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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

1.2.4. Histoire de la formation du professorat chilien : une combinaison d‘héritages

La préhistoire de la formation des enseignants est caractérisée par l’improvisation et la non- institutionnalisation. La première couche géologique appartient aux éducateurs informels : anciens et mères des communautés des peuples autochtones. Les religieux de l’époque de la Colonie forment la seconde couche géologique.

Pendant la première étape républicaine, de 1813 à 1890, le corps enseignant s’ébauche, suivant Ivan Nuñez Prieto, entre

(…) la pénurie, l’improvisation et la précarité maximale de ceux qui exercent l’enseignement. (Cité par Avalos, 2002 : 15).TM

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En 1813, le Règlement des Maîtres de Premières Lettres représente la première manifestation d’une volonté politique d’organisation formative. Ces maîtres devaient se présenter à l’École Normale d’Enseignement Mutuel (Méthode de Lancaster)40, établie à l’université, afin de s’instruire du

nouveau système d’enseignement. Le Chili est pionnier en la matière puisque c’est le premier pays d’Amérique qui initie l’École Normale.

La première École Normale de Précepteurs, fondée en 1842, enverra ses diplômés à travers le pays, pour se charger des écoles primaires émergentes. L’État promeut ainsi une formation en service des précepteurs. Sa configuration se présentait comme

(…) un travail de supervision et de conseiller des visiteurs de l’instruction primaire. Ces fonctionnaires normaliens étaient responsables administratifs du réseau scolaire de leur province ou département ; ils parcouraient les écoles, les inspectaient, i nformaient les autorités et diffusaient les règlements, mais, ils essayaient surtout de « normaliser » les pratiques enseignantes et de transmettre aux précepteurs les savoirs et compétences, pour améliorer l’enseignement. (Avalos, 2002 : 17).

Cette formation en service, avec tous ses avatars, constituait le principal instrument public de développement professionnel des professeurs. De fait, les Écoles Normales représentaient plutôt une sorte d’école primaire supérieure, octroyant des résidus de connaissance disciplinaire pour la transmission scolaire.

Il faudra attendre 1885 pour qu’une réforme de réorganisation des études normales soit entreprise, elle consistait en une préparation des précepteurs en conformité et en uniformisation avec les nouvelles méthodes pédagogiques. C’est l’époque à laquelle, les professeurs allemands commencent à arriver au Chili, ils se chargeront des Écoles Normales existantes et en créeront d’autres, introduisant dans leur programme de formation

(…) une didactique mettant en relief la rigueur du processus d’instruction, (…) de nouvelles disciplines comme la psychologie, la pédagogie critique, la méthodologie pédagogique, l’histoire de la pédagogie et l’idée de « classe modèle » (…) l’éducation physique, la musique, le chant, les arts et travaux manuels, conjointement à de nouvelles méthodes pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture. (Avalos, 2002 : 20).

En 1889, l’Institut Pédagogique est créé pour la formation des professeurs secondaires. Des enseignants allemands en mission y joueront le rôle de formateurs de formateurs. Il est ensuite passé sous l’égide de l’Université du Chili et a constitué, au niveau latino-américain, une référence en formation des enseignants du secondaire.

Toutes ces avancées forment la première professionnalisation du corps professoral chilien, caractérisée par une préparation spéciale pour l’exercice de la profession et une certification soit de normaliens, soit de professeurs de l’État. Ainsi, la possession du diplôme faisait de l’enseignant un professionnel.

Au début du vingtième siècle, un ensemble d’Écoles Normales publiques et privées sont fondées. Un des piliers de l’ École Normale était l’uniformité, l’homogénéité :

(…) les normaliens connaissaient moins de courants et ignoraient les possibilités diverses d’enseigner. Ils connaissaient seulement [la] pédagogie de Herbart et dans tout le Chili, les mêmes plans de cours étaient dessinés selon les mêmes critères. (Avalos, 2002 : 24).

40 Lancaster, Quaker d’origine anglaise, qui a développé une technique d’enseignement mutuel, pratiquée depuis la fin

du XVIIIe siècle en Angleterre et en France. Pour faire face à une pénurie de professeurs, il était demandé à des élèves de transmettre à leurs condisciples les connaissances qu’ils venaient d’assimiler. Depuis lors, mais pour des motifs didactiques et pédagogiques, cette idée est reprise à intervalles réguliers.

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Ivan Nuñez Prieto qualifie par ailleurs, la seconde étape républicaine, comme celle de l’encadrement fonctionnaire et de la technicité de l’enseignement :

(…) plus de 80 % des enseignants étaient employés du Ministère de l’Éducation, formés, organisés, hiérarchisés et mobilisés comme des serviteurs publics. Ils étaient aussi protégés par l’État, qui, même s’il ne les rémunérait pas de façon adéquate, leur octroyait sécurité et légitimité face à la société. (…) Il existait une alliance stratégique entre l’État démocratique, bienfaiteur et ses enseignants fonctionnaires (…) Quelque chose comme les disputes des deux membres d’un couple qui, cependant, ont besoin l’un de l’autre, et continuent à vivre sous le même toit. (Nuñez, 1999).

L’autoritarisme et le formalisme de l’École Normale en vigueur entraînèrent, en 1928, un groupe de professeurs de l’enseignement primaire à initier un mouvement social qui défendait une conception du rôle de l’enseignant, proche du professionnalisme autonome et corporatif.

L’idée force de l’école unique de pédagogie ou de formation unifiée des enseignants, même si elle n’a pas eu de succès en 1928, a persisté dans l’imaginaire et dans les programmes de réforme des corporations de professeurs, de la gauche et du centre- gauche politique, jusqu’au moment où, paradoxalement, la droite armée de 1973- 74 l’a implantée. (…) La dictature de Pinochet donna un coup de grâce à l’École Normale traditionnelle. (…) À la fin de 1973, sous prétexte de politisation des Écoles Normales, supposées être des bastions du Parti Communiste, elles furent supprimées, et leurs infrastructures, leurs responsabilités, leurs engagements de formation transférés manu militari à plusieurs universités contrôlées. (Avalos, 2002 : 25-27).

L’Institut Pédagogique a, de son côté, monopolisé la formation initiale des professeurs du secondaire jusqu’en 1940. Ensuite, il a dû s’adapter à la massification de l’enseignement secondaire et de l’éducation supérieure, d’autres entités institutionnelles ont été créées pour satisfaire l’expansion quantitative : des universités privées, l’École d’Éducation de la PUC, l’Université du Chili, etc. Les professeurs du secondaire étaient formés dans la maîtrise d’une ou de plusieurs disciplines, avec une rigueur académique, ce qui octroyait un sceau particulier à leur formation, et de ce fait, leur proportionnait une identité professionnelle. Néanmoins, cette caractéristique formative a eu aussi ses difformités.

La formation des professeurs s’est déconnectée peu à peu de la réalité des établissements éducatifs, aboutissant même à cet absurde : beaucoup de spécialistes universitaires en éducation étaient rarement entrés dans une salle de classe d’enfants ou d’adolescents. (Soto, 2000 : 150).

Depuis les années soixante-dix, la formation des enseignants de tous les niveaux scolaires dépend exclusivement des institutions de l’Éducation Supérieure.

Avec la libéralisation des conditions requises pour créer des institutions d’Éducation Supérieure, les universités, les instituts et les centres privés ont commencé à fleurir sur le paysage éducatif chilien, entraînant une compétition farouche entre eux et avec les universités appelées traditionnelles, préexistantes à 1980. En outre,

(…) l’État a rabaissé le statut de ses filières pédagogiques, en les cadrant avec les instituts professionnels étatiques, connus alors comme Académies Supérieures de Sciences Pédagogiques. (…) Le Gouvernement Militaire inaugura ainsi une rhétorique du professionnalisme des enseignants. (Avalos, 2002 : 33-34).

Cette mesure a créé une distorsion encore plus grande du concept de pédagogie, se résumant selon Ivan Nuñez, à

(…) apprendre pour enseigner, apprendre à obéir pour ensuite commander. (Cité par Avalos, 2002 : 35).

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La décentralisation et la privatisation de l’éducation ont ainsi participé à une dégradation de la formation des enseignants.

Les traumatismes post-1973 vont entraîner la recherche d’une seconde professionnalisation. L’éducation n’est plus considérée comme la responsabilité unique de l’État, les fonctionnaires deviennent des travailleurs de l’Éducation, soumis aux conditions du marché et ils sont jetés du Ministère de l’Éducation aux municipalités et aux écoles particulières. La modernisation autoritaire de la société chilienne a parallèlement esquissé l’exigence de l’évolution du rôle de l’enseignant : de technicien à professionnel. Des compétences de diagnostic, de résolution de problèmes divers et imprévisibles, d’autonomie et de responsabilité intellectuelles sont donc requises. Ivan Nuñez Prieto définit cette seconde professionnalisation comme

(…) une profession moderne de service public. (…) Les professeurs du vingt-et- unième siècle continuent à être objectivement des travailleurs de l’Éducation, en relation avec leurs employeurs publics (les municipalités) ou privés. (…) Mais, ils doivent assumer le défi de se perfectionner de façon permanente ou d’échouer, comme toutes les professions traditionnelles. (…) Ils sont appelés à être responsables de leur évolution professionnelle et à être évalués pour leur produit. (Nuñez, 1999)

Cependant, cette vision idéale est loin d’être partagée par les enseignants en exercice :

(…) l’école publique, c’est un désastre ! C’est la loi du marché, l’offre et la demande. C’est la compétition entre nous, le retour à la démocratie n’a pas changé cela. L’école est devenue une entreprise qui doit donner des bénéfices à ses propriétaires !

Les politiques éducatives ne répondent plus aux besoins de la communauté scolaire. On ne parle plus de coopération, de communauté, de fraternité dans l’école, ce sont des choses oubliées !

Au moment de la dictature, nous avons été obligés de tout avaler sans discerner, nous sommes désorientés! Nous avons perdu notre rôle d’enseignant. La plupart des professeurs sont démotivés, ils ne lisent plus, on leur a enlevé la capacité de critique41.

Revirement du balancier, dans les années quatre-vingt-dix, la formation initiale des professeurs est à nouveau reconnue comme universitaire, et les Académies Supérieures des Sciences Pédagogiques sont converties en Universités des Sciences de l’Éducation.

La LOCE du 10 mars 1990 a conceptualisé à nouveau la formation initiale, en intégrant les filières de l’éducation dans la liste de celles qui exigeaient une licence comme titre académique, préalable à l’obtention du diplôme professionnel de professeur ou d’éducateur.

La première phase opérationnelle de la seconde professionnalisation est concentrée dans le Statut Enseignant dont un des objectifs est de

(…) susciter la professionnalisation à travers l’exercice du travail enseignant. (…) Le Statut fut aussi un engagement et un programme gouvernemental pour améliorer peu à peu les rémunérations des professeurs de l’éducation subventionnée. (…) Entre 1991 et 2001 [il] a élevé de 140% en moyenne les rémunérations enseignantes. (…) Il a donné une stabilité et une protection à un secteur qui avait été très malmené au cours des décades antérieures. (Avalos, 2002 : 38).

La seconde phase est en cours, elle prétend optimiser un concept partagé de fortification de la profession enseignante,

(…) une construction historique qui prendra beaucoup de temps pour se réaliser, se consolider et se légitimer. (Avalos, 2002 : 39).

41 Propos recueillis en 2004, lors de dialogues informels avec des professeurs chiliens.

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Trois étapes principales caractérisent par conséquent, l’histoire de la formation didactique chilienne. La première s’étend jusqu’à la fin des années 1950, avec deux institutions leaders : les écoles normales étatiques, en charge de la formation des professeurs du primaire et l’Institut Pédagogique de l’Université du Chili, responsable des enseignants du secondaire.

En 1960, s’initie la seconde étape, durant laquelle, les formations des professeurs du primaire et du secondaire, d’une part, se rapprochent et, d’autre part, sont imparties par des entités différentes, faisant perdre leur légitimité aux deux espaces de formation antérieurement cités.

En 1981, une législation universitaire expulse l‘Institut Pédagogique de l’Université du Chili et établit deux universités pédagogiques : la UMCE et l’Université de Playa Ancha.