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ENTRETIENS MAISON DE RETRAITE RESIDENTS

2. Vécu actuel de l’institution

2.2.1. Les valeurs de l’établissement

Beaucoup de résidents ne savent pas quoi dire sur les valeurs institutionnelles. Mme T : « personne n’en parle. » Certains évoquent les soins. Mme H : « Ils comprennent qu’on a

toujours travaillé quoi. Puis ce qu’il y a c’est bien parce qu’aussi si vous avez quelque chose, vous êtes malade dans la journée le docteur il est là. » Pour d’autres, c’est le relationnel qui

prime. Mme S : « tout le monde est gentil avec moi. Faut dire que moi je suis rieuse alors ils

aiment bien que les... rire avec moi voilà. » Mme R est plus critique : « Gagner de l’argent parce que à... à raison je paye, je paye ici 71 euros par jour, c’est... c’est horriblement cher surtout pour... pour ce qu’on a. »

2.2.2. Temporalité

Qui a tué Grand-Maman ? (Polnareff, M. 1971)

Il y avait du temps de grand maman Des fleurs qui poussaient dans son jardin Le temps a passé

Seules restent les pensées

Et dans tes mains, il ne reste plus rien

Qui a tué grand maman? Est-ce le temps

Où les hommes qui n'ont plus l' temps D' passer le temps?

La la la la la la

Il y avait du temps de grand maman Du silence à écouter

Des branches sur les arbres Des feuilles sur les branches

Des oiseaux sur les feuilles et qui chantaient

Qui a tué grand maman? Est-ce le temps

Où les hommes qui n'ont plus l' temps D' passer le temps?

La la la la la la

Le bulldozer a tué grand maman

Et change ses fleurs en marteaux piqueurs Les oiseaux pour chanter

Est-ce pour cela que l'on te pleure?

Qui a tué grand maman? Est-ce le temps

Où les hommes qui n'ont plus l' temps D' passer le temps?

La la la la

La plupart des résidents auxquels le déroulement de la journée convient « très

bien » sont impliqués dans plusieurs activités. Mme I : « tout à l’heure on va avoir un jeu

tout ça. Un autre jour c’est la gym, un autre jour c’est le loto, un autre jour c’est le plus sage, il y a toujours quelque chose l’après- midi. » Pour d’autres, les journées passent « trop

lentement. » (Mme R). M. J : « le matin ben je tourne en rond dans la chambre si vous voulez

à la maison j’avais toujours des petites bricoles à faire (...) il y a des fois je ne sais pas quoi faire de mes pattes quoi. Certains ne se sentent pas maître de leur temps et aimeraient

connaître l’organisation à l’avance. M. J : « une fois il y a un gars qui est venu me chercher

pour m’emmener à O. ben oui ben il a fallu que je mette mes chaussures, que si si j’avais été prévenu je me serais déjà chaussé tout ça avant pour pas faire attendre quoi. »

2.2.3. Intimité

 La chambre

Pour la grande majorité des résidents, l’espace d’intimité est la chambre. M. J oppose sa chambre aux espaces collectifs : « parce que je fais ce que je veux, oui je lis ce que je veux

ou je regarde la télé ou n’importe. » Il n’est pas exposé au regard de l’autre, ce qu’il

apprécie. Pour autant, cet espace d’intimité n’est pas une évidence quand « on est trois dans la chambre.» (Mme C). . Elle estime alors que l’intimité, « il y en a pas ». Toutefois, elle préfère cette situation à l’idée d’être seule dans sa chambre. Mme R émet également une réserve : « Pas longtemps parce que on entend tout ce qui vient de la chambre d’à côté

hein. » Mme L, alitée et paralysée y passe toutes ses journées et apprécie « le paysage hein avec les oiseaux, les arbres. »

 Relation à soi et aux autres

Pour quelques rares résidents, l’espace d’intimité n’est pas la chambre. Ainsi, pour Mme S, il ne s’agit du moment où elle se retrouve avec elle-même : « quand je fais la sieste

après le déjeuner. » Mme P quant à elle évoque sa religion et le fait de se faire des amis. « Une des premières choses que j’ai demandé : est-ce qu’il y avait un aumônier ? On m’a dit non il y a pas d’aumônier. Est-ce qu’on apporte la communion dans les chambres ? On m’a dit non c’est pas organisé. Alors ça je comprends pas très bien pourquoi. » Et Mme G

apprécie de pouvoir garder sa vie personnelle pour elle : : « Ils s’occupent pas de la vie privée

des... pas mon coin de personnel ils s’en occupent pas. » Cette femme ne semble pas mêler

l’espace de la maison de retraite avec celui de sa vie personnelle, le lieu de soin et le lieu de vie cohabitent sans s’emmêler.

 Se sentir chez soi

La question de se « sentir chez soi » se pose dans une institution qui est un lieu de vie. Plusieurs nous disent que ce n’est pas le cas. Mme C : « je sais bien que je suis pas chez

moi. » Pour Mme P, le déménagement a même une dimension traumatique : « J’ai encore rêvé il y trois nuits que je quittais mon appartement hein et que sortant de mon appartement je prenais... j’habitais un quartier très commerçant, je qui... je suivais toute une rue et tous les commerçants sortaient pour me dire au revoir parce que je partais vous voyez donc... »

« C’est encore dans ma tête. » « Alors non si vous voulez, je ne me sens pas chez moi, je crois

que je me sentirais jamais hein. Mais je me dis que... j’aurais pu d’abord tomber beaucoup plus mal hein. »

 La toilette

Etre aidé pour la toilette demande un temps d’adaptation. Mme C : « Je me mets

nue, c’est le mot qui faut dire, j’y pense même plus. Au début c’était dur mais maintenant j’y pense plus. Ca y est c’est classé » Mme G précise : « quand on peut plus le faire on est... on est quand même heureux que quelqu’un s’occupe de nous. » Certains sont plus mitigés et le

besoin d’aide peut être vécu comme une attaque de l’estime de soi. Mme O : « J’ai toujours

été habituée de... de vivre seule, de... de me dépatouiller euh débrouiller seule. » M. J : « Je vois des fois le matin ben j’ai du mal à mettre mes chaussettes parce que ben... ça m’emmerderait si vous voulez d’aller voir quelqu’un si vous voulez pour lui dire ben de mettre mes chaussettes. » Pour Mme E : « Ils me mettent debout puis ils me... ils me descendent mon slip et puis ils me mettent sur la cuvette. (…) vous savez ça fait mal au cœur. » Me F

explique : « Ah ben au début c’était dur, ça me faisait un petit peu honte. »

 La vie affective et sexuelle

Pour certains résidents, c’est un sujet qui ne peut plus exister. M. L : « cette partie est éliminée de moi. » Pour d’autres, « la vie amoureuse c’est pas indispensable. » (M. L) Aucune des personnes interrogée n’évoque une vie sexuelle au sein de l’établissement.

 L’entretien

Durant les échanges, nous pouvons noter que deux résidents évoquent l’entretien comme un moment d’intimité. Ainsi, lorsqu’une soignante entre dans la chambre par erreur, M. L proteste : « Ah ben oui c’était un rendez-vous intime alors... »

2.2.4. La liberté

La vie institutionnelle est régie par des contraintes qui limitent les libertés individuelles, ce qui n’est pas supporté de la même façon par tous les résidents. Mme O semble satisfaite de ses espaces de liberté, estimant qu’il « faut un règlement hein, faut

suivre le règlement. Il y a des règlements, liberté c’est pas liberté à 100%.»

Le fait de pouvoir se déplacer librement est la principale liberté évoquée par les résidents, qu’ils l’utilisent ou non. M. J avait l’habitude de suivre le mouvement, pour reprendre ses termes. La question de la liberté ne s’est peut-être jamais posée à lui et il semble douter de ses droits : « je pourrais aller me balader dehors ou... A ce sujet là je crois

Parfois, c’est l’institution qui est considérée comme responsable de la limitation des sorties et les résidents se sent emprisonnés. M. B : « J’ai l’impression d’être enfermé en prison et moi qui aime la liberté ça ne me dit rien du tout d’être pr… le rôle de prisonnier. » Il

se réfugie dans sa chambre pour échapper à une vie institutionnelle qui lui fait violence. Dans cet espace, lieu fermé aux professionnels et résidents, dans une institution elle-même fermée à la société, il accueille ceux qui le comprennent, et lui permettent de préserver son identité d’artiste. Parfois, c’est la maladie qui est considérée comme responsable de la

limitation de la liberté. Mme F : « moi j’y vois pas moi, je reste toujours ici ». Les enfants

permettent de revoir l’extérieur lors de leurs visites. Mme F : « j’ai passé les noëls et puis

jour de l’an, mes enfants sont venus me chercher mais je reviens le soir coucher ici. »

L’institution impose aussi des contraintes horaires qui peuvent être difficiles à supporter. M. H : « j’avais pas l’habitude… j’avais pas des horaires bon ben forcément faut

respecter les horaires pour venir manger et puis tout ça. » Mme K, elle, regrette d’être constamment sous le regard des professionnels, dans une institution où des caméras

extérieures ont été installées pour surveiller les allées et venues : « je sais qu’on est

surveillés tout le temps. Il y a des miradors partout et on suit nos activités (rires) et ça quand j’ai appris ça qu’on était toujours surveillés, ça ça m’ennuie, ça a ennuyé mon tempérament d’indépendante. » La présence des professionnels peut alors être vécue de façon très

intrusive. M. B explique que sa chambre est son espace mais « encore pas tout le temps

parce que sauf quand elles sont envahies par les chambrières. » Et certains se sentent infantilisés. Mme P qui : « On peut pas se sente libre, se sentir libre puisque vous pouvez pas sortir sans... sans prévenir. »

Et si certains comme Mme S trouvent leur liberté dans les animations : « je peux aller

si je veux l’après-midi aux... aux activités si vous voulez faire... faire des jeux. Mais au bout d’un moment c’est toujours les mêmes jeux. », pour d’autres le sujet semble trop douloureux

à aborder. Mme C : « je me plains pas trop, je me plains pas. » Pour elle, être privée de

liberté et d’espace personnel semble être la conséquence à supporter pour obtenir la sécurité, les soins physiques et les relations humaines dont elle a besoin. Cependant, nous

n’avons pas le sentiment qu’elle accepte pleinement cette situation. Elle préfère ne pas y penser.