• Aucun résultat trouvé

2.3. Détour par la sociologie du changement dans l’entreprise

2.3.3. Modification des règles et émergence de cultures de coopération

La solitude du professeur chilien et, par extension, son enclavement dans la salle de classe, assujettissent la circulation des idées, des solutions. Les causes en sont multiples, parmi lesquelles, une propension à la compétition, à un rejet défensif des critiques, à une retenue des ressources pour soi-même. En ce sens, la solitude amoindrit la recherche et le sens formatif dans son essence. Néanmoins, la réflexion personnelle, l’écoute de la voix intérieure représentent des stratégies non négligeables pour le changement. Par conséquent, la tâche est à une reconstruction culturelle de la profession d’enseignant, à travers un apprentissage organisationnel en boucle permanente avec une formation à l’autonomie. Effectivement, si

(…) l’isolement est mauvais, la prépondérance du groupe est encore pire. Le message que nous pouvons en déduire est que les deux extrêmes –individualisme et collégialité- méritent le même respect. (Fullan, 1993 : 51).

Un changement semblerait donc véritablement opérationnel lorsqu’il aboutit à modifier les règles du jeu entre les différents acteurs et lorsqu’il transforme l’organisation en un «lieu d’apprentissage de la coopération », selon cette magnifique définition de Philippe Bernoux !

Il est certes récurrent de constater que, la principale difficulté des organisations réside dans la résistance à coopérer entre les différents services. Face aux problèmes rencontrés dans une entreprise, Philippe Bernoux préconise non pas de trouver le bon spécialiste pour donner la meilleure réponse, sinon d’élaborer une méthode en vue de faire travailler les acteurs et de leur demander de découvrir eux-mêmes une solution avec l’aide si nécessaire, de l’expert.

Faire émerger une culture de coopération consiste à provoquer la confrontation des intérêts divergents des acteurs et à favoriser la recherche de solutions négociées, acceptables par eux. Cette culture naît à partir de leviers c’est-à-dire,

(…) d’éléments constitutifs du contexte des acteurs, sur lesquels il est possible de jouer pour faire évoluer leurs problèmes à résoudre et leurs stratégies69.

69 Cours de Gérard Said. Conception et gestion de projet en entreprise, année universitaire 2005-2006, Paris 3 Sorbonne

Nouvelle.

TM

PDF Editor

– 121 –

Les acteurs communiquent ainsi sur des problèmes les concernant directement et non pas sur un idéal impalpable.

La méthode traditionnelle a pour tendance de cloisonner chaque acteur dans son service, suivant cette hiérarchie présentée par Philippe Bernoux : le service recherche élabore le projet, le service études reprend le projet initial et le rend conforme à ses propres normes, le service méthode procède de la même façon, les services fabrication et entretien manifestent leur mécontentement et perdent du temps à adapter les plans transmis.

La mise en réseau propose en opposition au modèle antérieur, un regard systémique où l’évolution d’un acteur entraîne un mouvement de tout le système de relations : l’innovation est décidée, la mise en œuvre est réalisée par une cellule créée à cet effet, composée de membres de chaque service, informés de l’évolution de l’ensemble. Eux-mêmes renseignent les collègues de leur propre service des raisons des choix des autres départements, de leurs logiques et de leurs contraintes. La présence d’un facilitateur est certes indispensable.

La théorie des systèmes apparaît aujourd’hui comme une méthode d’approche des problèmes à l’instar de celle de Descartes. Selon le Conservatoire National des Arts et Métiers (désormais CNAM) :

(…) l’origine de l’approche systémique correspond au souci de sortir du cadre limité de la pensée cartésienne, notamment lorsqu’il faut appréhender une grande complexité. Un objet complexe se caractérise par un nombre important de relations entre les éléments qui le constituent, alors qu’un objet compliqué est caractérisé par un nombre important d’éléments.

L’analyse cartésienne s’applique bien au domaine du compliqué, mais mal aux domaines du complexe.

Analyses cartésienne Approche systémique

1- Évidence 1- Pertinence

2- Hiérarchie 2- Synergie

3- Causalité 3- Finalité

4- Exhaustivité 4- Échantillonage

Tableau 2 : théorie du Système Général de J.L. Le Moigne70

Un système est donc un ensemble de stratégies d’acteurs ne se comprenant que les unes par rapport aux autres. Il suppose un certain degré de stabilité, d’organisation et une finalité claire. La sociologie utilise la locution « système d’action concret » pour indiquer qu’il s’agit de la réalité ayant du sens pour les acteurs.

Toujours selon le CNAM :

(…) un système ouvert se définit dans son environnement. Ce qui sépare le système de son environnement est la frontière. À l’inverse, la frontière délimite ce qui fait partie du système et ce qui n’en fait pas partie. Un des problèmes les plus délicats dans la pratique de l’approche systémique se trouve dans l’identification de la frontière. (…) On dit d’un système qu’il est capable d’apprentissage, s’il sait utiliser les résultats de l’expérience passée pour modifier les caractéristiques de son comportement dans le temps, afin de toujours mieux s’adapter aux nouvelles conditions de l’environnement. Il faut qu’il soit doté d’une mémoire71.

70 Disponible sur: http://www.cnam.fr/depts/te/ote/CB021.htm (§ Introduction à l’approche systémique). 71 Disponible sur: http://www.cnam.fr/depts/te/ote/CB021.htm (§ Qu’est-ce qu’un système?).

TM

PDF Editor

– 122 –

Contrairement au cloisonnement et à la territorialité linéaire, la démarche systémique repose ainsi sur un mécanisme inscrivant le changement dans une évolution temporelle. Philippe Bernoux précise que le changement dans les entreprises et les organisations désigne un processus permanent :

(…) il faut le comprendre comme un mouvement, il est donc irréaliste de le considérer comme un résultat, mais il doit l’être dans une évolution qui s’inscrit dans la durée. (…) L’entreprise, comme toutes les organisations, ne peut exister que si les acteurs coopèrent entre eux, et que la place des acteurs, apparemment les plus démunis de ressources dans ces relations de pouvoir est tout aussi importante que celle des acteurs qui semblent les plus forts. Sans les premiers, non seulement les changements ne peuvent avoir lieu, mais l’entreprise ne pourrait tout simplement pas exister. (Bernoux, 2004 : 291).

En outre, le modèle exprime la représentation d’un système réel. L’approche systémique consiste à élaborer par analogie, des modèles capables de décrire ou de simuler globalement ou partiellement le comportement des systèmes étudiés. Le degré de complexité des systèmes est vecteur de complication dans l’élaboration des modèles.

L’intérêt majeur de l’application de l’approche systémique à l’entreprise ou à un type quelconque d’organisation réside dans le fait, qu’elle est à la fois dynamique et globale. Cette approche doit ainsi prendre en compte un maximum de variabilités : sociales, culturelles, techniques et, par ailleurs, elle doit considérer la capacité d’actions comme une clef de voûte, autour de laquelle se génèrent les évolutions.

L’organisation éducative et formative représente un système à part entière, bardé de complexités de toutes sortes. Développer la dimension réflexive chez les différents acteurs de ce système apparaît, à terme, une modalité plus efficace que celle de multiplier les prescriptions et les incitations autoritaires au changement.

L’innovation devient ainsi un élément immanent au métier d’enseignant. Les experts, l’administration éducative n’ont pas toujours réponse à tout. Une approche réflexive et coopérative peut permettre également de progresser. Cette coproduction de connaissance se réalise en faisant parler le terrain. Le fait de permettre aux acteurs de se raconter leur donne l’opportunité de construire une unité, de retrouver leur propre cohérence, de relire, de prendre du recul en permanence sur les activités et de penser les réglages.

La pratique réflexive en groupe présente un véritable outil de formation, lançant des passerelles entre savoirs savants et savoirs professionnels, permettant à l’enseignant de passer du statut d’apprenti à celui d’expert et à l’innovateur d’être avant tout un éducateur.

Ce détour par la sociologie du changement dans l’entreprise marque le fil conducteur d’une lucidité objectivée sur la désynchronisation des réformes avec les curricula et avec tous les acteurs du système éducatif. Les propositions de réforme concernant les changements dans les champs de l’apprentissage, de l’enseignement et l’impulsion d’une persévérance sont les seules à pouvoir nourrir en profondeur la finalité éthique de l’enseignement. Michael Fullan établit la liste des ingrédients clés, facilitant des réformes profondes :

(…) la restructuration est une question de temps –gagner du temps, donner du temps, trouver des formes plus utiles pour profiter du temps. (Fullan, 1993 : 76).

Une grande vision composée de petits blocs constructifs peut créer un consensus et une évolution. (Fullan, 1993 : 77).

Apprendre continuellement-individuellement ou de manière organisationnelle (…) Le changement n’est jamais quelque chose de définitif. (Fullan, 1993 : 91).

TM

PDF Editor

– 123 –