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PARTIE THEORIQUE

3. Parcours individuels

3.3. Sens donné à la vie / au travail

Nous avons interrogé les individus sur le sens qu’ils donnent à leur vie ou à leur travail. « Je parle de “recherche d’un sens à la vie” par opposition au principe de plaisir sur

lequel est fondée la psychanalyse freudienne, ainsi qu’à la volonté de puissance qui est au centre de la psychologie adlérienne. » (Frankl, 2014). Cette recherche permet selon lui à l’homme de ne pas rester confronté à la frustration ou au vide existentiel, de diminuer la

souffrance et d’améliorer la santé mentale. Il propose alors l’amour et l’humour comme pistes d’épanouissement. Une vision que je partage.

La vie ne vaut rien, Souchon, A.(2001)

Il a tourné sa vie dans tous les sens Pour savoir si ça avait un sens l'existence

Il a demandé leur avis à des tas de gens ravis Ravis, de donner leur avis sur la vie

Il a traversé les vapeurs des derviches tourneurs Des haschich fumeurs et il a dit

La vie ne vaut rien, rien, la vie ne vaut rien

Mais moi quand je tiens, tiens, mais moi quand je tiens Là dans mes deux mains éblouies,

Les deux jolis petits seins de mon amie, Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie.

Il a vu l'espace qui passe

Entre la jet set, les fastes, les palaces Et puis les techniciens de surface,

D'autres espèrent dans les clochers, les monastères

Voir le vieux sergent pépère mais ce n'est que Richard Gere, Il est entré comme un insecte sur site d'Internet

Voir les gens des sectes et il a dit

La vie ne vaut rien, rien, la vie ne vaut rien

Mais moi quand je tiens, tiens, mais moi quand je tiens Là dans mes deux mains éblouies,

Les deux jolis petits seins de mon amie, Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie.

Il a vu manque d'amour, manque d'argent Comme la vie c'est détergeant

Et comme ça nettoie les gens,

Il a joué jeux interdit pour des amis endormis, La nostalgie, et il a dit

La vie ne vaut rien, rien, la vie ne vaut rien

Mais moi quand je tiens, tiens, mais moi quand je tiens Là dans mes deux mains éblouies,

Les deux jolis petits seins de mon amie, Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie.

Rien, rien, rien, rien ne vaut la vie Rien, rien, rien, rien ne vaut la vie

3.3.1. Présentations personnelles et projets

La crise identitaire dans laquelle s’inscrit l’entrée dans l’établissement fait partie de la trajectoire de vie du sujet. Il y a ceux qui s’inscrivent pleinement dans l’institution et ceux qui rêvent d’un ailleurs. Il y a ceux pour qui l’entrée vient faire rupture et ceux pour qui elle s’inscrit dans un processus déjà entamé. Dans ce cadre, chacun peut se construire un projet

personnel ou professionnel. Aujourd’hui, dans les établissements pénitentiaires et dans les

maisons de retraite, la notion de projet personnalisé est particulièrement mise en avant. Nous allons nous y intéresser plus particulièrement dans les EHPAD.

Dans ces structures, sont mis en place différents projets, dont le projet de vie, qui interagissent les uns avec les autres. Ainsi, le projet de l’institution « définit l’orientation

générale de l’organisme » (Hervy, 2007). Ce projet est soumis à la convention tripartite

contractuel sur les objectifs » (Ibid) à atteindre « et les moyens » (ibid) pour le faire. Ce contrat est « évalué au bout de 5ans par les signataires de la convention » (ibid). Au sein de ce projet institutionnel sont développés des projets d’établissement qui décrivent « les

orientations de l’établissement pour plusieurs années » et qui comprennent le projet de

soins et le projet de vie. On distingue alors un projet de vie institutionnel et un projet de vie

individuel. Le projet de vie institutionnel « détermine les objectifs en terme d’accueil et des conditions de vie quotidienne et sociale » (ibid). Les projets de vie individuels quant à eux,

peuvent être définis comme « un espace de liberté laissé à la discrétion de chaque résident,

permettant de favoriser l’expression des attentes, des désirs, des aptitudes et des goûts de chaque personne » (Amyot et Mollier, 2002) Il n’existe donc pas de projet de vie type mais

des projets de vie personnalisés. Ils doivent « présenter un ensemble de repères nouveaux

pour pallier ceux qui ont marqué l’histoire de l’individu, tant ancienne que récente »

(Vercauteren et AL, 1999). Nous verrons de quelle façon les individus et les professionnels se les approprient.

Evoquer les projets de vie, c’est aussi inclure la représentation de la mort. Sujet tabou dans notre société, elle est investie comme l’accès au royaume de Dieu pour les chrétiens. Et même dans les maisons de retraite, qui sont pourtant souvent la dernière demeure des résidents, ce sujet est évité. Ploton (2010) parle ainsi des fantasmes réprimés par les soignants en EHPAD : « Ils concernent tout l’imaginaire refoulé relatif à la mission de

l’institution, avec tous les cas de figure possibles, par exemple en gériatrie : concernant cet « entre deux », dans le passage de la vie (qui n’est déjà plus la vie) à la mort qui est partout et dont on ne parle jamais, mort à laquelle on s’applique même à ne surtout pas penser. »

(Ploton, 2010)

3.3.2. Motivations professionnelles

Même si nous allons nous intéresser au sens que les professionnels donnent au travail, il est intéressant de noter que « les moines intègrent le travail et l'économie dans l'utopie religieuse » (Jonveaux, 2011). Ils doivent en effet travailler pour des raisons financières et trouver quels produits et quel aménagement du travail et du gain financier s’accorde avec la vie qu’ils souhaitent mener.

Concernant les surveillants, Gras (2011) nous apprend que « plus le temps passe, et plus les surveillants ont tendance à dire qu’ils sont entrés dans l’administration pénitentiaire avec des motivations utilitaristes (elles sont déjà très fortes et majoritaires en

début de formation). »

Quant aux soignants, Marquier (2016) explique qu’« une grande majorité estime travailler en EHPAD par vocation, intérêt, sentiment d’utilité. » « Quelles que soient les

raisons de leur orientation professionnelle, par convention sociale ou par conviction, une grande majorité des professionnels rencontrés en entretien affirment aimer leur métier. Il semble que l’attachement des professionnels est d’abord dirigé vers la signification et la place qu’occupe leur métier dans la collectivité : il s’agit de prendre soin, d’apporter du bien-être, de soulager des personnes fragiles. » (ibid) Certains sont même dans « le registre de la vocation (qui) renvoie à ce qui s’impose à l’individu, en raison de sa nature ou de son destin et se traduit par des paroles du type : « je suis fait pour ça .» » (ibid) Cependant, dans la

réalité du terrain, l’accompagnement des résidents se situe souvent « entre gratification et

frustration. » (ibid) Certains professionnels préfèrent l’EHPAD au secteur hospitalier. « Les arguments opposant secteur sanitaire et secteur médico-social sont mobilisés par les professionnels, sans qu’on puisse déterminer s’il s’agit d’une défense face au rejet dont ils seraient l’objet de la part de l’hôpital ou d’un véritable choix. » (ibid)

Ces motivations sont à penser en parallèle avec l’impact de la vie professionnelle sur le

personnel, qui peut veir envahir la vie privée (Debout, 1999). En effet, « la question de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle représente également un enjeu important pour les professionnels des EHPAD du fait des horaires décalés, des plannings irréguliers, du travail le week-end ou la nuit, etc. » même s’il peut y avoir des avantages

comme par exemple avoir des RV administratifs en journée. (Marquier, 2016)

3.3.3. Intérêts psychologiques de la religion

Dans la religion, l’homme est à envisager dans ses 3 dimensions : l’âme, le corps et le

psychisme. Dans son travail de thèse, Bettina de Pauw « a montré qu’il y avait autant de religiosité chez les personnes psychologiquement dépendantes que chez les personnes plus

indépendantes d’esprit. » (entretien avec De Grossouvre). Marcaurelle (2001) reprend les

travaux de plusieurs chercheurs canadiens qui ont étudié l’intérêt de la religion pour l’individu.

Il s’agit de :

- L’actualisation de soi : A propos de Sévigny (1971) « L’auteur conclut que la réaction

des adolescents contre les normes et les valeurs religieuses est maturée par une recherche de l’actualisation de soi. » (ibid) Elle peut se faire à travers « le pardon comme moyen de croissance et d’actualisation de soi. » (Marcaurelle, 2001)

- La recherche de vérité : « Réginald Richard (1985) voit dans l’adolescence une rupture

épistémologique grâce à laquelle l’adolescent s’affranchit des sources extérieures (parents et éducateurs) dans la détermination des critères de vérité et d’éthique. »

(ibid)

- L’affrontement de la peur : Evoquant Mettayer et Dufort (1985), qui ont travaillé sur différentes religions : « La foi y est présentée comme le « courage » d’être en dépit

de la peur. » (ibid)

- La rupture avec les normes sociales : A propos de Savard (1979) étudiant des sujets se disant marginaux dans leur spiritualité : « Chez ces gens, l’expérience religieuse

apparaît surtout comme l’accès à un niveau supérieur de conscience et de vie humaine. La priorité est donnée à l’autonomie de la vie personnelle et à la qualité des relations interpersonnelles plutôt qu’aux impératifs sociaux en général. » (ibid)

Tapia et Roussiau (2012) quant à eux évoquent un aspect positif de la spiritualité « sur la structuration de l’identité personnelle, sur le sentiment d’appartenance à des

collectivités rassemblées ou dispersées, et donc sur l’actualisation d’une sociabilité active – notamment chez les adolescents (Colette Sabatier) ; mais aussi sur des états psychologiques comme le bien-être, l’équilibre, l’appréciation du sens de la vie et de l’idée de bonheur (Marianne Bourdon). Elles auraient tout autant une influence positive sur des réalités

objectives, telles la longévité (Nathalie Bailly) ou la maîtrise de l’expérience du temps dans des pathologies graves. » Soulignant toutefois le risque sectaire ou de radicalisation

terroriste.

3.3.4. Psychologie et spiritualité

De très nombreux auteurs se sont intéressés aux liens entre psychologie et religion. Nous ne pourrons pas aborder leurs travaux de façon exhaustive, mais nous allons évoquer quelques points.

 Soi transpersonnel

Plusieurs auteurs ont développé la notion de « soi transpersonnel. » Marcaurelle (2001) nous en parle. « Selon Richard, les moyens appropriés pour accéder à ces faits

spirituels consistent en des méthodes d’observation de l’étendue de la conscience. Inspiré du yoga et du hatha yoga, l’auteur propose l’accès à une conscience transpersonnelle sans contenu, c’est-à-dire l’appréhension de soi comme Soi immuable et témoin infini de tous les contenus de conscience limités de la psyché. Le travail de la spiritualité consiste essentiellement, pour Richard, à distinguer ce Soi transpersonnel — ou conscience pure — des contenus cognitifs, affectifs et sensoriels de la conscience. La spiritualité n’est pas pour autant accès à un ailleurs, ou à une autre réalité, mais un regard transformé sur la réalité empirique. » (Marcaurelle, 2001) « Pelletier examine le mouvement du Potentiel humain et la psychologie transpersonnelle surtout dans la perspective de l’accès à un Soi infini qui transcende la conscience individuelle. L’auteur dégage de façon éclairante quelques traits communs aux groupes se rattachant à cette perspective : le corps comme moyen d’évolution et lieu de manifestation du divin plutôt que comme entrave à la vie spirituelle ; la croyance en l’existence d’un niveau de conscience transcendant la conscience individuelle et accessible à chacun, particulièrement par la méditation, comme il l’a été pour les grands mystiques de l’humanité ; la valeur thérapeutique de l’ouverture à ce niveau de conscience et aux expériences paranormales. » (ibid) « À l’aide d’études de cas, Lavoie soutient la théorie d’un Moi divisé dont les besoins peuvent s’harmoniser par l’usage des symboles. Ces derniers diminuent les attitudes défensives et permettent une intégration plus efficace des tendances

opposées qui, autrement, occasionnent des conflits psychiques. » (ibid) Ce concept résonne

avec ceux développés par Jung, ainsi que ceux sur lesquels s’appuient les psychiatres et psychologues qui font un lien entre bouddhisme et soin psychique à travers la pratique de la méditation.

 Inconscient collectif et imago dei

Jung évoque la notion d’inconscient collectif, en tant qu’un ensemble de données collectives dont nous hériterions tous dans notre inconscient. Il déclare à ce propos : « les

instincts et les archétypes constituent l'ensemble de l’inconscient collectif. Je l’appelle "collectif" parce que, au contraire de l’inconscient personnel, il n’est pas fait de contenus individuels plus ou moins uniques ne se reproduisant pas, mais de contenus qui sont universels et qui apparaissent régulièrement. » (Jung, 1973). Jung développe alors une

représentation de l’inconscient différente de celle de Freud. Pour lui, « le moi a à se

confronter avec un inconscient qui le dépasse et qui pourrait l’instruire. Inconscient qui ne saurait donc se réduire aux éléments refoulés par le moi, et qui, par son objectivité même, renvoie plutôt à l’image d’un dieu ou d’un démon, c’est-à-dire d’un contenu énergétique non-moi, d’un contenu impressionnant, voire sacré, que le sujet, dans le meilleur des cas, observe attentivement pour essayer d’entrer en dialogue avec lui, comme s’il s’agissait d’un être encore inconnu mais réellement existant. C’est la méthode thérapeutique que Jung propose, après l’avoir testée sur lui-même, tout en mettant en garde contre le risque, pour le moi, d’une identification avec ces contenus inconscients qui sont d’une autre nature que lui. L’inflation le guette lorsqu’il s’approprie naïvement ou frauduleusement cette énergie autonome, ce dieu ou ce démon qu’il a découverts en lui-même. C’est pourquoi la technique psychanalytique jungienne se fonde, en premier lieu, sur la différenciation. Le moi a tout à gagner à se distinguer nettement de cet Autre qui l’habite, et à reconnaître, en se confrontant justement à lui, ses propres limites. » (Agnel, 2003, Jung, 1958)

Agnel (2003) nous explique que « Jung parle toujours d’imago Dei, d’une image de Dieu, c’est-à-dire d’une réalité psychique autonome (qu’on peut alors approcher par le

moyen des termes techniques de complexe ou d’archétype) et non d’un Dieu extérieur à l’homme, d’une entité qui serait douée, comme le dit Jung, « d’une existence

non-psychologique» Il donne une grande valeur à la vie symbolique et pense que l’homme

moderne « recherche un sens à sa vie dans une confrontation avec l’âme inconsciente. (Ce

qui implique que la vie intérieure ait, pour lui, un même degré de réalité que ce que nous appelons communément le réel, c’est-à-dire ce monde des objets que nous situons et manipulons à l’extérieur de nous-mêmes.) » (Agnel, 2003, Jung, 1958) Il accorde alors une

importance particulière à l’observation des rêves : « « La vie religieuse consiste – je le cite –

en l’observation attentive des données.» « Jung se réfère, en effet, à l’étymologie latine : relegere et religio, dans le sens ancien d’attention scrupuleuse, d’attitude privilégiant la conscience, et non pas au verbe religare, repris par les Pères de l’Église dans cette autre acception qui a prévalu et qui met l’accent sur le lien avec la divinité. » (Agnel, 2003, Jung,

1958)

 Etats de conscience modifiés

Rossner associe les phénomènes paranormaux avec les états de conscience modifiés. « John Rossner (1979-1983, 1989) intègre de façon pertinente les phénomènes paranormaux tels que les perceptions extra-sensorielles et la psychokinésie dans le contexte de la possibilité pour l’être humain d’accéder à des états supérieurs de conscience incluant l’expérience mystique. » (Marcaurelle, 2001)

Dans un autre registre, plusieurs professionnels du psychisme s’intéressent à

l’impact de la modification des états de conscience induite par la méditation sur le psychisme, s’inspirant d’une pratique bouddhiste laïcisée. C’est ainsi que Jon Kabat-Zinn a

développé la méthode MBSR (Mindfullness-Based Stress Reduction) puis que Segal, Teasdal et Williams ont mis en place la MBCT (Mindfullness Based Cognitive Therapy). Si la première vise à réduire l’anxiété, la seconde est plus orientée sur l’amélioration des états dépressifs.

3.3.5. La croyance en institution

Si les croyances religieuses sont le motif de base d’entrée dans un monastère, les

autres populations ne sont pas exemptes de croyances. Ainsi, les professionnels peuvent

âgées ou incarcérées avaient une religion avant l’entrée. Dans mon expérience professionnelle, j’ai également rencontré des situations de conversion religieuse. Ainsi, j’ai accompagné de nombreuses personnes âgées en EHPAD qui revenaient vers une religion parfois peu pratiquée durant leur vie, dans cette période de vieillesse et parfois de solitude durant laquelle la mort devenait une perspective plus concrète.

Et parmi mes patients incarcérés, plusieurs se sont convertis à une religion durant

leur incarcération pour les aider à traverser cette période difficile et donner un nouveau

sens à leur vie. Un patient nous racontait un jour que pour lui, « survivre en prison, c’est soit

se tuer, soit devenir fou, soit devenir ascète. » Cette recherche étant parfois récupérée par

des extrémistes qui cherchent à recruter dans leurs réseaux.

Embrasser une religion durant la vie institutionnelle semble aider à donner un sens à sa vie, et parfois également un sens à l’acte commis et à la peine pour le milieu carcéral. Cela

permet aussi d’épouser des valeurs qui ne sont pas celles imposées par le lieu, mais qui

puissent être librement choisies. Avec toute la difficulté de déterminer la liberté, comme nous l’avons déjà vu.