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Coopération au développement : la coopération technique comme instrument

CHAPITRE 3 : LA RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE AFRICAINE DU BRÉSIL

3.5. Coopération au développement : la coopération technique comme instrument

Tout comme les pays occidentaux, le Brésil a compris que l’aide au développement constituait un instrument non négligeable de politique étrangère. En effet, qu’il s’agisse d’améliorer l’image sur la scène internationale ou de consolider les relations politiques et économiques, l’aide au développement est depuis longtemps un axe que les États n’hésitent pas à mettre en avant dans leur projection à l’international, en particulier dans leurs relations avec les pays les moins développés.

À l’image des autres puissances émergentes comme la Chine ou l’Inde, le Brésil rejette la vision occidentale de l’aide au développement (Muggah et Hamann, 2012). Il s’agit pour ces pays de sortir de la relation donateur/bénéficiaire et même dans le vocabulaire adopté, on parle de coopération au développement plutôt que d’aide au développement. Ainsi, à travers la coopération Sud-Sud, les pays émergents comme le Brésil se distinguent de l’approche des pays occidentaux dont la politique d’aide au développement fait souvent l’objet de critiques pour sa conditionnalité et sa condescendance qui sont souvent décrites comme l’expression d’un néocolonialisme.

Ainsi, sous la présidence de Lula da Silva, la coopération au développement comme on l’appelle a pris une nouvelle envergure dans la politique étrangère du Brésil. Concernant l’Afrique, si les pays lusophones constituaient les principales cibles de la politique de développement de Brasilia, cette politique s’est largement élargie aux autres pays africains

sous la présidence de Lula da Silva à travers notamment la coopération technique et le soutien à l’agriculture (Cabral et Weinstock, 2010 ; Inoue et Vaz, 2012 ; Junior et Faria, 2015).

Deux précisions importantes sont à apporter dans cette section. Premièrement, il est encore difficile de trouver des données complètes sur l’aide (ou la coopération) au développement des pays émergents et le Brésil n’échappe pas à cette règle même si d’importants efforts ont été faits par l’administration de Lula da Silva (IPEA, 2010 ; Inoue et Vaz, 2012 ; CEA, 2013). En effet, il existe clairement un déficit d’information quant au niveau réel de la coopération au développement depuis les années 1990 et l’existence de données officielles est assez récente. C’est en 2010 que l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA,Instituto de Pesquisa Economica Aplicada en portugais) a publié le premier rapport systématique comportant des données empiriques sur la coopération brésilienne pour le développement international (COBRADI) entre 2005 et 2009.

Ensuite, lorsque ces données existent – pour le Brésil comme pour les autres pays BRICS – il n’est pas toujours évident de déterminer ce qui est pris en compte et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire les modalités de coopération. La coopération scientifique et technologique est- elle toujours considérée comme une composante de la coopération technique ? Comment est comptabilisée la contribution du Brésil dans les organisations internationales ? Ce sont autant d’interrogations auxquelles on doit faire face quand on s’intéresse à la politique de développement international du Brésil (IPEA, 2010 ; Schmitz et al., 2010 ; Inoue et Vaz, 2012 ; Muggah et Hamann, 2012 ; CEA, 2013). Nous adoptons dans cette section la conception de l’IPEA qui définit la coopération brésilienne pour le développement international comme « la totalité des ressources humaines, matérielles et financières investies comme fonds irrécouvrables par le gouvernement fédéral brésilien dans d’autres pays » (IPEA, 2010 : 13). Ceci regroupe plusieurs aspects comme entre autres la coopération technique ; la coopération technologique et scientifique ; la coopération pour l’éducation ; la coopération humanitaire ; la contribution aux organisations internationales ; la contribution aux opérations de maintien de la paix ; l’aide aux réfugiés au Brésil.

Ainsi, les rapports officiels de l’IPEA publiés depuis 2010 ont permis de constater qu’entre 2005 et 2013, le Brésil a investi plus de 4,1 milliards $ US dans la COBRADI. Comme le

montre le tableau 22, la politique de coopération internationale du Brésil s’est faite sur plusieurs axes.

Tableau 22: Coopération brésilienne pour le développement international (COBRADI) (en $US valeur courante) 2005-2013 Coopération technique Coopération humanitaire Coopération en éducation Contributions aux organisations internationales Coopération scientifique et technologique Opérations de maintien de la paix Total 2005 11 422 103 487 994 23 088 150 123 105 205 60 820 165 218 923 617 2006 15 046 399 2 534 110 25 896 724 233 731 176 37 022 477 314 230 886 2007 18 256 037 16 310 158 28 911 102 228 421 353 67 575 897 359 474 547 2008 32 097 330 16 253 978 38 615 610 249 862 951 69 901 093 406 730 962 2009 48 872 380 43 521 166 22 236 954 247 579 564 62 704 500 424 914 564 2010 57 770 553 161 469 749 35 544 099 311 569 290 24 009 084 332 422 426 922 785 201 2011 45 617 071 72 418 476 20 689 408 331 642 424 73 106 869 40 167 190 583 641 438 2012 33 970 749 109 828 325 22 251 006 250 857 370 72 085 370 20 654 923 509 647 743 2013 31 846 055 21 667 913 23 809 864 254 157 155 53 174 326 10 330 872 394 986 185 Total 294 898 677 444 491 869 241 042 917 2 230 926 488 222 375 649 701 599 543 4 135 335 14 3 Part 7,13 % 10,75 % 5,83 % 53,95 % 5,38 % 16,97 %

Source : élaborée par l’auteur à partir de IPEA, 2010 ; IPEA, 2014 ; IPEA, 2016. Notons qu’entre 2005 et 2009, la coopération scientifique et technologique était comprise dans la coopération technique.

On constate que la contribution aux organisations internationales — qui englobe les contributions régulières aux organisations internationales, les contributions aux tribunaux internationaux et les contributions aux fonds multilatéraux de développement — représente une part importante (plus de 53 % entre 2005 et 2013) du financement de la coopération brésilienne pour le développement. Ceci est une illustration de l’engagement du Brésil de Lula da Silva (et de Dilma Rousseff dans une moindre mesure) dans le multilatéralisme qui est considéré comme on l’a déjà souligné comme un moyen d’affirmation sur la scène internationale. Toutefois, pour mener notre analyse comparative entre les différentes présidences par rapport à l’engagement en Afrique, nous nous concentrerons davantage sur la coopération technique même si elle ne représente pas la part la plus élevée dans la coopération internationale du Brésil et ceci pour deux raisons essentielles largement

soulignées dans la littérature (IPEA, 2010 ; Cabral et Weinstock, 2010 ; Puente, 2010 ; Cabral, 2011 ; Inoue et Vaz, 2012 ; Muggah et Hamann, 2012).

D’abord, depuis les années 1960, la coopération technique a toujours été le principal instrument du Brésil dans sa politique de coopération au développement en particulier envers l’Afrique. Ne disposant pas des moyens financiers des puissances occidentales ou encore de la Chine ou de l’Inde, le Brésil a très tôt su développer une coopération technique en exportant vers les pays africains son expertise dans des domaines comme l’agriculture ou la santé (Alves, 2013 ; Santos et Cerqueira, 2015). Ensuite, la coopération technique est la seule modalité de coopération avec une grande institutionnalisation autour de l’ABC et ceci favorise la disponibilité de données qui nous semble importante. En effet, la politique de coopération internationale du Brésil se caractérise par une grande fragmentation des acteurs impliqués entre différents ministères et agences, mais depuis 1987, l’ABC qui dépend du ministère des Relations extérieures est responsable de la coopération technique du pays (IPEA, 2010 ; Cabral et Weinstock, 2010 ; Puente, 2010 ; Cabral, 2011 ; Inoue et Vaz, 2012 ; Muggah et Hamann, 2012 ; Leite et al., 2014 ; Junior et Faria, 2015 ; Junior 2015 ; Almino et Lima, 2017). Ceci a certainement aidé à la disponibilité de données sur la coopération technique sur une longue durée par rapport aux autres contributions.

Un premier constat peut être fait sur l’évolution du nombre de pays ayant conclu leur premier accord de coopération technique avec le Brésil. Sous la présidence Cardoso, seulement trois pays ont signé leur premier accord de coopération technique avec Brasilia tandis que sous Lula ce nombre s’élevait à 15 et à 5 sous Dilma Rousseff. Ceci entre en adéquation avec l’ouverture diplomatique et commerciale du Brésil initiée sous la présidence de Lula da Silva. En 2016, seuls huit pays sur les 54 que compte le continent n’ont pas signé d’accord de coopération technique avec le Brésil (Érythrée, Ile Maurice, Madagascar, Niger, République centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud et Tchad). Pour les autres pays, les premiers accords ont été signés entre les années 1960 et 1980.

Tableau 23: pays ayant signé leur premier accord de coopération technique avec le Brésil Sous Cardoso (1995-2002) Sous Lula (2003-2010) Sous D. Rousseff (2011-

2016)

Namibie, Afrique du Sud, Tunisie

Botswana, Burkina Faso, Éthiopie, Guinée Équatoriale,

Gambie, Soudan, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe ; Sierra Leone, Burundi, Liberia, Malawi, Swaziland, Lesotho

Comores, Ouganda, République de Guinée,

Djibouti, Mauritanie

Source : Élaboré par l’auteur à partir de ABC, 2010; site ABC :

http://www.abc.gov.br/CooperacaoTecnica/AcordosVigentes/CGPD (consulté le 1er novembre 2017); site de la Chambre des députés : http://www2.camara.leg.br/camaranoticias/hometematica/19-RELACOES- EXTERIORES.html (consulté le 1er novembre 2017); Junior et Faria, 2015.

Un deuxième indicateur porte sur le nombre d’accords de coopération technique signés par le Brésil avec les pays africains. Entre 1995 et 2002, le gouvernement Cardoso a signé 36 accords de coopération technique avec 11 pays africains. À l’image des ouvertures d’ambassades, la coopération technique a connu un important essor sous le gouvernement de Lula da Silva. En effet, entre 2003 et 2010, 238 accords ont été signés avec 36 pays africains et plusieurs fois avec des pays comme l’Angola, le Mozambique ou Sao Tomé-et-Principe (ABC, 2010 ; Mendonça Junior et Pimenta de Faria, 2015).

Figure 10: nombre d’accords de coopération technique signés avec l’Afrique (1995-2010)

Source : élaborée par l’auteur à partir de ABC, 2010 ; Mendonça Junior et Pimenta de Faria, 2015.

2 3 0 4 2 6 12 7 36 7 22 14 44 42 24 49 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

3.6. Conclusion

En définitive, il apparaît que c’est sous la présidence de Lula da Silva que le Brésil s’est réengagé de façon significative en Afrique. Qu’il s’agisse de la diplomatie, du commerce et de la coopération au développement, le Brésil a donné une nouvelle impulsion à ses relations avec les pays africains dans le cadre de la consolidation de la coopération Sud-Sud. L’observation de la politique africaine du Brésil avant et après Lula da Silva permet d’affirmer que son arrivée au pouvoir a été un moment d’inflexion au cours de laquelle l’Afrique a constitué une priorité de la politique extérieure brésilienne.

Comparativement à Cardoso et à Dilma Rousseff, les données montrent que la présidence de Lula da Silva a été celle d’une réelle dynamisation des relations diplomatiques, commerciales et de coopération pour le développement. En effet, dans ces trois domaines, on a observé un engagement et une coopération plus accrue entre le Brésil et l’Afrique sous la présidence de Lula da Silva. De plus, les données montrent que la présidence de Dilma Rousseff n’a pas marquée par une grande continuité dans la consolidation des relations diplomatiques, commerciales et de coopération pour le développement que son prédécesseur avait entamé. Qu’il s’agisse des ouvertures d’ambassades, des échanges commerciaux, de la part de l’Afrique dans le commerce international brésilien ou encore de la coopération technique, la présidence de Dilma Rousseff n’a pas eu la même envergure que celle de la présidence de Lula da Silva. Il s’agit là d’une différence qu’il convient de noter entre les deux quand on sait qu’ils appartiennent à la même formation politique et que Dilma Rousseff est considérée comme l’héritière de Lula da Silva.

Il est vrai que la présence du Brésil n’est pas au niveau de celle d’autres pays en Afrique, notamment les puissances émergentes comme la Chine ou l’Inde. Toutefois, il semble adéquat de souligner que le Brésil a su proposer un partenariat aux États africains qui, au vu de l’évolution des relations diplomatiques et commerciales, semblent avoir accepté cette offre. Le continent africain reste certes un acteur mineur de l’économie mondiale, mais comme l’illustrent ses fortes relations avec les puissances émergentes et la présence encore forte des puissances occidentales, il offre d’importantes opportunités économiques. Il faut également souligner que les pays africains ont tout intérêt à diversifier leur partenariat afin

de sortir de la relation de dépendance avec les puissances occidentales, et le Brésil – à l’image de la Chine – est un acteur sur lequel ils peuvent compter.

Par ailleurs, en plus de ces dimensions diplomatiques et commerciales, le rapprochement avec l’Afrique s’est aussi effectué à travers un des aspects les plus mitoyens entre les deux parties : la culture (Lockhart et Sarr, 2015). Il est vrai que la diplomatie culturelle a toujours été un axe de coopération avec l’Afrique, mais elle a également pris un autre essor sous la gouvernance de Lula da Silva à travers le Département culturel (DC) de l’Itamaraty. Hervé Théry décrit assez bien la place de cette dimension culturelle dans la diplomatie brésilienne lorsqu’il rappelle que :

Le Brésil est un bon exemple de ce qu’on appelle le soft power, l’influence exercée par des moyens autres que le hard power économique et militaire. Il s’affirme par sa culture, qui va de la musique (notamment la bossa nova), au sport (futebol en tête) en passant par le succès mondial de ses telenovelas (quoiqu’on pense de la qualité intrinsèque de ces interminables mélodrames télévisés). Ces produits et images culturelles sont véhiculés par les services officiels de promotion de l’image du Brésil, mais aussi et même plus par des entreprises comme la Globo, le principal groupe médiatique du pays, ainsi que par les Brésiliens eux-mêmes, voyageurs, expatriés, boursiers, touristes, etc. (Théry, 2014 : 81)

Ainsi, on peut affirmer que la réorientation de la politique africaine du Brésil s’est faite sous la présidence Lula da Silva et toute la question – à laquelle nous comptons répondre à travers les prochains chapitres — est de savoir le rôle ou l’influence qu’a eue le président brésilien dans cette réorientation qui constitue sans aucun doute un point important de l’histoire des relations entre le Brésil et l’Afrique.

CHAPITRE 4 : DIPLOMATIE PRÉSIDENTIELLE ET