview filmée en ligne à propos de la sémiotique de l‘écriture.

<http://www.archivesaudiovisuelles.fr/813_fr/Shots.asp>

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162 L‘Architexte évolue à l‘intérieur du logiciel qui héberge de fait des formes écrites actives en son sein. C‘est notamment le cas des logiciels de CMS (content management system) comme Spip, Joomla, Drupal mais également les plateformes de blogs voire les plateformes de forum qui imposent des stratégies de publication voire des hiérarchies. Il y a derrière ces logiciels qui prétendent fréquemment faciliter le travail et permettre un gain de liberté, une logique de l‘écriture qui n‘est pas consciente chez les utilisateurs. Une des formes d‘architexte les plus connues provient du logiciel de Microsoft, Power Point, programme qui contient des formes encapsulées au sein du logiciel. Il faut de même noter que le modèle intellectuel de Microsoft Power Point provient du modèle de la « business presentation » que les informaticiens ont transposé dans un objet. Par conséquent, le logiciel ne peut prétendre à une neutralité puisqu‘il véhicule une forme d‘idéologie ou tout au moins de représentation. Ainsi les modèles ou templates du logiciel Power Point induisent une forme de présentation et peuvent influer à la fois sur la réflexion et la démonstration. Yves Jeanneret parle même de

« désécriture » puisque de nombreux utilisateurs réutilisent une présentation modèle pour en reconstituer une nouvelle en le vidant de son contenu mais en conservant les formes préétablies pour un autre sujet. L‘architexte est ainsi reconstitué au travers d‘une même trame.

Ce phénomène se retrouve dans la plupart des objets informatiques comme les intranets et les systèmes d‘informations.

Nous sommes tentés de considérer qu‘il s‘agit d‘une déformation qui agit autant sur l‘usager que sur le produit final. L‘occasion de rappeler que pour nous le contraire de l‘information n‘est pas la désinformation mais la déformation. La solution pour échapper à ce

« pré-formatage » serait a priori un minimum de connaissances informatiques pour pouvoir déroger aux logiques de formes d‘écritures induites dans le code. Seulement, il faut pouvoir y accéder, ce qui n‘est pas évident au niveau sécuritaire parfois, sans compter qu‘il faut également posséder une maîtrise des codes informatiques. Tout code informatique, au demeurant essentiellement anglophone, véhicule des schémas et des formes de pensée antérieurs à l‘informatique et qui remontent parfois au-delà de la logique booléenne. Voilà sans doute pourquoi, Yves Jeanneret insiste sur la complexité à l‘œuvre qui contraste de fait avec les discours d‘apparente simplicité autour des logiciels et des nouveaux outils du web 2.0 sur lesquels nous reviendrons ultérieurement. Il en résulte un processus de captation croissante de formes plus élaborées de l‘informatique que nous pouvons apercevoir dans les logiciels de traitement de texte qui illustrent parfaitement la récupération de traditions issues de l‘imprimerie. Nous pouvons remarquer la captation de pratiques dans les systèmes de

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163 messagerie en ligne, qui reproduisent des formes et des actions comme le fait d‘envoyer une enveloppe, d‘ouvrir sa boîte aux lettres, etc. Une captation qui nous le verrons, dans la troisième partie, va jusqu‘à l‘identité et la transformation de l‘homme en documents. Cette captation peut également prendre des formes de limitation voire d‘autocensure comme pour les plateformes de micro-blogging qui permettent la publication de courts messages, qui sont limités à 140 caractères comme sur Twitter317. Ces formes de limitation se retrouvent également en ce qui concerne le langage sms et les impératifs économiques qui imposent des messages courts mais également du fait de la taille de l‘écran qui constitue d‘ailleurs une limite clairement matérielle.

Au final, tout objet des nouveaux médias recèle des formes anciennes qui sont tout autant d‘expressions de pouvoirs. L‘archéologie du savoir a donc encore de nombreuses pistes à explorer. Jeanneret évoque ainsi des énonciateurs qui sont également des manipulateurs voire des falsificateurs. C‘est en cela que ces nouveaux médias demeurent des hypomnemata et surtout des pharmaka.

Yves Jeanneret emploie également le concept de « textes de réseau » pour décrire le type de production textuelle qui peut être réalisée. L‘étude de ces textes peut alors s‘effectuer dans une articulation entre sémiotique, ethnologie et analyse de pratiques. Ces trois dimensions nous rapprochent également du champ professionnel des architectes de l‘information qui établissent leur profession autour de trois axes : le contexte, le contenu et les utilisateurs.

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