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PARTIE THEORIQUE

3. Parcours individuels

3.5. La perte de sens : dépression et agressivité

Lorsque l’individu ne parvient plus à donner de sens et à se sentir exister dans sa vie institutionnelle sur le plan personnel ou professionnel, la dépression et l’agressivité ou la violence jaillissent.

3.5.1. L’agressivité des personnes incarcérées

Chez les personnes incarcérées des phénomènes de violence, d’agressivité et de dépression sont constatés. Lorsque le mal-être est trop important, des passages à l’acte sur soi (suicide) ou sur l’autre (bagarre) peuvent survenir. Si ce mal-être peut être pré-existant à la prison, un certain nombre d’auteurs estiment que les privations et frustrations subies par

3.5.2. L’hospitalisme des personnes âgées : entre ennui et dépression

Face à la limitation de leur autonomie, certaines personnes âgées peuvent présenter des difficultés d’adaptation et adopter des comportements de types dépressifs (Badey-Rodriguez, 2005. Kuhnel, 2010) ou bien de type agressifs. Ces deux modes réactionnels peuvent être interprétés comme les deux extrêmes d’une même problématique narcissique.

Et même sans que la dépression s’installe, beaucoup se plaignent de l’ennui : « Le vieux s’ennuie. L’institution a pris en charge la totalité de ses « besoins vitaux » et ignore les autres. Que faire quand il n’y a rien à faire ? Que faire quand tout est (plus ou moins bien) fait pour vous, le lit, la chambre, les repas ? » (Pellissier, 2003, p.221). Pour Huguet (1987),

cet ennui peut devenir un médiateur entre le pulsionnel et le social, et survenir lorsque la réalité s’éloigne de l’idéal. Elle précise que certains font « de leur idéal du moi (qui n’est pas

le leur individuellement) leur moi idéal. » (Huguet, 1987) C’est-à-dire qu’ils confondent leur

propre désir avec les modèles sociaux.

Des syndromes de glissement sont parfois observés, qui nous renvoient à la notion d’hospitalisme développée notamment à partir des travaux de Bowlby (1951) et Spitz

(1948), ainsi que d’Aubry et Appel (1952). Ce phénomène désigne des retards de développement importants qui peuvent mener à la mort chez des enfants qui sont bien soignés et bien logés mais qui ne reçoivent pas d’affection. Il est lié à ce que Pikler nomme les carences institutionnelles dont les principaux facteurs sont pour elle les suivants :

- les changements multiples de milieux de vie et de soignants

- les soins dépersonnalisés et dépersonnalisants

- l’impossibilité de nouer une relation affective privilégiée et structurante - l’hypostimulation du développement psychomoteur

- l’absence d’ouverture sur le monde extérieur

- la monotonie du cadre de vie et des relations sociales

Même si les maisons de retraite sont en évolution permanente, s’intéressent à la personnalisation des soins et s’ouvrent de plus en plus sur l’extérieur, beaucoup de

personnes âgées manquent de relations affectives satisfaisantes, comme nous le verrons

derniers, l’appareil psychique est en cours de construction. Cependant, la vie en maison de retraite peut venir réactiver des failles chez la personne âgée, selon l’amour qu’elle a reçu ou non dans sa vie.

Et si tu n’existais pas, Delanoë P., Demesle C. (chantée par Joe Dassin) (1975)

Et si tu n'existais pas Dis-moi pourquoi j'existerais? Pour traîner dans un monde sans toi

Sans espoir et sans regret Et si tu n'existais pas J'essayerai d'inventer l'amour Comme un peintre qui voit sous ses doigts

Naître les couleurs du jour Et qui n'en revient pas

Et si tu n'existais pas Dis-moi pour qui j'existerais? Des passantes endormies dans mes bras

Que je n'aimerais jamais Et si tu n'existais pas Je ne serais qu'un point de plus Dans ce monde qui vient et qui va

Je me sentirais perdu J'aurais besoin de toi

Et si tu n'existais pas Dis-moi comment j'existerais? Je pourrais faire semblant d'être moi

Mais je ne serais pas vrai Et si tu n'existais pas Je crois que je l'aurais trouvé

Le secret de la vie, le pourquoi Simplement pour te créer

Et pour te regarder

Et si tu n'existais pas Dis-moi pourquoi j'existerais? Pour traîner dans un monde sans toi

Sans espoir et sans regret Et si tu n'existais pas J'essayerai d'inventer l'amour Comme un peintre qui voit sous ses doigts

Naître les couleurs du jour Et qui n'en revient pas

3.5.3. L’acédie des moines

Bien qu’ils aient choisi leur mode de vie, les moines ne sont pas exempt de souffrance psychique, et une forme particulière de dépression est décrite chez cette population : l’acédie, qui étymologiquement renvoie à « la privation de soin. » (Houdaille, 2015) Nous ne pouvons pas nous empêcher de relier ce terme à la carence de soin décrite dans le cadre de l’hospitalisme. Alors que Dieu vient remplir d’amour le cœur des moines,

lorsque se manifeste « cette perte de joie spirituelle, entre dépression et nuit de la foi » (Houdaille, 2015), l’individu ne se retrouve-t-il pas brutalement confronté aux carences de son environnement ? « Le P. Nault décrit deux dimensions de cet état : une dimension spatiale, c’est-à-dire le sentiment d’être à l’étroit dans son environnement ; et une dimension temporelle, celle qui est appelée « le démon de midi », c’est-à-dire la difficulté à persévérer dans son engagement. » Elle se manifeste parfois par l’activisme « qui n’apporte ni paix ni joie. » (Houdaille, 2015) « Enfin, cela peut être le signe d’une dépression. « Dans ce cas, un travail psychologique doit être mené, explique sœur Chantal. On ne peut pas répondre à tout par du spirituel. » (Houdaille, 2015)

Pour faire face à cette situation, « Le P. Nault, lui, cite les cinq conseils d’Evrague le Pontique, le « découvreur » de l’acédie. « Il s’agit d’abord de pleurer, c’est-à-dire

reconnaître qu’on a besoin d’être aidé et que l’on n’est pas tout-puissant ; puis adopter une hygiène de vie sans excès, y compris dans le rythme de vie. Prendre le temps de vivre le moment présent permet un équilibre de vie dans toutes les dimensions de notre personne ; maintenir le contact avec la parole de Dieu est très important ; se tourner vers la finalité. Penser à la mort permet de redécouvrir le sens de notre vie, son but qui est de participer à la vie divine ; enfin, il faut persévérer, tenir en étant persuadé que Dieu nous donne sa grâce. Ce n’est pas au moment où il fait nuit qu’il faut lâcher la rampe ! Il ne s’agit pas d’un acte volontariste, mais d’une ouverture pour que Dieu puisse agir. » (Houdaille, 2015)

3.5.4. La perte de sens professionnel à l’époque du néo-libéralisme

Alors que nous n’avons pas trouvé d’articles sur les bienfaits du travail pour le psychisme, de nombreux termes sont venus définir le mal-être au travail. On distingue ainsi

« le burn-out ou " syndrome d'épuisement professionnel " (qui) se caractérise par un épuisement général, à la fois physique, psychique et émotionnel, lié au trop-plein de travail. »

(N’guyen, 2017), le bore out défini par « un état d'ennui au travail tel qu'il conduit, lui aussi,

à une forme d'épuisement général, voire de dépression. » (N’guyen, 2017) et « le brown-out, une baisse de régime lié à la quête de sens, et de la finalité de son travail par rapport à soi, et à la culture de son entreprise. » (N’guyen, 2017)

L’explosion de ces termes vient marquer un mal-être certain entre les individus et le monde du travail, lié selon Dejours (2004) à son évolution à l’époque du néo-libéralisme. Il se montre notamment très critique envers les évaluations qu’il associe à une « menace. » « Cette affaire d'évaluation est dans toutes les têtes parce que la contrainte de rentabilité est

constamment rappelée à chacun, dans toutes les activités de travail jusque et y compris dans les institutions de soin, dans les services sociaux, dans les agences pour l'emploi, et pas seulement dans les banques ou sur les chaînes de montage automobile. C'est en force que

l'économique fait intrusion dans la pensée et le monde vécu. » (Dejours, 2004). Et il regrette que ce système « fonctionne parce que des gens le font fonctionner. Pas seulement par

consentement passif, mais avec zèle. » (Dejours, 2004)

Il explique que cette participation au système entraîne de la souffrance : « je peux

souffrance est alors seulement de l'ordre de la peur. Mais je peux, à cause de ma peur, m'incliner et consentir. Je souffre moins de la peur ou je me sens même rassuré, mais je fais alors connaissance avec ma faiblesse morale, avec ma lâcheté. Cette souffrance, je la

qualifierais de souffrance éthique, c'est-à-dire de souffrance spécifiquement en rapport avec le conflit moral dans lequel je suis pris. » (Dejours, 2004) « À l'horizon de la souffrance

éthique, il y a le spectre de l'angoisse provoquée par l'irruption d'un doute radical sur soi-même, sur ses choix, sur ses convictions, et de la perte d'identité, voire, au-delà, de la décompensation psychopathologique. Et c'est ce qui arrive : certains sujets ne parviennent pas à contrôler cette angoisse et basculent dans la dépression. Parmi eux, certains aujourd'hui se suicident. » (Dejours, 2004) Les soignants sont souvent pris dans ce conflit

moral, pour des raisons différentes, ainsi que les surveillants. De plus en plus de situation de suicides sont évoquées chez cette population, y compris sur les lieux de travail.

Pour lui, « du coup c'est la “normalité” qui devient énigmatique. Comment font-ils donc pour ne pas devenir fous en dépit de la menace que fait peser sur leur identité la souffrance éthique ? À cette question il y a plusieurs réponses possibles qui nous viennent de

la sociologie (domination symbolique de Bourdieu), la psychologie sociale américaine (la soumission à l'autorité de Milgram), la sociologie de Parsons, etc., voire la philosophie politique (la servitude de la Boétie). » (Dejours, 2004) Les individus développent alors des

« stratégies de défense collectives » tel que le déni des dangers et le clivage (qui est alors à la portée de tous et non la résultante d’une psychopathologie).

D’autres auteurs dénoncent pour l’un la notion de « travail empêché » par « la

défaillance organisationnelle. » (Petit, 2013) et pour les autres « l’intensité (qui) n’est acceptable que si elle permet de satisfaire les exigences que chacun associe personnellement à la bonne réalisation de sa mission. » (Micheau et Moliere, 2014).

Pour Moulin et Sevin (2012) : « Le surveillant pénitentiaire fait partie, parmi les

policiers, gendarmes, pompiers, psychiatres, urgentistes, des métiers « exposés » ou « métiers à risques » (inserm, 2009) » Siret (2005) évoque un métier qui selon lui porte des atteintes à l’intégrité, à la dignité et à l’identité.

« La violence à laquelle est confrontée le personnel de surveillance est d’abord celle

de la confrontation forcée et quotidienne à la violence qu’impose un rapport de force qui peut se manifester dans des agressions, physiques, verbales, des comportements, des attitudes, mais qui reste toujours potentiellement présent. Elle est également celle de la

confrontation à des actes insoutenables (infanticides, agressions à l’encontre des enfants,

etc.), à des situations personnelles et des histoires de vie dramatiques, ou à des actes désespérés (auto-mutilation, suicide, etc.). Autant de situations susceptibles de les affecter, de les affecter réellement, dans leur intégrité. Elle tient également au sentiment de se sentir

exposé à la jouissance de l’Autre, de travailler dans « la poubelle de la société », de n’être qu’un pion sur l’échiquier de l’établissement, d’être le jouet des fantasmes d’une opinion publique qui s’y déleste de sa haine, de son indignation, portant atteinte à sa dignité. » (Siret, 2005)

Benguigui et Al (1994a), de leur côté, mettent en avant une vie professionnelle « totalement organisée et contrôlée de l'extérieur » avec « l'existence d'un double langage

de la société sur les délinquants, qu'elle prétend exclure et réinsérer » Ce qui crée pour les

surveillants « des injonctions contradictoires et une ambiguïté fondamentale. » En 1977, Lazarus évoquait d’ailleurs déjà chez les surveillants « le sentiment qu’on leur demande des

choses impossibles ou contradictoires. » Froment (1998) évoque de son côté la difficulté

pour les surveillants d’être confrontés à l’échec de la fonction de la prison quand elle se manifeste par la récidive. Echec de la fonction de régulation sociale de la prison qui se manifeste par la récidive, la surpopulation carcérale qui peut générer des crises chez les surveillants pénitentiaires. Enfin, l’Enap (2011) qui forme ces professionnels, dénoncent les préjugés dont ils sont victimes : « Le terme de « maton », souvent employé, est certainement

le plus emblématique des représentations péjoratives véhiculées sur ce métier. » Tous ces

éléments attirent notre attention sur les difficultés d’exercice de ce travail.

Marquier (2016) évoque l’évolution du travail en EHPAD : « des usagers plus âgés (80

% des résidents ont 80 ans ou plus en 2011), entrant plus tardivement en institution (84 ans et 9 mois ans en 2011 contre 83 ans et 10 mois en 20079), caractérisés par un niveau de dépendance plus élevé (la part des GIR 1-4 est passée de 84 % à 89 % entre 2007 et 2011, celle des GIR 1-2 de 51 % à 55 % ; le GMP moyen s’établissant à 700 en 2011 contre 663 en 200710). Du fait de ces changements, les personnels soignants soulignent un

alourdissement de leur charge de travail et, par conséquent, une modification de leurs

conditions de travail. » Il constate « une pénibilité à la fois physique et psychique » du travail

de ces professionnels, qui tout comme les surveillants sont confrontés à des injonctions contradictoires. « L’objectif de maintien de l’autonomie des résidents, couplé aux moyens

contraints et à une certaine pression sur les conditions de travail des soignants se constitue en injonction paradoxale, contribuant d’autant plus à dégrader la perception qu’ont les

professionnels de leurs conditions de travail. » ce qui génère de la culpabilité (Marquier, 2016)

Face à ces conditions difficiles, Collomb (2014) montre que la moyenne de de l’absentéisme est de 14,5 jours par salarié contre 21,3 dans le secteur de la santé et 32,5 dans une étude qu’il a menée auprès d’une vingtaine d’EHPAD. Et ces dernières années, les politiques de santé publique s’intéressent de plus en plus à « La prévention des risques

professionnels dans les EHPAD » (Chorum, 2012). Les responsables d’encadrement doivent aussi repenser l’encadrement et le recrutement des soignants, comme en témoignent

Daïeff et Babadjian (2008), respectivement cadre de santé et chef de service. L’organisation du travail en EHPAD est en effet une « tâche est ardue car elle touche la qualité et les projets

de prise en charge des résidents, les rythmes de travail et l’esprit d’équipe. » (David, 2004).

En 2013, Esnard, Bordel, et Somat (2013) ont réalisé une étude auprès de soignants sur le burn out, qu’ils soient concernés par la situation ou non, en les interrogeant sur des situations professionnelles. Les résultats en sont étonnants. En effet, malgré des conditions de travail difficiles, « l’analyse des adhésions de 30 soignants à une échelle d’attributions

causales construite et validée à cet effet a montré une plus grande adhésion à des explications relevant de causalités internes, tant contrôlables que non contrôlables, qu’à

des explications relevant de causalités externes, quelque soit la situation professionnelle évoquée. » On peut se demander quelle part de défense est sollicitée dans ce cas.