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1.2. Réformes scolaires et formation des enseignants : une synchronisation introuvable

1.2.5. Concepts de la formation didactique au Chili

Les concepts de la formation des enseignants, ayant également leurs frontières, il convient d’en présenter une systématisation, à la lumière des théories et des recherches actuelles sur ce thème au Chili, ceci afin de ne pas se fourvoyer dans des similis évidences.

La formation professionnelle d’un enseignant est, en effet, le résultat de la culture éducative du pays en question. Toutefois, en fonction de l’époque, du contexte socioéducatif, les fondements de la formation des professeurs sont extrêmement différents selon les pays.

1.2.5.1. Dimension sociologique

La formation est conçue comme

(…) le processus d’inculcation-appropriation d’un savoir spécifique et standard, ayant lieu dans des institutions spécialisées à cette fin, durant un laps de temps explicitement régulier et qui est évaluée, certifiée sous la forme de compétences acquises ou non par les élèves. (…) le savoir spécifique désigné ne s’épuise pas en contenus déterminés de connaissance, mais il inclut aussi les habiletés et les façons d’être. (Cox, Gysling, 1990 : 17).

Dans la réalité, le savoir opère comme un capital culturel. Bourdieu différencie trois formes du capital culturel : le capital incorporé, le capital objectivé et le capital institutionnalisé. Le capital incorporé est le capital personnel, acquis grâce à l’inculcation et à l’assimilation, il fait partie intégrante de l’individu. Le capital culturel objectivé a la forme des biens culturels tels que les livres, les instruments, les nouvelles technologies, etc. Le capital culturel institutionnalisé prend la forme des diplômes, des certifications. Tout processus de formation concentre des relations et des mécanismes recourant à ces trois formes d’existence sociale qui s’entrelacent beaucoup dans la pratique.

Les programmes d’études définissent également, des paramètres essentiels du savoir, de ce fait, ils forment un cadre d’organisation pour les formations, en déterminant ce qui est essentiel et contingent, ce qui vaut et ne vaut pas pour les curricula des futurs éducateurs. Ils ont, aux yeux des enseignants, un caractère symboliquement absolu. Ceux-ci les considèrent comme une genèse sacrée, indispensable, en vue de la projection comme professeur idéal.

Dans l’immense hétérogénéité des contenus curriculaires, trois champs majeurs de connaissance ont été définis par Cristián Cox et Jacqueline Gysling :

1. La Formation Générale qui inclut toutes les disciplines cherchant à inculquer chez l’étudiant les contenus dignes d’un certain niveau culturel.

2. La Formation Professionnelle comprend toutes les matières pédagogiques ou des Sciences de l’Éducation, (…) les activités destinées à entraîner le professeur dans certaines théories ou procédés, directement liés avec le processus éducatif.

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3. La Discipline correspond à l’ensemble des connaissances, conduisant à la spécialisation d’une matière déterminée. (Cox, Gysling, 1990 : 24-25).

Ces trois domaines qui articulent les curricula de la formation initiale possèdent des statuts épistémologiques distincts dont la conséquence a résulté en une évolution asymétrique et fragmentée, provoquant la pauvreté méthodologique actuelle :

Formation Générale et Discipline se réfèrent à des contenus et Formation Professionnelle à des formes ou des procédés ; les premières au « quoi » de la transmission culturelle, la dernière au « comment » de sa réalisation. Tout au long de l’histoire des institutions de formation des professeurs, la tension constitutive est représentée par la dispute pour le poids de l’une ou l’autre composante, au sein de la définition de l’identité du professorat. Historiquement, la Formation Professionnelle a été la composante subordonnée de la formation. (…)

L’identité professionnelle du professorat est marquée par cette scission dans son savoir spécifique ; (…) (Cox, Gysling, 1990 : 271).

Lors de l’augmentation du capital culturel de la société chilienne dans les années soixante, la Formation Générale perd son identité de composante centrale de la formation des enseignants du primaire.

Par ailleurs, au sein des institutions de formation des enseignants du secondaire, un écart de plus en plus large se crée entre les mécanismes de production du savoir à l’intérieur des départements disciplinaires et les instances de transmission du savoir des départements pédagogiques.

De plus, la Formation Professionnelle a varié de la subordination à l’hégémonie dans le cas des professeurs du primaire, ses éléments sont devenus des disciplines isolées, à l’intérieur desquelles le caractère théorique a pris de plus en plus d’ampleur.

1.2.5.2. Dimension ético-pédagogique

Tout éducateur a pour mission d’éduquer selon des critères de connaissances mais aussi selon des valeurs et des croyances. Voici les critères conçus pour l’accréditation des programmes de formation des professeurs :

La raison d’être de la mission des enseignants repose sur leur contribution à la croissance des personnes. C’est-à-dire, contribuer, (…) au développement intégral des personnes, en incluant leurs dimensions biologiques, affectives, sociales, morales et cognitives. La fonction de l’enseignant est d’accompagner le processus à travers lequel d’autres personnes se développent, dans la plus grande plénitude possible (…) et de le réaliser dans le cadre d’un comportement qui mette en valeur les autres et respecte les droits individuels et sociaux. (Commission Nationale d’Accréditation des Filières de 1er Cycle Universitaire, 2001.- Cité par Avalos, 2002 : 59).

Les tâches pédagogiques d’enseignement sont conceptualisées selon trois types d’activités : la préparation adéquate et qualifiée de la leçon, l’élaboration de pratiques de travail à l’intérieur de la salle de cours et des actions ad hoc pour générer l’apprentissage et le changement. Par ailleurs, le concept d’intégration de la diversité, en tant que principe, possède une position déterminante au sein des stratégies de transformation de la formation des professeurs. Selon Beatrice Avalos, ce concept englobe des perspectives variées :

- (…) développer une attitude d’interrogation, de réflexion, et de mise en valeur permanente de la réalité, plutôt qu’une emphase sur la transmission de réponses donnant une vision achevée du monde.

- L’intégration dans la salle de classe et dans les curricula d’activités, favorisant la croissance de l’individu sous tous ses aspects : cognitif, rationnel, éthique, créatif, affectif, social, psychomoteur et physique.

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- Une perspective anthropologique dans laquelle, l’éducation est perçue comme multiculturelle, en promouvant la connaissance et la mise en valeur des diverses cultures du monde.

- (…) à partir d’une perspective psychologique, la formation d’enseignants et d’apprenants parvenant à avoir une haute estime d’eux-mêmes (…).

- (…) l’intégration d’attitudes non discriminatoires, de mise en valeur des différences humaines et respectueuses de la dignité de chacun.

- Finalement, une perspective pédagogique qui suppose l’intégration de la diversité des méthodes, ainsi que la recherche de méthodologies de base communes (…). (Avalos, 2002 : 62).

Néanmoins, malgré les efforts réalisés dans le cadre du programme ministériel Fortification de la Formation Initiale des Enseignants (désormais FFID), conclu en 2002, certaines institutions démontrent encore un niveau de déconnexion avec les exigences de la profession enseignante dans son contexte. Malgré les efforts entrepris, la majorité des professeurs possède des lacunes concernant le « quoi » et le « comment » enseigner.

Je me souviens avoir fait partie d’un groupe pour l’accréditation de la filière d’histoire d’une université, et avoir demandé à un intervenant d’histoire : « Allez- vous voir quelquefois vos étudiants en stage dans les écoles ? » Non ! Eux enseignent l’histoire de la civilisation, du Chili, comme ils disent, mais ils ne vont jamais voir si cet étudiant, à qui ils ont enseigné, est capable d’enseigner cette histoire de façon appropriée aux élèves. (B.A. Annexe n°4 : 281)

En d’autres termes, les intervenants universitaires ne semblent pas avoir intérêt à s’abaisser à des tâches pratiques. Étant donné qu’ils ont été formés dans un système universitaire élitiste, ils se sont spécialisés sur des objets éloignés du réel, donc retourner vers la pratique leur devient impossible. D’où l’indigence méthodologique de la formation initiale actuelle.

Depuis 2008, une initiative nommée programme Inicia, cherche à détecter les conditions dans lesquelles les futurs professeurs sortent de leur formation initiale, afin d’y apporter des améliorations et d’offrir au système éducatif des enseignants de qualité. Les programmes FFID et Amélioration de la Qualité de l’Enseignement Supérieur (désormais MECESUP) représentaient une invitation doublée d’un soutien, Inicia prend certes, les atours d’une pression soft, amenée incontestablement à s’officialiser. Le contexte actuel d’expansion du champ des certifications au Chili rend par conséquent, viable un enjeu de taille : la création de départements de didactique produisant le savoir à un niveau de doctorat et résolvant des problèmes très concrets de mise en contact des sujets avec l’objet.

1.2.5.3. Dimension professionnelle

Malgré l’assujettissement historique et épistémologique de la Formation Professionnelle, englobant matières pédagogiques et méthodologiques, cette dernière forme le noyau distinctif de la profession enseignante, en tant que maîtrise des compétences de la transmission des connaissances ou de la mise en contact du sujet avec l’objet.

D’après les recherches de Cristian Cox et de Jacqueline Gysling, le nombre des disciplines constitutives de la Formation Professionnelle est allé en augmentant, ceci en dehors des conjonctures politiques, contextuelles ou culturelles. Concernant les disciplines théoriques de base, les auteurs précédemment cités distinguent deux types de composantes :

(…) d’une part, un ensemble de matières qui (…) cherchent à donner une vision conceptuelle générale du phénomène éducatif (…) : Principes de l’Éducation, Histoire

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de l’Éducation, Pédagogie Générale etc. D’autre part, nous trouvons un ensemble de matières qui prétendent donner au professeur des outils conceptuels générés dans des champs externes à celui de la pédagogie (…) : Philosophie, Psychologie, Sociologie. (…)

Il est intéressant de noter que (…) concernant la dimension théorie/technique dans la Formation Professionnelle, lorsque le Plan d’études a une orientation technique, la discipline dominante est la Psychologie (Écoles Normales et primaires), en revanche, lorsque l’orientation du Plan d’études est plus théorique (secondaires), nous trouvons jusqu’en 1960, la domination de la Philosophie, et postérieurement, subordination de celle-ci à la Psychologie. (…)

La sociologie est adoptée dans les Plans d’études plus comme un complément de culture générale que comme une discipline de base pour comprendre l’éducation. (Cox, Gysling, 1990 : 281-283).

Le savoir pédagogique s’est caractérisé par des matières comme Didactique ou Pédagogie, Méthodologie, Curriculum, Orientation, Évaluation, etc. Toute pratique pédagogique déploie quatre règles épistémologiques afin de réaliser au mieux la transmission et l’acquisition : la sélection (quoi), la séquence (ordre temporel), le rythme (quotient d’acquisition) et le critère (légitimité des connaissances). Au long d’une grande partie de l’histoire éducative chilienne, les matières techniques furent Pédagogie et Méthodologie.

Ces deux matières se réfèrent fondamentalement aux problèmes de séquence et de rythme de la transmission éducative. (…) un champ crucial des pratiques pédagogiques, correspondant aux règles de sélection et de critère, n’a pas appartenu aux enseignants, [mais à l’appareil ministériel central]. (…)

L’évolution exhibée par les disciplines pédagogiques, à partir du milieu de la décade des années cinquante a consisté justement à une expansion de la formation pour les champs (…) comme Curriculum et Évaluation. (Cox, Gysling, 1990 : 287-288).

Il existe une représentation traditionnelle au Chili, selon laquelle, le professeur de l’enseignement primaire doit connaître un peu de tout et surtout maîtriser comment faire acquérir, alors que l'enseignant du secondaire est tenu à devenir un spécialiste pour inculquer une matière à des élèves entre quatorze et dix-huit ans.

La formation a ainsi balancé entre ces deux extrêmes : niveaux inférieurs généralistes et niveaux supérieurs spécifiques. Le Programme FFID a tenté de résoudre l’inexistence de formation de professeurs du primaire avec une spécialisation disciplinaire, toutefois, le compte-rendu de l’OCDE, en 2004, continue à relever cet aspect comme un des problèmes principaux de l’éducation chilienne. De plus, le MECESUP a mis en place une nouvelle structure de formation des enseignants du primaire, avec pour axe la spécialisation disciplinaire. Résultats là-aussi, somme toute, pessimistes.

Le déroulement historique de la formation professionnelle des enseignants exige un dépassement d’une vision fortuite. En effet, la tension entre le savoir disciplinaire et pédagogique est une réalité de longue date. Cependant, le nœud de ce problème ne s’est pas encore dénoué car

(…) les améliorations évidentes concernant ce point stratégique, (…) sont entrées en collision de fait et en silence avec les intérêts et les craintes résistantes des Facultés d’Éducation, concernant la perte de pouvoir face à ceux qui pourraient enseigner les disciplines aux futurs professeurs (appartenant à d’autres départements ou faculté). (Cox, 2007 : 193).

Chaque institution montre ainsi avec ostentation une histoire lourde, reposant de tout son poids sur les structures organisationnelles et sur la culture universitaire, entravant ainsi la dynamique

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des projets, tel le FFID, et le leadership de leurs coordinateurs. D’après Jacqueline Gysling, cette querelle discipline/pédagogie

(…) doit se résoudre non pas sous le paradigme encyclopédique et de l’éducation sélective, mais sous celui des compétences et de l’éducation inclusive de tous. (Cox, 2007 :193).

Le stage pratique, quant à lui, a occupé un lieu primordial au sein de la Formation Professionnelle pendant presque un siècle, puisque les centres de formation de professeurs primaires et secondaires disposaient « d’écoles d’application » ou de « lycées d’application ». Les étudiants pouvaient y appliquer leurs connaissances, observer les professeurs et être examinés par ces derniers.

Puis, vers les années quarante, le stage pratique a perdu du terrain pour terminer en peau de chagrin, en fin de filière universitaire. La disparition de ce procédé de mimétisme, rendu possible par le stage dans les écoles, a constitué une faille structurelle au sein de la formation. L’éloignement de la formation des professeurs par rapport à la salle de classe a ainsi causé l’effilochement d’une identité professionnelle et d’une sécurité pédagogique.

Il convient, par là-même, de souligner que les leaders du champ éducatif chilien sont plus souvent les chercheurs que les formateurs de formateurs, ces derniers ayant pourtant, à leur actif, la production de l’innovation éducative.

Le Programme FFID entre 1997 et 2002 a tenté de revaloriser et de rendre visible le stage pratique qui est redevenu un axe articulant toutes les activités curriculaires de la formation initiale. Il est conceptualisé selon quatre phases :

- La première commence par des activités de reconnaissance centrées autant sur l’étudiant et la construction de son identité professionnelle que sur les institutions scolaires et leur contexte.

- La deuxième précise les aires du savoir et les types de compétences nécessaires pour affronter les situations éducatives.

- La troisième initie formellement l’apprentissage de l’enseignant. Le regard se centre sur comment les enfants apprennent et sur l’analyse des expériences des étudiants dans leur Formation Pratique avec ce qu’ils apprennent dans leurs cours théorique.

- La quatrième est la prise de responsabilité d’un cours comme professeur.

- La cinquième concerne la compréhension de situations éducatives complexes et la capacité de réaliser des actions de changement sur celles-ci. (Avalos, 2002 : 110).

En considérant la perspective historique, il semble évident que la crise actuelle de la profession enseignante n’est pas étrangère aux contextes, aux institutions et au savoir qui les constitue. La distinction socioculturelle du groupe professionnel des enseignants s’est effilochée avec le temps. L’expansion du capital financier et culturel a fait rebondir cette profession sur des terrains différents, où la complexité d’un monde pluriel, les nouvelles technologies de la communication exigent une reconstruction professionnelle effective pour pouvoir aboutir à une revalorisation sociale du corps enseignant.

Ce chemin ne peut pas seulement se parcourir à coups de discours syndicaux ou politiques, s’usant dans une dénonciation d’un autoritarisme militaire ou d’un passé où tout était possible et meilleur.

Sous le terme de formation, s’est glissé un élément sémantique supplémentaire, celui de transformation.

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Cette fonction nouvelle de la formation repose pour l’essentiel sur l’idée de processus permanent. Il n’existe pas de formes (sociales, professionnelles, éducationnelles) a priori achevées, mais des processus en cours de réalisation : (…) l’adulte n’est pas un être professionnellement achevé ; il doit intégrer, s’approprier des compétences nouvelles, s’enrichir, se modifier par des apports constants. On parle désormais de formation tout au long de la vie. (Cuq, dir. 2003 : 103).

En balayant la dimension sociologique, ético-pédagogique et professionnelle de la formation des enseignants au Chili, sous un aspect diachronique, la sensation retenue est celle de multiples projets tentant de transformer la carapace formative.

Or, il reste encore une tâche de taille : l’amélioration du noyau médullaire de la formation. Pour atteindre cette finalité, il est impossible de faire fi d’une réconciliation authentique entre la didactique des spécialités et la pédagogie. Chaque étudiant futur professeur et chaque enseignant devraient être en mesure de devenir le « théoricien de sa propre pratique », selon l’expression de Loïc Chalmel42. La besogne n’est donc pas terminée, elle commence à peine.

1.2.6. Asymétrie de la formation didactique : une réalité exclusivement