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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

1.2.3. Mémoire des réformes restreintes à l‘enseignement des langues : 1980-2010

1.2.3.1. Les représentations sociales face aux langues en présence

Les représentations sociales sont des savoirs partagés, non savants, fondés sur des attitudes, des actions et transmis par les acteurs sociaux.

Les représentations que l’on construit des langues et de leurs usages sont, en effet, fonction de la position des différents acteurs dans le champ éducatif et social. (Vigner, 1996 : 366).

Il est donc important de les regarder, d’essayer de les saisir et de les croiser, afin de cerner la logique des attitudes. L’enjeu ambitionne une meilleure compréhension du sens de nos décisions, dans une optique stratégique d’offre et de création de demande de produits linguistiques.

Actuellement, le MINEDUC investit des ressources pédagogiques pour l’anglais. C’est une politique linguistique explicite, s’inscrivant dans le cadre de la Réforme puisque celle-ci soutient le développement de compétences, permettant au sujet de s’insérer dans le monde du vingt-et- unième siècle. Le MINEDUC met, de ce fait, les langues en concurrence.

Au Chili, le français n’a qu’une présence ténue (…) c’est seulement l’excentricité d’une élite, la culture de masse, c’est l’anglais, c’est aussi un besoin. (J.G. Annexe n°4 : 269).

La régression de l’enseignement-apprentissage du français ne constitue pas un phénomène récent au Chili, ni en Amérique Latine. Denis Rolland observe dès le début du vingtième siècle

(…) une très réelle régression du français, cette langue, considérée comme prestigieuse, continue d’être enseignée, notamment au sein des élites. (…) Mais face au français, l’enseignement de l’anglais s’est grandement développé depuis le début du siècle et surtout, depuis la Première Guerre Mondiale : dans les années trente, le français et l’anglais sont sur le même pied dans les programmes scolaires de beaucoup de pays et, tandis que dans certains, les deux langues sont obligatoires, dans d’autres, il y a le choix. (…)

L’allemand est facultatif partout, relativement peu choisi sauf au Chili, en Équateur, en Colombie et dans le sud du Brésil, notamment. L’italien est en particulier enseigné en Argentine, au Brésil et au Chili et d’importants efforts des autorités italiennes visent à le hisser dans le Cône Sud au niveau du français et de l’anglais, non sans succès au Chili par exemple. (Lempérière, 1998: 424, 425).

Le souci de la part de la diplomatie française de préserver le français au même niveau que l’anglais dans les programmes scolaires remonte à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale, alors que d’aucuns pensent qu’il est principalement lié à la globalisation actuelle.

L’anglais s’est diffusé dès le début du vingtième siècle sur le continent latino-américain, grâce à son adéquation aux nécessités de la vie courante puisque des entreprises anglaises et américaines s’y étaient installées et recrutaient du personnel sur place. Par ailleurs, les jeunes aristocrates sud- américains ont élargi leur sphère de formation financière ou technique, en allant à New York, à Boston, ou en Californie.

Parallèlement à cela, il existait un engouement pour le cinéma anglo-américain, projeté quasi simultanément en Amérique du Sud et sous-titré en espagnol, tandis que les films français se sont propagés plus tardivement et ils étaient entièrement parlés en français. Il en a été de même pour la

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littérature anglophone répandue à flots sur ce continent, alors que les ouvrages français restaient des objets rares.

Le modèle français est donc entré dans une première phase de déshérence depuis déjà longtemps en Amérique Latine.

Marianne s’est, peu à peu, moins préoccupée de ce nouveau monde latin où son reflet s’est effacé. (Lempérière, 1998: 429, 430).

Face à l‘anglais de l’American way of life, efficace dans l‘échange, le message civilisateur du français, à travers lequel il faut s‘inscrire dans une autre sphère culturelle, représente une différence d‘exigence, en vue d’une diffusion efficace !

Depuis la municipalisation de l’éducation chilienne en 1980, la gestion administrative des établissements publics par les mairies représente, à un autre point de vue, un vecteur de management financier plus que de conception éducative.

Les établissements municipaux sont donc axés, en priorité, sur des enseignements utilitaires. Ce type de gestion est un obstacle à la mise en place des Nouveaux Programmes de Français, fondés sur une démarche de qualité et d’ouverture à la diversité. Dans une municipalité, il nous a été dit que les cours de coiffure venaient d’être supprimés, et qu’il était donc impensable, de ce fait, de réintroduire le français ! Les collèges privés britannique, allemand, suisse sont eux plus faciles à convaincre pour l’enseignement d’une seconde langue étrangère. C’est là où, l’enseignement du français continue à être assuré, avec la certification du DELF.

La plupart des enseignants de français accusent le MINEDUC d’être responsable de la situation de parent pauvre de cette langue au Chili, car il fait la promotion de l’anglais et influence ainsi les DAEM.

Le français meurt, l’anglais a gagné tout le terrain. Cette pression est exercée par la globalisation et le pouvoir des États-Unis dans l’économie chilienne31.

Les professeurs sont également conscients de l’ambiguïté du MINEDUC puisque selon eux,

(…) il a publié les Nouveaux Programmes de Français et il ne fait que la promotion de l’anglais, devenu la seule langue étrangère obligatoire.

Cependant, l’accent mis sur le concept de qualité dans l’éducation, donne de l’espoir à certains professeurs. Les programmes de français, fondés sur les certifications du DELF, pourraient avoir une emprise stratégique, en vue d’un changement de la politique linguistique du MINEDUC.

L’Ambassade de France s’est beaucoup impliquée au niveau de la conception des Nouveaux Programmes de Français, elle leur a donné un label de qualité. C’est un soutien primordial pour les enseignants, le français aurait complètement disparu sans cela.

Pour la majorité des enseignants de français interviewés,

(…) les parents d’élèves n’ont aucun intérêt envers cette langue, inutile, obsolète, et qui n’est pas parlée internationalement.

31 Les citations non précisées de la partie 1.2.3.1. se réfèrent aux résultats des analyses d’entretiens réalisés de mai à

juillet 2005, auprès de douze professeurs de français, de différentes régions du Chili. Ces résultats ont fait l’objet d’un Mémoire Professionnel - Innovation négociée : de la formation continue à la formation en continu pour les

enseignants de français du Chili. Paris III : 2006. À noter que tous les commentaires des professeurs de français sont

reproduits dans leur authenticité, ils se font l’écho de variations sociolinguistiques et ne sont donc pas toujours en adéquation avec le français standard.

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Cette représentation indique un degré de xénité fort, résultant d’une distance géographique considérable entre la France et le Chili. Cela étant, c’est souvent l’appréciation de l’utilité de la langue, qui détermine les représentations des parents sur celle-ci. Ainsi, une langue ayant une utilité plutôt culturelle ou intellectuelle ne sera pas valorisée dans une société orientée vers le commerce et les affaires. Les parents souhaitent qu’une langue socialement efficace soit enseignée à leurs enfants. Elle est garante de promotion individuelle et permet ainsi l’accès à des secteurs professionnels valorisés.

Les enseignants de français déplorent le fait que

(…) les notes ne soient pas prises en compte parce que ce n’est pas une langue obligatoire, alors les élèves manquent de motivation et de responsabilité face à l’apprentissage.

Une formation à l’école, ne faisant pas l’objet d’une validation officielle intéresse un public minoritaire. Louise Dabène explique combien les implications didactiques jouent un rôle fondamental, au sein de l’ensemble des facteurs intervenant dans le choix des langues à apprendre :

(…) le statut informel d’une langue exerce également une influence non négligeable sur les conduites mises en jeu lors de l’apprentissage. Il contribuera à déterminer l’ampleur de l’investissement intellectuel que le sujet est disposé à y consacrer. (Dabène, 1994 : 53).

Malgré tout, les enseignants pensent que

(…) beaucoup d’élèves sont plus réceptifs au français qu’à l’anglais. Au niveau de l’apprentissage, le français leur semble plus simple que l’anglais, parce qu’il est plus proche de l’espagnol. Actuellement, ils ne peuvent pas choisir la langue étrangère qu’ils veulent apprendre.

C’est donc l’école qui, bien souvent, met les langues en concurrence car chez les élèves, la « guerre des langues » n’existe pas.

L’anglais est considéré, par les enseignants de français, quelquefois reconvertis en professeurs d’anglais, comme « une langue froide, mais utile et moderne ». Elle est donc perçue par rapport à la langue française.

Au Chili, les motifs économiques, l’utilitaire priment sur l’aspect humain et donnent priorité à l’anglais de la maternelle à l’université.

Toutefois, cette priorité quantitative n’assure pas de résultats qualitatifs dans l’enseignement et l’apprentissage de cette langue. Une enquête de l’Université de Cambridge, appliquée en 2004, sur un échantillon de 12.000 étudiants chiliens de Troisième et de Terminale, originaires d’établissements municipaux et privés, a révélé que 95 % des élèves sortant du lycée ne maîtrisent pas l’anglais nécessaire, pour aborder la vie professionnelle ou universitaire, ils se situent à un niveau de compréhension élémentaire, le Lower Breakthrough32.

Au Chili, la langue française reste surtout attachée à des valeurs culturelles, d’ordre presque exclusivement esthétiques, elle est « jolie, élégante, romantique ». Il existe également une perception hédoniste du français, associé aux plaisirs constituant la qualité de la vie, la bonne chère, les vins et les parfums. Ce qui lui vaut une connotation féminine. D’ailleurs, la majorité des enseignants de français sont des femmes.

32 Alejandra Muñoz C., « Sólo el 5 % de los escolares sale del colegio con un buen nivel de inglés », in La Tercera,

Chile, 2 de julio del 2005. [2% des élèves seulement sortent du collège avec un bon niveau d’anglais]. TM

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Cette langue fut autrefois parlée par une certaine élite intellectuelle et sociale, et conçue ainsi comme un marqueur d‘identité, de distinction dans une société rurale, latifundiaire et rustique à tous les sens du terme. Langue de la mode, langue savante, langue de l‘émancipation politique, le français, dans ces origines singulières, peut-il prétendre être enseigné et diffusé comme une langue de masse, auprès de publics de conditions modestes à tous égards?

Toutes ces représentations ont des influences sur les conduites d’enseignement du français. Louise Dabène parle à juste titre, de

(…) zèle déployé par beaucoup d’enseignants de français à l’étranger pour revaloriser leur discipline qu’ils sentent fortement menacée, (…) par les progrès impressionnants de l’anglais. (Dabène, 1994 : 54).

L’enseignement du français au Chili est considéré comme un « défi ». Il faut « lutter » contre l’anglais prédominant, valorisé par les parents, les collègues, la société et les convaincre que le français est une langue vivante, encore parlée, « servant à quelque chose ». Il existe, de ce fait, une attitude de défense de la langue française à l’école, à laquelle il faut redonner une place légitime, dans un contexte où tout est incertain, puisqu’elle n’a plus de caractère obligatoire. Plusieurs enseignants s’assimilent donc à des « Don Quichotte de la langue française » !

Ils se considèrent également comme les courroies de transmission d’une langue et d’une culture, « d’un trésor à partager ». Les professeurs se définissent comme « chargés de mission » sur la langue enseignée. Il existe, de leur part, une révérence culte au français, qui les confine à un seul environnement culturel. Cependant, la transmission d’idéaux comme la «tolérance, la diversité, la détermination», dénote la mise en relief d’une attitude de médiateur de valeurs.

Il ne faut pas seulement faire son cours et sortir, mais donner quelque chose de plus aux élèves. Nous devons valoriser la jeunesse et lui donner l’opportunité que nous avons eue de bénéficier de deux langues étrangères.