• Aucun résultat trouvé

VALEUR DE LA MÉTAPHORE CHEZ BALTHASAR

3.1. LE PASSAGE DU DOGMATIQUE AU FONDAMENTAL

3.1.2. VALEUR DE LA MÉTAPHORE CHEZ BALTHASAR

Chez Balthasar, l'usage de l'image prend une toute autre ampleur du fait même du style d'écriture de sa théologie dramatique, où le langage est emprunté au langage théâtral, n'hésitant pas à puiser son inspiration chez les poètes ou dans la littérature classique. De ce point de vue, on pourrait déjà parler, non d'imitation d'un modèle - biblique -, mais d'interprétation'102. Le modèle,

contemplé et existant comme archétype, trouve à travers l'histoire non ses imitateurs, mais ses interprètes.

On qualifie parfois Hans Urs von Balthasar de théologien spirituel, notamment à cause de sa volonté de restituer à la théologie son lien vital avec la spiritualité. Cependant, cette orientation ne doit laisser planer aucun doute sur la rigueur plus qu'évidente de son travail scientifique et de son usage de la typologie. «Il faut se rendre compte que la méthode allégorique n'est pas un jeu : elle possède sa cohérence et trouve son unité dans la conviction qu'aucune interprétation ne peut épuiser la parole de Dieu»403.

Nous voulons reproduire ici quelques affirmations du premier chapitre de Qui est

l'Église?, intitulé Allégorie et mythe. Il ne s'agit pas d'une description théorique de la place de la

figure dans la dogmatique - que nous pouvons trouver par exemple dans le premier tome de la

Gloire et la Croix pp. 446 - 578 -, mais tout simplement de la promotion de l'image, de

401 Yves Congar cité par Olivier Boulnois, «Puis-je lire l'Écriture?», p. 50.

402 Nous ne saurions ignorer toutefois la présence de la notion d'imitation dans la théologie balthasarienne. C'est le cas déjà du second chapitre de l'article «Ô Vierge, Mère et Fille de ton Fils» du volume Marie, première Église que nous avons étudié..

403 Fernand Lemoine, les Pères et l'Écriture, L'exégèse allégorique, www.ebior.org/Afale/Peres/peres%20et%201a%20Bible.htm

132

l'allégorie que l'auteur entend préconiser. Ceci va nous servir d'illustration concrète de l'usage de l'image que fait avec aisance Balthasar à peu près partout dans ses livres.

On peut se demander comment saint Paul a pu accomplir l'unification violente des deux aspects inconciliables de cette image : l'Église qui naît toute entière du Christ mourant, et l'Église qui cependant préexiste déjà, où bien l'Église qui n'est rien de plus que le prolongement et l'effusion du Christ, Dieu et homme, et l'Église qui se tient vis-à-vis du Christ comme quelqu'un, un sujet, une personne. Aurait-il pu établir cette unification, qui n'est que suggérée, mais nullement exigée par la Genèse, sans l'arrière plan de la pensée «mythique» et de la pensée gnostique contemporaine, qui non seulement personnifiait couramment des réalités abstraites, mais qui aimait tout autant donner un caractère sexuel aux principes du monde et les faire surgir du fond originel comme des couples homme-femme («syzygies»)? Il n'est même pas nécessaire de penser que cette habitude mythique et gnostique aurait immédiatement influencé les theologumena. 11 suffit de se la représenter à F arrière-plan, stimulant la pensée, la rendant plus facile, lui offrant des occasions, tandis que la disposition intra-théologique des motifs, une fois accomplie, peut aussi bien se passer de cette impulsion. Le triomphe de l'idée de l'Église comme épouse du Christ pendant l'époque patristique et encore dans l'exégèse du Moyen Âge portée par celle des Pères, peut alors se départir complètement de l'impulsion gnostique et se construire avec crédibilité sur la convergence de nombreux motifs intra-bibliques. Mais il arriva une époque où l'allégorie de l'épouse pâlit et perdit sa capacité d'enthousiasmer. Pour la conscience générale de l'Église, cette époque dure encore. On a vigoureusement ressuscité l'allégorie du corps; rien de semblable n'est arrivé à l'allégorie de l'épouse. Il faut étudier les raisons de cette hésitation de la théologie actuelle de l'Église404.

Il s'agit donc d'orientation de l'esprit. Le grand rôle de l'image chez Balthasar non seulement traverse son approche de l'exégèse, mais, nous semble-t-il, s'enracine aussi dans ses orientations philosophiques mêmes. Loin de qualifier Balthasar d'«origèniste» ou de platonicien, il convient pourtant de rappeler son intérêt pour les Pères grecs, comme en témoigne sa trilogie patristique portant sur Origènem, Grégoire de Nyssem et Maxime le Confesseur^1, et avant tout,

son admiration pour Plotinm qui date de ses études viennoises. La critique théologique de Platon

et de Plotin a été déjà assumée par les Pères, et bien des idées originairement païennes ont été ramenées à l'orthodoxie. Il reste cependant vrai que dans une telle confrontation, l'outillage

4 Hans Urs von Balthasar, Qui est l'Église?, p. 38s.

5 Hans Urs von Balthasar, Parole et mystère chez Origène, Paris, Editions du Cerf, 1957.

6 Idem., Présence et pensée. Essai sur la philosophie religieuse de Grégoire de Nysse, Paris, 1942.

7 Idem., Liturgie cosmique, Maxime le Confesseur, [Théologique, n 11], Paris, Aubier, 1943, 279 pp. 8 Albert Chapelle, «La merveille de l'être», Communia, XVI, 2, mars-avril 1989, p. 4 7 - 4 8 .

gnoséologique demeure souvent le même, et avec lui s'est transmis un mode de pensée dans le christianisme'"19. Les tensions entre l'universel et le particulier, l'infini et le fini, l'archétypique et

le phénoménal; le thème typiquement platonicien de la participation; la théologie de synthèse (christocentrique) : tout cela peut être classé parmi les grandes lignes de la théologie balthasarienne, qui sont également celles des Pères grecs ancrés dans les courants philosophiques de leur temps. Il en va de même de sa théologie dite spirituelle - qui, par un mouvement d'intégration, tend vers la simplicité, la paix et le silence contemplatif-, et de sa vision d'une philosophie religieuse410. C'est là un modèle qui en pratique a été banni de la pensée occidentale

du second millénaire, mais qui, dans l'histoire de la pensée chrétienne, avait précédé la métaphysique moderne issue de la philosophie d'inspiration aristotélicienne4". Balthasar, on le

sait, n'avait pas trouvé ses délices chez les scolastiques. Sans jamais rejeter le thomisme, il prend cependant - nettement - ses distances avec le mouvement de renouveau néo-scolastique d'avant la deuxième guerre mondiale. II le fait particulièrement, comme nous l'avons vu, en orientant son œuvre vers le troisième transcendantal, le Beau412; le grand oublié de la théologie d'École, si

présent par contre dans l'Écriture et dans la théologie des Pères413.

À côté de cette herméneutique esthétique conjuguée constamment avec la recherche sur le sens de l'histoire - à travers le concept de l'apparition -, nous avons encore chez Balthasar cette option unique pour une méthode liée de manière particulière au monde du théâtre. Celle-ci non seulement met en œuvre un langage abondamment poétique - ce qui en soi ne servirait à rien -, mais affecte jusqu'à la trame même de la connaissance théologique.

Sa méthodologie dramatique est élaborée en vue d'une meilleure présentation du contenu et de la forme dramatique de la révélation. Mais il va presque sans dire que pour lui cela signifie, d'abord et avant tout, une affirmation du caractère historique de la révélation par un retour radical vers son centre christologique414.

409 Erich von Ivanka, «Platonisme et néoplatonisme», Encyclopédie de la foi, [Cogitàtio Fidei], Paris, Éditions du Cerf, 1966, pp. 457-467.

410 Hans Urs von Balthasar dans une lettre adressée au P. Joseph Maréchal, cité par Pascal Ide, Pascal Ide, Être et

mystère, La philosophie de Hans Urs von Balthasar, Bruxelles, Culture et vérité, 1995, 183 pp., p. 167.

411 G. Sôhngen, «Philosophie et théologie», Encyclopédie de la foi, [Cogitàtio Fidei], Paris, Éditions du Cerf, 1966, p. 443.

412 À la différence de Thomas d'Aquin qui part de Yens. Cf. : Pascal Ide, Être et mystère, p. 166, note 50.

413 Au sujet de cette orientation fondamentale de Balthasar, nous suggérons la lecture de son Introduction à la Gloire

134

Chez Batlthasar, l'intégration de l'image, de la figure, ou, plus généralement, du langage métaphorique, dans la théologie dogmatique est donc fondamentale du point de vue méthodologique. De ce même point de vue, elle est clairement plus marquée que chez Congar. La présence de la lecture typologique de l'Écriture chez ce dernier n'enlève rien au fait que la méthode dominante et structurante de l'ensemble de l'œuvre est historique.

Nous ne pouvons ici que souligner cette différence. En approfondir l'analyse mérite une thèse qui attend encore d'être écrite.