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PARTIE THEORIQUE

4. Relations aux autres

4.1. Relations avec le groupe d’appartenance

4.1.1. Dynamique de groupe

Selon Anzieu (1975), « le groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des

individus. » Il estime que le groupe se construit autour d’une illusion groupale et qu’il a un

Soi propre « à l’intérieur duquel une circulation fantasmatique et identificatoire va s’activer

entre les personnes. » (ibid) Cette identification peut être positive pour ceux qui ont choisi le groupe et peuvent le quitter quand ils le souhaitent (professionnels, moines et novices).

Ainsi, en prison, alors que « contrairement à ce qu’on pourrait croire, le métier de surveillant

est assez souvent un métier solitaire » (Benguigui et Al, 1994b), la solidarité est recherchée

(Aymard, Lhuilier, 1995). C’est également le cas en EHPAD où les professionnels craignent qu’elle disparaisse : « Plus encore, la solidarité est revendiquée par les professionnels comme

l’un des piliers de leur manière de travailler. À cet égard, les discours se font alarmistes du fait de la diminution observée des pratiques de solidarité. La cause en est imputée à la dégradation des conditions de travail et aux cadences, trop importantes pour dégager du temps et venir en soutien aux collègues, les professionnels eux-mêmes en difficulté ayant tendance à se protéger. » (Marquier, 2016) Et pour les moines, défendre le lien au groupe

est essentiel. « D'un côté l'ascèse s'individualise pour s'adapter aux besoins de chacun, mais

de l'autre, la réduction de la dimension communautaire est évoquée par les moines et moniales comme possible perte de l'essence collective de l'ascèse ainsi que du soutien de la communauté. » (Jonveaux, 2018).

A l’inverse, pour ceux à qui le groupe a été imposé avec une impossibilité de le

quitter quand ils le souhaitent, cette identification peut en revanche être douloureuse

(personnes incarcérées et personnes âgées). Ainsi, Lhuilier et Lemiszewska (2001) évoquent une peur de la contamination en milieu carcéral, à la fois sur le plan physique et sur le plan

psychique. Un mécanisme semblable existe dans les structures pour personnes âgées. Neyret-Chompre (2002), psychologue, note cette difficulté lors de groupes de parole qu’elle anime en maison de retraite : « Les personnes qui ne présentent pas de déficiences

neurologiques acceptent très mal l’image renvoyée par les participants plus dégradés. »

L’institution qui « mobilise nécessairement des formations archaïques et oedipiennes

de la vie psychique » (Kaës, 1996) devient un lieu de réactualisation de soi à travers le groupe. Pour Kaës (1996), qui considère le lien institué comme une conjonction entre le

désir des sujets et liens et les formes sociales qui le soutiennent, « dans cette double

conjonction s’imposent trois composantes du lien institué : l’alliance, la communauté de réalisation de but et la contrainte. » Kaës (1998) : « L'appareil psychique groupal se développe dans la tension dialectique entre deux pôles un pôle que j'ai appelé isomorphique, c'est le pôle imaginaire, narcissique, indifférencié. Il s'agit de réduire ou de nier l'écart entre l'appareil psychique groupal et l'espace psychique subjectif. Cette coïncidence assujettit chacun à tenir la place qui lui est assignée dans le groupe indivis, place à laquelle chacun en outre s'auto-assigne motu proprio. » Tout changement est alors menaçant. « Le second pôle est homomorphique : la différenciation de l'espace de l'appareil psychique groupal est soutenue par l'accès au symbolique : c'est-à-dire qu'une parole individuée peut surgir dans la mesure où le jeu des assignations est réglé par la référence à la loi, et non par l'omnipotence et l'extrême détresse. » Dans cet équilibre délicat, des violences peuvent survenir.

4.1.2. Violence dans le groupe

Selon Ploton (2010), « chaque membre de l’institution est (ou devrait être) référé à un

groupe d’appartenance. Il en va de son confort, voire de sa survie psychique, car autant un groupe est fort, autant un individu seul est vulnérable aux attaques narcissiques, avec le risque d’y succomber et de se déprimer, à moins de s’enfermer dans un isolement persécutoire ou caractériel. » Parfois aussi, l’unité du groupe se construit en opposition à un

autre groupe institutionnel. Ainsi, dans les services de soins psychiatriques en prison, les professionnels peuvent avoir tendance à se différencier de la pénitentiaire et à revendiquer leur appartenance à l’hôpital. Et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une évolution historique. L’illusion groupale de ces soignants se construisant alors parfois en réponse aux angoisses de

persécution de la pénitentiaire. Parfois aussi, les individus ne s’identifient pas à la totalité

de leur groupe d’appartenance mais à un sous-groupe qui leur permet de mieux préserver

leur identité. Selon les institutions, on peut ainsi retrouver les sous-groupes des personnes âgées « qui ont toute leur tête », celui des soignants « qui font bien leur boulot », celui des personnes incarcérées « qui n’ont tué personne », ou encore celui des surveillants « qui savent se faire respecter », et j’en passe.

Dès lors, des conflits peuvent naître entre les groupes. Ces conflits sont majorés par le fait que « les sujets pour lesquels se sont construites les institutions se caractérisent par

des souffrances et des symptômes qui, pour une large part, sont marqués du sceau du traumatisme (la maladie, la folie, l’errance, l’abandon, le handicap…). Dans de telles configurations traumatiques, les événements ne font pas traces pour les sujets, sinon sous le mode de l’effacement ou celui d’une surprésence. » (Gaillard, 2010). Il est alors pour lui essentiel de travailler sur l’histoire et la temporalité des institutions car « les atteintes faites à l’histoire et à la temporalité attaquent et mettent en péril les processus identificatoires de l’ensemble des personnes participants de ces institutions (professionnels et usagers), libérant d’intenses charges de violence. » (Gaillard, 2001). Les monastères

chrétiens soulignent cette importance de l’histoire construite mais aussi à construire ensemble : « Par le partage d'efforts communs, la communauté se construit une histoire, une

identité et renforce ainsi son lien communautaire. » (Jonveaux, 2018)

Pour les professionnels, qui se situent « entre transgression, sidération et

réparation » (Gaillard, 2001), cette violence se manifeste par des « paralysies de la pensée, contamination par leurs « objets », disqualifications professionnelles meurtrières…, les institutions du soin et du travail social sont le théâtre d’incessants mouvements passionnels au sein desquels la violence agie le dispute sans cesse à un travail de la « civilisation ». Ces institutions ont ainsi à composer massivement avec la déliaison et la pulsion de mort. On peut même dire qu’il s’agit là de la tâche centrale qui leur est dévolue par le socius : soit au travers de leur tâche primaire (soigner, aider, accompagner …), de faire barrage à l’angoisse (E. Jaques, 1955), à la destructivité, à la violence mortifère et meurtrière. » Enriquez (1987),

s’intéresse également à cette dualité des institutions, qui sont à la fois des « lieux pacifiés »

apparus à l’origine : la violence fondatrice. » Il est alors nécessaire de travailler sur ce deuxième axe, en ayant conscience de son double aspect positif et négatif. En effet, « le

travail de la mort se confond avec le travail du négatif, mais le négatif a deux visages. Celui de la destruction, signe de la haine pour la forme vivante, et celui de la destruction de l’unité/identité, signe de l’amour pour la variété. » (Enriquez, 1987) Dès lors la violence peut

prendre du sens pour l’individu.