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La variable dépendante : la réorientation de la politique africaine du Brésil

CHAPITRE 2 : CADRE ANALYTIQUE DE LA RECHERCHE

2.3. Cadre opératoire

2.3.1. La variable dépendante : la réorientation de la politique africaine du Brésil

La réorientation de la politique africaine du Brésil sous Lula da Silva est analysée à travers trois principales dimensions :

 Dimension diplomatique

Elle fait référence au renforcement des relations diplomatiques entre le Brésil et l’Afrique. Cette dimension est généralement présentée dans la littérature comme une des plus illustratives de la réorientation de la politique africaine du Brésil (Saraiva, 2010, 2012 ; Ventura, 2010 ; White, 2010 ; Patriota, 2011 ; Santander, 2011 ; 2014). Les indicateurs de cette variable sont le nombre d’ouvertures (et de réouvertures) de représentations diplomatiques brésiliennes en Afrique et celles de pays africains au Brésil et les visites d’État du président brésilien sur le sol africain. Le choix de ce personnage s’explique par le fait qu’il est le principal dépositaire de la politique étrangère au Brésil. Nous postulons que l’accroissement de chacun de ces indicateurs illustre la consolidation de la diplomatie brésilienne envers l’Afrique qui participe donc à la réorientation de la politique africaine du Brésil.

 Dimension commerciale

Elle fait référence à l’évolution des échanges commerciaux entre le Brésil et l’Afrique. Elle a constitué comme la dimension diplomatique, un important levier de la politique africaine du gouvernement Lula (Ribeiro, 2007 ; White, 2010 ; CEA, 2013). Un premier indicateur est

l’évolution des échanges commerciaux – en $ US — dont l’analyse nous renseignera sur l’ampleur des relations commerciales entre l’Afrique et le Brésil. Nous nous intéresserons également à un autre indicateur probant pour étudier l’évolution des relations commerciales, à savoir l’évolution de la part de l’Afrique dans le commerce total du Brésil.

 Dimension de la coopération au développement

C’est la troisième dimension décrite par la littérature comme composante essentielle de la politique africaine du Brésil (Inglesias et Costa, 2011 ; Inoue et Vaz, 2012 ; Muggah et Hamann, 2012 ; CEA, 2013). Elle fait référence aux initiatives du Brésil en matière de politique d’aide au développement par rapport aux pays africains à travers des programmes et projets de développement soutenus et financés en Afrique. À l’image du Canada avec l’Agence canadienne de développement international (ACDI), le Brésil dispose d’une agence chargée de la définition et de l’application de la politique de coopération de développement, l’Agence brésilienne de coopération (ABC). Cette agence créée en 1987 au sein de l’Itamaraty est responsable de la mise en œuvre de la coopération technique qui est le principal instrument de la politique brésilienne de coopération pour le développement avec les pays africains (Vaz et Inoue, 2007 ; ABC, 2010).

Cette coopération technique existe dans divers domaines comme l’agriculture, l’éducation, la formation professionnelle, la santé, etc. (ABC, 2010 ; Patriota, 2011)10. Ainsi, les deux

indicateurs retenus pour analyser la coopération technique sont l’évolution du nombre de projets de coopération technique réalisés en Afrique, l’évolution du nombre de pays ayant bénéficié de cette coopération. Nous considérons qu’un accroissement de chacun de ces indicateurs est une illustration de l’importance de la coopération en matière de développement qui participe activement à la réorientation de la politique africaine du Brésil sous Lula.

 Précisions sur le choix des variables dépendantes et des indicateurs

Précisons dès maintenant que même si nos données couvrent globalement la période 1995- 2016, dans l’interprétation, nous insisterons davantage sur le dernier mandat de Cardoso (1er

janvier 1999 — 31 décembre 2002), le premier mandat de Lula (1er janvier 2003 – 31 décembre 2006) et le premier mandat de Dilma Rousseff (1er janvier 2011 — 31 décembre 2014). Ce choix s’explique par le fait que Cardoso (1995-2003) et Lula da Silva (2003-2011) ont globalement gardé la même ligne directrice en matière de politique africaine durant chacun de leurs mandats respectifs. Quant à l’ajout du premier mandat de Dilma Rousseff qui a succédé à Lula, il nous permettra de voir s’il y a présence ou absence dans le temps d’autres facteurs explicatifs de premier plan dans la réorientation de la politique africaine du Brésil.

Notre choix des trois variables et de leurs indicateurs trouve sa justification dans la littérature à la fois sur l’analyse de politique étrangère et celle traitant de la politique africaine du Brésil. En effet, les différentes initiatives du Brésil sur le plan diplomatique, économique et de la coopération pour le développement sont les principaux axes décrits dans la littérature pour illustrer la réorientation de la politique africaine du Brésil (Ribeiro, 2007; Cervo, 2010; White, 2010; Patriota, 2011; Santander, 2011; IPEA, 2011; Iglesias et Costa, 2011; Inoue et Vaz, 2012; Muggah et Hamann, 2012; Stolte, 2012; CEA, 2013). Comme le résume le tableau 3, nos trois variables dépendantes correspondant aux trois dimensions : diplomatique, économique et de coopération au développement possèdent toutes un niveau de mesure numérique dépendant de la valeur des indicateurs.

Tableau 3 : variables dépendantes et indicateurs

Variables dépendantes indicateurs

Dimension diplomatique o Nombre d’ouvertures de représentation diplomatique brésiliennes en Afrique

o Nombre d’ouvertures de représentations diplomatiques africaines au Brésil

o Nombre de voyages présidentiels brésiliens en Afrique

Dimension commerciale o Flux commercial Brésil/Afrique

o Part de l’Afrique dans le commerce du Brésil Dimension de la coopération au

développement

o Nombre de pays africains bénéficiant de la coopération technique avec le Brésil

o Nombre de projets de coopération technique réalisés en Afrique

Un accroissement des indicateurs de chacune des trois variables dépendantes devra être observé — après 2003 — pour que l’on parle d’une réorientation de la politique africaine du Brésil. Ainsi, une augmentation du nombre d’ouvertures de représentation diplomatique, du nombre de visites du président entre les présidences de Cardoso et Lula illustre une réorientation dans le domaine diplomatique. Dans le cas contraire, on parlera de statu quo. La même logique s’applique aux indicateurs des deux autres variables que sont la dimension commerciale et la dimension de la coopération au développement.

2.3.2. La variable indépendante : la vision du leader

Dans le système présidentiel brésilien, le chef de l’État est le centre de gravité du système politique. L’un des attributs du président du Brésil est qu’il est le chef du gouvernement et de la diplomatie et constitue à ce titre la figure du Brésil sur la scène mondiale (Fenwick et al., 2017). Burges et Chagas Bastos (2017) rappellent que « l’engagement présidentiel direct et son autorité sont au cœur du changement et de l’innovation de la politique étrangère brésilienne » (2017 : 287). Par conséquent, s’il existe un consensus dans la littérature admettant que c’est sous la présidence de Lula da Silva qu’on a observé la réorientation de la politique africaine du Brésil, il devient logique de s’interroger sur la place du président dans cette réorientation.

Comme le souligne Peter Dumbuya (2014 : 42), « Sous da Silva [Lula], le concept de la diplomatie présidentielle ou personnelle a changé l’intérêt grandissant du Brésil dans les

relations internationales, non seulement concernant sa place dans le système international, mais aussi sur la façon dont le président a mené la politique étrangère en réponse à l’évolution de l’environnement international post-guerre froide ». Nous tenterons donc de démontrer que Lula avait une vision du monde et des relations avec l’Afrique qui était différente de celle son prédécesseur (Burges, 2005 ; Vigevani et Cepulani, 2010 ; Vilela et Neiva, 2011 ; Faria et Paradis, 2013).

Ainsi, nous définissons deux variables relatives à la vision présidentielle de la politique africaine. Il y a la vision centralisée selon laquelle le système international est dominé par les pays occidentaux et — en premier lieu par les États-Unis – et la politique étrangère du Brésil a comme objectif principal de renforcer ses relations avec ces pays pour assurer son insertion internationale. Ainsi, cette conception du monde ne fait pas de la coopération Sud- Sud et plus particulièrement celle avec l’Afrique une priorité. Il y a ensuite la vision

décentralisée selon laquelle le système international est plus que jamais fragmenté et qui

considère que l’autonomie du Brésil passe par une diversification de ses partenaires en accordant notamment une grande importance à la coopération Sud-Sud.

C’est dans cette perspective que le continent africain apparaît comme une priorité de la diplomatie brésilienne à partir de 2003 et celle — ci ne se limite pas à la consolidation des liens avec les pays lusophones africains. Juliana Jerônimo Costa (2011 : 11-15) résume assez bien cette différence lorsqu’elle distingue « l’approche sélective » de la politique africaine du Brésil chez Cardoso — avec des relations diplomatiques et commerciales principalement orientées vers les pays lusophones — et « l’approche diversifiée » de Lula da Silva marquée par une volonté d’intensification et de diversification des relations avec les pays africains, dans divers domaines tels que la diplomatie, l’aide au développement, la culture, l’éducation, etc. Cette différence d’approches ou de perceptions du système international et de la place du Brésil dans ce dernier est selon nous la cause principale de la réorientation de la politique africaine du Brésil. Nous verrons dans notre conclusion anticipée les conditions dans lesquelles notre hypothèse sera confirmée ou infirmée.

Dans leur étude exploratoire sur les différences et ressemblances entre Cardoso et Lula da Silva, Vilela et Neiva ont effectué une analyse de contenu des discours de Cardoso (1995-

2002) et Lula (2003-2010) afin de faire ressortir les régions et les thématiques qui reviennent le plus souvent dans le discours de chacun des présidents. Comme nous le verrons dans la prochaine section, nous adoptons une méthodologie différente de leur étude (dans la catégorisation notamment) mais nous nous inspirons de leur organisation pour analyser l’évolution de notre variable indépendante à travers les deux dimensions suivantes :

 Les régions : ce sont les régions considérées comme importantes par la diplomatie brésilienne. Il s’agit de déterminer les zones géographiques considérées comme étant les cibles prioritaires pour atteindre les objectifs de la politique étrangère.

 Les thèmes : ce sont les champs ou domaines dans lesquels la politique étrangère d’un pays cherche à atteindre ses objectifs. Il s’agit de déterminer la hiérarchie des domaines prioritaires pour un pays sur la scène internationale.

Le tableau 4 présente les régions et les thèmes qui composent notre grille d’analyse. Ce choix a été inspiré par différentes sources. Il y a d’abord le site de l’Itamaraty qui présente les différents domaines de la politique étrangère du Brésil. On a ensuite le document intitulé Bilan de la politique extérieure du Brésil 2003-2010 (MRE, 2010) qui revient également sur les différents enjeux de la politique étrangère brésilienne. Enfin, nous nous sommes inspirés de la littérature sur la politique étrangère du Brésil dans laquelle ces différents champs nous paraissent les plus récurrents (Vilela et Neiva, 2011 ; Costa da Silva et al., 2015).

Tableau 4: régions et thématiques

Régions Thématiques

Afrique Amérique du Sud

Amérique centrale, Mexique, Caraïbes Amérique du Nord (Canada ; États-Unis)

Asie et Océanie Europe Moyen-Orient

Intégration et coopération régionale Insertion internationale

Institutions, organisations et forums internationaux Économie et commerce

Coopération internationale Paix et sécurité internationale Environnement et développement durable

Lutte contre les inégalités sociales Droits de l’homme et démocratie

Source : établi par l’auteur à partir de : site du Ministère des relations extérieures (MRE) :

http://www.itamaraty.gov.br/ ; MRE,2010; Vilela et Neiva, 2011.

Ainsi, nos variables indépendantes de vision centralisée et décentralisée seront traduites à travers les deux dimensions comme l’illustre le tableau 5.

Tableau 5: Vision centralisée et décentralisée

Dimensions Vision centralisée Vision décentralisée

Régions prioritaires

Amérique du Sud : Amérique du Nord ; Europe ;

Amérique du Sud ; Amérique centrale, Mexique et Caraïbes ; Afrique ; Asie ;

Moyen-Orient

Thématiques prioritaires

Intégration et coopération régionale ; Insertion internationale; Économie et commerce; Institutions, organisations et

forums internationaux ; Paix et sécurité internationale ; droits de l’homme et

démocratie; Environnement et développement durable

Intégration et coopération régionale ; Insertion internationale ; Économie et commerce ; Institutions, organisations et

forums internationaux; Coopération internationale; lutte contre les inégalités ; Environnement et développement durable

Par ailleurs, soulignons que ces deux dimensions regroupent nos différentes catégories comme nous le verrons dans la section suivante portant sur la méthodologie.