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Relations Brésil-Afrique : un bref rappel historique

CHAPITRE 3 : LA RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE AFRICAINE DU BRÉSIL

3.2. Relations Brésil-Afrique : un bref rappel historique

Commencer un rappel historique, aussi bref soit-il, des relations entre l’Afrique et le Brésil aux années 1960 ne signifie pas une ignorance de ce qui s’est déroulé antérieurement. En effet, l’histoire commune entre le continent et le géant d’Amérique latine commence au 17e

siècle avec l’esclavage dont les conséquences restent encore visibles dans la société brésilienne actuelle. Toutefois, les années 1960 marquent la naissance des « États » africains avec la vague d’indépendance qu’a connue le continent africain et c’est à cette période que l’on peut dater les premières relations diplomatiques entre les deux parties (de Grandsaigne, 1989 ; Saraiva, 2010 ; 2012)

Le début des années 1960 a été marqué par la signature d’accords diplomatiques avec le Ghana, avec notamment la première ambassade brésilienne en Afrique à Accra en 1961, mais aussi avec le Kenya, le Nigeria, le Sénégal. Brasilia a également participé à la création de l’Organisation internationale du café (OIC) en 1963 dont la majorité des pays membres fondateurs étaient africains (Patriota, 2011). Sous les présidences de Jânio Quadros (1961) et

de Joao Goulart (1961-1964), le Brésil a cherché à mener une « politique extérieure indépendante » (Patriota, 2011 : 7) qui a pour objectif de réduire sa dépendance par rapport aux puissances occidentales, en particulier les États-Unis. C’est dans ce cadre que Brasilia se rapprocha davantage des pays du tiers-monde et donc des pays africains nouvellement indépendants avec qui il souhaite nouer des relations solides (Saraiva, 2010 ; Patriota, 2011).

Par ailleurs, la rivalité avec l’Argentine rendait difficile, voire impossible, la mise en place d’un réel projet d’intégration dans le cône Sud. Il fallait donc solliciter d’autres relations qui permettraient à Brasilia de s’affirmer davantage et de jouer un plus important rôle dans l’échiquier international (Patriota, 2011). Par ailleurs, devant la nécessité de renforcer le processus d’industrialisation du pays qui était en marche depuis les années 1930 et qui s’était intensifié au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait pour le Brésil non seulement d’apparaître comme une puissance industrielle de l’hémisphère sud, mais aussi d’exporter ses produits manufacturés sur le sol africain. L’Afrique constituait donc une priorité de la fameuse « politique extérieure au service du développement » (Patriota, 2011 : 8) du Brésil.

Cependant, les relations entre le Brésil et l’Afrique restaient limitées et ambiguës, et ceci pour deux raisons essentielles. Il y a d’abord le comportement du Brésil face au mouvement de décolonisation. En effet, les bonnes relations avec le Portugal notamment à travers « le traité d’Amitié et de Consultation en 1953 » (de Grandsaigne, 1989 : 206) font que le pays d’Amérique du Sud ne prend pas clairement position en faveur de la décolonisation en particulier dans les colonies lusophones (Peixoto, 1983 ; de Grandsaigne, 1989 ; Saraiva, 2010 ; White, 2010). Cette ambiguïté brésilienne remontait déjà à la fin des années 1950 lorsque le Brésil refusa d’être membre de plein droit du Mouvement des non-alignés24.

Il y a ensuite les bonnes relations économiques et commerciales que Brasilia entretenait avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce partenariat était mal perçu par les États africains notamment ceux d’Afrique noire qui condamnaient la politique raciale de Pretoria et ceci

constitua un frein à l’engagement du Brésil en Afrique (White, 2010). Il faudra attendre le début des années 1970 et le régime militaire au pouvoir depuis 1964 pour voir le Brésil se rapprocher davantage des pays africains.

Les prémices de ce rapprochement se sont fait sentir sous la présidence du général Emilio Medici (1969-1974). En novembre 1972, le ministre brésilien des Affaires étrangères, Mario Barbosa, visita neuf pays africains et en 1973, le Brésil vota pour des mesures anticoloniales aux Nations unies. Sous la présidence d’Ernesto Geisel (1974-1979), le Brésil réaffirme son engagement envers les pays africains en reconnaissant l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée Bissau en juillet 1974. La politique étrangère du pays répondait alors au « pragmatisme responsable » (Patriota, 2011 : 6). En effet, le développement économique et social du pays nécessitait d’une part de renforcer les relations du Brésil avec les pays occidentaux, et d’autre part de dynamiser les relations avec d’autres partenaires en particulier en Asie et en Afrique.

En novembre 1975, Brasilia est une des premières capitales à reconnaître l’indépendance de l’Angola et la légitimité du Mouvement de libération de l’Angola (MPLA). Cette décision causa des tensions entre le Brésil et les États-Unis, car le MPLA était proche de l’Union soviétique et de Cuba. Brasilia établit également des relations avec le Mozambique. Le dernier président issu de la junte militaire, João Figueiredo, au pouvoir entre 1979 et 1985, sera le premier chef d’État brésilien à visiter l’Afrique en 1983 en se rendant en Algérie, au Cap-Vert, en Guinée Bissau, au Nigeria et au Sénégal. Par ailleurs, les États africains ouvrirent des ambassades à Brasilia et plusieurs chefs d’État effectuèrent des visites officielles (de Grandsaigne, 1989)

Ce renforcement des relations diplomatiques avec les pays africains s’est accompagné d’une intensification des échanges commerciaux (Hudson, 1997 ; Peixoto, 1983 ; Ribeiro et Malaquais, 2009). En effet, entre 1970 et 1981, les exportations brésiliennes vers l’Afrique sont passées de 62 millions $ US à 1,69 milliard $ US, et les importations en provenance d’Afrique sont quant à elles passées de 94 millions $ US à 1,98 milliard $ US (Peixoto, 1983).

Cette période de forte coopération s’explique en partie par le choc pétrolier de 1973 qui pousse le Brésil à diversifier ses partenaires afin de réduire sa vulnérabilité énergétique. C’est une des raisons du rapprochement de Brasilia avec le Nigeria, l’Angola et l’Algérie qui sont ses principaux fournisseurs de pétrole (Patriota, 2011 ; Lafargue, 2008 ; Ribeiro et Malaquais, 2009 ; Saraiva, 2010 ; White, 2010). Le processus d’industrialisation fait non seulement des pays africains des fournisseurs de matières premières, mais également des marchés pour les produits manufacturés brésiliens comme les camions, les autobus et les tracteurs (Ribeiro, 2009 ; Lafargue, 2008). Il y a aussi la chute de la dictature salazariste au Portugal. En effet, à la suite de la révolution des œillets d’avril 1974 qui aura entre autres comme conséquences la désintégration de l’empire colonial portugais en Afrique, le Brésil se posa de plus en plus non pas en une nouvelle puissance coloniale, mais en partenaire privilégié avec les anciennes colonies portugaises, en particulier avec l’Angola (de Grandsaigne, 1989).

Le début des années 1990 marquera cependant le début de deux décennies d’éloignement. De la présidence de Fernando Collor de Mello (1990-1992) à celle de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), en passant par celle d’Itamar Franco (1992-1994), les relations du pays avec l’Afrique ont décliné de manière significative. À la décennie précédente qui a vu un certain dynamisme diplomatique et commercial entre l’Afrique et le Brésil suivra une période plus difficile. Pourtant, divers aspects laissaient présager un renforcement de ces relations.

Dès son arrivée au pouvoir en 1985, le président José Sarney condamne officiellement l’apartheid en Afrique du Sud et applique un embargo sur les ventes d’armes et de pétrole avec Pretoria. Le Brésil organise en 1989 le premier sommet des pays lusophones qui sera à la base de la création en 1996 de la CPLP. Le gouvernement Sarney a également été à l’initiative de la création par la résolution 41/11 des Nations unies de la zone de paix et de coopération de l’Atlantique Sud (ZOPACAS) afin de garantir la sécurité de cette zone maritime qui sépare l’Amérique du Sud et la côte occidentale de l’Afrique (Ribeiro et Malaquais, 2009; de Grandsaigne 1989). Le Brésil se prononcera également en faveur de l’indépendance de la Namibie, allant même jusqu’à reconnaître l’Organisation du peuple du

Sud-ouest africain (SWAPO)25 comme représentant légitime du peuple namibien. Dans le

domaine commercial, les échanges commerciaux avec l’Afrique sont en hausse constante et en 1985 ils s’élevaient à 3,3 milliards $ US (Hudson, 1997). Mais cette tendance s’est vite retournée notamment au début des années 1990.

Si dans les années 1980 les échanges commerciaux avec l’Afrique représentaient 10 % du commerce international brésilien, ce pourcentage baissa jusqu’à 2 % dans les années 1990 (Saraiva, 2010). Entre 1983 et 1993, les diplomates brésiliens postés en Afrique sont passés de 34 à 24 alors que dans le même temps, ceux affectés en Amérique du Nord et en Europe entre autres sont en hausse (Ribeiro et Malaquais, 2009). Comme le rappellent Ribeiro et Malaquais, « Au début des années 1990, les relations entre le Brésil et l’Afrique sont marquées par un processus d’ajustement, né de facteurs à la fois économiques et politiques, qui se traduit par une claire désaffection de la politique extérieure brésilienne vis-à-vis de ses partenaires africains. » (2009 : 75)

La crise économique mondiale frappe considérablement l’économie brésilienne et surtout les pays africains qui ne sont alors plus des partenaires commerciaux de premier ordre (Ribeiro, 2009 ; Saraiva, 2010 ; White, 2010). Il faut aussi souligner que le Brésil ne faisait plus face à une pénurie de pétrole et ceci contribua à la baisse des échanges commerciaux avec le continent (Saraiva, 2010). Dès son accession au pouvoir en 1990, le président Collor de Mello affiche sa volonté de renforcer ses relations avec les pays développés. Cette nouvelle orientation répond à la logique du pays de jouer un nouveau rôle dans le monde post-guerre froide. Pour l’administration Collor de Mello comme pour celles de ces deux successeurs, ceci n’est possible que si le Brésil se rapproche davantage des pays occidentaux. (Ribeiro, 2009 ; Saraiva, 2010). Le Brésil entendait ainsi s’inscrire dans ce que Vigevani et Cepaluni ont nommé « l’autonomie à travers la participation » (2007 : 1312) avec entre autres le rapprochement avec les pays occidentaux, l’application des recommandations des régimes internationaux comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI). Ceci

a eu comme conséquences de mettre l’Afrique au second rang des priorités du pays sud- américain (de Freitas Barbosa et al., 2009 ; Vigevani et Cepaluni, 2007).

Cette autonomie par la participation voit également la volonté du Brésil d’occuper une plus grande place au plan régional. Brasilia a ainsi joué un rôle prépondérant dans la création du MERCOSUR en 1991. La rivalité avec l’Argentine qui avait inhibé toute tentative d’intégration régionale les décennies précédentes a été remplacée par une coopération entre les deux géants de la région qui a notamment conduit à la naissance du MERCOSUR (de Freitas Barbosa et al., 2009 ; Ribeiro et Malaquais, 2009 ; White, 2010 ; Saraiva, 2010).

La période allant de 1985 à 2002 a donc été caractérisée par une redéfinition complète de la politique africaine du Brésil. Les relations commerciales et diplomatiques sont davantage orientées vers les pays de la CPLP et vers les partenaires historiques que sont l’Afrique du Sud et le Nigeria. À la fin du second mandat de Cardoso en 2002, l’Afrique ne représente plus que 5 % du commerce extérieur du Brésil contre 13 % en 1985 (Ribeiro et Malaquais, 2009). Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Lula da Silva pour que les relations entre Brasilia et le continent africain prennent une nouvelle dimension.