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2.2. Apprentissage du respect de la complexité du monde

2.2.2. Écologie d’une connaissance pertinente

Le paradigme de complexité n’est pas confiné à une simple figure de style, il est garant d’efficacité opérationnelle. En effet, les acteurs ou les organisations sachant manier la complexité n’ont pas moins de problèmes ou plus de chances que les autres, ils les abordent seulement de façon distincte. Ils ont un esprit de recherche et d’apprentissage inassouvissable, ce qui les conduit à se faufiler avec dextérité dans les milieux complexes, grâce à l’activation d’une connaissance pertinente. Un mouvement favorisant un équilibre et une écologie au sein de la formation didactique doit se nourrir à sa source d’une connaissance pertinente, c’est-à-dire lucide face aux illusions et aux erreurs, contextuelle et capable de se déconstruire et de se reconstruire. D’ailleurs, Michael Fullan souligne la portée de cet élément dans toute réforme de la formation des enseignants, qui devrait passer par une fusion de deux thèmes plus larges :

1. [La réforme] doit rétablir le principe éthique de l’enseignement (conçu comme la capacité de marquer une différence dans la vie d’un nombre toujours plus important d’élèves).

2. Elle doit rétablir et développer les connaissances et les aptitudes élémentaires nécessaires pour réaliser le point (1), y compris les connaissances et les aptitudes nécessaires pour changer les organisations et s’affronter aux forces de changement dans des milieux complexes. (Fullan, 1993 : 128).

Edgar Morin, surnommé par d’aucuns, le démolisseur de la fermeture ou le braconnier des connaissances, démontre, de son côté, combien le monde complexe actuel et la globalisation requièrent un enseignement à la compréhension humaine. Connaissance appropriée pour remédier à un des maux les plus terribles de notre planète : l’incompréhension. Les compétences requises pour ce genre d’enseignement sont avant tout l’observation, la traduction de celle-ci, la reconstruction et l’autocritique permanente.

Edgar Morin enfonce d’autant plus le clou, concernant le bien-fondé de la connaissance, qu’il renvoie la balle dans le camp de l’éducation, appelée à se charger de réduire l’écart gigantesque entre les savoirs morcelés, compartimentés et les réalités du monde transversales, multidimensionnelles et globales.

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Il propose quelques pistes à suivre pour construire un rapport de convenance plus équilibré. Pour y parvenir, l’éducation devra mettre à jour :

1. Le contexte, il faut situer informations et données dans leur contexte pour qu’elles prennent sens.

2. Le global (les relations entre tout et parties). Le global est plus que le contexte, c’est l’ensemble contenant des parties diverses qui lui sont liées de façon inter- rétroactive ou organisationnelle.

3. Le multidimensionnel, l’être humain est à la fois biologique, psychique, social, affectif, rationnel.

4. Le complexe : la complexité c’est le lien entre l’unité et la multiplicité. (Morin, 2000 : 36 à 39).

Il ne suffit pas de dire qu’il faut mettre ensemble les éléments épars, encore faut-il consacrer les énergies à trouver les moyens de cette réunion. L’urgence de cette tâche est indubitable, car la contradiction est telle que les conséquences peuvent exercer des actions nuisibles sur l’humanité.

L’affaiblissement de la perception du global conduit à l’affaiblissement de la responsabilité (chacun tendant à n’être responsable que de sa tâche spécialisée), ainsi qu’à l’affaiblissement de la solidarité (chacun ne ressentant plus son lien avec ses concitoyens). (Morin, 2000 : 41).

Par la suite, Edgar Morin dresse un tableau des problèmes essentiels à tenter de dépasser et, en quelque sorte, des pistes de réflexion, afin de contrecarrer toutes les antinomies citées. Il relève trois problématiques :

1. Disjonction et spécialisation close. (…) La spécialisation « abs-trait » c’est-à- dire extrait un objet de son contexte et de son ensemble, en rejette les liens et les intercommunications avec son milieu, l’insère dans un secteur conceptuel abstrait qui est celui de la discipline compartimentée, dont les frontières brisent arbitrairement la systémicité (la relation d’une partie au tout) et la multidimensionnalité des phénomènes ; elle conduit à une abstraction mathématique opérant d’elle-même une scission avec le concret, en privilégiant tout ce qui est calculable et formalisable. 2. Réduction et disjonction. Le principe de réduction conduit naturellement à réduire

du complexe au simple (…) [il] occulte l’aléa, le nouveau, l’invention. (…) L’intelligence parcellaire, compartimentée, disjonctive, réductionniste (…) est une intelligence myope qui finit plus souvent par être aveugle. Elle détruit dans l’œuf les possibilités de compréhension et de réflexion, réduit les chances d’un jugement correctif ou d’une vue à long terme. (…) Elle rend aveugle et irresponsable. 3. La fausse rationalité. Le vingtième siècle a vécu sous le règne d’une rationalisation

qui s’est prétendue la seule rationalité, mais a atrophié la compréhension, la réflexion et la vision à long terme. (Morin, 2000 : 42 à 47).

La connaissance pertinente n’advient que s’il existe, au préalable, un enseignement et un apprentissage de la compréhension. Edgar Morin définit la compréhension comme un processus intégrateur, contenu dans un

(…) appréhender ensemble, « com-prehendere », saisir ensemble (le texte et son contexte, les parties et le tout, le multiple et l’un). (Morin, 2000 : 104).

Il définit de même, deux types de compréhension : la compréhension intellectuelle et la compréhension humaine. Si la première s’appuie sur un processus d’explication et d’intelligibilité, la seconde comporte en soi des attitudes telles que l’empathie, la tolérance, l’ouverture, l’altruisme. Il est assez simple de conclure qu’enseigner la compréhension est inéluctable, afin de créer d’une

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part, des garde-fous contre tous les racismes et, d’autre part, des tremplins pour l’éducation à la paix.

Il est évident que dans ce cas-là, le cadre de la discipline compartimentée ne convient plus, il s’agit d’initier à une «éthique de la compréhension » définie, par Edgar Morin, comme

(…) un art de vivre qui nous demande de comprendre de façon désintéressée. Elle demande un grand effort car elle ne peut attendre aucune réciprocité (…).

C’est comprendre pourquoi et comment on hait et on méprise. L’éthique de la compréhension nous demande de comprendre l’incompréhension. (Morin, 2000 : 110).

L’écologie d’une connaissance et, en conséquence, d’une compréhension congrue n’est pas à assimiler à un mirage ou à une utopie inaccessible. Elle devient opérationnelle à travers une conquête permanente, un dynamisme d’autoréflexion constant. C’est le lieu où s’immisce la recherche, « moteur de la vitalité et de l’autorénovation ». (Pascale cité par Fullan 1993 : 28). La figure se précise ainsi, puisque la propension à la recherche véhicule la résolution des problèmes et, par la même occasion, la malléabilité au changement. De là, à inférer que changer c’est apprendre, il reste seulement un pas à faire.

Cette complexité dynamique à laquelle les acteurs sont confrontés ou ces « forces du changement » comme les nomme Michael Fullan, produisent des situations à la fois, passionnantes et inconfortables, dans la mesure où les individus oscillent dans leurs actions, entre l’excès de contrôle et le tohu-bohu.