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2.3. Détour par la sociologie du changement dans l’entreprise

2.3.2. Changement approprié aux acteurs : garantie d’un construit humain

La résultante émanant des observations antérieures établit un réalisme méthodologique : une action de changement ne peut être maîtrisée et efficace que si elle s’appuie sur une connaissance approfondie de la réalité. Cette dernière désigne les conditions concrètes dans lesquelles se trouvent les acteurs et explique pourquoi ils font ce qu’ils font. Ils acceptent le changement lorsqu’ils sont convaincus de sa nécessité et qu’ils peuvent donner leur avis sur le type de modification, devant avoir lieu.

Le sens d’une innovation est toujours construit par chacun des acteurs, surtout quand il s’agit pour eux de changer leurs pratiques. Selon Élisabeth Brodin, le principe reconnu comme essentiel à toute réforme est contenu dans

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(…) la nécessité d’associer les acteurs à son pilotage. Il faut un accompagnement pour aider à construire le lien entre institution et terrain. (Brodin, p.6)66.

Si le destin d’un changement dépend fortement du sens que lui attribuent les acteurs, il importe de mieux comprendre comment ceux-ci se le représentent, l’évaluent et comment ils développent de leur propre chef des projets d’innovation pour eux-mêmes.

Monica Gather Thurler et Philippe Perrenoud situent l’enseignement entre les métiers de l’exécution et les professions à part entière,

(…) c’est pourquoi l’exécutant et le professionnel ont des rapports différents à l’innovation. Pour le premier, elle vient d’abord du système, de l’encadrement, des experts qui conçoivent les processus de production et les tâches à accomplir. (…) Le professionnel est, au contraire, un des moteurs de l’innovation. Confronté à des problèmes, il se met en quête de solutions nouvelles, se forme, expérimente, réfléchit sur sa pratique et ses outils de travail. (Gather, Perrenoud, 2002 : § Innovation, professionnalisation et posture réflexive)67.

C’est ce que les anglo-saxons appellent l’empowerment (intraduisible en français). Il dote les acteurs des moyens intellectuels et méthodologiques de la connaissance, afin de leur permettre de dépasser leur vision partielle de la réalité.

Il semble indéniable que la mise en œuvre de nouveaux programmes dépende de l’adhésion, de la conviction des enseignants et de leur volonté d’acquérir les compétences correspondantes. Pour reprendre Philippe Bernoux, la résistance au changement n’est pas naturelle, mais plutôt stratégique.

C’est une affaire de position dans la hiérarchie, de maîtrise de son propre travail et de son environnement. (…)

Un acteur qui veut impulser un changement doit toujours s’interroger sur la manière dont celui-ci sera reconnu par ceux qui auront à le mettre en œuvre. Le projet doit donc être assez précis pour être un véritable projet, suffisamment ouvert, pour que les acteurs puissent en aménager la partie qui les concerne. Faute de quoi, le changement projeté risque d’être rejeté. (…) Il y a plus de projets morts dans les cimetières que vivants dans les organisations. (Bernoux, 2004 : 273 à 277).

La résistance au changement n’est donc, au premier abord, pas forcément réactionnaire. Elle fait partie d’une rationalité de l’acteur, ayant des raisons réelles et pas toujours facilement avouables. Elle est multiforme et peut aller « de l’inertie au refus actif en passant par le scepticisme ou le refus passif ». (Brodin, 2004 : 5)68.

C’est en fonction du sens donné à l’innovation, que les acteurs acceptent de s’engager, à changer. Il y faut, en amont, une compréhension, une appropriation et un respect d’un sens co-construit, guidant ensuite l’agir.

Dans l’optique d’un changement échafaudé sur un construit humain, il est vain de chercher à stimuler les acteurs, car personne ne peut prétendre motiver quelqu’un d’autre. La seule chose viable est de créer des espaces où les acteurs se motivent eux-mêmes.

De fait, l’adaptation didactique d’une discipline à un public déterminé ne se circonscrit pas au simple apprentissage de stratégies adéquates pour enseigner un contenu spécifique. Elle suppose

66 Disponible sur : http://acedle.org/spip.php?article397

67 Disponible sur : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2002/2002_32.html 68 Disponible sur : http://acedle.org/spip.php?article397

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en amont, une réflexion pédagogique sur toutes les implications et les stratégies liées à la dite discipline.

Les stratégies proposées aux enseignants doivent ainsi représenter un éventail d’approches adaptables. Les exemples, les métaphores, les démonstrations, les simulations créatives pour une analyse des pratiques, les répertoires d’observation entre pairs, la résolution des problèmes en collaboration, la réalisation de microprojets, l’élaboration de nouveaux types d’outils pour l’apprentissage et l’enseignement, l’utilisation de portfolios d’autoévaluation sont autant de passerelles ad hoc entre l’enseignant, l’objet enseigné et les représentations des élèves.

Tout changement approprié aux acteurs est un lent construit humain, prenant le rythme du changement personnel ! Il est donc nécessaire, en employant l’expression latino-américaine, de « darle tiempo al tiempo » (donner du temps au temps) ! Les enseignants, en effet, ne vont pas abandonner des routines contrôlées en faveur de pratiques non maîtrisées. Il leur faut un continuum d’étapes, au gré desquelles ils font des liens entre leur savoir-faire et les idées nouvelles, pour se construire les compétences nécessaires, afin d’avancer dans le sens des innovations proposées. C’est une façon de donner du pouvoir aux différents acteurs et d’obtenir ainsi leur

(…) adhésion active, [car] aucune personne ne s’impliquera si elle ne peut infléchir ou modifier l’objet de son implication. (Bernoux, 2004 : 277).