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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

1.2.3. Mémoire des réformes restreintes à l‘enseignement des langues : 1980-2010

1.2.3.3. Position du français sur l'échiquier chilien des langues

Jusqu’en 1998, le français avait une position sur l’échiquier des langues du système éducatif chilien, relative à des raisons culturelles. La refonte actuelle de la place des langues étrangères au Chili est en adéquation avec les besoins des publics et avec la réalité socioéconomique. Toutefois, le bilinguisme espagnol-anglais n’est qu’une transition. Les Nouveaux Programmes de Français s’inscrivent comme une réponse à une demande, n’ayant pas encore été réellement prise en compte au niveau politique : la volonté de promouvoir la diversité linguistique. Paradoxalement, le MINEDUC y a répondu par une politique de développement exclusif de la langue anglaise.

34 Disponible sur : http://www.guiaweb.gob.cl/recursos/documentos/AgendaDigital_2004.pdf

35 CASSEN Bernard. « Parler français ou la langue des maîtres », in Le Monde Diplomatique, Février 1995.

36 Cours de Patrick Chardenet, Des politiques linguistiques à l’ingénierie linguistique. Année universitaire 2005-2006,

Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle.

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Le SCAC ne peut faire fi de ces effets de contexte, sa stratégie a donc été de poser un regard critique et de développer une veille socioéconomique, afin de renverser ces contraintes en ressources. Il a choisi de donner une réponse tendant vers le trilinguisme, pour réintroduire le français comme seconde langue optionnelle. Défendre le français contre l’intensification de l’anglais est devenu un travail improductif, ne tenant pas compte de la réalité actuelle du système éducatif chilien. Maintenir deux langues étrangères obligatoires avec les mêmes parcours et contenus n’est plus envisageable, dans la conjoncture actuelle.

Le SCAC a proposé, en conséquence, de privilégier la Trajectoire IV des Nouveaux Programmes (équivalente au cycle de Troisième à Terminale). Il répond ainsi à une demande des futurs professionnels, se formant au lycée pendant quatre ans et pouvant poursuivre ce cursus linguistique dans les Centres de Formation Technique ou à l’université. En général, la carte des langues étrangères se joue à leur degré de légitimité. Cette stratégie, régulée par les effets de contexte, tend ainsi à insérer le français dans le répertoire linguistique chilien, afin qu’il ait une fonction utilitaire et professionnelle.

Selon une enquête menée par le Poste Logistique du SCAC en 2004, l’enseignement du français est maintenu dans soixante-trois Corporations Municipales, trente établissements subventionnés et dix-sept privés, soit un total de 30.000 élèves. Mais, étant donnée la situation actuelle du français, la majorité des professeurs de cette discipline s’est reconvertie. Leur nombre est passé de 1800 à 255 en 2004. Ceux qui se maintiennent en exercice sont devenus des électrons libres, sans aucun contrôle, ni aucune exigence de la part du décideur éducatif. La plupart des cours de français fonctionnent comme des ateliers, ne prenant pas en compte les Nouveaux Programmes.

Le SCAC a donc décidé de mener en 2005 une politique de sensibilisation auprès des responsables éducatifs, pour proposer l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère, à travers un « Nouveau Dispositif de l’enseignement du français dans les établissements scolaires chiliens ».

Celui-ci prétendait favoriser, dans le cadre de la Réforme éducative chilienne, une formation plurilingue et multiculturelle dans les établissements scolaires37. Il donnait la possibilité aux élèves

d’apprendre deux langues étrangères : une obligatoire de fait, l’anglais, et une seconde langue qui pourrait être le français, entre autres. Le SCAC proposait également un soutien aux décideurs éducatifs locaux pour la mise en œuvre de ce Nouveau Dispositif. Ce dernier était soumis à la signature d’une Convention de partenariat 2006-2009, dans laquelle le SCAC s’engageait sur les points suivants :

- proposer aux enseignants de la région des formations continues, reconnues par le Centre de Perfectionnement, d’Expérimentation et de Recherche Pédagogiques (désormais CPEIP) ;

- soutenir la création de Réseaux Pédagogiques Locaux (désormais RPL) de professeurs de français, en collaboration avec le MINEDUC ;

- fournir la Méthode Rencontres à chaque élève, le guide pédagogique avec un support audio au professeur, et donner des informations pédagogiques et culturelles sur le Site des enseignants de français du Chili (www.ensenarelfrances.cl) ;

- permettre l’accès gratuit aux certifications DELF A1 et A2 ;

- faire intervenir des locuteurs natifs, assistants de FLE, dans les cours de français, à des périodes définies38.

37 Dispositif diffusé par Xavier Vanni Cucurella, Chef de la Division Éducation Générale, à travers la Circulaire

N°05/118/13-05-05.

38 Convention de coopération entre le SCAC et les DAEM.

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Cette stratégie visait à accompagner le décideur jusqu’à ce qu’il s’approprie les Nouveaux Programmes de Français. La coopération était prévue sur une modalité de coparticipation à parts égales. Le Nouveau Dispositif du SCAC touchait surtout les établissements publics et privés subventionnés. Cette nouvelle approche systémique aurait permis des extensions géographiques, grâce à la visibilité de l’action linguistique au niveau local.

Dans l’immédiat, la réintroduction du français par le SCAC ne répond pas à un besoin, ni à une demande explicite du Gouvernement chilien, ni à une attente vis-à-vis du français en tant que tel. Il s’agit plus de l’existence d’une contrepartie forcée, un peu artificielle, exigée par la France. Toutefois, il existe des expectatives du MINEDUC, quant à la possibilité de travailler avec l’Ambassade de France, garante pour lui, d’un système pédagogique innovateur et de qualité. L’aboutissement de ce dispositif est ainsi resté en suspens dans l’armoire des projets avortés, pour des raisons de changements politiques et hiérarchiques dans diverses instances concernées par le processus. Remaniements qui finissent par porter préjudice aux principaux bénéficiaires, dans ce cas, la jeunesse chilienne et les professeurs de français en exercice qui allaient recevoir un soutien technico-pédagogique systématique, leur faisant réellement défaut !

Cette action linguistique avait également pour finalités de démontrer qu’il existe une demande plurilingue, un projet capable d’y répondre, et de permettre ainsi la prise de conscience de la richesse de l’ouverture linguistique.

Le but n’était pas foncièrement de diffuser le français, mais plutôt d’aider les locuteurs à s’approprier d’une langue donnée et de leur offrir les outils pour être capable d’apprendre à apprendre n’importe quelle autre langue. Il est évident que l’idée d’une deuxième langue optionnelle se mettra en place à court terme. Il existe, par conséquent, des marges de manœuvre dans lesquelles d’autres langues étrangères, en dehors de l’anglais, auront leur place. Les pratiques culturelles jouent également sur des principes de distinction, se déplaçant dans le temps, il s’agit de prendre en compte ces facteurs, et de préparer les niches linguistiques à venir.

Certains de ces espaces sont du reste, en train de voir le jour. En effet, depuis 2009, le Programme Idiomas Abren Puertas (les langues ouvrent des portes, désormais PIAP) offre à des élèves du système scolaire public chilien, la possibilité d´étudier une seconde langue étrangère et ainsi, de contribuer à former un capital humain mieux qualifié. Il a commencé en anglais, puis s’est élargi au chinois, à l’allemand et au français.

Francés Abre Puertas (le français ouvre des portes) est en phase de devenir un programme gouvernemental, encourageant l´enseignement du français dans des établissements scolaires. Il permet d´un côté, à des étudiants ou à des professeurs titulaires francophones de travailler comme assistants volontaires dans des classes, et d´un autre côté, d´apporter aux enseignants de français chiliens une formation continue.

1.2.3.4. Politiques linguistiques : du minimalisme actuel vers un maximalisme

futur ?

D’une façon générale, les choix réalisés par chaque État, en matière de langues, caractérisent leur politique linguistique. Cette dernière étudie ainsi les effets des actions humaines sur les langues.

Le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde ajoute :

(…) elle tient à la définition d’objectifs généraux (statut emploi et fonction des langues, implication en matière d’éducation, de formation, d’information et de communication, etc.). (…) toute politique doit se fonder sur une analyse aussi précise que possible des situations (sociolinguistiques, sociopolitiques, socioéconomiques et socioculturelles) et sur une approche prospective de leur évolution. (Cuq, dir. 2003 : 196).

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La politique linguistique représente le niveau d’organisation sociale de l’aménagement linguistique, concept sociolinguistique. En d’autres termes, toute politique linguistique comporte différents niveaux d’actions : choisir une langue nationale parmi plusieurs en présence ; octroyer un statut à des langues régionales, grâce à leur présence dans les curricula ; offrir un nombre conséquent ou limité de langues étrangères optionnelles ou obligatoires dans les systèmes éducatifs et perfectionner les dispositifs de formation initiale et continue des enseignants de langues.

Ainsi, en suivant une certaine logique, toute politique linguistique devrait engendrer des actions linguistiques, mettant en œuvre les moyens nécessaires à son application pratique. De ce fait, les choix opérés par les systèmes éducatifs ont toujours des conséquences sur les non-choix.

Les politiques linguistiques actuelles doivent néanmoins dépasser le cadre des États. En effet, Patrick Chardenet signale que, même si

(…) la maîtrise par les États, de la ou des langues qu’ils se choisissent comme officielles, reste essentielle à leur indépendance, mais ni sur le plan économique, ni sur le plan linguistique, ce choix comme celui de l’offre de langues dans le système éducatif (…) ne peut être fondé sans analyse des flux et de leurs enjeux. (…) c’est à des politiques interlinguistiques que les organisations humaines (administrations locales, nationales, régionales, internationales, associations, entreprises) sont conviées. (Chardenet, 2008 : 31).

Le manque de politique linguistique explicite au Chili est-il une opportunité ou un contretemps pour construire des perspectives ?

En guise de relativisme, il est opportun d’avancer que le Chili ne représente pas en soi un cas isolé, puisqu’il existe peu d’espaces géographiques, ayant des politiques linguistiques explicites, entre autres la Catalogne, Israël et la France.

Les représentations sociales vont dans le sens d’une constatation d’un désintérêt des politiques linguistiques qui ne se trouvent nulle part sur le terrain législatif ou constitutionnel. En revanche, ce vide constitutionnel peut représenter une ressource car tout ce qui est écrit dans les constitutions devient difficilement interchangeable, l’imprécision y semble donc de bon ton.

La conjoncture actuelle du Chili, totalement inséré dans le monde global, et sa politique éducative axée sur la qualité et l’équité, semblent entrer en dissonance avec la propension de l’idiosyncrasie chilienne à se cantonner à la petitesse.

- Les ressources économiques n’existent pas pour de telles politiques linguistiques. - Il nous manque l’énergie pour les mettre en place.

- Bénéficier de plusieurs langues dans le système éducatif est un luxe asiatique39.

Le désir ambiant est de vouloir sauter deux mètres, cependant la préparation effective se réalise pour atteindre un mètre seulement !

Ce contexte doit permettre d’ouvrir, en revanche, un interstice à des propositions d’actions linguistiques réalistes, réalisables, holistiques, axées sur le futur. Les caractéristiques de ces espaces devraient osciller entre flexibilité, qualité, entité et diversité.

Il conviendrait dans un premier temps d’anticiper l’avenir, en établissant des finalités claires d’une part, en termes d’utilité des langues, servant à échanger des idées puisque nous sommes Homines politici, mais aussi des produits, en tant que Homines economici; d’autre part, en termes de visée concernant le nombre de locuteurs attendus dans telle ou telle langue. Puis, dans un deuxième

39 Réflexions entendues au hasard de diverses rencontres.

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temps, il serait souhaitable de mettre en avant des buts, comme celui de la diversification des talents, des objectifs, des méthodes.

Les interrogations demeurent nombreuses: le système scolaire doit-il mettre en place des outils d’unification linguistique ? Doit-il favoriser l’apprentissage systématique des langues ? Doit-il opter pour l’apprentissage précoce des langues et celui tout au long de la vie ? Quelles compétences linguistiques seront indispensables au citoyen chilien, dans vingt ans ? Etc.

Afin de rendre dynamiques ces veilles organisationnelles et didactiques, il est nécessaire de prendre en compte le caractère inextricable du global et du local au sein des contextes actuels, ce que d’aucuns ont qualifié de « glocalisation ».

Les contextes écolinguistiques dévoilent que la création et la disparition des langues font partie du patrimoine de l’humanité : le français et l’espagnol sont, par exemple, des créoles du latin ayant eu du succès ! Le professeur de langues travaille donc avec une matière malléable et instable, qu’il ne maîtrise pas à long terme.

Les contextes sociolinguistiques se sont transformés à partir des années soixante avec les migrations politiques, économiques, les activités professionnelles globalisées, les études internationales, les espaces virtuels d’échanges, etc. Ces contextes rendent la profession de l’enseignant de langues plus complexe car les contacts linguistiques n’ont jamais eu autant de puissance.

Cette réalité exige des systèmes éducatifs de choisir entre le monolinguisme ou le plurilinguisme et, ensuite, d’offrir une éducation aux langues allant dans le sens de leur choix. Elle revendique également une réorganisation des dispositifs de formation des enseignants, une production d’outils didactique, méthodologique et une stimulation à la recherche. Cette veille didactique et méthodologique fait ainsi place à une autre conception de l’enseignement et de l’apprentissage des langues dont le fondement repose sur une formation interlinguistique, octroyant la capacité de manipuler des compétences plurilingues et pluriculturelles.

La conséquence professionnelle se déploie sous la forme de création de départements de didactique des langues et des cultures, à l’intérieur desquels, les professeurs de langues, au lieu de diviser leurs forces, seraient amenés à réfléchir sur le concept de compétence plurilingue et pluriculturelle. Le plurilinguisme sera vraisemblablement le décor dans lequel évolueront les élèves et les étudiants du futur.

Si le Chili s’intègre dans le contexte global du monde, il a alors pour mission de préparer une incorporation dans l’espace des langues. Des actions concrètes et pragmatiques peuvent permettre ce passage du minimalisme actuel vers un maximalisme futur, en continuum progressif.

La première étape devrait considérer une transformation du paradigme de l’enseignant, non plus le professeur d’anglais, d’allemand, de français, etc, mais le professeur de langues enseignant l’anglais, l’allemand, le français, etc. Cet enseignant ne peut donc plus se confiner à un seul espace culturel. Ce professionnel est avant tout un médiateur de valeurs, de cultures, il se trouve au croisement de défis comme la citoyenneté, la démocratie, le rôle de la loi, la liberté de presse, l’héritage culturel partagé, l’appartenance, l’enseignement de l’altérité, dépassant ainsi le purement linguistique, pour aller vers une sensibilisation au divers.

Une mutation de chaque département de langue en une seule entité formative linguistique et culturelle, incluant les langues autochtones, l’espagnol langue maternelle et étrangère, constituerait une seconde étape.

La troisième étape proposerait dans les curricula trois ans intensifs d’anglais dans le secondaire, avec l’objectif d’atteindre le niveau B1 et, ensuite, dans la dernière année de ce niveau scolaire,

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projeter soixante heures d’intercompréhension écrite entre trois langues romanes : l’espagnol, le portugais et le français. Puis, à l’université, l’étudiant pourrait choisir d’approfondir l’anglais, le portugais ou le français, ou même de s’initier à d’autres langues étrangères ou autochtones. Étant donné que la demande sociale en anglais a de grandes chances de se perpétuer au Chili, il est préférable de l’intégrer plutôt que de l’ignorer, et d’adopter une attitude combative contre l’opposition des langues entre elles.

Il existe là une stratégie, en relation avec les professeurs d’anglais dont parle Jean-Claude Beacco, dans le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe.

(…) les enseignants d‘anglais eux-mêmes ont une responsabilité particulière, qui consiste précisément à répondre à la demande sociale mais aussi à agir sur elle, pour créer chez les apprenants une conscience accrue de la fonction et de la valeur du plurilinguisme. On peut estimer que, faute de cette éducation de l‘intérieur, une certaine maîtrise de l‘anglais continuera à être perçue comme dispensant de l‘apprentissage d‘autres langues. (…)

L‘essentiel, dans le cas de l‘enseignement de l‘anglais, semble être de faire en sorte que le répertoire plurilingue individuel continue à être développé par chacun et ne soit pas comme figé par l‘acquisition d‘une variété linguistique, considérée comme tenant lieu de toutes les autres. Il importe que l‘éducation au plurilinguisme comme valeur, dont on comprend bien qu‘elle ne se confond avec la connaissance d‘aucune langue en particulier, soit prise en charge par les enseignements d‘anglais ou de toute langue occupant la même place dans les imaginaires linguistiques. Faute d‘assumer de telles responsabilités éducatives, les enseignements de langues dominantes (les variétés « hautes » de la sociolinguistique) risquent de conduire au renforcement de la demande sociale. (Beacco, 2007 : 117-118).

Cette veille organisationnelle de l’enseignement et de l’apprentissage des idiomes et des cultures constitue également la base d’une construction sociale car les langues sont un outil d’orchestration des sociétés. La didactique des langues et des cultures aurait ainsi une capacité de mutation, digne de celle d’un caméléon, puisqu’elle serait à même de devenir une clé de gestion des activités humaines. C’est dans un espace d’intensité et non de quantité, que doit se situer le maximalisme des propositions curriculaires linguistiques et interculturelles.

L’enseignement/apprentissage des langues peut de cette manière dépasser les frontières du linguistique, pour créer des passerelles de méthode systématique d’analyse, de mémoire organisée, de persévérance. Le français aurait ainsi l’opportunité de dépasser une frontière où il se trouve circonscrit, en adoptant un rôle catalyseur dans le changement des pratiques pédagogiques actuelles du professorat chilien.

1.2.4. Histoire de la formation du professorat chilien : une combinaison