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CHAPITRE 2 : CADRE ANALYTIQUE DE LA RECHERCHE

2.2. Hypothèse de recherche

Avant de formuler notre hypothèse, rappelons que pour nous, la réorientation d’une politique étrangère – ou tout autre type de changement de politique étrangère – repose sur deux aspects possibles que sont le contexte favorable et les perceptions ou la vision du décideur.

Comme nous l’avons montré dans le premier chapitre, la littérature sur l’analyse de la réorientation de la politique africaine du Brésil s’est – à juste titre – plutôt portée sur une approche rationaliste en soulignant la place de l’Afrique dans le calcul stratégique brésilien. Elle s’est notamment focalisée sur les différentes dimensions de la réorientation de la politique africaine du Brésil à partir de 2003 comme le commerce, la diplomatie, la coopération au développement. Qu’en est-il alors des deux possibles éléments d’explications à savoir le contexte et les perceptions des leaders ?

Concernant le contexte, la littérature ne fait état d’aucun évènement de grande ampleur international en 2003 ou du début du 21e siècle qui aurait directement conduit à la

réorientation de la politique africaine du Brésil. Qu’il s’agisse des attentats du 11 septembre 2001 ou de l’échec du cycle de Doha en 2006 (Vigevani et Cepulani ; 2010 : 95) ou de la redistribution du pouvoir économique sur la scène internationale avec les pays émergents (Costa, 2011), aucun de ces évènements internationaux ne semble être le principal facteur de la réorientation de la politique africaine du Brésil. On peut penser au boom des prix des matières premières comme choc externe, mais aussi la croissance et la stabilité économique du Brésil et des pays africains au début des années 2000, un environnement régional et international favorable, entre autres.

Par conséquent, on ne peut pas exclure que l’envolée des prix des matières premières ainsi que les autres éléments contextuels ont participé au contexte international favorable à la dynamique de la politique étrangère du Brésil sous Lula, même s’il semble difficile de considérer ce facteur externe comme la principale source de la réorientation de la politique africaine du Brésil. En effet, comme le souligne White (2013) « Comme la Russie, mais contrairement à l’Inde et la Chine, le Brésil dispose de ressources énergétiques et de matières premières importantes, ce qui fait que son approche de l’Afrique semble moins compulsive ou moins axée sur les matières premières [que l’Inde et la Chine] ». (White, 2013 : 132).

Le fait que la littérature n’ait pas suffisamment traité de la relation entre le contexte des années 2000 et la réorientation de la politique africaine du Brésil sous Lula da Silva peut se comprendre par le fait qu’il ne s’agit pas d’un évènement spécifique – comme les attentats du 11 septembre 2001 — qui aurait favorisé cette réorientation, mais plutôt de l’évolution de l’environnement international, brésilien ou africain. Ainsi, on ne peut pas ignorer que ce rapprochement entre le Brésil et l’Afrique, s’est fait à un moment où cette dernière est devenue à la fin des années 1990 et début des années 2000 ce que Sébastian Santander (2014) appelle le nouveau terrain de jeu des émergents avec la présence remarquée des nouvelles puissances émergentes combinée au recul des puissances traditionnelles – États-Unis et Europe. Tout ceci pour dire donc que l’analyse de la réorientation de la politique africaine du Brésil doit tenir compte de différents éléments contextuels.

Qu’en est-il également du leader, — ici le président de la République – qui peut être considéré dans notre cas comme la source de la réorientation de la politique étrangère ? En tenant compte du rôle privilégié du président brésilien dans la définition et la conduite de la politique étrangère ainsi que le fait que la littérature admet que c’est à l’arrivée de Lula da Silva que l’Afrique est redevenue une priorité de la diplomatie brésilienne, il parait logique de s’interroger davantage sur la réelle influence de Lula da Silva dans la réorientation de la politique africaine.

Burges et Chagas Bastos soulignent à cet effet que « L’engagement très personnel de Lula da Silva a été un élément essentiel non seulement dans la décision du Brésil d’avoir une approche active et engagée en Afrique et avec l’ensemble des pays du Sud, mais aussi dans la mise en œuvre de la politique en utilisant sa présence personnelle en tant qu’acteur central dans la construction et le renforcement de nouveaux liens bilatéraux » (Burges et Chagas Bastos, 2017 : 284). Ainsi, par rapport à notre question de recherche, nous postulons que la

réorientation de la politique africaine du Brésil s’explique davantage par les différences de perceptions entre chefs d’État que par des éléments de contexte.

Loin de nous ici la volonté de retomber dans l’idée dénoncée par Korany quand, s’intéressant à l’étude de la politique étrangère dans les pays du tiers-monde, il a fustigé le simplisme dont font preuve les chercheurs lorsqu’ils réduisent la politique étrangère de ces États à la seule décision des leaders suprêmes. Ainsi, pour Korany, cette approche qu’il a appelée l’approche de l’histoire par les « Grands Hommes » (Great Man theory History) « réduit tous les phénomènes politiques et sociaux dans les pays du tiers-monde à l’homme se trouvant au sommet de l’État. C’est une vision personnaliste et simpliste qui amène une confusion entre l’apparence et la réalité » (Korany : 1987 : XII)9.

Toutefois, nous sommes conscients que le président n’est pas le seul acteur en matière de politique étrangère. Il s’agit plutôt de montrer à travers notre cas l’influence non négligeable

qu’un leader peut avoir sur l’évolution de la politique extérieure d’un État (Hermann, 2001 ; Hermann et al., 2001).