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L’analyse de politique étrangère (APE) : à la recherche d’une théorie de

CHAPITRE 1 : L’ÉTUDE DU CHANGEMENT DANS LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

1.4. Un intérêt pour l’étude du CPE

1.4.1. L’analyse de politique étrangère (APE) : à la recherche d’une théorie de

Qu’est-ce qu’une politique étrangère ? Cette question apparemment simple pourrait cependant constituer l’objet d’innombrables thèses et autres mémoires tant elle reflète la complexité de l’APE. Disons-le dès maintenant, il n’existe pas une définition unique qui satisferait l’ensemble des chercheurs et qui serait applicable à tout contexte. Il s’agit alors ici de fournir une définition qui permettra une meilleure compréhension de notre approche.

Une première définition qui interpellerait tout chercheur serait celle de Marcel Merle qui considère la politique étrangère comme « la partie de l’activité étatique qui est tournée vers le dehors, c’est-à-dire qui traite, par opposition à la politique intérieure, des problèmes qui se posent au-delà de la frontière » (1984 : 7). Si cette définition vient rappeler l’action de l’État vers son environnement extérieur, force est de constater aujourd’hui que « la ligne de démarcation entre l’extérieur et l’intérieur est poreuse. Plusieurs questions autrefois considérées comme strictement internationales intègrent la politique interne. Inversement, d’autres questions traditionnellement perçues comme nationales ont maintenant des ramifications internationales évidentes » (Morin, 2013 : 14).

Cette stricte distinction entre l’environnement interne et l’environnement externe est donc devenue obsolète, dans un contexte de mondialisation où les acteurs étatiques et non étatiques sont plus que jamais interconnectés. La politique étrangère est donc au croisement de l’international et du national comme le rappellent Roosens et al. (2004). À la suite de Morin, il nous apparaît ainsi qu’une politique étrangère est toute action ou règle « gouvernant les actions d’une autorité politique indépendante déployée dans l’environnement international » (2013 : 13). Elle rejoint la définition de Christopher Hill (2003) qui considère la politique étrangère comme « la somme des relations externes officielles conduites par un acteur indépendant (généralement l’État) dans les relations internationales » (Hill, 2003 : 3).

À l’image des Relations internationales, il n’existe pas (encore) une théorie générale de la politique étrangère, acceptée par tous et qui permettrait notamment d’analyser les différents facteurs explicatifs de la politique étrangère. Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui ont

manqué. Jusqu’au début des années 1960, le principal cadre d’analyse de la politique étrangère était celui du réalisme qui s’appuyait sur deux principaux fondements : l’unicité de l’acteur étatique et la rationalité des décideurs (Charillon, 2002 ; Carlsnaes, 2002 ; Huxsoll, 2003 ; Hill, 2003 ; Hudson, 2007 ; Battistella, 2009 ; Morin, 2013). L’unicité de l’acteur étatique a un double sens. D’abord, unicité dans le sens où l’État est considéré comme le seul acteur (ou du moins le principal) des relations internationales ; unicité ensuite dans le sens où cet État est incarné par celui qui le dirige, qu’il s’agisse du Prince de Machiavel ou du chef d’État actuel. C’est à travers ce dernier que l’on constate la rationalité de l’État c’est-à- dire sa disposition, face à la nature anarchique du système international, à effectuer un arbitrage entre les différentes options qui se présentent à lui. Cet arbitrage se fera en évaluant les coûts et les bénéfices de chacune de ces options afin de maximiser l’utilité. Pour Hans Morgenthau, cette utilité correspond à la puissance, car face à l’anarchie du système international, tout État aspire à plus de puissance afin d’assurer sa pérennité en essayant de maintenir ou de renverser le statu quo (Morgenthau, 1978). Quant à Raymond Aron, il considère que face à la présence constante des menaces de guerre, l’objectif de l’État en matière de politique étrangère sera avant tout d’assurer sa sécurité (Aron, 1962).

Cependant, les behaviouristes Snyder, Bruck et Sapin vont contester cette vision réaliste selon laquelle la politique étrangère porte essentiellement sur la définition de l’intérêt national par l’acteur étatique unique et rationnel, en fonction de la nature anarchique du système international (Hermann et Peacock, 1987 ; Gerner 1995, Hudson et Vore 1995). En s’intéressant davantage au processus décisionnel d’une politique étrangère, Snyder et al. (1962) soulignent l’importance « du contexte organisationnel » (1962 : 87) dans lequel évoluent les décideurs avec d’autres acteurs politiques et sociaux, ainsi que celle de leurs propres perceptions. Ils définissent ainsi trois facteurs déterminant les actions des décideurs politiques : « les sphères de compétences des acteurs, la communication et la circulation de l’information » (1962 : 105). Ainsi, en prenant en compte les facteurs d’ordre psychologique, sociologique et organisationnel, Snyder et al. ont lancé les prémices d’une analyse multifactorielle de la politique étrangère (Gerner, 1995 ; Hudson, 2005 ; Neack, 2014). Ils ont ainsi tracé la voie à la définition d’une théorie de la politique étrangère et James Rosenau a été un des premiers à vouloir suivre cette voie.

Cette approche scientifique de l’APE s’appuyant sur un véritable cadre théorique et une méthodologie commune est justement au cœur de la pensée de James Rosenau. Dans son fameux article Pretheories and Theories of Foreign Policy (1966), Rosenau a souligné la nécessité d’intégrer des informations issues de tous les niveaux d’analyse, de l’individu au système international afin de connaître les variables les plus significatives qui peuvent expliquer la politique étrangère d’un État (Rosenau, 1966 ; Donneur et Beylerian, 1987 ; Hermann et Peacock, 1987, Hudson et Vore 1995 ; Hudson, 2005 ; 2007). Pour Rosenau, la mise en place d’une théorie de l’APE passe par l’adoption d’une analyse comparée avec la définition de variables dépendantes (la conduite de politique étrangère), intermédiaires et indépendantes. C’est ainsi qu’il faut comprendre sa distinction de cinq grands ensembles de variables pour expliquer le comportement extérieur d’un État : les idiosyncrasies des décideurs, le rôle institutionnel des décideurs, la structure du gouvernement, la structure sociale et les facteurs systémiques (Rosenau, 1966 : 43).

Si le modèle développé par Rosenau est apparu trop général pour servir de théorie de politique étrangère, il n’en demeure pas moins qu’il a constitué une base pour de nombreux chercheurs qui ont également travaillé sur la définition d’une théorie en APE. C’était notamment le cas des tenants de ce qu’on a appelé la politique étrangère comparée (comparative foreign policy ou CFP) pendant les années 1960 et 1970 et dont l’objectif principal était de favoriser l’intégration des explications multiniveaux du comportement des États en matière de politique étrangère (Hudson, 2005 ; Neack, 2014). On peut citer entre autres le modèle de Michael Brecher et al. (1969), le modèle du Comparative Research on the Events of Nations (CREON) de Charles Hermann et al. (1973), ainsi que le modèle de Jonathan Wilkenfeld et al. (1980).5

5On peut citer d’autres bases de données événementielles qui ont participé au développement de la politique

étrangère comparée. Il y a entre autres, le Dimensionality of Nations (DON) de Rudolph Rummel, le World Event Interaction survey (WEIS) de Charles McClelland, le Correlates of War (COW) de David Singer et Melvin Small, le Conflict and Peace Data Bank (COPDAB) d’Edward Azar et Thomas Sloan (Voir Schrodt, 1995).

Toutefois, à l’image des modèles cités, la CFP n’a pas réussi à établir une théorie de politique étrangère. L’échec des tenants de la CFP dans leur tentative de définition d’une théorie de la politique étrangère s’explique par plusieurs raisons comme l’usage excessif de méthodes statistiques qui a fini par transformer le débat sur le comportement de politique étrangère en un débat sur les différentes techniques quantitatives, l’impossibilité d’avoir les mêmes concepts, les mêmes données collectées et les mêmes hypothèses testées, comme le souhaitaient les modèles de CFP (Smith,1986).

Cet échec est également à mettre en parallèle avec le développement d’études menées sur la relation entre certains facteurs spécifiques et la politique étrangère. C’est notamment le cas avec les études de Graham Allison (1971) et Morton Halperin et al. (1974) qui ont souligné l’influence des facteurs bureaucratiques et organisationnels dans la prise de décision en matière de politique étrangère. Il y a également eu des chercheurs comme Robert Jervis (1968 ; 1976), Irving Janis (1972), Michael Shapiro et Matthew Bonham (1973) qui se sont intéressés à la place des facteurs cognitifs et psychologiques dans la définition d’une politique étrangère, s’inscrivant ainsi dans la lignée de Harold et Margaret Sprout (1957).

Ainsi, face à la difficulté de définir une théorie générale de la politique étrangère, les recherches de ces dernières décennies se sont davantage axées sur la définition de middle range theories, c’est-à-dire de théories de portée intermédiaire qui s’intéresseraient davantage à l’explication d’un facteur ou d’un phénomène particulier de politique étrangère. C’est ce que rappelle Valérie Hudson (2008) lorsqu’elle souligne qu’avec la fin de la guerre froide, l’APE s’est entre autres appuyée sur « un engagement en faveur de théorie de portée intermédiaire qui serait l’interface entre la théorie de l’acteur général et la complexité du monde réel » (Hudson, 2008 : 26). Toutefois, comme le souligne Charles Hermann (1995), « une autre façon d’interpréter l’appel à des théories à moyenne portée est d’être plus précis sur l’activité à expliquer, à savoir les variables dépendantes » (1995 : 253)6.

À l’image du débat sur le niveau d’analyse, la discussion sur la variable dépendante est un des principaux enjeux de l’APE (Hermann, 1995 ; Carlsnaes, 2002 ; Hudson, 2007). Comme le rappelle à juste titre Jakob Gustavsson (1998), « il y a de bonnes raisons de penser que des progrès théoriques seraient plus faciles à réaliser si l’ambition se limitait à expliquer certains types de politique étrangère » (1998 : 18). Il ne fait aucun doute que l’intérêt pour l’étude du CPE d’un État participe à cette volonté de mieux définir la variable dépendante lorsque l’on effectue une APE.

1.4.2. L’étude du changement de politique étrangère (CPE) : un chantier à