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L’évolution de la position du français dans l’enseignement des langues au Chili : un enjeu pour une reconstruction professionnelle de la formation didactique des enseignants

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Academic year: 2021

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UNIVERSITÉ DE NICE - SOPHIA ANTIPOLIS

ÉCOLE DOCTORALE : U.F.R. Lettres Arts Sciences Humaines et Sociales (LASH)

THÈSE DE DOCTORAT

Pour obtenir le grade de

DOCTEURE DE L’UNIVERSITÉ DE NICE - SOPHIA ANTIPOLIS

Champ disciplinaire : SCIENCES DE L’ÉDUCATION

Présentée et soutenue publiquement par

Marie-Noëlle ANTOINE

Le 15 juin 2010

TITRE

L’ÉVOLUTION DE LA POSITION DU FRANÇAIS DANS

L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES AU CHILI :

UN ENJEU POUR UNE RECONSTRUCTION PROFESSIONNELLE

DE LA FORMATION DIDACTIQUE DES ENSEIGNANTS

Thèse dirigée par le Professeur Jean-Pierre CUQ

JURY

Professeur M. René AMIGUES, IUFM, Aix-Universités, rapporteur

M. Patrick CHARDENET, Maître de Conférences, Université de Franche-Comté Professeur M. Jean-Pierre CUQ, Université de Nice-Sophia Antipolis, directeur Professeur M. Jacques GINESTIÉ, IUFM, Aix-Universités, rapporteurTM

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UNIVERSITÉ DE NICE - SOPHIA ANTIPOLIS

ÉCOLE DOCTORALE : U.F.R. Lettres Arts Sciences Humaines et Sociales (LASH)

THÈSE DE DOCTORAT

Pour obtenir le grade de

DOCTEURE DE L’UNIVERSITÉ DE NICE - SOPHIA ANTIPOLIS

Champ disciplinaire : SCIENCES DE L’ÉDUCATION

Présentée et soutenue publiquement par

Marie-Noëlle ANTOINE

Le 15 juin 2010

TITRE

L’ÉVOLUTION DE LA POSITION DU FRANÇAIS DANS

L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES AU CHILI :

UN ENJEU POUR UNE RECONSTRUCTION PROFESSIONNELLE

DE LA FORMATION DIDACTIQUE DES ENSEIGNANTS

Thèse dirigée par le Professeur Jean-Pierre CUQ

JURY

Professeur M. René AMIGUES, IUFM, Aix-Universités, rapporteur

M. Patrick CHARDENET, Maître de Conférences, Université de Franche-Comté Professeur M. Jean-Pierre CUQ, Université de Nice-Sophia Antipolis, directeur Professeur M. Jacques GINESTIÉ, IUFM, Aix-Universités, rapporteurTM

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REMERCIEMENTS

Le contenu de cette thèse est celui d’une recherche de didactique professionnelle à la surface, mais il est également traversé en profondeur par un sillon relationnel avec des femmes et des hommes d’expérience. Je tiens donc à remercier les experts en éducation du Chili, la Directrice du Département de Français de l’Université Métropolitaine des Sciences de l’Éducation (UMCE), les Attachés Linguistiques du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Chili (SCAC), les Directeurs des établissements scolaires, les enseignants de français, d’espagnol, d’anglais, d’histoire et de sciences sociales, les étudiants en pédagogie des langue(s) de la UMCE, qui, par leurs remarques, leurs attitudes, leurs échanges, leurs disponibilités ont contribué, chacun à leur manière, à poser une pierre à cette construction.

Vous nommer me permet de vous faire habiter cette thèse dont la seule prétention est de vous revenir pour se mettre à votre service.

Jacqueline Glysing, Coordinatrice Curricula/Évaluation, Ministère de l’Éducation Chilien (MINEDUC). Rebeca Portales, Coordinatrice Nationale des Réseaux Pédagogiques Locaux (MINEDUC).

 Beatrice Avalos, Coordination de projets Curriculum/Évaluation en formation initiale (MINEDUC).  Olimpia Riveros, Dirigeante Nationale du Collège des Professeurs du Chili.

Nuria Balari, Professeure de français, Directrice du Département de français de la UMCE. Yanini Rivera, Professeure d’espagnol, Directrice d’un Collège Municipal à Quilpué.

 Juanita Osorio, Maria Isabel León, Maria Cristina Mellado, Carmen Olguín, Kareen Valencia, Enseignantes de français de la 5º Région.

Pablo Echagüe, Wilma Escalona, Enseignants de français de la Région Métropolitaine.  Sandra Jauriat, Maria Critina Toro, Enseignantes de français de la 4º Région.

Claudina Piñero, Enseignante de français de la 8° Région.

Maritza Nieto, Professeure de linguistique et traduction françaises à l’Université de Concepción, 8° Région.  Tous les professeurs de français en exercice participants des formations continues en 2008-2009-2010.  Enrique Mérida, Professeur d’anglais à l’École Eloisa Díaz.

Roberto Pino, Professeur d’histoire et de sciences sociales au Lycée Commercial San Pablo Santiago. Graciela Bascoli, Étudiante en Pédagogie du Français, formation initiale UMCE.

 Pamela Torres, Étudiante en Pédagogie de l’Anglais, formation initiale UMCE.  Sergio Arcos, Étudiant en Pédagogie de l’Allemand, formation initiale UMCE.

Patricia Guasch, Étudiante en Pédagogie de l’Espagnol Langue Maternelle, formation initiale UMCE.

Mayra Benavides, César Muñoz, Caterina Ochoa, Francisco Rojas, Daniela Silva, Étudiants de 4ème année du Département de Français (2009) en formation initiale à la UMCE, acteurs et piliers fondamentaux de deux de nos propositions : Atelier Théâtre, Yoga et Langue et RÉPALAC.

Notre dette également avec :

Feu M. Humberto Vega Fernández, Économiste et Doyen de l’Université Centrale, pour nous avoir fait pénétrer dans cette tension d’équité, mouvement sismique parcourant toute l’histoire chilienne et nous ouvrant ainsi à une compréhension plus enracinée du contexte politique et socioéconomique.

M. Cristián Cox, Directeur du Centre d’Études, de Politiques et de Pratiques Éducatives de la Pontificale Université Catholique (PUC), de qui nous avons reçu les concepts centraux concernant les politiques éducatives et formatives au Chili, une générosité de temps pour se familiariser avec notre recherche et y apporter des distinctions supplémentaires.

M. Gérard Vigner pour nous avoir donné l'impulsion d'entreprendre cet immense effort.

M. René Amigues, Professeur des universités en sciences de l'éducation, IUFM d'Aix-Marseille, pour avoir accepté d'intégrer le jury de thèse.

M. Jacques Ginestié, Professeur des universités, Directeur IUFM d'Aix-Marseille, pour avoir accepté d'intégrer le jury de thèse.

 M. Patrick Chardenet, Chargé de Projet à l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), pour nous avoir orientée à élargir notre champ de recherche.

Merci tout spécialement à M. Jean-Pierre Cuq, mon directeur de thèse, avec qui je me suis toujours sentie en de bonnes mains, par son accompagnement, ancré à la fois dans une richesse d’expériences associatives, doublé d’expertise et par ailleurs, dans un sens de l’écoute, de la mise en confiance, de la re-connaissance. Cette attitude m’a donné la certitude que rien n’était achevé mais que tout était accompli dans ce travail de recherche.

TM

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TAbLES DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS

2

INTRODUCTION

7

0.1. Mouvement de la recherche . . . 8

0.1.1. Justification du choix de la recherche. . . 8

0.1.2. Motivation scientifique du projet . . . 9

0.2. Cheminement de la recherche. . . 10

0.2.1. Jalons d’une démarche opérationnelle . . . 10

0.2.2. Élaboration et articulation des hypothèses de travail . . . 11

0.2.2.1. Définition de l’hypothèse 1 . . . 11

0.2.2.2. Définition de l’hypothèse 2 . . . 11

0.2.2.3. Articulations des hypothèses de travail . . . 12

0.2.3. Recueil des données empiriques . . . 13

0.2.4. Explicitation des modèles théoriques . . . 13

0.2.5. Organisation du texte. . . 15

CHAPITRE 1

EXPLORATION D‘UN CONTEXTE COMPLEXE :

ENTRE ObSOLESCENCE ET VOLONTÉ D‘OUVERTURE

16 1.1. Approches contextuelles multiples du système éducatif chilien. . . 16

1.1.1. Le Chili : un ou deux pays ? . . . 17

1.1.2. Regard panoramique sur la conjoncture sociopolitique et économique chiliennes . 19 1.1.2.1. Quelques remarques cursives pour tenter une contextualisation socio-politique et économique . . . 19

1.1.2.2. Plan focal sur l’injustice : un mouvement sismique au Chili . . . 21

1.1.2.3. Équité en éducation : passage obligé vers la qualité . . . 24

1.1.2.4. Qualité et contrôle de qualité en éducation : autres dénominations de l’équité . . . 26

1.1.3. Ancrage socio-historique de l’éducation chilienne. . . 28

1.1.3.1. Mouvement d’influence du modèle central européen . . . 28

1.1.3.2. Éducation : histoire d’un balancement entre avancées et crises . . . 31

1.1.3.3. Bicentenaire 2010 : décor ou défi pour l’éducation chilienne. . . 36

1.1.4. Contexte sociolinguistique du Chili . . . 39

1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable . 41 1.2.1. Politique Éducative ou Politiques Éducatives ? . . . 41

1.2.2. Mémoire des réformes éducatives globales . . . 44

1.2.2.1. La Réforme des années 1980 . . . 45

1.2.2.2. Politiques éducatives des années 1990 : ambitions d‘une Réforme en marche. . . 47

1.2.2.3. Politiques éducatives du début du vingt-et-unième siècle. . . 49

1.2.3. Mémoire des réformes restreintes à l‘enseignement des langues : 1980-2010 . . . . 51

1.2.3.1. Les représentations sociales face aux langues en présence. . . 52

1.2.3.2. Effets des réformes éducatives sur l‘enseignement des langues . . . 55

1.2.3.3. Position du français sur l'échiquier chilien des langues. . . 57 1.2.3.4. Politiques linguistiques : du minimalisme actuel vers un maximalisme futur ? . 59

TM

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1.2.4. Histoire de la formation du professorat chilien : une combinaison d‘héritages. . . 62

1.2.5. Concepts de la formation didactique au Chili. . . 66

1.2.5.1. Dimension sociologique. . . 66

1.2.5.2. Dimension ético-pédagogique . . . 67

1.2.5.3. Dimension professionnelle. . . 68

1.2.6. Asymétrie de la formation didactique : une réalité exclusivement chilienne ? . . . 71

CHAPITRE 2

REPÉRAGE DES COMPLEXITÉS

ET CHEMINEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES

73 2.1. Constats actuels . . . 73

2.1.1. Description. Structuration des entretiens semi directifs . . . 74

2.1.2. Interprétation des entretiens semi directifs . . . 75

2.1.2.1. Variables en présence à propos des concepts d’enseignement et d’apprentissage . . . 76

2.1.2.2. Variables en présence à propos du concept de formation didactique . . . 80

2.1.2.3. Contraintes diverses à l’intérieur de la formation didactique . . . 84

2.1.2.4. Ressources multiples au sein de la formation didactique . . . 92

2.1.2.5. L’innovation dans la formation didactique : un front de variabilités comportementales. . . 97

2.1.2.6. Décontextualisation et recontextualisation : transmission d’un écosystème formatif . . . 106

2.2. Apprentissage du respect de la complexité du monde . . . 108

2.2.1. Faire de la complexité un paradigme . . . 108

2.2.2. Écologie d’une connaissance pertinente . . . 111

2.2.3. Écologie d’une action lucide . . . 113

2.3. Détour par la sociologie du changement dans l’entreprise. . . 115

2.3.1. Modes de pensée : écoute et observation des acteurs . . . 117

2.3.2. Changement approprié aux acteurs : garantie d’un construit humain . . . 118

2.3.3. Modification des règles et émergence de cultures de coopération . . . 120

2.4. Convocation de la sociologie éducative : vers une écologie de la formation . . . 123

2.4.1. Pilotage partagé des pratiques : Cheval de Troie pour le changement. . . 123

2.4.2. Pratique réflexive: vers la professionnalisation du métier d’enseignant . . . 124

2.4.3. Mise en réseau : espace de création d’un patrimoine commun des savoirs. . . 125

CHAPITRE 3

REPÈRES POUR UNE RECONSTRUCTION EN

CONTINUUM DE LA FORMATION DIDACTIQUE

130 3.1. Accompagnement-conseil : un moyen pour co-construire une grammaire de la conscience professionnelle . . . 133

3.1.1. Émergence de représentations dynamiques et de postures d’un praticien réflexif . . . 134

3.1.2. Tissage de l’empowerment : lien actif et autonome au monde . . . 136

3.1.3. Chantier stratégique pour la professionnalisation des enseignants de langue(s) : Atelier Théâtre Yoga et Langue(s) . . . 138

TM

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3.1.3.1. Éléments didactiques pour une initiation à l’expression théâtrale . . . 140

3.1.3.2. Choix des matériaux et des ressources pédagogiques . . . 141

3.1.3.3. Indication des contenus de l’Atelier Théâtre Yoga et Langue(s). . . 142

3.1.3.4. Proposition d’un programme d’activités pour l’Atelier Théâtre, Yoga et Langue(s) . . . 142

3.1.3.5. Regards rétrospectifs sur différents Ateliers Théâtre, Yoga et Langue(s). 147 3.2. Projections d’actions langues et d’acclimatation aux cultures . . . 153

3.2.1. Rompre l’isolement et le cloisonnement didactique : sensibilité empathique, décentration, relativisme, méthode . . . 155

3.2.1.1. Méthodologie d’une rupture de l’isolement : savoir être pour savoir s’engager. . . 157

3.2.1.2. Méthodologie d’un décloisonnement de la didactique des langues : savoir comprendre pour savoir mettre en relation . . . 161

3.2.1.3. Méthodologie d’une acclimatation aux cultures : d’une connaissance close vers une compréhension généreuse . . . 166

3.2.2. Pédagogie de projet en réseau : vers une modélisation de la mutualisation des savoirs et des savoir-faire interculturels . . . .173

3.2.2.1. Principes d’une pédagogie de projet langues-cultures vécue en réseau . . 174

3.2.2.2. Procédés pour une pédagogie de projet langues-cultures vécue en réseau 175 3.2.3. Réseau Pédagogique d’Actions Langues et d’Acclimatation aux Cultures (RÉPALAC) : passerelle pour passer des îlots vers des archipels de formation . . . 177

3.2.3.1. Fondements d’un RÉPALAC. . . 177

3.2.3.2. Finalités, buts et objectifs d’un RÉPALAC . . . 180

3.2.3.3. Éléments stratégiques pour un amorçage de mise en réseau. . . 182

3.2.3.4. Répercussions pédagogiques d’un RÉPALAC . . . 183

3.2.3.5. Projet pilote de RÉPALAC au Chili. . . 190

3.3 Vers l’autonomisation de la formation des enseignants . . . 200

3.3.1. Enseigner à apprendre à apprendre en apprenant tout au long de la vie . . . 200

3.3.2. Déployer une culture professionnelle adaptable à la « glocalisation » montante des sociétés . . . 204

3.3.3. Circuits professionnels intergénérationnels : creuset d’un patrimoine de compétences pédagogiques, linguistiques et interculturelles . . . 210

3.3.3.1. Le circuit professionnel : creuset d’accumulation des savoirs pédagogiques expérientiels . . . 213

3.3.3.2. Le circuit professionnel : melting-pot des compétences linguistiques et interculturelles . . . 226

3.3.3.3. Le circuit professionnel : source et ressource formatives transgénérationnelles . . . 234

POUR CONCLURE

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RÉFÉRENCES bIbLIOGRAPHIQUES ET WEbOGRAPHIQUES

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TAbLES DES ANNEXES

Annexe n°1 : Le système éducatif chilien - Trajectoires de français . . . 262

Annexe n°2 : Inégalités et changements dans la vie matérielle des Chiliens. . . 263

Annexe n°3 : Couverture éducation supérieure . . . 264

Annexe n°4 : Entretiens avec des experts en éducation. . . 265

Annexe n°5 : Entretien avec une directrice d’établissement scolaire . . . 284

Annexe n°6 : Entretiens avec des enseignants . . . 289

Annexe n°7 : Entretiens avec de futurs enseignants . . . 301

Annexe n°8 : Atelier théâtre yoga et langue(s) en formation initiale. . . 314

Annexe n°9 : Atelier théâtre yoga et langue(s) en formation continue . . . 315

Annexe n°10 : DVD : Voix de Babel - Reportaje TVN - Encuentro intercultural . . 316

Annexe n°11 : Référentiel des compétences interculturelles. . . 317

Annexe n°12 : Recueils d’empreintes interculturelles. . . 318

Annexe n°13 : Fiche pédagogique – Autoévaluations de stagiaires. . . 322

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INTRODUCTION

L’intégration du Chili au sein de l’Organisation de Coopération de l’Asie Pacifique (APEC) en 1995, les accords de libre échange avec le Canada (1997), les États-Unis et l’Europe (2003) ont conforté le choix des autorités éducatives chiliennes à préconiser un bilinguisme espagnol-anglais au détriment du français et de l’allemand, matières jadis enracinées dans les programmes scolaires.

Le Gouvernement chilien est tout à fait acquis à la cause de la défense de la diversité culturelle, mais il ne semble pas encore prêt à favoriser le plurilinguisme, puisqu’il s‘en tient à un monolinguisme d‘État. Les établissements scolaires ne sont tenus qu’à enseigner une seule langue étrangère obligatoire, l’anglais langue de l‘Amérique ou anglais véhiculaire mondial, que d’aucuns appellent le globish. Il permet aux Chiliens de sortir de leur insularité traditionnelle et de participer au grand jeu mondial des échanges.

Les Nouveaux Programmes de Français élaborés en 2002 par le Ministère de l’Éducation du Chili (désormais MINEDUC) avec l’appui du Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France au Chili (désormais SCAC) offrent la possibilité aux établissements scolaires d’inscrire dans leur cursus une deuxième langue vivante optionnelle. Dans cette perspective, trois trajectoires ont été proposées :

Trajectoire II.- de 7°año básico (équivalent de la 5ème) à 4° año medio (équivalent de

la Terminale) ;

Trajectoire III.- de 7°año básico à 2° año medio (équivalent de la Seconde); Trajectoire IV.- de 1°año medio (équivalent de la 3ème) à 4° año medio1.

Ces Trajectoires de français correspondent à une préparation rigoureuse aux épreuves du Diplôme d’Études en Langue Française (désormais DELF). Tous les élèves pourront, s’ils le désirent, se présenter à cet examen, organisé par le SCAC.

Les outils didactiques réalisés pour la réintroduction du français, les Nouveaux Programmes et la Méthode Rencontres, sont des constructions de modèles visant un idéal d’action. Ils se fondent sur un dispositif d’informations, à logique descendante, associé à un archétype du parfait enseignant. La diffusion en cascade de cette innovation dans les établissements scolaires chiliens a mis à découvert une problématique dont le contour dessine un certain nombre d’écueils. Les principes de la didactique savante omettent souvent les invariants situationnels et les savoirs empiriques intergénérationnels des enseignants.

En outre, le français souffre de tous les symptômes d’une cause perdue au Chili. Néanmoins, il existe des niches pour générer un plurilinguisme face au minimalisme linguistique actuel. L’adaptation lin guistique du français ou d’autres langues étrangères devra se générer grâce à une synergie réelle entre tous les acteurs en jeu : les responsables éducatifs du gouvernement et des établissements, les intervenants universitaires, les professeurs, les étudiants en formation initiale, les élèves et la communauté éducative en général.

L’éviction au compte-gouttes du français hors du système éducatif chilien n’est qu’une portion émergée de l’iceberg de la didactique, où les domaines des formations initiale et continue semblent être les causes immergées d’une synchronisation introuvable entre les réformes scolaires et la formation professionnelle des enseignants.

1 Annexe n°1 : 262. Le système éducatif chilien et les trajectoires proposées dans les Nouveaux Programmes de Français.

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En 2004, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (désormais OCDE) avançait dans son compte-rendu :

Le Chili ne pourra pas donner une éducation de qualité élevée avec des professeurs préparés de façon inadéquate. (OCDE, 2004).

La constatation de cette panne a déclenché et mis en mouvement cette recherche.

0.1. Mouvement de la recherche

Qui dit mouvement rend manifeste, par la même occasion, l’impulsion, l’action, la transmission, mais aussi la récession, le recul, l’incertitude. Cette recherche se veut inscrite à l’intérieur d’un mouvement, dans une démarche opérationnelle.

0.1.1. Justification du choix de la recherche

Nous souhaitons soumettre ici, un projet d’action linguistique et culturel, ayant pour axe, la reconstruction professionnelle de la formation des professeurs. L’enjeu de cette recherche est donc de transformer la problématique de l’éviction du français hors du système éducatif chilien en une ressource pour la recréation de compétences professionnelles, telles que le savoir, l’enseignement, l’apprentissage, le savoir-être.

Les premières pierres de notre travail de recherche ont été posées, à partir de certains constats ébauchés, lors des formations régionales des professeurs de français entre 2003 et 2010 et de la formation initiale des étudiants en pédagogie du français à l’Université Métropolitaine des Sciences de l’Éducation (désormais UMCE), à partir de 2007.

Nous avons recueilli des données de terrain, à travers des entretiens semi directifs auprès de différents acteurs en présence. Il a fallu donc énoncer formellement les hypothèses de recherche car ce sont elles qui vont déterminer les types de questions posées.

L’inventaire de ces matériaux et le choix d’un angle d’attaque théorique ont conduit à gérer une prise de recul. Cette démarche a construit les fondations de l’objet de recherche, en permettant de déterminer son centre de gravité.

Il convient de mettre en relief qu’une activité de recherche sur des institutions clés d’une société n’est pas une affaire privée, ni au cours de son processus, ni lors de ses résultats, elle est le maillon d’une chaîne collective d’autoréflexions.

Par ailleurs, une urgence se fait sentir quand nous côtoyons quotidiennement une formation didactique blessée, étendue sur le bord du chemin ! En effet, malgré dix-sept années de réformes éducatives et curriculaires, c’est-à-dire de la partition que les enseignants doivent exécuter, critiquer ou valoriser, les pratiques professionnelles se maintiennent comme suspendues dans une ère d’antan.

Cristián Cox, Sociologue de l’Éducation et Directeur du Centre d’Études des Politiques et des Pratiques d’Éducation (désormais CEPPE) de la Pontificale Université Catholique (désormais PUC), relevait au cours d’un entretien :

(…) ton effort de recherche monumental, personnel ne doit pas être une goutte d’eau dans le désert, il doit avoir un sens dans une totalité, afin que les aires d’actions individuelles fassent système avec d’autres, dans une séquence, sinon tu meurs d’épuisement !

Objectiver le problème, le nommer, le décrire devient une contribution, c’est ce dont nous avons besoin. Les jeunes chiliens qui optent pour l’éducation doivent pouvoir interpréter ce qui leur arrive. (…) C’est une grande semence pour le changement, c’est un thème clé pour le pays et vital pour toi puisqu’il t’a toujours intéressée, c’est ton métier2.

2 Annexe n°4 : 274-275 : entretien du 28 janvier 2008 avec Cristián Cox, Sociologue de l’Éducation et Directeur du

Centre d’Études des Politiques et des Pratiques d’Éducation de l’Université Catholique. Désormais (C.C.) et notre traduction sur tous les corpus en espagnol.

TM

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Ces propos viennent donc justifier, valider, et rendre crédible notre choix initial dont une des teintes prismatiques est la portée stratégique. L’enseignement traverse une crise morale et professionnelle de grande envergure, d’une part, il lui est demandé de réaliser des actions qu’il n’est pas capable de faire, d’autre part, personne ne lui octroie les compétences dont il a besoin. La projection de cette thèse prétend percer cette réalité contextuelle, grâce à une vision sélective sur l’histoire éducative chilienne, à un cadre conceptuel distinct conduisant au dévoilement d’une optique novatrice et d’une approche empirique de la transformation des compétences du professorat.

0.1.2. Motivation scientifique du projet

Eu égard au contexte, le terme « projection » semblerait plus pertinent que celui de « projet ». La finalité serait de générer une projection d’actions langues et cultures dans le système éducatif chilien, avec un pôle création de formations d’éducateurs linguistiques et culturels.

Notre expérience socioprofessionnelle nous a donné l’opportunité d’être à la croisée des logiques descendantes, d’activisme et de non écoute des concepteurs-ingénieurs du changement des réseaux mondiaux et des logiques de tâtonnement, d’intuition, de gestion de survie des enseignants-apprentis des réseaux locaux. Posture suscitant de ce fait, notre grande sensibilité à ce genre de dysfonctionnements et notre motivation à la dépasser, pour lui donner une assise théorique, en faire un mode de pensée et d’action.

Le creuset de cette proposition d’écologie de la formation reposerait sur le dialogue entre nos compétences sociales (alphabétisation, éducatrice de rue…), pédagogiques (institutrice), didactico-linguistiques (Maîtrise de Français enseigné comme Langue Étrangère, désormais FLE), d’ingénierie de formation en langues (Master Professionnel) et les pratiques pédagogiques des enseignants chiliens. En faisant dialoguer savoir, savoir-faire et savoir-être, nous livrons une connaissance pour servir et non pour dominer. Nous devenons ce que Jan Comenius, pédagogue tchèque du XVIIe siècle, appelait « un serviteur de la nature », dans sa Didactica magna.

Cette recherche aspire, en ce sens, à ne pas rester lettre morte et à pouvoir alimenter des alternatives de formation didactique, fondées sur l’expérience et passées au crible d’un test théorique contrasté et exigeant. Cette visée plutôt pragmatique nous oblige à adopter ce que Philippe Dessus appelle :

(…) une démarche ergonomique : comprendre l’activité de l’enseignant (la décrire) pour mieux la transformer (prescrire des aides adéquates). Cette attitude éviterait la démarche tautologique souvent employée, notamment en formation d’enseignants : prescrire une méthode d’enseignement, de planification, pour ensuite la décrire et s’en déclarer satisfait, en oubliant qu’elle peut ne pas répondre aux besoins des principaux intéressés. (Dessus, 1995 : 9-10)

Le défi consiste à savoir étalonner l’expérience, difficilement transmissible à cause de son caractère subjectif, avec les apports théoriques.

C’est toute l’ambiguïté de l’expérience qui convoque une confrontation avec des savoirs théoriques justement calibrés, si on veut permettre la montée en puissance vers l’abstraction. (Barbot, 2005 : 187).

Nous pensons que notre travail repose sur une méthode heuristique dont la prétention est d’engager un voyage à l’intérieur de l’histoire et de la sociologie éducatives chiliennes, afin d’en extraire tous les efforts déjà entrepris pour les mobiliser collectivement et les engager dans une reconstruction professionnelle lucide. Le tissage socio-historique nous offre la meilleure toile de fond pour y parsemer les processus de réflexion sociale et insuffler ainsi, un courant auprès des institutions, dispensant la formation didactique au professorat. En effet,

TM

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(…) le regard sociologique et historique octroie la meilleure base pour poursuivre l’exploration d’un domaine dont nous connaissons seulement les contours maintenant. (Cox et Gysling, 1990 : 15).

0.2. Cheminement de la recherche

0.2.1. Jalons d’une démarche opérationnelle

Le mouvement qui caractérise notre démarche opérationnelle est parcouru de jalons. Il part, tout d’abord, de la constatation d’un problème. Ce dernier est interprété comme une information saisie qui permet ainsi de rendre clairs les symptômes, ayant attiré l’attention et de reconstruire la problématique réelle.

Ensuite, le recueil d’informations formelles et informelles et la fixation des hypothèses sont à considérer comme des stratégies rationnelles pour appuyer un mode de raisonnement, facilitant l’appréhension des organisations humaines en jeu.

Puis, nous avons choisi un angle d’attaque théorique, nous conduisant à gérer une prise de recul, en vue de stabiliser la problématique, les hypothèses et de rendre opérationnels les résultats des données recueillies. Cet angle théorique multiréférentiel s’enracine dans une démarche anthropologique, stratégique, interactionniste, constructiviste et plurielle.

Finalement, l’aboutissement de cette dynamique oscillera entre l’identification de résultats majeurs et la spécification d’éléments constitutifs du contexte des acteurs en présence, sur lesquels il est possible de jouer, afin de faire évoluer leurs problèmes à résoudre. Ce processus est bien celui d’un mouvement au sens hyperonyme du terme.

La démarche opérationnelle nous invite ainsi à ne pas clore le débat et à le dépasser par l’action. En ce sens, les Huit commandements du didacticien, proposés par Eddy Roulet en 1989, ont constitué un mantra, tout au long de ce cheminement :

1. Il faut quitter le domaine de l’idéologie pour aborder le terrain des faits concrets et quotidiens, en particulier les pratiques scolaires.

2. Il faut connaître la réalité et la complexité de ce terrain.

3. Il faut, à partir de là, construire son objet, ses problèmes, et ne plus croire qu’on les trouve tout faits sur le terrain.

4. Il importe, si on emprunte des concepts et des savoirs à d’autres disciplines, de les repenser ou de les reconceptualiser en fonction de l’objet auquel ils s’appliquent. 5. Il faut imaginer, formuler et articuler explicitement des hypothèses.

6. Ces hypothèses doivent être validées expérimentalement.

7. Il importe d’aboutir à un accord argumenté, plutôt qu’à un simple accord d’opinion, sur l’interprétation des résultats.

8. Il faut dépasser la simple juxtaposition des recherches individuelles et isolées pour aboutir à une élaboration communautaire et cumulée du savoir. (Cité par Cuq et Gruca, 2002 : 45).

Le cheminement épistémologique emprunté est celui de la formation à la recherche par la recherche, à travers laquelle, la compilation de notre propre parcours nous entraîne à faire des choix, afin d’inventer une approche didactique idoine au contexte chilien. Notre spécialité, la didactique des langues, liée à un travail pédagogique de terrain, où prime la résolution de problèmes très concrets, nous accule à centrer nos efforts non pas sur la matière elle-même, mais sur la mise en contact des sujets avec l’objet langue.

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Une des extrémités de cet arc tendu de notre objet est occupée par les instances des politiques éducatives macro, la corde de tension est opérée par la concaténation des causes et des effets, pour terminer à la pointe de l’enseignement des langues. Dans cet interstice, où peu d’acteurs ont regardé, se situe le noyau de cette thèse, une frontière y est à identifier et à déplacer.

0.2.2. Élaboration et articulation des hypothèses de travail

La perspicacité, le feeling escortent toute recherche, tout comme le tâtonnement, l’incertitude, l’imprévu. Les hypothèses représentent des questions que le chercheur se pose, il doit les confirmer ou les infirmer. Si elles sont garantes de crédibilité pour le lecteur, dans le sens où les postulats sont fixés d’avance, elles sont promesses de scientificité, de légitimité et de sérénité, pour quiconque les émet.

Cependant, la recherche en Sciences de l’Éducation

(…) est un champ fécond en étonnements, en paradoxes, en contradictions, comme tout le champ social. Les situations particulières, les discussions, l’observation de cas les mettent en lumière. (Tessier, 1993 : 32).

Dans cette recherche, les prédictions sont nées de l’observation et de l’étude de données, issues toutes deux de l’existant.

0.2.2.1. Définition de l’hypothèse 1

Nous faisons l’hypothèse que, contrairement au cloisonnement et à la territorialité linéaire didactique, la démarche systémique, permettant de « saisir les rapports entre les niveaux macro (les politiques éducatives), méso (les établissements) et micro (les pratiques de classe des professeurs et des élèves) »3 semble être une modalité plus efficace, crédible, fiable et viable pour entreprendre

une réorganisation des dispositifs de formation didactique. En un mot, ne pas se contenter de manipuler la formation didactique, mais la reconstruire professionnellement.

0.2.2.2. Définition de l’hypothèse 2

Nous faisons l’hypothèse que « les adaptations didactiques que doivent opérer les professeurs pour diriger les élèves qu’ils engagent dans [les] formes nouvelles d’étude »4 doivent emprunter

le passage obligé des méthodologies innovantes, dans la mesure où celles-ci s’appuient sur des préconceptions, des intuitions, des hypothèses sur l’enseignement, l’apprentissage, l’évaluation, les sociétés, les cultures.

En effet, les méthodologies innovantes représentent des alternatives là, où les approches traditionnelles ne fonctionnent plus. Elles prennent leur source dans le va-et-vient pensée, processus faisant défaut actuellement, tant dans la formation initiale que dans la formation continue des enseignants chiliens. Cloisonnés et rigidifiés dans des concepts théoriques dont ils ne savent que faire, ils se trouvent en décalage permanent avec les curricula et avec leurs publics. Une écologie de la formation englobant une innovation négociée des pratiques pédagogiques avec les enseignants, une analyse de celles-ci et un espace de création d’un patrimoine commun des savoirs, ainsi que la mise en œuvre d’un nouveau paradigme, celui d’un enseignant nomade transdisciplinaire, pourraient être le creuset de stratégies adéquates et opérationnelles.

3 Tiré des objectifs scientifiques du Laboratoire d’accueil : Unité Mixte de Recherche - Apprentissage,

Didacti-que, Évaluation, Formation. Université de Provence IUFM d’Aix-Marseille INRP (désormais UMR ADEF). Disponible sur : http://www.adef-umr.fr/index.php?url=axe

4 Tiré de l’axe 3 UMR ADEF. Disponible sur : http://www.adef-umr.fr/index.php?url=axe

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0.2.2.3. Articulations des hypothèses de travail

Nos intuitions préalables se sont donc transformées en deux hypothèses induites à partir d’indices. Elles ont évidemment influencé la formulation des questions ouvertes proposées au cours des entretiens. Celles-ci ont l’avantage de donner entière liberté au sujet d’exprimer son opinion, elles sont également plus ad hoc pour traiter l’attitude ou les représentations.

Afin de mettre à l’épreuve la première hypothèse, les données ont été collectées auprès d’un échantillon de personnes se situant aux niveaux macro (politiques éducatives) et méso (établissement) du système éducatif chilien.

En effet, l’objet de cette recherche, la formation didactique, doit se nicher dans une maison plus grande, afin de parvenir à observer son évolution diachronique et de dessiner ensuite une vision critique de l’institution formatrice des professeurs chiliens. La relation de cette dernière avec les politiques est une clé d’interprétation vitale.

Ce frôlement avec les deux niveaux macro et méso permet également de discerner l’existence réelle de certaines volontés institutionnelles et politiques concernant la formation. Volontés que le niveau micro méconnaît, ou refuse de voir, souvent par dépit.

Quand les problèmes se maintiennent dans le temps, s’endurcissent dans l’imaginaire, ils deviennent intraitables, du domaine de l’impossible. Si des institutions se trouvant au sommet, avec un statut privilégié réussissent à transformer cette vision, cela peut être décisif. (C.C. Annexe n°4 : 275).

Une logique de recherche pure doit donc féconder des projets de recherche-action, une sorte de dynamo produisant un savoir en Sciences de l’Éducation, intimement lié aux pratiques de formation et à celles des professeurs dans le système scolaire.

Cette approche des niveaux macro et méso est ainsi génératrice d’histoire, de descriptions, de distinctions des réalités en jeu. Par ailleurs, elle oblige à mettre sur la touche les jugements envers les différents acteurs. Elle engendre, par voie de conséquence, des lignes de conduite, des logiques, à dire et à montrer.

Il semble utile aujourd’hui de mentionner que l’entité de la relation de formation s’inscrit dans un échange inégal, où celui qui apprend est provisoirement dans la dépendance positive de celui qui sait et qui a organisé le dispositif. La correction de cette asymétrie passe par l’invention de lieux de formation, où les professionnels se parlent et travaillent ensemble. La formation didactique prend le tournant ipso facto de la professionnalisation interactive et des cultures professionnelles. L’innovation représente, de nos jours, un des moteurs de développement de l’entreprise, la nouveauté y est devenue une dynamique permanente. En éducation, cependant, il n’est pas certain que le changement incessant produise des retours prolongés, car il se vit souvent, selon Philippe Meirieu, « sous le signe de l’ambivalence : une ambivalence assumée et même revendiquée ». Un terme qui semblerait mieux qualifier l’innovation dans sa spécificité éducative serait celui de :

(…) processus d’invention et de création. [Innover en éducation reviendrait à] inventer des modèles et des outils pour résoudre des problèmes qui émergent dans une ambition éducative. (Meirieu, 2002).

C’est sur ce piédestal que repose la seconde hypothèse, étayée par des entretiens à un niveau micro, auprès d’enseignants de différentes disciplines et d’étudiants en formation initiale de pédagogie en allemand, en anglais, en français et en espagnol.TM

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Une partie des enseignants ressemblent à des forteresses bien défendues, toutefois, il convient d’aller les chercher là où ils sont, de s’intéresser à ce qu’ils font pour tenter de rompre leur solitude conservatrice.

Ce travail de régulation passe par une observation des pratiques, un dialogue interactif et un jeu d’exigences et de vigilances, afin de déclencher chez le praticien, un continuum formatif s’initiant par une réflexion et aboutissant à une pratique réflexive.

0.2.3. Recueil des données empiriques

Les différents niveaux couverts par la recherche présentent une grande diversité tant dans leurs contenus que dans leur structure. Afin d’établir des comparaisons pertinentes, nous avons tenté de traduire les niveaux dans un langage catégoriel commun. Les catégories rassemblent le contenu des niveaux et réduisent ainsi la diversité pour la rendre plus manipulable.

Le guide d’entretien a été élaboré principalement comme un aide-mémoire, comportant soit des questions précises, soit des points clés à aborder, ceci sans crispation sur sa linéarité. Néanmoins,

(…) à ce titre, il n’est rien de plus préparé, malgré les apparences, rien de moins aléatoire qu’un guide d’entretien. (Tessier, 1993 : 113).

En effet, chaque entretien astreint à une autoclarification permanente de celui qui recueille les données, dans la mesure où toute évidence est toujours déconstruite lorsque des concepts comme la formation, l’apprentissage, l’enseignement sont les points de mire.

0.2.4. Explicitation des modèles théoriques

Un modèle, selon le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde :

(…) constitue en pédagogie le lien entre la rationalisation et l’action. Il permet de définir ce au nom de quoi on agit en connaissance de cause et non quelque chose qu’il faut reproduire. C’est, comme dit Edgar Morin, un principe d’action qui organise, communique et anime. En ce sens, modèle désigne une représentation dynamique ou un ensemble de valeurs, conceptions et principes qui servent de référence et se constituent dans un contexte historique, social et culturel, appelés à évoluer. (Cuq, dir., 2003 : 169).

L’esprit humain élabore des modèles pour expliquer la réalité. Tout savoir, toute conscience procèdent donc de modèles, permettant d’obtenir des éclairages différents sur une problématique. L’emprunt de modèles en Sciences de l’Éducation a pour corollaire une attitude d’objectivation, permettant de traiter les pratiques sociales et/ou éducatives comme des objets extérieurs à soi. Ce qui « permet d’agir sur elles, y compris collectivement ». (Cuq, dir., 2003 : 181).

L’objectivation donne également les moyens de construire du sens au sein d’un métier difficile et de vivre la complexité sans révolte, ni nostalgie du temps où tout était mieux, d’y apporter une sagesse professionnelle, garante de lucidité et de sérénité.

Les modèles théoriques choisis inscrivent ainsi notre recherche sur une toile de fond, qui la soutient et l’oriente. Ces cadres de pensées vont nous permettre de « penser sur la pensée des autres ». (Tessier, 1993 : 38).

Nous prendrons pour assise théorique, dans un premier temps, le concept de pensée complexe d’Edgar Morin, pour qui la complexité du monde doit être abordée et intégrée à la raison. Notre

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recherche part, selon l’expression d’Edgar Morin, « de l’irruption [d’un] désordre », d’un chaos pressenti et ressenti au sein de la formation didactique chilienne.

Parallèlement, ce cadre théorique nous permet d’établir des possibles, notamment que « les idées destructrices deviennent reconstructrices ». (Morin cité par Cortès, 2007 : 16). L’enseignement, de même que la formation, ont pour essence de transférer des stratégies pour la vie, où foisonnent les complexités. Il s’agit là d’une invitation à dompter le complexe, grâce au consentement de la diversité et, par conséquent, de participer à la finalité suprême : « parvenir à une société-monde, un humanisme planétaire, une terre-patrie ». (Morin cité par Cortès, 2007 : 26).

Nous insérerons un parallèle dialogique de cette théorie d’Edgar Morin avec les thèses du changement de Michael Fullan, doyen de l’Ontario Institute for Studies in Education, à l’Université de Toronto, en Ontario.

Le second soubassement théorique est emprunté à la culture d’entreprise, en tant que génératrice de stratégies récurrentes, avec lesquelles les acteurs d’une organisation ou d’une entreprise résolvent leurs problèmes. Les théories de Philippe Bernoux, sociologue du changement, de Michel Crozier, provenant du monde du management, se métisseront avec celles des auteurs précédemment cités pour enrichir et apporter des nuances opérationnelles à l’intérieur des domaines du changement en éducation et en formation.

La sociologie éducative offre le troisième socle théorique. Dans une perspective systémique, Philippe Perrenoud préconise de rechercher

(…) un système de poupées russes qui concilierait le national et le local, en passant par les niveaux intermédiaires, (…) d’imposer un minimum de cohérence à l’ensemble des intervenants et de limiter les guerres de religion et les querelles de territoire. (Perrenoud, 2000 : § La régulation non autoritaire des pratiques)5.

Capitaliser le changement passe ainsi par une mobilisation et une contagion positives. Michael Fullan propose une suite d’unités fertiles à suivre: « Préparés, tirez, visez ».

Être préparés est vital, il faut avoir une orientation, mais il peut s’avérer fatal d’étouffer le processus avec une vision, un objectif et une planification stratégiques, avant de connaître suffisamment la réalité dynamique.

Tirer signifie action et recherche, en suscitant les compétences, la clarté et l’apprentissage. Viser signifie donner forme à de nouvelles croyances, formuler des déclarations sur l’objectif et la vision et centrer la planification stratégique.

La vision et la planification stratégique sont postérieures, et en tout cas, postérieures à l’étape 3, et non à la première étape. (Fullan, 1993 : 46).

En outre, notre expérience de travail en Amérique Latine nous a sensibilisée et formée aux méthodes du pédagogue brésilien Paolo Freire, pionnier de la lutte contre l’analphabétisme. Celui-ci a fait table rase des pédagogies conventionnelles pour partir du principe qu’il n’existe pas de texte sans contexte et que le lien théorie-pratique n’est viable que dans un équilibre permanent.

La réflexion critique sur la pratique devient une exigence de la relation Théorie-Pratique, sans laquelle la théorie peut se convertir en baratin et la pratique en activisme. (Freire, 1997 : 18).

Notre posture de chercheuse s’inspirera, de ce fait, de celle de l’éducateur-chercheur dont parle Paolo Freire, pour qui tout chercheur est avant tout un éducateur !

5 Disponible sur : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2001/2001_17.html

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0.2.5 Organisation du texte

Pour mener à terme notre recherche, nous préciserons, dans le premier chapitre, les différents paramètres du contexte, afin de restituer la problématique réelle.

Le deuxième chapitre reconstituera l’angle d’attaque théorique, issu de plusieurs domaines, en tentant un tissage dialogique de ceux-ci, afin de respecter et de tramer une démarche anthropologique, interactionniste, constructiviste et plurielle.

Puis, nous proposerons des jalons pragmatiques, en vue de faire émerger une reconstruction professionnelle de la formation didactique.

Nous présenterons enfin, tout en maintenant une humilité efficace, des propositions de chantiers stratégiques, pour une mise en œuvre concrète d’une re-professionnalisation didactique.

Cette recherche n’est, au premier abord, ni nouvelle, ni originale. Mais, il n’est jamais totalement inutile de redécouvrir l’Amérique car, à chaque fois, les choses n’y sont plus tout à fait les mêmes.

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CHAPITRE 1.

EXPLORATION D‘UN CONTEXTE COMPLEXE :

ENTRE ObSOLESCENCE ET VOLONTÉ D‘OUVERTURE

1.1. Approches contextuelles multiples du système éducatif chilien

Les contextes historiques et culturels où opèrent les systèmes éducatifs ont, en toute certitude, une influence autant sur la structure d’organisation et de fonctionnement du travail éducatif que sur la façon dont les enfants, les jeunes et les adultes le reçoivent. Il nous paraît donc indispensable de respecter une démarche scientifique contextuelle et de l’aligner sur la fréquence culturelle en jeu, en d’autres termes, de saisir la matrice des codes et des valeurs, avant de s’aventurer dans une construction des représentations.

Les dimensions historique, politique, sociale et culturelle de l’éducation peuvent quelquefois freiner ou avoir un effet limitant, en ce qui concerne la portée des innovations engagées sur certains aspects du système éducatif.

L’éclairage contextuel augmente la fiabilité opérationnelle, dans la mesure où une dynamique de décontextualisation-recontextualisation le calibre et rompt, de ce fait, avec l’universalité des phénomènes.

Se décontextualiser revient à adopter une vision entonnoir dont le champ part d’un environnement localisé et passe ensuite au crible les aspects historique, politique, social, culturel, sociolinguistique pour les mettre en phase avec les besoins du contexte. La finalité de ce processus étant de proposer un dispositif technique ad hoc, en un mot de recontextualiser une projection d’actions de formations langues et cultures, dans le système éducatif chilien.

Ce va-et-vient décontextualisation-recontextualisation forge une posture professionnelle dont le fondement réside dans la consultation préalable de tous les acteurs, quant aux propositions d’innovations. Les changements qui visent directement les pratiques de travail dépendent d’ailleurs, presque totalement, de l’adhésion des professionnels impliqués et de leur volonté d’acquérir les compétences correspondantes.

La recherche d’effets immédiats sur les contextes humains ne correspond malheureusement pas au terrain de la formation, qui lui a besoin de temps. Les effets de contexte sont, par conséquent, à neutraliser, de façon à pouvoir entreprendre « un compromis entre le possible et le souhai-table »6. Comment donc prétendre neutraliser les effets contextuels sans en avoir une connaissance

préalable ?

Que pouvons-nous prendre en considération dans cette immensité du dehors chilien ? Il importe de ne pas re-faire une histoire du Chili, mais bien plutôt d’établir les événements marquants de la relation éducation-société. En somme, tendre une toile de fond, sur laquelle se dessinent les contours de notre objet de recherche, la formation didactique au sein de ses variations et de ses continuités.

Le premier reflet contextuel repose sur un aspect culturel, ténu et relatif à la conscience duale que le Chilien a de son pays : brèche enracinée dans un exil, tant extérieur qu’intérieur et provoquée par le changement structurel profond du Coup d’État de 1973.

6 Cours de Patrick Chardenet, Des politiques linguistiques à l’ingénierie linguistique. Année universitaire 2005-2006,

Paris 3 Sorbonne Nouvelle.

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Le deuxième éclairage, plus épais par rapport au précédent, permet d’une part, un regard panoramique sur la conjoncture sociopolitique et économique chiliennes, et d’autre part, un gros plan sur un aspect particulier de cette situation, celui de l’injustice, semblable à un mouvement sismique au Chili.

L’aspect sociohistorique de l’éducation chilienne constitue un troisième faisceau, en ce sens, où il oblige à une vigilance par rapport à un déploiement d’évidences de prime abord, comme l’existence d’un système éducatif chilien par essence. Au départ, le système éducatif chilien n’en est pas un. Les acteurs y ont toujours été largement autonomes et chaque communauté montait sa propre école sur un modèle européen, selon un idéal-type très variable. Les changements diachroniques des structures sociales ont également des effets non négligeables sur les valeurs en lien avec la position de la profession d’enseignant et, par là-même, sur l’identité du corps professoral.

Le contexte éducatif chilien représente ainsi un terrain complexe car il est miné par toutes sortes de désarticulations et de scléroses : désassemblage entre l’université et le marché éducatif, entre les décideurs universitaires et les décideurs éducatifs, mollesse de la formation didactique, en inadéquation avec les curricula et les besoins des professionnels de l’éducation. Les progrès enregistrés représentent souvent des avancées unilatérales de certains secteurs dont le vecteur est malheureusement une déperdition d’énergies.

Dans un ce contexte éducatif en souffrance, le thème de l’enseignement diversifié des langues étrangères, que d’aucuns, dans cette partie du monde, tiennent pour un luxe est paradoxalement, un parent pauvre au sein des disciplines scolaires. Néanmoins, le contexte sociolinguistique du Chili est à mettre à jour, pour constituer une veilleuse toujours allumée.

Même si la place des langues dans le système éducatif chilien n’est pas une priorité, la langue de l’autre reste cette entité qui va permettre de penser la différence. Elle ne contredit pas l’identité culturelle chilienne, mais au contraire vient la renforcer, elle a ainsi un rôle de potentialité symbolique.

Il convient sûrement de se pencher sur une valorisation du travail des langues à travers une greffe des cultures. Les politiques actuelles tendent à valoriser ce qui est plus visible, il est indéniable que les cultures mobilisent plus que les langues. L’intérêt est donc de s’imbiber de cette réalité, afin de déployer un mouvement d’actions langues et cultures dans le système éducatif chilien, avec un pôle formation d’éducateurs linguistiques et culturels.

1.1.1. Le Chili : un ou deux pays ?

En 1999, l’écrivain chilien Luis Sepúlveda a intitulé un article paru dans le journal Le Monde : « Deux Chili, deux langages ». L’enquête menée au Chili, en 1998, par Laurence Kundid illustre, de façon lisible, cet article. Elle portait sur ce que pensaient les Chiliens de la période qui allait du Coup d’État de 1973 à nos jours. Selon les résultats de cette enquête, des Chiliens vivant au Chili évoquent l’idée de « deux Chili », sous le signe d’une division.

Les deux pays n’indiquent pas une extraterritorialité objective, mais renvoient à une scission subjective, interne au pays. (Kundid, 2002).

Les différences d’ordre économique ne suffisent pas à identifier les deux Chili dont il est question :

Avant la dictature, malgré des gens très riches et des gens très pauvres, il n’existait qu’un seul Chili. Quelque chose ne relevant pas du registre économique vient alors scinder le Chili en deux : l’arrivée des militaires au pouvoir. (…) Cette rupture est subjective : en effet, alors que la nationalité reste la même, l’intériorité subjective au pays est refusée. [La personne interrogée] rejette le Chili instauré après le Coup

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d’État et se déclare en dehors de celui-ci. Ici la dualité est constituée par le Chili des militaires et par un Chili en absence : celui que désire la personne. (Kundid, 2002)7. La Constitution de 1925 permettait à tous les secteurs de la société d’être représentés, à travers les partis politiques. Cette libre circulation entre l’État et la société va disparaître avec le changement structurel politique de fond de la Constitution de 1980, instaurée par Pinochet. Dans cette nouvelle donne politique :

(…) les postes clefs, les directions d’usines, d’hôpitaux, d’universités, de syndicats sont occupés ou contrôlés par des militaires. Les filières en sciences humaines, comme la sociologie ou la psychologie, sont supprimées des cursus universitaires. Désormais, la société n’a plus de droit de regard sur les agissements de l’État et lui doit allégeance. Le contrôle exercé par les appareils répressifs de l’État, dont la cruauté est sans pareil au Chili, veille à ce que la société soit maintenue dans cet écart. (Kundid, 2002).

Parallèlement à cela, l’État est ordonné par l’économie de marché et devient un intervenant discret : L’Éducation et la Santé sont privatisées. Le code du travail retire aux travailleurs toutes leurs conquêtes sociales, instaure le libre marché de la main-d’œuvre, la précarité de l’emploi, l’aggravation des conditions de travail et la fragmentation syndicale.

La Constitution de 1980 a été ligotée de telle façon, qu’il est extrêmement difficile, voire impossible, même aujourd’hui, d’entreprendre une quelconque réforme constitutionnelle depuis l’État. Les gouvernements post-dictatoriaux se sont donc retrouvés circonscrits à préserver la stabilité institutionnelle.

Dans ce contexte, il semble légitime que de nombreux Chiliens considèrent le Chili comme deux pays :

(…) un premier pays qui serait l’État, l’institutionnalisation de Pinochet dans toute sa perfection et un deuxième pays qui serait le peuple. (Kundid, 2002).

L’aspiration à une unité de pays doit prendre le passage obligé d’une démocratie au sens plein du terme, dans laquelle la souveraineté appartient à tous les citoyens et surtout qu’elle soit rendue visible par l’État chilien aux yeux de tous. En effet, l’institutionnalisation chilienne est encore loin d’être l’alliée de nombreux citoyens touchés aujourd’hui, par des sévices économiques et sociaux.

Cette perception bifocale du Chili, de la part de certains Chiliens devenus des exilés politiques intérieurs, engendre un déracinement du dedans, un sentiment de méconnaissance et d’incompréhension face à leur propre pays. La société chilienne s’est atomisée et comme le décrit Olimpia Riveros :

(…) nous sommes finalement les reflets de tout le processus. Un réseau social très intéressant s’était installé lorsque nous avons lutté pour détruire la dictature. Les Chiliens étaient reliés territorialement et défendaient, selon leur espace, la santé, la culture, l’éducation. La première chose entreprise par Patricio Aylwin, le premier Président démocratique, fut de démanteler tout le réseau populaire existant, de façon délibérée et consciente. (…)

Je ne sais pas quelle transformation négative nous est arrivée à nous les professeurs, mais nous nous sommes recroquevillés dans le travail purement pédagogique et administratif. Aujourd’hui, notre défi est de nous relier en vérité avec toute la communauté sociale et de devenir des éducateurs de celle-ci. (…)

En réalité, il existe deux Chili, celui qui tente de retisser les liens et celui qui a sacralisé l’individualisme8 .

7 Disponible sur : http://alhim.revues.org/document633.html

8 Annexe n°4 : 279. Entretien réalisé le 13 mars 2008, avec Olimpia Riveros, Vice-Présidente du Collège des Professeurs.

Désormais (O.R.)

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Cette contradiction permanente, dans laquelle les Chiliens vivent, conditionne leur façon d’agir. La microsociété entourant chaque sujet devient ce qui détermine sa vie, sa façon de percevoir la réalité et de l’assumer.

Sous son aspect de peu d’ampleur, ce reflet contextuel n’est pas à considérer comme une moins-value, il joue plutôt le rôle d’un joker, auquel telle ou telle valeur peut être attribuée au sein de cette recherche.

Néanmoins, tous les avatars de l’éducation et de la formation didactique au Chili ne se justifient pas uniquement par l’intervention du régime autoritaire de 1973, même si la démocratie chilienne actuelle a tout construit à l’intérieur du cadre de l’institutionnalisation laissé par la dictature. Au-delà de cet événement historique prégnant, la perception actuelle de crise, au sein de la profession enseignante, est subrepticement en lien avec les transformations contextuelles, institutionnelles et épistémologiques de l’éducation chilienne.

1.1.2. Regard panoramique sur la conjoncture sociopolitique et économique

chiliennes

Le Chili est arrivé à un tournant de son histoire, en tout état de cause, il doit résoudre les défis de la qualité et de l’équité en éducation, afin de perfectionner sa démocratie et d’obtenir ainsi, un développement digne de ce nom, c’est-à-dire lié à une justesse et à une justice sociales. Les situations économiques entrent, par voie de conséquence, dans cette dimension macro, à cause de leurs imbrications dans le cadre sociopolitique.

En outre, le contexte politique a connu, selon l’époque, des conjonctures ouvertes ou fermées, porteuses de mobilité ou de pétrification, de participation ou de hiérarchisation par rapport à l’éducation.

1.1.2.1. Quelques remarques cursives pour tenter une contextualisation

socio-politique et économique

Le Gouvernement Militaire a laissé à la postérité l’image d’une institution toute-puissante et corrompue. Cependant, dépasser le cliché d’un Chili lyrique au dictateur romanesque nous autorise à regarder l’hégémonie actuelle de quelques individus et la carence de pouvoir dont dispose la majorité des Chiliens.

Au Chili, comme dans beaucoup d’autres pays, les concepts politiques de gauche et de droite sont tombés dans une grande confusion, après quatre gouvernements démocratiques. La gauche concertationniste des deux derniers gouvernements de Ricardo Lagos et de Michelle Bachelet administre un modèle néo-libéral, ce qui lui a ouvert les portes du secteur économique. La Concertation ne représente donc plus cette alternative engendrée à la fin de la dictature militaire. La droite historique, quant à elle, a rassemblé des adeptes dans le secteur populaire, grâce à un populisme exacerbé.

Ces deux mouvements politiques actuels servent tous les deux le modèle néolibéral et la monarchie du marché, ceci dans le cadre d’une économie ouverte au monde, où le marketing des capitaux régit l’ensemble. Par conséquent, l’État, dans sa fonction traditionnelle de régulateur des processus économiques et des inégalités sociales, s’est volatilisé peu à peu. Tout s’est réduit au bénéfice et à l’expansion de l’accumulation.

C’est l’exportation des matières premières à l’état brut qui a rendu possible l’expansion chilienne. Le Chili est ainsi devenu le jaguar de l’Amérique Latine, en grande partie, grâce à la croissance de

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son économie. D’aucuns ont pris le parti de nuancer cette euphorie, en avançant que l’accroissement économique n’est pas garant, à long terme, de l’essor national. Il s’agirait plutôt d’une croissance en trompe l’œil, sans valeur ajoutée pour le pays, comme l’analyse Ariel Zuñiga :

L’argent obtenu grâce à la vente des ressources naturelles (…) n’est pas investi à l’intérieur des frontières et, le cas échéant, il sert à fournir des ressources spécu latives à l’aristocratie financière. La petite marge qu’il reste pour l’État, due aux impôts, n’est pas investie dans le développement du pays, mais dans la reproduction et la discipline de la main d’œuvre non qualifiée, qui est ensuite utilisée pour l’industrie d’extraction, celle de la consommation et celle de l’endettement. (Zuñiga, 2007)9 .

Étant donné que les impôts ne sont pas réinjectés au sein de la société, les indices de croissance des vingt dernières années ne permettent en aucun cas d’envisager un développement durable. La non redistribution du revenu national présume de déchirements sociaux à venir. Face à un État riche, la demande et les exigences sociales se font plus pressantes : développer la recherche de haut niveau, investir dans la santé, l’éducation, employer des professeurs de langue... Mais, pour les gouvernements chiliens, « la société représente une dépense et non un investissement ». (Zuñiga, 2007).

À ce titre, le Chili est-il vraiment ce jaguar de l’Amérique Latine ? Les jeunes provenant des familles aisées ont un accès facile aux études et ensuite, aux emplois privilégiés avec des horaires flexibles et une rémunération trois fois plus élevée que celle des autres classes :

(…) pour les familles aux faibles moyens qui investissent dans l’éducation, leur grande récompense sera que leurs enfants ne se saliront plus les mains, au moins littéra lement (…). Cependant l’éducation les a endettés, frustrés, disciplinés, sous-employés (…). L’éducation supérieure au Chili ressemblant plus à une éducation technique secondaire d’excellence. (Zuñiga, 2007).

L’égalité des chances restera illusoire tant que l’État n’accordera que des prêts pour assumer la totalité des coûts occasionnés par les études. Pour que les meilleurs parmi les plus défavorisés puissent entrer en compétition d’égal à égal avec les riches, tant à l’université que sur le marché de l’emploi, l’État devrait supplanter le prêt par la subvention.

Par ailleurs, dans ce pays très élitiste, le manque de renom est absolument à corriger pour prétendre réussir l’ascension sociale. Faute de quoi, les moins favorisés sont obligés de traîner leur marque sociale, sans pouvoir accéder aux meilleurs emplois, malgré leur bon niveau d’études.

Le concept de politique de subvention semble un euphémisme dénué de sens pour la ploutocratie chilienne, dans la mesure où elle a la possibilité de vivre à l’européenne ou à l’américaine, sans avoir à travailler au développement intégral du pays. Industrialiser signifie assumer des risques et avoir un regard de pays et d’avenir, intégrant les pauvres à la société. Cette projection est apparemment démesurée pour une

(…) élite [qui] se contente d’être le gardien de la caverne d’Ali Baba, et cela (…) l’enrichit. Sans travailler, sans risquer, sans penser. (Zuñiga, 2007).

Dans ce système démocratique asymétrique, où la redistribution des revenus fait partie d’un no man’s land et génère, de ce fait, une situation de statu quo chez les plus défavorisés, le profil d’un projet global de cohésion et d’équité sociales semble encore un mirage à l’horizon, malgré les exigences en lien avec la date symbolique du Bicentenaire 2010!

9 Disponible sur : http://www.alterinfos.org/spip.php?article1741

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1.1.2.2. Plan focal sur l’injustice : un mouvement sismique au Chili

La notion d’équité constitue au Chili un mouvement qui parcourt l’histoire, une sorte de tension de justice économique et sociale, dans le sens d’une force qui agit de manière à écarter les parties constitutives d’un corps.

Humberto Vega, Économiste et Doyen de la Faculté des Sciences Économiques de l’Université Centrale, a analysé les stratégies de développement appliquées par les différents gouvernements de la Concertation pour la Démocratie, successeurs de la dictature ; il est parvenu à la conclusion d’une impuissance à atteindre l’équité.

En faisant référence à son livre Au lieu de l’Injustice. Un chemin pour le développement du

Chili au XXIème siècle, l’auteur soutient l’hypothèse que cette tension s’est mise en place dans

un conditionnement historique très significatif qui explique les problèmes actuels de la société chilienne et de son évolution future10.

Il s’agit d’un mouvement sismique dans la mesure, où il repose sur des ondes historiques récurrentes. Son origine remonte d’abord à la période de la Conquête Espagnole. Par la suite, l’indépendance chilienne a résulté de la révolte d’une oligarchie locale, celle des colons, soucieux d’échapper au monopole du commerce établi par Madrid et non du soulèvement d’une société indigène contre le pouvoir colonial blanc.

Même s’il ne s’agit pas de remettre en question les rapports sociaux dans une société fortement hiérarchisée et de nature essentiellement latifundiaire, problématique qui se retrouve d’ailleurs à l’identique dans l’ensemble des colonies espagnoles d’Amérique, la prolongation de ce mouvement sismique avec ses grandes avancées et ses reculs est irréfutable.

Le Coup d’État Militaire de septembre 1973 n’a pas seulement marqué le passage de la démocratie à la dictature, il a également imposé une acculturation à une culture du subterfuge, pour affronter le problème de justice sociale. La Constitution de 1980 est la caisse de résonance des vibrations d’injustice sociale car

(…) elle est le réceptacle des conceptions franquistes de la société, des pensées de l’économiste et philosophe autrichien, Friedrich Von Hayek, père du néolibéralisme et, par voie de conséquence, des orientations de la politique économique de Chicago. (H.V.)

Les Forces Armées ont ainsi élaboré une Constitution basée sur un fondamentalisme individualiste et ont généré, par la même occasion, une économie où les groupes de droite sont extrêmement puissants et protégés. Tous les éléments comme l’éducation, la santé, la sécurité sociale, les relations de travail ont pour clef de voûte l’individualisme et le mécanisme du marché.

La Constitution de 1980 représente quasi la sacralisation du droit de propriété et la méconnaissance des règles du travail. Elle est liée à la pensée de Von Hayek, pour qui la liberté essentielle est la liberté économique et non pas la liberté politique. (H.V.)

Les desseins fondamentaux du programme de la Concertation des Partis pour la Démocratie étaient avant tout, l’obtention de la réconciliation nationale. En matière d’équité, cela signifiait rétablir le droit des personnes et des institutions et réduire la pauvreté.

L’obsession pour une stabilité politique a contraint les gouvernements de la transition démocratique à sacrifier des contenus fondamentaux, telle l’iniquité du système antérieur, et a eu, de ce fait, des répercussions économiques énormes. (H.V.)

10 Dans cette partie, il sera fait référence à des données obtenues au cours d’un entretien réalisé le 12 novembre 2007

avec Humberto Vega. Désormais (H.V.)

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