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2.2. Apprentissage du respect de la complexité du monde

2.2.3. Écologie d’une action lucide

Dans un monde où le paradigme de la complexité règne et où les processus de changement sont caractérisés par l’incertitude, il n’est plus envisageable de faire assumer les réformes par d’autres acteurs qui n’en soient pas les bénéficiaires directes. Au sein du monde éducationnel, les enseignants sont ainsi invités à anticiper pour se consacrer à la recherche et à la résolution de leurs problèmes, c’est-à-dire à construire des modèles d’actions lucides.

Il existe ainsi plusieurs catégories d’actions. D’aucuns considèrent l’action comme le faire pour faire, en d’autres termes, l’activisme. D’autres encore, s’intéressent particulièrement au fonctionnement de l’action, sans s’inquiéter outre mesure de la méthodologie ou des effets collatéraux.

Nous emprunterons à Patrick Chardenet la notion de « l’agir », étant donné qu’elle représente un équilibre actionnel, voire une force composante de l’écologie de l’action.

On peut faire en posant comme présupposé que cette activité en s’organisant et en produisant des effets positifs et/ou négatifs est un acte social impliqué dans la société et, j’appellerais cela de l’agir, et non plus seulement de l’action. Le but de l’agir est de construire des valeurs (qui deviendront dynamiques ou figées selon la qualité de l’action) et qui permettront à celle-ci de se développer sur des fondements. Pour Jürgen Habermas, l’agir est de type communicationnel, c’est-à-dire transférable entre les individus, alors que l’action est de type consommable, elle participe de l’échange entre les individus. On pourrait trouver dans cette explication, ce qui pourrait relever d’une part, de la culture, d’autre part, du marché62.

Dans le cadre des organisations, d’une façon générale, tout individu valorise la réalisation d’actions ayant un sens, en développant probité et éthique. Les professeurs, quant à eux, possèdent la profession la plus pure pour ériger des valeurs, puisque, dans le fond, c’est l’apanage de l’enseignement que de réaliser cette construction. La finalité de tout enseignement devrait ainsi, contribuer à apporter une pierre à l’assemblage d’une société meilleure.

62 Cours de Patrick Chardenet, Des politiques linguistiques à l’ingénierie linguistique. Année universitaire 2005-2006,

Paris 3 Sorbonne Nouvelle.

TM

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La compétence professionnelle de l’enseignant se trouve enracinée dans une clairvoyance du futur et dans une recherche permanente, ce ne sont pas des caractéristiques collatérales à la professionnalisation, elles en sont les piliers. Michael Fullan reprend les réflexions de Peter Senge pour renforcer ces deux supports.

La maîtrise personnelle va au-delà de la compétence et des aptitudes, même si elle prend appui sur celles-ci. Elle signifie faire de notre vie une œuvre créative, vivre la vie d’un point de vue créatif, au lieu de réactif. (…) Nous avons pour habitude de passer beaucoup de temps à dépasser les obstacles que nous trouvons sur notre chemin, et nous oublions pourquoi nous le suivons. Résultat : nous n’avons plus qu’une vision vague, y compris inexacte de ce qui est réellement important pour nous. (…) La juxtaposition de la vision (ce que nous voulons) et d’une image claire de la réalité présente (où nous sommes en relation avec ce que nous voulons) génère ce que nous appelons une « tension créative ». (Senge cité par Fullan, 1993 : 29).

Cette tension créative ébauche une toile de fond sur laquelle se situent les stratégies permettant d’entreprendre ou de modifier les actions en cours. Elle ne peut donc pas dédaigner les complexités et doit les intégrer dans tout processus d’action de transformation.

Edgar Morin établit que l’action est enveloppée de trois principes d’incertitudes, ce qui peut permettre de maintenir une certaine lucidité avant toute entreprise.

- La boucle : risque  précaution. « Nous (Athéniens) savons tout à la fois faire preuve d’une audace extrême et n’entreprendre rien qu’après mûre réflexion. Chez les autres, la hardiesse est un effet de l’ignorance, tandis que la réflexion engendre l’indécision ». [In Thucydide, Guerre du Péloponnèse].

- La boucle : fin  moyen. Comme les moyens et les fins inter-rétro-agissent les uns sur les autres (…) il n’est donc pas absolument certain que la pureté des moyens aboutisse aux fins souhaitées, ni que leur impureté soit nécessairement néfaste. - La boucle : action  contexte. L’action peut avoir trois types de conséquences

insoupçonnées : l’effet pervers (l’effet néfaste inattendu est plus important que l’effet bénéfique opéré). L’inanité de l’innovation (plus ça change, plus c’est la même chose). La mise en péril des acquis obtenus. (Morin, 2000 : 97-98).

Il est cependant, perspicace de ne pas limiter ou freiner les actions à cause de ces incertitudes et, au contraire, de prendre des risques qu’il sera possible de réguler au cours du déroulement de l’opération. C’est la flexibilité proposée par le défi et la stratégie. Le programme, quant à lui, se rapproche plutôt d’une structure rigide.

Le programme établit une séquence d’actions qui doivent être exécutées sans variation, dans un environnement stable, mais dès qu’il y a modification des conditions extérieures, le programme est bloqué. La stratégie par contre, élabore un scénario d’action, en examinant les certitudes et incertitudes de la situation, les probabilités, les improbabilités. (Morin, 2000 : 100).

Les planifications et les veilles stratégiques ne rentrent pas de ce fait, dans une logique linéaire, mais plus dans une optique systémique. En effet, le fait de voir et de prévoir jaillit de l’action et ne se situe pas en amont de celle-ci. Il acquiert par là-même, un aspect provisoire, puisqu’il évolue au contact des visions individuelles et communes de tous les acteurs. Il est ainsi, impossible de l’enfermer dans une mesure temporelle dans le sens où, la construction de visions partagées exige du temps. L’enjeu du déploiement d’une vision partagée véhicule l’engagement des acteurs car ils la sentent leur, reflétée dans un ensemble.

Une écologie de l’action en éducation a pour corollaire l’insufflation du changement comme un principe et, en conséquence, tous les acteurs formant partie de cet ensemble deviennent des agents de transformation légitimes.

TM

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Un professeur dont l’attitude est de maintenir la routine ou l’état des choses devient furtivement un traître à sa profession. Les institutions de formation didactique trahissent de la même façon l’éducation lorsqu’elles maintiennent le statu quo au sein de leur curriculum et de leurs actions. Michael Fullan ne mâche pas ses mots pour avancer que

(…) le système éducatif est en train de se suicider car il est dessiné pour le statu quo, et il affronte des expectatives sociales d’une réforme plus ample. (…) Le dessein moral requiert un moteur individuel, des agents de changement habiles qui promeuvent des transformations autour d’eux, qui se croisent avec d’autres individus et d’autres groupes aux idées communes, afin de former la masse critique nécessaire pour générer de façon continue les améliorations. (Fullan, 1993 : 55).

Une écologie d’action viable, fiable, crédible, lucide au sein de la formation des enseignants requiert, en conséquence, une formation initiale solide et une professionnalisation tout au long du métier d’enseignant. Cet apprentissage tout au long de la vie doit imprégner ceux qui choisissent cette voie car il est non seulement garant d’une connaissance plus ample et pointue, mais également, de la mise en place d’une confiance méthodologique solide. Revenons à Peter Senge, cité par Michael Fullan :

(…) ceux qui ont un haut niveau de maîtrise personnelle vivent en apprenant de façon continue

(…) la maîtrise personnelle n’est pas quelque chose que l’on possède. C’est un processus. C’est une discipline pour toute la vie.

(…) Le voyage est la récompense. (Fullan, 1993 : 30).

Néanmoins, cette maîtrise personnelle doit être en osmose avec la collaboration entre pairs, pour obtenir un point d’équilibre idéal. Ces deux piliers forment selon Michael Fullan,

(…) un couple idéal. Ils sont fidèles, s’alimentent et se complètent l’un avec l’autre. (…) Ils ont une capacité d’autocorrection et de mise en valeur permanente de ce qu’il faut réaliser.

Ils sont efficaces pour réussir les objectifs et, par surcroît, ils obtiennent les objectifs corrects. (Fullan, 1993 : 31).

Il existe là un filon non épuisé qui réclame d’être mis en lumière, afin que la formation des professeurs cesse d’être, ce que Michael Fullan nomme « l’opportunité perdue de la société ».