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2.2. Apprentissage du respect de la complexité du monde

2.2.1. Faire de la complexité un paradigme

Edgar Morin définit le terme « complexe » par son étymologie, venant de complexus :

(…) ce qui est tissé ensemble. (…) La complexité, c’est le lien entre l’unité et la multiplicité. Par conséquent, l’éducation doit promouvoir une intelligence générale apte à se référer au complexe, au contexte de façon multidimensionnelle et au global. (Morin, 2000 : 39).

Le revers de cette complexité présente des ressources insondables et accule l’être humain à découvrir les outils, les méthodes pour affronter les difficultés. En ce sens, la complexité permet d’accéder à l’autonomie en vue de réparer, de reproduire. L’organisation complexe de la vie fait ainsi émerger des qualités.

À l’origine, le mot « méthode » signifiait cheminement. La complexité nous oblige à accepter de cheminer sans disposer d’un trajet bien défini, comme le disait d’ailleurs, Antonio Machado : « Caminante, no hay camino, se hace camino al andar. » (Marcheur, le chemin n’existe pas, c’est en marchant qu’il se construit). La méthode est de ce fait, une entreprise à risques, à travers laquelle, ce qui devient important,

61 Disponible sur : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1998/1998_14.html

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(…) ce n’est pas seulement d’apprendre, pas seulement de réapprendre, pas seulement de désapprendre, mais de réorganiser notre système mental pour réapprendre à apprendre. (Morin, 1977 : 21).

Le paradigme de la complexité contraint ainsi, à aborder le savoir non plus de manière linéaire mais dans un rapport en spirale. Ce réapprendre passe par un apprentissage à

(…) en-cyclo-péder, c’est-à-dire à articuler les points de vue disjoints du savoir en un cycle actif. (Morin, 1977 : 19).

L’analyse se transforme en un moment qui revient sans cesse, appelant la synthèse, celle-ci engendrant à son tour, une autre décomposition et ainsi de suite, à l’infini. Ce mouvement en boucle produit conséquemment une connaissance dynamique et créative.

En outre, la complexité n’est pas synonyme de complication, mais plus de difficulté à concevoir le nouveau. Tout paradigme nouveau apparaît en effet, comme confusionnel aux yeux du modèle ancien. La complexité nous déroute, nous déconcerte parce que le paradigme ayant cours nous rend aveugle à une intelligibilité plus ample et non réductrice.

La simplification, quant à elle, est une rationalité dure et fermée, alors que

(…) la complexité exhume et réanime les questions innocentes que nous avons été dressés à oublier et à mépriser. C’est dire qu’il y a plus d’affinités entre la complexité et l’innocence, qu’entre l’innocence et la simplification. (Morin, 1977 : 382 et suivantes).

Ce paradigme de la complexité en spirale véhicule ainsi, une accoutumance à l’inachèvement des choses. Le vingtième siècle a pris conscience de la perte du futur comme jamais encore jusqu’à présent.

Les situations de crises sont celles où les incertitudes s’accroissent et peuvent de ce fait, provoquer soit des reculs, soit l’émergence de pensées nouvelles. Dans un contexte, où le futur est équivalent à l’incertitude, il semble opportun d’instituer comme base éducative et formative une didactique d’enseignement/apprentissage à l’affrontement de l’inconnu.

Dans ce panorama d’imprécision future, l’apprentissage, les difficultés et la peur de l’inconnu sont intrinsèques à tout processus de changement, notamment aux premières étapes. Une bonne disposition préalable et un entourage adjuvant à la prise de risques sont deux composants essentiels à la poursuite d’un changement significatif. Les individus ne se lancent pas dans l’inconnu sans avoir pris conscience antérieurement, que l’incertitude est l’essence de tout processus de changement. L’axiome incontournable prendrait donc la forme de cette assertion : sans prise de risque, pas de changement éloquent.

Tout changement significatif prend de même, sa source dans une transformation interne, voire intérieure,

(…) à partir de créations d’abord locales et quasi microscopiques, s’effectuant dans un milieu restreint initialement à quelques individus et apparaissant comme déviances par rapport à la normalité. Si la déviance n’est pas écrasée alors, elle peut dans des conditions favorables, souvent formées par des crises, paralyser la régulation qui la réfrénait, puis proliférer de façon épidémique, se développer, se propager et devenir une tendance de plus en plus puissante, produisant finalement la nouvelle normalité. De toute façon, il n’est pas d’évolution qui ne soit désorganisatrice/réorganisatrice dans son processus de transformation. (Morin, 2000 : 89-90).

À une époque où l’incertitude est de mise, tout enseignant lucide doit anticiper et préparer les générations d’apprenants à s’attendre à l’inattendu pour mieux l’affronter :

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(…) il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude. (Morin, 2000 : 14).

Les actions de changement ont pour effet une dynamique complexe. En ce sens, le chaos et la complexité font partie de schémas organisés, éloignés du concept de désordre.

Le chaos, au sens scientifique, ne constitue pas le désordre, mais un processus où interviennent des contradictions et des complexités, qui fusionnent pour former des groupes. Les scientifiques parlent « d’étranges forces d’attraction », transformant les états chaotiques en modèles périodiques. Le dessein moral est une de ces forces d’attraction des processus du changement parce que la recherche et la force du sens contribuent à l’organisation de phénomènes complexes en développement. (Fullan, 1993 : 31).

Au sein de cette complexité que Michael Fullan qualifie de dynamique, il existe une action constante avec le contexte, une idée également chère à Edgar Morin qui prétend que la contextualisation est une exigence du savoir le plus correct.

L’efficacité des professeurs se trouve ainsi nichée au sein d’un lien à construire entre le dessein moral individuel et la recherche d’un bien social plus ample, ceci afin de contribuer à la création d’une société apprenante.

Un changement productif en éducation ne peut, en aucun cas, faire fi d’une complexité incontrôlable, inhérente à tel processus. Il n’existe donc pas de meilleures solutions, mais plutôt des résolutions moins mauvaises. Peter Senge, un scientifique américain, distingue la « complexité détaillée » et la « complexité dynamique », différenciation permettant de pénétrer, de façon plus affinée, cet aspect immanent du changement.

[La complexité détaillée] n’existe pas dans la réalité. La complexité dynamique constitue le territoire réel du changement : « Lorsque la cause et l’effet ne sont proches, ni dans le temps, ni dans l’espace et que les interventions évidentes ne produisent pas les résultats attendus », car d’autres facteurs « non planifiés » interfèrent de façon dynamique. (…) En d’autres termes, la complexité, le dynamisme et l’imprévisible ne sont pas des éléments qui s’interposent sur le chemin, mais ils font partie de la normalité lors du processus du changement. (Cité par Fullan, 1993 : 34).

La complexité détaillée nous restreint à une vision linéale et ponctuelle, tandis que la complexité dynamique nous oblige à observer les interrelations et les processus.

Michael Fullan propose huit leçons élémentaires apparues à partir de ce nouveau paradigme du changement dynamique. Elles forment un ensemble et se mettent en valeur réciproquement.

Leçon 1 : ce qui est important ne peut pas s’imposer par des ordres. (Plus le changement est complexe, moins il peut s’imposer).

Leçon 2 : le changement est un voyage et non un projet établi d’avance. (Le changement n’est pas linéal, il est empli d’incertitudes, d’émotions, et quelquefois, il est pervers).

Leçon 3 : les problèmes sont nos amis. (Les problèmes sont inévitables et il est impossible d’apprendre sans eux).

Leçon 4 : la vision et la planification stratégique sont postérieures. (Les visions et les planifications prématurées éblouissent).

Leçon 5 : l’individualisme et le collectivisme doivent avoir un pouvoir équitable. (Les solutions unilatérales pour l’isolement et la pensée grégaire n’existent

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Leçon 6 : Ni la centralisation, ni la décentralisation ne fonctionnent. (Les stratégies du haut vers le bas et du bas vers le haut sont indispensables).

Leçon 7 : Les connexions avec un environnement plus ample sont essentielles pour le succès. (Les meilleures organisations apprennent de l’extérieur et de l’intérieur).

Leçon 8 : Toutes les personnes sont des agents de changement. (Le changement est trop important pour le laisser entre les mains des experts, la forme de pensée individuelle et la maîtrise constituent la protection définitive). (Fullan, 1993 : 35-36).

Ces huit leçons nous orientent à faire des tours d’adresses avec les pôles opposés tels que l’exigence tout en permettant l’autoapprentissage, ou les problèmes conducteurs de résolutions créatives, ou la mise en valeur conjointe des individus et des groupes, ou l’union entre la centralisation et la décentralisation.

Les sociétés apprenantes actuelles sont par définition complexes, le professeur n’a pas d’autres alternatives que celle de jongler avec tous les pôles opposés du contexte, afin d’activer leur coexistence. C’est une garantie fondamentale du succès de toute trans-formation éducative viable, fiable, pertinente et profonde.