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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

2.1.2. Interprétation des entretiens semi directifs

2.1.2.2. Variables en présence à propos du concept de formation didactique

Les acteurs situés aux niveaux macro ou méso développent une vision critique face à une institution formatrice des enseignants, totalement anachronique et congelée en relation avec le Chili actuel, où tout s’est mis en mouvement : la société, le système éducatif, les politiques. La conséquence funeste de cet anachronisme véhicule le ressentiment chez les acteurs clés, porteurs de la formation didactique.

Ils vivent l’anachronisme au quotidien, sous la forme la plus terrible de toutes, qui est le sentiment que, ce que tu fais ne vaut rien. Cette condition de non-reconnaissance et de dévalorisation par le reste de la société génère chez eux un sentiment énorme de ressentiment. Depuis le ressentiment, on fait très peu de choses, on fait du mal si on travaille en formation. (C.C. Annexe n°4 : 274).

Il existe dans cet interstice une ambiguïté démesurée, puisque l’institution formatrice travaille à la transformation des personnes mais, à partir d’une posture anachronique et marginale. Cette institution met en relief un grand ressentiment dont le seul dynamisme dessine une vision critique acerbe et acide de ce qui est en dehors d’elle-même. Tout cela est ensuite transmis aux étudiants et aux élèves.

Cet anachronisme répercute aussi une désynchronisation entre le type de formation impartie, inadéquate pour le temps présent du système scolaire et incapable de créer des relations saines entre l’éducation et la société.

Ce panorama a engendré une pression de changement sur les lacunes formatives depuis la dernière Réforme Éducative. Cependant, les outils utilisés se sont avérés trop peu efficaces jusqu’à présent. Il semblerait que la seule stratégie lucide de trans-formation doive passer par une intervention majeure.

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Il faut s’ingérer dans les universités pédagogiques. N’importe quel gouvernement devrait comprendre que, s’il veut prendre au sérieux un changement éducationnel au Chili, il doit dépenser l’argent là où c’est nécessaire, par exemple mettre en retraite beaucoup de professeurs qui ne sont plus en condition, ni physique, ni mentale pour continuer à s’occuper d’étudiants ou d’élèves avec autant de complexités. Ensuite, une exigence de formation continue, le professeur ne peut pas seulement se contenter de son diplôme for ever. S’il veut continuer à enseigner, il doit se perfectionner tout au long de sa carrière, cela devrait apparaître comme une exigence dans le contrat de chaque professeur, c’est ce qui s’appelle la professionnalisation du métier. (Y.R. Annexe n°5 : 286).

Si les angles de perception et d’influence reçus par les étudiants et les élèves sont pris en compte, la situation devient d’autant plus délicate. L’anachronisme n’est pas seulement ressenti aux niveaux macro et méso, mais également au niveau micro, puisque les étudiants perçoivent avec lucidité que les contenus de leur formation sont tombés en désuétude.

- Je pense que dans cette Université et dans le Département de Français, il y aurait besoin de travailler la partie professionnelle du professeur, dans l’aspect de la gastronomie, du tourisme, parce que je pense que ce qu’on voit aujourd’hui, c’est pas atterri dans le temps que les étudiants de français vont vivre. Parce qu’aujourd’hui, le français est enseigné comme atelier dans la carrière de gastronomie à INACAP (Université Technologique du Chili), à l’École Culinaire. (G.B. Annexe n°7 : 301). - Je crois que la partie pédagogique est laissée de côté, en plus c’est une université

pédagogique. La partie pédagogique n’est pas abordée de façon adéquate, les professeurs sont restés dans le passé avec des contenus anciens, alors, c’est comme s’il n’y avait pas de concordance entre ce vers quoi nous allons et les outils avec lesquels nous sommes formés. (S.A. Annexe n°7 : 308).

La représentation d’une perception anachronique possède comme doublure celle de l’absence d’un curriculum commun de formation pour les professeurs chiliens, donnant lieu à la dispersion, l’hétérogénéité et la diversité dans ce domaine. Chaque université propose donc son programme ou son plan.

Il convient de noter que, depuis 2001, une Commission Nationale d’Accréditation du MINEDUC a été mise en place pour accréditer les filières de pédagogie au niveau de la Licence. Cette accréditation, au caractère volontaire, semble être le prélude d’une exigence de base minimum et d’une homogénéisation du profil que devrait acquérir un étudiant en fin de formation, afin de commencer à exercer.

En ce qui concerne la formation continue, le panorama est assez similaire, avec là-aussi certaines nuances, apportées au fil du temps.

Je crois être responsable d’avoir introduit le concept de formation continue et de Développement Personnel Enseignant, parce qu’il était surtout limité au perfectionnement d’un côté et à la formation initiale de l’autre côté. Aujourd’hui, si nous regardons le Ministère de l’Éducation, je crois qu’il existe plus qu’auparavant la vision d’un continuum. (B.A. Annexe n°4 : 281).

Néanmoins, cette continuité n’est pas perçue de la même façon par les professeurs en exercice, qui, avec la prise de recul de l’expérience, considèrent la formation initiale comme très générale et peu axée sur les compétences professionnelles.

Je me souviens que les professeurs de l’université nous disaient : « Vous allez réellement étudier quand vous serez enseignants et que vous préparerez vos cours. Ici, vous étudiez pour une épreuve d’examen…». (R.P. Annexe n°6 : 296).TM

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En outre, un processus en concaténation met en relief une discontinuité formative, fortement ressentie dans les établissements scolaires, où la représentation de la formation didactique est évidemment extrapolée au terrain éducatif.

- Quand je donnais des cours à la Universidad del Mar, je me rendais compte que c’était dans les domaines de la programmation et de l’évaluation que se trouvaient les problèmes, et si tu l’extrapoles au champ scolaire, on retrouve les mêmes problèmes au niveau des enseignements primaire et secondaire.

- Au Chili, les didactiques se sont perdues. La didactique, si importante, est devenue l’orpheline du système. Je crois qu’il faut la reprendre, car un des problèmes dans la salle de classe aujourd’hui, c’est que le professeur n’applique pas les didactiques les plus adéquates pour enseigner. (…) Il faut sortir la didactique de ce désarroi. (Y.R. Annexe n°5 : 285).

- Je ne sais pas si la formation est aussi théorique qu’elle ne l’était auparavant. Il y a plutôt deux choses qui sont mélangées selon le niveau. Je crois qu’au niveau des professeurs de l’éducation primaire, il y a sûrement plus d’importance donnée à la méthodologie, je ne sais pas si celle-ci est adéquate mais elle y est bien présente. Au niveau des professeurs du secondaire, il y a trop d’importance donnée à l’apprentissage de la discipline et la méthodologie n’a aucun poids. (B.A. Annexe n°4 : 281-282).

Les concepts théoriques prennent ainsi l’allure d’un carcan cloisonné dont les enseignants ne savent que faire et qui plus est, les met en décalage permanent avec les curricula et avec leurs publics. Les professeurs formés dans la décennie des années soixante ont, de ce fait, une représentation divergente.

- À mon époque, notre formation était plus exigeante, en ce qui concerne les thèmes fondamentaux du langage. Je m’explique : beaucoup de grammaire, de linguistique générale, de latin et cela nous a donné une grande force qui nous permettait ensuite ou simultanément de renforcer l’analyse littéraire, les littératures panaméricaine, chilienne et universelle. Nous avions aussi de la didactique, de la méthodologie, une discipline qui s’appelait «Problèmes de l’éducation» et qui nous permettait d’atterrir au niveau des contingences de l’éducation de cette époque-là. Il y avait également un courant de formation esthétique. Je crois que c’était une formation très solide. (O.R. Annexe n°4 : 275).

- Il existe des disciplines qui n’ont pas beaucoup de sens dans le curriculum de formation actuel et d’autres qui devraient y être et qui n’y sont pas. Selon ma vision de l’éducation in situ, sur le terrain, ce serait fondamental qu’il existe une matière d’Éthique Professionnelle. Il faut reprendre des thèmes qui sont tombés dans le champ humaniste et philosophique, déplacés également, d’une certaine manière, par l’irruption plus technologique ou scientifique. Tous ces sujets ont été effacés de la carte et nous sommes en train de nous rendre compte aujourd’hui, combien ils nous manquent. Les gens ne réfléchissent plus dans ce pays, il n’y a pas d’analyse, de capacité de compréhension, donc il faut revoir, réinstaller ces concepts, peut-être d’une autre façon, je ne sais pas comment, mais le faire. (Y.R. Annexe n°5 : 285).

Le cloisonnement didactique a pour corollaires une rigidité et une lenteur méthodologiques, très fortement ressenties chez les étudiants en formation initiale.

Dans cette université, la formation pédagogique et la spécialisation en anglais sont complètement séparées, ce sont deux mondes différents. La majorité des étudiants de ma génération n’aime pas les disciplines pédagogiques. Pourquoi ? Non pas, parce qu’ils n’aiment pas la pédagogie, mais parce que la manière, selon laquelle sont exposés les thèmes, est absolument ennuyante, lente, la méthodologie est peu dynamique. Le professeur parle tout seul, il répète chaque année les mêmes choses. La majorité des cours ne sont pas comme nous les imaginions, en entrant à l’université.

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Des cours monotones, où le professeur ne maîtrise pas toujours son sujet. Dans certains cours, le professeur parle et parle, et il est impossible de lui dire que nous ne comprenons rien. De bons spécialistes, de mauvais pédagogues. (…)

L’année dernière, quand je suis entrée dans un collège pour travailler, je me suis rendue compte de chacune de mes déficiences pédagogiques, transmises à l’université. (P.T. Annexe n°7 : 304).

L’idée moderne de pédagogie, fondée par Jan Comenius, suppose une relation de réciprocité entre théorie et pratique.

En revanche, la didactique est principalement centrée sur les savoirs. Par conséquent, l’anachronisme, la rigidité, la lenteur et le cloisonnement didactiques segmentent les étudiants de pédagogie, les enseignants et leur font ressentir à la fois indolence, vide et insécurité méthodologiques.

- (…) dans une certaine mesure, même avec quelques années d’expérience, dans le champ professionnel de l’enseignement, on se sent très faible, principalement dans tout ce qui est en relation avec la méthodologie d’enseignement, plus qu’avec les contenus, (…) (R.P. Annexe n°6 : 296).

- Dans notre formation, c’est d’abord le contenu qui nous est enseigné : littérature chilienne, roman, poésie, technique narrative, grammaire, phonétique, langue romane, contexte historique, mais la didactique, la méthodologie, le comment faire face à la situation-classe, comment rendre pratique la théorie (…) là, il existe une brèche, un vide énorme, car nous arrivons dans la salle de classe et nous nous rendons compte que, de tout ce que nous avons appris pendant tant d’années, nous en appliquons 5% ou moins (…). (P.G. Annexe n°7 : 311-312).

- (…) bien qu’on nous ait enseigné beaucoup de théorie, je sens qu’il me manque tout ce qui est en lien avec les différentes facettes de l’élève, comment il faut agir en cours, la pratique, ce contact avec la réalité avec laquelle nous allons devoir faire face. (S.A. Annexe n°7 : 308).

- Je ne sais pas comment j’affronterais un cours, je m’arrangerais toujours, mais ce serait très difficile. Je crois que beaucoup d’étudiants ressentent la même chose, nous sommes dans la même situation, car je crois que la formation que nous recevons actuellement ne sert pas à former des professeurs. (S.A. Annexe n°7 : 311).

- Ce que je sens, (…) c’est que je ne suis pas une élève, une personne qui se conforme avec ce que nous travaillons par exemple, avec les professeurs. J’ai envie de me perfectionner, de faire des études parce que je sais que le rôle que j’aurai, après que je sors de l’université, c’est d’enseigner et je dois être un exemple pour mes élèves. (…) J’ai le désir de travailler plus loin, d’aller plus loin. (G.B. Annexe n°7 : 303).

L’imprécision, la rigidité et le manque d’assurance didactico-pédagogiques, dus à l’expérience en tant qu’apprenants et aux carences de la formation initiale, rendent encore plus incontournable la présence du formateur, dans le contexte formatif chilien. En effet, les enseignants de français interviewés en 2005, considèrent le formateur comme un

(…) point d’espoir qui n’appartient pas à l’engin pesant du système éducatif, nous isolant avec 45/50 élèves par classe et de lourdes tâches administratives à gérer. C’est un modèle qui oriente, il donne une autre vision parce que sa réalité est différente de la nôtre et il nous enrichit. Comme personne extérieure, il va pouvoir apporter quelque chose à notre regard sur la classe54.

La rencontre de ces deux regards croisés génère des perspectives intéressantes pour la formation continue, il n’empêche qu’il est quelquefois difficile de casser l’image du « formateur qui sait », malgré les dynamiques participatives mises en place.

54 Résultats des analyses d’entretiens menés auprès de douze enseignants de français de plusieurs régions du Chili, de

mai à juillet 2005. Ces résultats ont fait l’objet d’un Mémoire Professionnel - Innovation négociée : de la formation

continue à la formation en continu pour les enseignants de français du Chili. Paris III : 2006.

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De ce fait, les professeurs ne sont pas convaincus de pouvoir être acteurs de transformations, d’initiatives et ils ont peu de tendances à l’autonomie. Ils reconnaissent avoir des difficultés à adapter leurs attitudes mentales à la virtualité de l’information, générant non plus la détention mais l’organisation des savoirs.

Quand le formateur présente une approche différente, une de leur première réaction est de se retrancher derrière leur réalité, qu’ils disent inadaptée à ces nouvelles propositions. En général, leur vision est imprégnée de nostalgie et leur position tendrait à maintenir « ce qui se faisait avant ». Alors que le contexte a complètement changé, les enseignants se replient sur des pratiques assurées. Ces attitudes conservatrices semblent plus sous-tendues par la nécessité que par l’envie. Les dispositifs de formation continue auraient, de ce fait, intérêt à considérer les mémoires de travail du corps enseignant, tout en les faisant avancer vers un modèle qui lui soit tolérable et raisonnable.