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ENTRETIENS MAISONS DE RETRAITE - PROFESSIONNELS

2.2.2. Evolution du travail

Plusieurs professionnels parlent de l’organisation de leur journée. M. Bu : « je suis

infirmier donc euh je m’occupe principalement de tout ce qui est euh médical. Les solutions des médicaments, pansements, des injections diverses. Puis après bon tout ce qui est encadrement du personnel.» M. Fa : « le matin c’est les toilettes et l’après-midi c’est l’animation et puis on les change le soir et puis... Mais beaucoup les toilettes le matin. » Avec

les années, le travail en EHPAD a évolué. Pour beaucoup, comme Mme Ca, il est devenu plus

lourd « au départ on faisait les toilettes mais les gens étaient beaucoup moins grabataires. »

Certains soulignent toutefois que la personnalisation des soins et le matériel se sont

améliorés. Mme Fe : « On n’avait pas de bassine, on n’avait pas de lève-malade, on n’avait rien. On n’avait rien. » Des évolutions sont encore à venir. M. Bu : « j’ai hâte que qu’on déménage. La structure elle est ancienne, je n’ai même pas de vestiaire, je me change dans un truc en haut avec les... Enfin c’est une parenthèse mais c’est c’est pas du tout adapté. Il y a des marches là pour aller au secrétariat les résidents ils ne peuvent pas y aller quand ils veulent. Faut passer par monte-charge, enfin le monte-charge, le petit ascenseur là. Oh non les chambres à trois lits... Dans la structure ici il n’y a rien qui... Vous voyez je suis pas venu la première fois, c’est une parenthèse mais la première fois le poste je l’ai refusé hein. » Et Mme

Ce cherche à accompagner les changements. Elle est devenue cadre « pour arriver à,

imposer c’est un mot trop fort, mais pour arriver à mettre en place ma... ma façon de voir le soin. »

2.2.3. Temporalité

 Le manque de temps

La quasi-totalité des soignants s’est exprimée fortement sur le manque de temps qu’ils ressentent pour réaliser leur travail ce qui les pénalise dans la relation avec le résident. Beaucoup ne parviennent même pas à prendre leur pause. M. De : « On a 10 minutes - un

quart d’heure pour faire une toilette, qu’est-ce que vous voulez faire en 10 minutes - un quart d’heure ? Vous pouvez rien faire, à part faire la toilette. Vous pouvez pas discuter avec la personne. » Mme Du précise qu’elle-même « Je me lave pas en 15 minutes. » Mme Di :

« c’est infaisable. Parce que le personne elle est douloureuse à la mobilisation donc au

niveau de l’habillage tout ça donc le temps de détendre un peu le membre pour passer le bras c’est vrai que... c’est chaud quoi. » Mme Fe: « J’ai l’impression de travailler à la chaine et c’est au suivant, au suivant, au suivant parce que voilà c’est... c’est l’œil sur la montre et puis... et puis voilà quoi. C’est... c’est pas... » « Alors il suffit qu’il y ait une, justement une...

un imprévu ben alors là... là c’est la catastrophe quoi. » Il en est de même en tant que cadre. Mme Ce : « si je me mettais pas des gardes fous j’aurais jamais terminé. » Les rares professionnels qui apprécient leur temporalité professionnelle la compare avec celle d’un autre établissement ou d’un autre métier. Mme Be : « en tant qu’infirmière j’ai beaucoup

plus de temps moi je trouve. »

 Temps privé et professionnel

Si certains apprécient leur rythme de travail, comme M. Bu « parce qu’en 12 heures

évidemment il y a beaucoup plus de récupération, » plusieurs trouvent que le travail empiète

sur leur vie privée. Mme Co aimerait bénéficier d’une meilleure alternance repos/travail : « on va faire trois jours ça peut être un jour de repos après on va enchainer sur quatre jours,

c’est pas... c’est pas toujours pareil. On n’a pas un rythme régulier au niveau de... des journées de travail. Oui. » Mme Ca : « on est très stressées parce que bon on a des horaires, on fait des coupures, on travaille du matin, on travaille d’après-midi enfin c’est... on a là même j’ai vu cette année on nous a payé des heures sup en fin d’années parce que ils

peuvent pas nous les rendre mais bon nous on aimerait bien, on aimerait bien les récupérer. Parce que vu qu’on travaille aussi à l’unité Alzheimer c’est... c’est pas facile tout le

temps. » Quant à Mme Ba, cadre de santé, pour elle ce sont les astreintes qui sont pesantes.

« C’est très lourd psychologiquement à... parce qu’on est, on est jamais partis du travail. (…)

On ne coupe jamais vraiment totalement. » Elle accepte pourtant que l’équipe l’appelle en

2.2.4. La liberté

La liberté est ressentie dans deux espaces : la manière de gérer son travail, et l’écoute des initiatives. Mme Ce : « Elle est mesurée évidemment mais...oui quand même je... je gère mon travail oui un peu comme je l’entends quoi. » M. Bu : « n’importe quel projet si... il est réalisable... il y pas de souci hein. Au contraire hein c’est souvent même... encouragé hein. » M. Fa : « Si la direction voit qu’on s’investit et qu’on sait pourquoi on veut le faire après ils nous laissent gérer. » La liberté peut aussi être perçue dans l’évolution professionnelle. M. Ga trouve « J’ai de la liberté... dans le fait que... après on a beaucoup de services possibles et d’évolution possible. »

Certains trouvent que leur liberté est trop limitée. Mme Fe : « que c’est le protocole, c’est... il faut demander l’avis au médecin. » Elle cite notamment l’exemple des contentions.

Mme Ca a « beaucoup de mal à discuter avec ma cadre » Mme Ba estime qu’elle a de la liberté, mais que celle-ci n’est pas acquise et dépend de la personnalité de son directeur. Mme Da : « tout de suite il y a le frein budget, organisation, changement de direction, on

attend le nouveau directeur enfin c’est... c’est compliqué. » « Les gens ici peuvent

s’essouffler très vite. »

2.2.5. La souffrance

« Devant l'intolérance, devant l'exclusion, devant notre impuissance, c'est vrai il y a des jours où j'ai honte d'exister. Et malgré tout, je chante. » (Barbara, s. d.)

 La place de la maltraitance

Lors des entretiens, des professionnels nous ont fait part de situations de maltraitance auxquels ils ont assistés et qui les ont déstabilisées. Mme Bo : « en fait on levait les résidents un jour sur deux. Voilà. Voilà voilà. Donc euh moi je n’aimais pas donc

euh les gens qui n’étaient pas levés ben on les habillait pas ils restaient en chemise de nuit toute la journée euh voilà. » « Il fallait qu’on recouche les résidents avant que nos anciennes collègues arrivent sinon on se faisait taper sur les doigts. » M. Ga (étudiant) : « On voit, on

peut voir des soins déshumanisants enfin des... pas forcément de la... de la bientraitance donc ça ça... ça... on n’a pas... on a envie de rejeter un petit peu ça. » Mme Ge (étudiante):

« si c’est l’heure de la pause et ben elle restera vingt minutes nue sur son lit c’est pas

grave... » « Euh vous avez une personne qui vous demande d’uriner alors qu’elle est à table, ben sur le principe qu’elle a une protection on va pas l’écouter. » Elle ne s’est pas sentie

épaulée par les formatrices de l’IFSI face à ces situations : « j’en avais déjà parlé avec une

cadre, qui me dit « Ah oui mais ce jour-là il manquait quelqu’un, oui mais ce jour-là il y avait ci » et (aspiration) voilà. » Mme Gi, formatrice à l’IFSI, explique pourtant qu’il y a un suivi :

« l’étudiant ben on lui conseille de... on lui fait prendre part de sa responsabilité dans la

mesure où il est au courant de ça il peut pas cautionner (…) donc après il y a un suivi hein au niveau de l’établissement ou bien l’étudiant demande un accompagnement. »

 L’épuisement professionnel

Près d’un tiers des professionnels qui ont témoigné présentent des signes d’épuisement professionnel, y compris un étudiant. Comme pour la maltraitance, certains minimisent leur vécu, évoquant des « petites choses. » D’autres développent plus. Me De : « on a une barrière devant nous et cette barrière en fait on se la met un petit peu

nous-mêmes aussi parce que... parce qu’on n’a plus temps de le faire, qu’on est... on est... puis on est fatigués des fois, on est épuisés moralement, épuisés quoi. » Durant son entretien, j’ai

d’ailleurs fait un lapsus en lui demandant ce qui a changé « avant de vivre, avant de travailler

pardon, en institution. » M. Bu : « C’est quand même assez épuisant. Psychologiquement c’est dur (…) de voir des gens quand même beaucoup plus... euh autonomes. » « Mon projet

c’est de pas rester ici. » Il poursuit : « Faut faire abstraction hein. (…) il y a beaucoup

d’agressivité hein ça c’est sûr. Les insultes, les... c’est souvent. Mais bon je le prends pas pour moi ça me pff. » M. Fu n’est encore qu’étudiant : « on se sent très impuissant parce qu’on n’a pas le temps (aspiration) et parfois on se sent usé aussi physiquement et

psychologiquement parce que ça demande des ressources assez importantes. » La sociologie l’aide à prendre du recul et l’espoir de travailler dans une équipe qui partage ses valeurs : « donner du sens je le fais seul mais au bout d’un moment je pense que l’épuisement se fera

et... j’ai besoin de trouver une équipe oui qui puisse m’aider... pour... pour donner du sens à notre travail. » Mme Go est formatrice. Elle ressent aussi de la pression, dans une période où

plusieurs de ses collègues sont en arrêt maladie : « travailler tout le temps dans l’urgence, ça

me stresse un petit peu et ça me déstabilise un petit peu. » Elle explique qu’entre collègues,

« on n’est même pas capables d’aller tendre la main pour savoir si quelqu’un a besoin d’aide ou pour solliciter de l’aide. »

 Des situations chocs

Travailler en EHPAD amène les soignants à être confrontés à des situations qui peuvent être violentes pour eux. Mme Fe me parle ainsi « à propos des toilettes mortuaires.

Et ça je sais que j’en ai fait pff je... je compte pas et c’est une chose que je je peux plus faire en fait. Je me suis donné en fait un... un... je me suis donné une barrière pour plus les faire parce que ça ça me détruisait en fait. C’est et... et j’ai eu une conversation avec le docteur justement là-dessus parce que je lui disais « normalement on n’a pas à faire les toilettes mortuaires, c’est pas à nous de les faires. C’est aux infirmières ou... » donc lui on était pas d’accord donc il m’a sorti un texte et ça j’aimerais que ce soit... que ce soit mis vraiment noir sur blanc est-ce que l’aide-soignant est obligé de faire les toilettes mortuaires ou c’est suivant son choix ? Et... même si moi je sais que je n’en ferai plus et puis tout le monde le sait quoi c’est mais... parce que c’est quelque chose qui est très difficile en fait. Et ça... la dernière toilette que... que j’ai faite il y a peut-être 2 ans à peu près, je dirais 2 ans, 1an et demi - 2ans, et... je veux dire elle est encore là et... c’est dur. » « C’est comme si c’était un échec. »

3. Relations aux autres

3.1. Représentation des personnes âgées

Dans ces établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ce dernier terme influence la représentation de la population. Ainsi, plusieurs soignants

abordent la question de la vieillesse par le biais de la dépendance et des besoins auxquels ils cherchent à répondre. Mme Ci souligne ainsi l’importance d’« aider la personne », « je pense

qu’on arrive enfin à un certain âge on a un besoin. » Mme Fe : des « personnes fragiles » qui

« ont besoin, qui ont besoin de nous même si... même si ils refusent des fois notre aide ben

âgée autonome extérieure à l’institution et celle qui est dépendante dans la structure,

comme s’il y avait deux mondes et deux types de personnes âgées. M. Bu : « j’ai envie de

dire dépendant parce qu’on a cette visualisation là en institution. Euh... après ça peut être paradoxal mais aussi dynamique parce que il y a pas que les institutions à l’extérieur les personnes âgées sont assez dynamiques. » La société influence aussi le regard porté sur la personne âgée. M. Fi distingue ainsi la personne âgée en Europe et en Afrique : « en France ou en Europe en général, (…) on dit que la personne âgée c’est quand la personne vieille devient... dans l’incapacité de pouvoir remplir ses telles fonctions. » « C’est un peu l’inverse de chez nous (…) Parce que chez nous la la la avancé à un âge c’est une sagesse tandis qu’en France c’est un problème. »

Plusieurs soignants se défendent de porter un regard négatif sur les personnes âgées. Mme Da : « curieusement pas forcément la dépendance... » Mme Do : « c’est pas péjoratif, » « enfin c’est pas du tout négatif la vision que j’ai d’une personne âgée. » Mme

Ce : « je mets pas quelque chose de péjoratif derrière. » Et si Mme Go ose exprimer du négatif, mais elle commence par le positif : « les aînés, le respect... la... la richesse, le

partage, l’échange... et puis pour avoir... pour y avoir travaillé, malheureusement ben la fin de vie, la douleur, la mort. » Et certains évoquent un regard neutre ou positif. Mme Co : « les rides. » Mme Be : « ils ont un vécu, une... enrichissant. Et puis une histoire de vie, qui est toute différente et qui apporte beaucoup. » Pour certains, le travail en établissement a

même permis de développer un regard positif qui n’existait pas avant. Mme Du : « Nos

doyens, c’est nos doyens, c’est... on leur doit le respect, ils ont plein de choses à nous apporter. » « Avant j’étais jeune c’est vrai que quand on est jeune de toute façon on fait pas attention à la personne âgée, on passe dans la rue quand on est jeune on fais même pas attention à un vieux si on a le droit de dire vieux. Mais maintenant j’ai un très grand respect pour eux. »