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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

2.1.2. Interprétation des entretiens semi directifs

2.1.2.1. Variables en présence à propos des concepts d’enseignement et

Les allusions renvoyant indirectement aux représentations peuvent être implicites ou explicites. Il existe une difficulté réelle de la part des enseignants ou des étudiants de pédagogie, pour définir avec rigueur les concepts d’enseignement et d’apprentissage.

Enseigner, euh ! (Ton de surprise prolongé.) C’est comme, en accord avec l’expérience, on essaie de donner aux élèves, plus que des contenus, (…) on donne aussi des valeurs. On essaie de donner les outils nécessaires pour que les élèves puissent arriver avec de meilleures conditions, dans le monde du travail (…) alors, c’est notre mission. (…) Apprendre ? (Temps long d’indécision.) Comme c’est un Lycée Commercial, nous devons forcément leur donner des outils. Voilà, surtout acquérir des outils, qu’ils apprennent, qu’ils acquièrent et finalement, qu’ils mettent en pratique les connaissances48.

Néanmoins, les professeurs ont une sensibilité plus aiguë aux dysfonctionnements qui entourent les concepts d’apprentissage ou d’enseignement, ils sont davantage prolixes à ce sujet.

- La discipline mentale est une carence chez les jeunes (…), il n’y a pas de méthodologie, c’est ce qui manque, c’est une carence terrible qui fait défaut pour analyser, pour comprendre, nous parvenons juste à enseigner des choses élémentaires comme caractériser, c’est dur d’aller plus loin ! (R.P. Annexe n°6 : 298).

47 Annexe n°7 : 306-308. Entretien réalisé le 31 mars 2008 avec Pamela Torres, étudiante en fin de formation initiale,

pédagogie de l’anglais. Désormais (P.T.)

48 Annexe n°6 : 296. Entretien réalisé le 27 janvier 2008 avec Roberto Pino, professeur d’histoire et de sciences sociales.

Désormais (R.P.)

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- Tous les étudiants qui choisissent la filière d’allemand n’ont pas l’intention de devenir professeur, beaucoup sont intéressés par la langue et veulent l’appliquer à un autre domaine. (…) Donc, oui, je mets en valeur la pédagogie parce que je suis en train d’étudier dans une université pédagogique et avec ces disciplines, j’ai beaucoup appris, mais personnellement, ce n’est pas non plus mon idéal de faire cours d’allemand, une fois que j’aurai terminé mes études49.

La pédagogie, dans l’inconscient collectif professoral, fait ainsi figure de parente pauvre et constitue le vecteur d’une didactique orpheline, incapable de générer un ancrage solide, clair et rigoureux chez les enseignants. Un no man’s land pour ceux et celles qui devraient en être imprégnés et qui, avec le temps, s’en sont éloignés, en perdant par la même occasion, une sûreté et un sens méthodologiques.

Les concepts d’enseignement et d’apprentissage sont présentés de façon plus explicite de la part de certains directeurs d’établissement scolaire ou de cadres de l’éducation. D’ailleurs, ces notions sont représentées comme deux entités étroitement imbriquées et fortement impliquées dans les nouvelles orientations de la Réforme Éducative. De ce fait, ces concepts se sont enrichis de références extérieures, tel que le Compte-rendu à l’UNESCO de la Commission Internationale

sur l’Éducation pour le vingt-et-unième siècle, présidée par Jacques Delors50.

La Réforme a installé cet axe médullaire de l’apprentissage des élèves, mettant en relief, au fond, comment les enfants et les jeunes doivent apprendre aujourd’hui, plus que comment nous devons enseigner, bien que, à mon point de vue, une chose ne se détache pas de l’autre. Pour moi, ce devrait être le concept d’enseignement- apprentissage ou d’apprentissage-enseignement. L’apprentissage, aujourd’hui est fondé sur cela et, de ce fait, l’apprendre à apprendre, l’apprendre à faire, l’apprendre à être, l’apprendre à vivre ensemble ont été mis en valeur. Ce sont les quatre axes territoriaux qui devraient normalement exister aujourd’hui, au Chili. (…)

Depuis que ces concepts se sont installés ici, le MINEDUC a élaboré le Cadre du Bon Enseignement, avec d’autres acteurs, entre autres, le Collège des Professeurs et des spécialistes. Ce sont les quatre domaines où a lieu l’apprentissage et où le professeur doit établir son enseignement : préparation, création d’une ambiance propice à l’apprentissage, l’enseignement pour l’apprentissage de tous et les responsabilités professionnelles.

Pour moi, l’enseignement repose sur la maîtrise professionnelle de l’éducation, c’est- à-dire comment et avec quels éléments j’enseigne ? Pourquoi et pour qui j’enseigne ? Dans quel contexte ? Quel est le sens ? C’est là que se trouve la crise actuelle, la grande crise. Nous n’avons pas bien exploré non plus comment les élèves apprennent, je reviens donc à l’imbrication, si je ne fais pas une bonne recherche sur mon enseignement, je ne peux pas non plus bien saisir comment les jeunes apprennent. Et voilà tout ce qui nous entrave51.

Le MINEDUC a investi beaucoup d’efforts pour faire bouger le balancier depuis « enseigner » jusqu’à « apprendre », surtout au niveau des unités curriculaires, de telle sorte que les enseignants, les autorités éducatives se sont centrés davantage sur l’apprentissage et sur les résultats.

[Cette politique est partie de l’impression que] l’enseignement était le foyer central, et les professeurs ont été formés à enseigner avec des techniques sur le comment enseigner sans se préoccuper si cette méthodologie allait produire l’apprentissage.

49 Annexe n°7 : 308. Entretien réalisé le 3 avril 2008 avec Sergio Arcos, étudiant en formation initiale, pédagogie de

l’allemand. Désormais (S.A.)

50 Disponible sur : http://www.unesco.org/education/pdf/DELORS_S.PDF

51 Annexe n°5 : 284. Entretien réalisé le 22 juin 2008 avec Yanini Rivera, directrice d’un collège municipal à Quilpué.

Désormais (Y.R.)

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Je crois que cela est allé à l’autre extrême et que nous parlons trop d’apprentissage, alors nous nous intéressons aux mesures, aux résultats et nous ne prêtons plus attention au comment réussir ces résultats. (…) J’espère que nous parviendrons à l’heureuse rencontre des deux. (…)

C’est la même chose de dire que nous allons nous mesurer dans des épreuves internationales ou que nous allons jauger le SIMCE, et nous allons récompenser les professeurs pour les résultats de leurs élèves, (…) mais si les professeurs ne savent pas enseigner, les élèves apprendront peut-être, ceux qui le font par motivation. (…) Évidemment, il y a de bons enseignants, mais la majorité a des problèmes de connaissance, quant à ce qu’ils doivent enseigner, à savoir s’organiser, à structurer un cours, à être attentifs aux différences individuelles des enfants. (…) Ils le savent et sont capables d’en faire un discours parfait. C’est un discours bien appris parce que cela a toujours été une prédication publique, le Ministère de l’Éducation, grâce à des experts, l’a popularisé urbi et orbi, cependant, il n’a jamais fait partie des pratiques, il a été mis au-dessus de celles-ci. (B.A. Annexe n°4 : 281).

Le contexte socioculturel fragmenté véhicule également un certain nombre d’incidences prépondérantes sur l’enseignement-apprentissage.

- Nous en sommes à 97% de couverture scolaire au Chili. Par conséquent, les enfants venant des secteurs à haut risque social constituent 10 à 15% de la population scolaire aujourd’hui. Ce secteur arrive au collège avec ses codes, avec la drogue et le vol. (…) Ajoutées à cela, une cassure très forte du concept de famille au Chili (…) et par ailleurs, une irruption énorme des nouvelles technologies. Ce qui signifie que les classes sociales défavorisées disposent actuellement d’un panorama infini, où alimenter leur désir ardent de posséder tout ce qu’elles voient, et comme elles ne peuvent pas y parvenir, cela génère beaucoup de frustration. Aujourd’hui, tous les enfants, quelle que soit leur condition sociale ont un MP3 ou un MP4, une clé USB, un portable, (…) c’est un fouillis énorme. Par conséquent, il existe aussi une cassure au niveau communicatif, les jeunes parlent à l’aide de phrases entrecoupées, ils se comprennent comme le zapping à la télévision : « Ta, ta, ta, ta ». Leur niveau de concentration en classe a diminué ostensiblement, ils ne font pas attention, et si tu les fais lire, comme ils ne sont pas concentrés, il semblerait qu’ils ne comprennent rien. (…) En conséquence, il y a comme un bouchon énorme et personne ne comprend plus rien. (Y.R. Annexe n°5 : 286-287).

- En ce moment, il existe des lacunes en ce qui concerne l’écriture, les élèves ne savent plus écrire, ni parler, les codes fondamentaux sont en train de se perdre pour différentes raisons : la technologie, le chat, le courrier électronique. Les compétences linguistiques de base ont diminué, ainsi que l’intérêt pour la lecture. La lecture est fondamentale pour chaque individu, et ici, nous péchons par son défaut52.

L’évocation des images procurées par les concepts d’enseignement et d’apprentissage révèle également une lucidité face à des approches traditionnelles isolées et désuètes, devant céder la place au paradigme d’un enseignant polyvalent, interconnecté, transdisciplinaire et créateur d’espaces de motivation.

- En plus d’être professeur, je dois être psychologue. Les lycéens nous voient comme un autre modèle, ajouté à celui de leurs parents. (R.P. Annexe n°6 : 299).

-. Je pense qu’il y aurait besoin de travailler avec les parents (…) Parce que si on forme l’élève et, après, il arrive chez lui, et la mère ne l’aide pas, (…) il y a une distance, il n’y a pas de cohérence avec ce que je fais. (…) il y aurait besoin d’un contact réel avec les parents (…) par les réunions qu’ont les parents à l’école, une fois par mois, (…) pour expliquer ce que je vais travailler et comment je vais travailler. (…)

52 Annexe n°7 : 311. Entretien réalisé le 5 mai 2008 avec Patricia Guasch, étudiante en fin de formation initiale,

pédagogie de l’espagnol (langage et communication). Désormais (P.G.) TM

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L’idée que j’ai d’être professeur, pour moi, c’est un travail en collaboration, pas seule53.

- Pour un élève, apprendre la langue maternelle signifie se connecter avec la réalité, avec l’environnement, être sur la même fréquence car s’il ne sait pas lire, ni écrire, comment peut-il être en lien avec ce qui se passe, avec le monde, comment s’informe-t-il ? C’est ce qui arrive, d’une certaine manière, aux analphabètes. Et l’élève, comment interagit-il avec son entourage, s’il ne sait pas communiquer ? À l’avenir, s’il veut étudier une filière, de quelle manière peut-il s’en sortir, quant à la manipulation de sa langue, comment va-t-il se présenter aux autres ? (…) tout part du langage, les relations humaines, donner de l’amour, faire confiance, l’interaction avec l’autre. (…) Je connecte aussi l’espagnol avec les autres langues, (…) en essayant de motiver. La motivation, c’est un autre sujet à prendre en compte, pour que l’élève veuille et aime apprendre, l’apprentissage doit avoir un goût, un intérêt, éveiller cette motivation est très difficile actuellement. (P.G. Annexe n°7 : 311).

Face aux complexités contextuelles, les professeurs s’appuient sur des préconceptions, des intuitions, des hypothèses quant à l’enseignement et à l’apprentissage, pour engager des adaptations didactiques, afin d’orienter leurs élèves vers des formes nouvelles d’étude.

- Pour moi, être professeur de français, c’est enseigner et montrer un peu la vie des Français mais en ce moment, parce que j’ai vécu l’expérience, quand j’étais petite, que le français, on le voyait comme la grammaire, pas des choses réelles et je pense que la partie de la culture pour que les élèves puissent connaître la façon de vivre en Europe et en France particulièrement, c’est fondamental pour toucher le monde dans lequel on vit. (G.B. Annexe n°7 : 301).

- Je m’imagine comme une professeure qui travaille vraiment les relations humaines, l’interculturel, (…) spécialement comment vivent les gens en France, en Afrique. (…) Mon rôle, c’est de montrer un peu le monde, ouvrir le panorama qu’ont les élèves du monde. (G.B. Annexe n°7 : 303).

- Les élèves ont besoin de choses concrètes qui les touchent, parce que les faits abstraits, c’est compliqué pour eux. La conceptualisation est défectueuse dans l’apprentissage. Si je traite la Renaissance, je dois parler de peinture, (…).

- Je suis un des seuls professeurs à les avoir emmenés au musée. (…) Je leur disais en théorie ce que c’était une croisée d’ogives. Au musée, je leur ai dit : « Voilà, c’est cela » ! À travers l’observation, ils comprennent mieux. (R.P. Annexe n°6 : 300).

Les concepts partagés par les personnes interrogées, concernant l’enseignement et l’apprentissage des langues dévoilent deux perceptions subjectivement imbriquées, bien qu’elles soit objectivement opposées : la promotion versus la valorisation des langues. Alors que la promotion des langues s’inscrit dans le domaine de l’économie, du commerce, des biens privés, la valorisation tente de fonder des valeurs à long terme, enracinées dans le domaine éducatif, par une distinction des êtres sociaux et donc, une mise en service de ce Bien Public Mondial. Néanmoins, les termes sont agglomérés dans l’esprit des acteurs, il existe là un rétablissement et une réflexion terminologiques à opérer.

- Le fait d’avoir une langue barrière, qui nous empêche de communiquer avec une autre personne, c’est ce qui m’a principalement motivée à prendre la décision d’étudier pédagogie en anglais (…) Je trouve injuste qu’il y ait une barrière linguistique empêchant la communication avec le reste du monde. (…) Apprendre une langue étrangère, c’est un outil incroyable (…) si je suis ingénieur et si je parle une autre langue, j’ai une valeur ajoutée. Cela sert économiquement car la personne est prise en compte, elle monte en hiérarchie, elle peut se développer dans d’autres domaines et élargir son horizon. (P.T. Annexe n°7 : 304).

53 Annexe n°7 : 303. Entretien réalisé le 13 novembre 2007 avec Graciela Bascoli, étudiante en formation initiale,

pédagogie du français. Désormais (G.B.) TM

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- Si tu manipules plusieurs langues, j’ai vu que cela ouvre beaucoup de portes, (…) les connaissances ne se limitent pas seulement à l’aire hispanophone, tu peux t’élargir à d’autres domaines, communiquer avec d’autres pays, alors des possibilités de perfectionnement s’offrent à toi, en vue d’un bénéfice personnel quant à ton propre apprentissage. (S.A. Annexe n°7 : 308).

- Il faut prendre en compte qu’il existe différents types de collèges : privés et municipaux. La différence de comportements des élèves va être différente selon le type de collège, en fait la majorité des établissements enseignant l’allemand sont privés, par conséquent, les classes ne sont pas de 45 élèves, mais de 20 ou moins, et le travail de l’enseignant y est donc plus facile. (S.A. Annexe n°7 : 310).

- Je crois que c’est difficile dans le monde dans lequel nous vivons actuellement de ne pas donner emphase à l’anglais. (…) Apprendre plus d’une langue obligatoire à l’école, avec un curriculum déjà très chargé semble difficile aussi, mais connaître les différentes cultures, c’est autre chose. Il serait nécessaire de faire quelque chose dans ce domaine. Les universités ont un espace maintenant pour le réaliser à travers des activités extra programmatiques, culturelles. Les départements de langues, d’histoire pourraient le faire aussi (…) (B.A. Annexe n°4 : 283).

La clé de voûte d’interprétation des concepts d’enseignement et d’apprentissage semble indiquer une orientation vers un encouragement de la pensée critique : une stratégie pour faciliter l’élaboration d’activités transformatives.

L’habitude scolaire de recevoir sans critique et même sans curiosité constitue la conséquence d’une formation traditionnelle. Faudrait-il donc « déprofesseuraliser » l’éducation ? Il ne s’agirait en aucun cas de se défaire des enseignants, mais bien de reposer la problématique de leur rôle protagoniste en ce qui concerne l’enseignement et l’apprentissage.