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CHAPITRE 1 : L’ÉTUDE DU CHANGEMENT DANS LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

1.5. Question spécifique de recherche

En définitive, nous pouvons constater que le récent intérêt pour l’étude du CPE a permis le développement de diverses contributions. Au vu de l’analyse de ces dernières, il apparaît qu’il n’existe pas dans la littérature un consensus sur la définition de la notion de changement. Cette différence illustre surtout les divers niveaux de changement de politique étrangère ainsi que la diversité des facteurs et des acteurs qui peuvent intervenir lorsqu’un pays décide de donner une nouvelle dimension à sa politique étrangère. Ensuite, un consensus semble se dégager sur le fait que le CPE d’un État s’explique par des facteurs à la fois internes et externes, même si selon les situations certains facteurs influencent davantage que d’autres.

Au vu de la littérature dans le domaine, nous considérons que le calcul stratégique d’un État qui vise un changement de politique étrangère repose sur deux éléments principaux : le

contexte jugé favorable à la réalisation de ce calcul stratégique et le cadre perceptuel du

décideur.

Le contexte correspond à la nature du système international ou à la réalité nationale. Il s’agit

donc d’une période au cours de laquelle l’évolution de l’environnement extérieur ou celle du pays concerné est perçue par les décideurs comme favorable à la réalisation du calcul stratégique. Ce contexte peut être le produit de l’action d’un État ou d’un groupe d’États, d’une organisation internationale ou d’un acteur non étatique comme un groupe terroriste. À titre d’exemple, la fin de la guerre froide a modifié l’échiquier international et a représenté pour de nombreux pays une période favorable à une redéfinition de la politique étrangère pour faire face à ce changement du système international (Gustavsson, 1999 ; Burges, 2008 ; Cason et Power, 2009 ; Blavoukos et Bourantonis, 2009).

Le cadre perceptuel est quant à lui relatif à l’ensemble des perceptions ou des visions du

décideur — sur le contexte national ou international — à partir duquel il définit la politique étrangère de son pays. Ainsi, c’est à partir de ces perceptions que le décideur juge que le contexte est favorable ou pas à la mise en place de sa politique étrangère. Ainsi, la formulation d’une nouvelle politique étrangère peut être le résultat d’un changement des perceptions du décideur dû à des facteurs structurels. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, on peut ne pas assister à une altération des croyances et perceptions du décideur, mais plutôt que celui-ci ait au préalable le désir de changer la politique étrangère de son pays et qu’il profite du contexte idéal pour le faire (Eidenfalk, 2009 ; Doeser, 2013). S’intéresser à ce cadre perceptuel revient à s’intéresser au rôle ou à l’influence du décideur individuel lorsqu’on constate que la politique extérieure d’un État emprunte une nouvelle dynamique.

Cependant, comme le rappelle à juste titre Doeser, « les recherches antérieures sur le changement de politique étrangère ont principalement porté sur la contribution des facteurs internationaux ou nationaux aux changements de politique étrangère, tout en ignorant l’importance des décideurs individuels » (2013 : 582). Ainsi, le problème de recherche qui nous parait important de souligner est la négligence de l’influence du décideur dans l’analyse des facteurs conduisant un État à revoir sa politique étrangère. De plus, par rapport à notre

cas d’étude il existe peu d’analyses sur le lien de causalité ou de corrélation entre la vision du monde du président Lula da Silva et la réorientation de la politique africaine du Brésil.

En effet, comme nous l’avons souligné dans ce chapitre, la littérature portant sur l’analyse de la réorientation de la politique africaine du Brésil s’est davantage intéressée au calcul stratégique brésilien qui a motivé le rapprochement avec l’Afrique. Le continent noir a constitué un enjeu essentiel de la stratégie brésilienne d’autonomie et d’insertion internationales à travers la consolidation ses relations avec les pays du Sud.

Toutefois, comme le soulignent à juste titre Mónica Salomón et Letícia Pinheiro (2013) dans leur étude sur la manière dont est analysée la politique étrangère du Brésil de ces dernières décennies, l’étude de la place du leader brésilien dans la politique étrangère constitue une lacune à combler. Elles rappellent à juste titre que :

Cette lacune attire notre attention non seulement à cause de la nature du fort présidentialisme brésilien (Lima, 2000), qui serait à elle seule une raison suffisante pour évaluer les caractéristiques particulières du président dans la politique étrangère ; mais également – et bien que de manière fortuite – à cause des caractéristiques de nos plus récents leaders dont le charisme, le centralisme et l’origine renforcent l’importance de cet axe de recherche. (Salomon et Pinheiro, 2013 :53).

Neto (2011) souligne également cette lacune lorsqu’il rappelle que la primauté de facteurs externes dans la politique étrangère du Brésil depuis la fin de la seconde Guerre mondiale ne doit pas conduire à négliger l’influence présidentielle qui constitue un facteur important et intéressant à étudier (Cason et Power, 2009 ; Pasquarelli, 2010 ; Patriota, 2011).

Par conséquent, y a-t-il un lien entre la réorientation de la politique africaine du Brésil à partir de 2003 et la différence d’interprétation de l’ordre mondial et de l’Afrique entre Lula da Silva et son prédécesseur Cardoso ? Est-ce que la dynamique impulsée à la politique africaine du Brésil par Lula da Silva répond à la conception de ce dernier du système international et de la place qu’y occupe le Brésil ainsi que sa perception du continent africain ? En d’autres termes, la réorientation de la politique africaine du Brésil à partir de 2003 s’explique-t-elle

par la différence de vision du monde de la présidence brésilienne entre Lula da Silva et Fernando Henrique Cardoso ? C’est à cette question spécifique que nous tenterons