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La figure mariale dans l'ecclésiologie d'Yves Congar et d'Hans Urs Von Balthasar

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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DAVID DREVOJÂNEK

LA FIGURE MARIALE DANS L'ECCLESIOLOGIE D'YVES CONGAR ET D'HANS URS VON BALTHASAR

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise

pour l'obtention du grade de maître es sciences (M.Se.)

FACULTÉ DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSES UNIVERSITÉ LAVAL

QIJÉBI'C

2007

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Ne prenez pas garde à mon teint basane : c'est le soleil qui m'a brûlée.

Les fils de ma mère se sont emportés contre moi, ils m'ont mise à garder les vignes.

Ma vigne à moi, je ne l'avais pas gardée.» Cantique des cantiques 1, 5 et 6

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RÉSUMÉ

Parmi les théologiens catholiques contemporains, il en est deux qui se distinguent pour avoir contribué singulièrement à l'approfondissement de l'ecclésiologie moderne : Yves Congar et Hans Urs von Balthasar. L'un comme l'autre, chacun dans sa propre perspective, a médité, réfléchi et systématisé pour sa part la place de la Vierge Marie dans la structure de l'Église. Les deux exposent les aspects théoriques aussi bien que pastoraux. Déterminer ces aspects a constitué le premier objectif de notre travail. Nous avons voulu non seulement présenter l'originalité de chaque approche, mais également identifier quelques présupposés philosophiques sur lesquels reposent deux concepts ecclésiologiques en considérant les principes méthodologiques propres aux deux auteurs. La problématique de l'Église comme «personne» et le thème de la sainteté de l'Église ont été deux sujets majeurs du dialogue que nous avons étudié. Le second objectif consistait à situer notre recherche et ses conclusions dans le contexte du pluralisme théologique.

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AVANT-PROPOS

Mes remerciements vont avant tout à mes confrères de la Fraternité monastique de Jérusalem de Montréal qui m'ont permis de poursuivre mes études de théologie dans le contexte particulièrement intense de notre première fondation en Amérique du Nord. Je les remercie pour cette grande générosité avec laquelle ils l'ont fait et je les remercie aussi pour le soutien fraternel, l'amitié et la patience manifestés tout au long de ces deux années, ainsi que pour leurs prières qui m'ont accompagné dans mes déplacements à Québec.

Je remercie chaleureusement pour leur accueil aimable et généreux les Religieux du Saint Sacrement grâce auxquels j'ai trouvé à Québec un lieu propice pour travailler, chaque fois que j'en avais besoin.

Je voue une très grande reconnaissance à mon directeur de recherche le professeur Gilles Routhier. Je lui suis redevable de son soutien constant, de l'encouragement extraordinaire qu'il m'a prodigué, et surtout de sa confiance qui m'ont permis d'avancer avec joie dans mon travail. Je le remercie également pour le dialogue constructif qu'il a établi dès le début dans nos rencontres, pour ses conseils judicieux qui m'ont accompagné durant toutes mes études à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval.

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS i TABLE DES MATIÈRES ii

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1 Présentation de la problématique 1

Plan du mémoire 3 Sources et méthodologie 4

État de la question 5 Vers un renouveau ecclésiologique 6

Situation de l'ecclésiologie à la fin du XIXe siècle

et au début du XXe siècle 8

Sources du renouveau ecclésiologique 10 Changement des propositions ecclésiologiques

avec la crise moderniste 13 Situation de la mariologie 18 La mariologie des «privilèges» 18 La mariologie autour du Concile Vatican II 21

Histoire de la connexion entre les deux domaines 22

Nouveau Testament 23 Le premier millénaire 25 Le second millénaire 29 Le concept «personnel» de l'Église et la réflexion ecclésiologique

sur la Vierge Marie 34 CHAPITRE I LA PENSÉE ECCLÉSIOLOGIQUE ET LA FIGURE MARIALE

' CHEZ YVES CONGAR 40 1.1. L'itinéraire d'une pensée théologique 41

1.1.1. La période 1937- 1950 42 1.1.2. La période 1951-1953 . . . 4 5 1.1.3. Lapériode 1954-1959 49 1.1.4. Les perspectives conciliaires 54 1.1.5. Situation de la mariologie 57

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1.2. La méthode historique 59 1.2.1. Les sources de la méthode historique 60

1.2.2. Schéma principal de la méthode historique 61 1.2.3. La double destinée de la méthode historique 62 1.3. L'ecclésiologie «chalcédonienne» d'Yves Congar et la Vierge Marie

comme une figure de médiation 64 1.3.1. Le Christ, Marie et l'Église 65 1.3.2. Les chemins de la grâce 66 1.3.3. Le visage du Christ, de l'Église et de Marie 73

1.4. «La personne "Église"», une autre perspective ecclésiologique

de la figure mariale? 78 1.4.1. L'image de l'Épouse 81

1.4.2. La place de Marie 82 1.5. Le dialogue entre Congar et Balthasar 85

1.6. Conclusion 87 CHAPITRE II LA PENSÉE ECCLÉSIOLOGIQUE ET LA FIGURE MARIALE

CHEZ HANS URS VON BALTHASAR 90

2.1. La «traversée» '. 90

2.1.1. Un style théologique 92 2.1.2. Marie et l'Église dans la dramatique divine 94

2.1.3. Qui est l'Église? 97 2.1.4. L'anthropologie théologique, la personne et sa mission 100

2.1.5. Le principe mariai 105 2.1.6. Marie, première Église 107 2.2. Le dialogue entre Balthasar et Congar 113

2.2.1. Quelques perspectives issues de la rencontre 117

2.2.2. Les enjeux d'une mission 120 2.3. Les spécificités de la théologie balthasarienne 121

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iv

CHAPITRE III ÉVALUATION 125 3.1. Le passage du dogmatique au fondamental 125

3.1.1. Valeur de la métaphore chez Congar 126 3.1.2. Valeur de la métaphore chez Balthasar . .. 131

3.2. Le passage du dogmatique au pastoral 134 3.2.1. L'Eglise dans le monde et la perspective eschatologique 135

3.2.2. La sainteté de l'Epouse 139 3.2.3. Deux sources de la dynamique interne de l'Eglise 142

3.3. L'ecclésiologie d'Yves Congar et de Hans Urs von Balthasar

dans le contexte de l'unité de la foi et du pluralisme théologique 147

3.3.1. Les critères 149 3.3.2. Le Moi de l'Église, l'unité 152

CONCLUSION GÉNÉRALE 155

BIBLIOGRAPHIE 159

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Dans le présent mémoire, en nous laissant conduire à travers les méditations ecclésiologiques d'Yves Congar et de Hans Urs von Balthasar sur la place de la Vierge Marie au cœur du mystère de l'Eglise, nous allons découvrir pas à pas non seulement l'originalité et la complémentarité des deux approches, mais aussi les points de divergence dus à la méthode appliquée, aux présupposés philosophiques et aux assises spirituelles qui conditionnent la place que ces approches occupent dans le contexte théologique de nos auteurs.

En mettant en dialogue les thèmes mariologique et ecclésiologique, en déterminant leur place dans la pensée des deux théologiens, nous nous poserons aussi la question de savoir si, et dans quel sens, ces deux approches peuvent, sans s'exclure mutuellement, être un signe d'un pluralisme théologique qui apporterait des lumières complémentaires sur le mystère de l'Église.

Un travail sur la figure mariale dans le domaine de l'ecclésiologie va nécessairement être confronté au spectre élargi et riche des commentaires et des spéculations qui se sont présentés dans la théologie catholique au cours du XXe siècle.

Rappelons par exemple le débat très vif qui se déroule durant le Concile Vatican II autour du chapitre VIII de la future Constitution dogmatique Lumen gentium, et qui provoque une multitude de textes théologiques annexes. La théologie mariale ou la mariologie1 d'ailleurs 1 Au plan terminologique une question semble se poser : Faut-il parler de « mariologie » ? Pour le théologien Bernard Sesboilé, le terme est à éviter car avec lui «le risque est toujours d'isoler la considération de la Vierge Marie, au lieu de l'intégrer au centre de la dogmatique chrétienne» (Bernard Sesboiié, (dir.) Histoire des dogmes, t. III, Les signes du salut, Paris, Desclée, 1995, 661p., p. 564.) Dans cette perspective il serait certainement préférable de parler soit du dogme mariai, soit du mouvement mariai, ou encore de la théologie ou même du discours mariai. Nous allons les utiliser. Le premier terme reste cependant en usage. Il est intéressant de noter la perspective dans laquelle la mariologie est comprise dans un récent ouvrage de l'Académie Mariale Pontificale Internationale La Mère du Seigneur : «La mariologie est une discipline d'unification, un lieu de rencontre des traité théologiques, un espace de synthèse. En considérant la gamme des rencontres (christologie, sotériologie, pneumatologie, ecclésiologie, anthropologie surnaturelle, eschatologie), on comprend comment la mariologie se présente comme une discipline relationnelle par

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2

à elle seule, (malgré la jeunesse de cette discipline), suffirait à fournir une masse de travaux importants pour un débat théologique passionné. Il s'agit d'une thématique sensible du fait de plusieurs facteurs dont deux sont à mentionner en particulier : le mouvement œcuménique amorcé au XIXe siècle par les communautés protestantes et le renversement

du paradigme théologique tridentin, qui survint entre les années 20 et 80 dans la théologie catholique2.

Pourtant la jonction entre les deux domaines théologique ne date pas d'hier. Au contraire, elle plonge ses racines dans les écrits néotestamentaires (notamment johaniques3)

et s'élabore ensuite tout autant à travers les développements de la théologie patristique qu'à travers la théologie spirituelle médiévale.

Avant de présenter notre thématique principale, nous allons donc découvrir les espaces de ce paysage théologique dans lequel s'inscrivent nos deux théologiens. Pour ne pas dépasser, dans cette grande histoire, le limite raisonnable d'un mémoire de maîtrise, nous allons nous arrêter surtout sur le renouveau ecclésiologique et mariologique du XXe

siècle, sur les mouvements qui ont eu lieu dans notre domaine autour du Concile Vatican II, et sur la situation mariologique postconciliaire. Le dialogue avec la théologie protestante (non seulement la théologie libérale, mais surtout celle développée par Karl Barth), va

excellence». (Académie Mariale Pontificale Internationale, La Mère du Seigneur, Paris, Salvator, 2005, 189 pp., p. 36.)

Nous reprenons donc le terme de mariologie, conscients des réserves qu'a pu susciter l'histoire mouvementée du mouvement mariai. Nous le reprenons avec d'autant moins de crainte que notre propre travail est lui-même interdisciplinaire et que l'usage du second terme, celui d'ecclésiologie, ne nous paraît pas non plus courir le risque de l'isoler des autres disciplines.

«Les uns ont parlé de la fin de l'époque constantinienne, les autres de la fin de la Contre-réforme : tous témoignent de la conscience diffuse d'une modification profonde dans l'équilibre ecclésial, en cours sur le plan conceptuel comme dans les domaines psychologique et pratique. Ce phénomène, dont on devine déjà l'incidence décisive sur l'histoire de l'Église dans les futurs siècles, investit directement la place du Concile de Trente dans l'économie ecclésiale et en conclut définitivement et irréversiblement l'hégémonie. Il ne s'agit évidemment pas d'affirmer que la célébration d'un nouveau Concile Œcuménique met dans l'ombre le précédent...(Or) nous sommes aujourd'hui en présence de bien plus qu'une nouvelle page de l'histoire conciliaire. Nous assistons au déclin de tout le système chevillé sur le Concile de Trente, qui s'était lentement formé après XVIe siècle et qui a gouverné l'Église en Occident jusqu'à ces dernières années.», Giuseppe Alberigo, «Vues nouvelles sur le Concile de Trente à l'occasion du centenaire», Concilium, vol. 1, n° 7, septembre 1965, pp. 65 - 79, p. 75.

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conditionner les travaux de nombreux auteurs catholiques dans le domaine de la mariologie et de l'ecclésiologie comme nous allons le voir également.

Notre travail nous mènera inévitablement vers le problème du pluralisme théologique. Nous chercherons à l'assumer et à y inscrire notre propre démarche. Car c'est seulement ainsi que nous pouvons, nous semble-t-il, tirer un heureux profit de la confrontation de nos deux théologiens. C'est seulement ainsi que nous pouvons nous-mêmes nous ouvrir à la richesse de la réflexion théologique sur la figure mariale dans le mystère de l'Église, telle que l'ecclésiologie du XXesiècle nous la donne à contempler.

PLAN DU MÉMOIRE

Notre travail est disposé selon un axe double. Le premier vise l'élément thématique auquel sera appliqué une méthode de travail simplement descriptive. Le second vise l'élément méthodologique qui sera le lieu de notre analyse attentive et de notre réflexion.

En premier lieu, après une introduction au contexte historique du thème, nous allons ainsi présenter les lignes principales du thème mariai dans les ecclésiologies d'Yves Congar et de Hans Urs von Balthasar. Nous allons ensuite approcher les méthodes théologiques de nos deux auteurs. Nous voulons en effet situer la figure mariale dans ce paysage méthodologique. Les observations de cette démarche vont nous permettre de cerner deux sujets particuliers : le statut de la figure mariale dans le contexte de la réflexion sur la personne - Eglise et le statut de la figure mariale par rapport à la sainteté de l'Église. Dans la dernière partie de notre travail nous allons essayer de confronter nos conclusions l'une vis à vis de l'autre, en les situant sur l'arrière plan du pluralisme théologique.

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A

SOURCES ET MÉTHODOLOGIE

Nous disposons, pour les sources bibliographiques, de quatre groupes de sources. Celui de l'histoire de la théologie avec les domaines particuliers que sont l'ecclésiologie et la mariologie. Ensuite celui des travaux de nos deux théologiens. Nous avons choisi de prendre comme point de départ deux petits opuscules : Le Christ, Marie et l'Eglise d'Y. Congar (1952)4 et Ô Vierge, Mère et Fille de ton Fils de H. U. von Balthasar (1981)5 qui

manifestent une certaine parenté de composition (le passage de la théologie dogmatique à la théologie pastorale). L'article «Qui est l'Église ?» de H. U. von Balthasar6 et l'article «La

Personne - Eglise» d'Y. Congar7 constitueront pour nous une seconde source principale

pour le dialogue que nous étudions. Nous avons également à notre disposition les autres ouvrages majeurs qui proviennent soit directement de Congar et de Balthasar, soit de leur commentateurs, et que nous allons signaler au fur et à mesure de notre travail. Tel sera le troisième groupe de nos sources. Le quatrième groupe est constitué des textes qui touchent à la problématique de la pluralité théologique. Ici, nous nous appuierons principalement sur les travaux de la Commission théologique internationale de 19728.

En entrant dans le vif du sujet traité, nous éluciderons les divergences et les convergences des deux méthodes et des deux concepts. Pour affirmer - ou infirmer - leur complémentarité, il nous faudra un champ théologique (conceptuel, méthodologique) qui soit ouvert sur une possibilité du dialogue entre des conceptions différentes. C'est un préalable méthodologique à notre travail, dans lequel un même thème est traité chez des théologiens qui se caractérisent l'un et l'autre par une grande originalité. C'est aussi un choix libre, légitime et même indispensable que nous faisons de nous situer dans un

"Yves M.- J. Congar, Le Christ, Marie et l'Église, Descléc de Brouwer, Paris, 1955, 106 pp.

7« : Joseph Ratzinger - Hans Urs von Balthasar, Marie, première Eglise, Paulines, Montréal, Apostolat des Éditions & Éditions, 1981, 78 pp., pp. 41 - 75. Troisième édition : Paris-Montréal, Médiaspaul, 1998, 187 pp., pp. 101-168.

'L'article est publié en français comme un livre sous le titre Qui est l'Eglise? Présentation et traduction de Maurice Vidal, [Cahier de l'École Cathédrale, 45], Saint-Maur, Parole et Silence, 2000, 121 pp.

7 Yves Congar, La personne «Église», Revue thomiste, 80e année, tome LXXI, n° 1, janvier - mars 1971, pp. 613-640.

8 Commission théologique internationale, «Unité de la foi et pluralisme théologique», Textes et documents

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paysage théologique conforme à la spiritualité9de celui qui écrit ces lignes. La Tradition,

nourrie de l'Écriture, présente en elle-même une diversité où les tensions se résolvent de par l'unité de la foi.

Notre option méthodologique s'inspire enfin d'une vision globale de l'Église comme communion10, où la diversité - ou la différence - et l'unité ne s'excluent pas. La

mise en dialogue de deux conceptions ecclésiologiques, autour du thème de la figure mariale et de la personnalité propre de l'Église, peut manifester, au delà de la richesse propre des concepts, ce nécessaire équilibre que doit assumer la recherche pluraliste nécessaire en théologie.

ÉTAT DE LA QUESTION

Le présent chapitre a pour le but de situer dans leur contexte théologique et historique les œuvres des deux théologiens que nous avons choisis. Les critères et les limites de notre présentation de l'ecclésiologie et de la mariologie viennent du choix même de nos deux auteurs. Ce choix nous impose en effet une certaine priorité pour le XXe siècle.

Il conviendra cependant de mentionner brièvement les aspects importants - et comme nous le verrons, abondamment étudiés - de la longue histoire de ces deux domaines théologiques. Cela nous fournira d'ailleurs des éléments nécessaires pour comprendre le climat et les tendances méthodologiques qui se sont manifestés durant la vie de Congar et de Balthasar : tendances à relire la théologie des Pères, à reprendre l'histoire elle-même et le caractère historique de l'Église et de sa doctrine.

5 «On n'entre pas dans un système théologique pour la cohérence logique de sa construction ou la vraisemblance de ses conclusions; on s'y trouve comme de naissance par l'intuition maîtresse sur laquelle s'est engagée notre vie spirituelle, avec le régime d'intelligibilité qu'elle comporte. Une théologie digne de ce nom, c'est une spiritualité qui a trouvé des instruments rationnels adéquats à son expérience religieuse.» Marie Dominique Chenu, Une École de théologie, Le Saulchoir, Kain-lez-Tournai, Le Saulchoir, 1937, p. 75. Texte contenu aussi in Etienne Fouilloux et al., Une École de théologie, le Saulchoir, Paris, Éditions du Cerf,

1985, 178 pp.

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6

Nous souhaitons donc avoir un regard suffisamment ample sur les domaines de l'ecclésiologie, de la mariologie, et de leur connexion, comme la théologie a pu les appréhender à travers l'histoire, notamment au XIXe siècle, et tels qu'ils ont été reçus et

commentés au XXe siècle; cela afin de comprendre les racines de ce qui est plus original et

enrichissant chez nos deux théologiens. Nous allons donc privilégier la présentation des deux domaines tels que Congar et Balthasar les ont découverts durant leur formation, puis celle des changements qui se sont opérés avec le commencement de la sécularisation de la société occidentale, et avec l'événement sans doute majeur de la vie de l'Église du XXe

siècle que constitue le Concile Vatican II.

VERS UN RENOUVEAU ECCLÉSIOLOGIQUE AU X XE SIÈCLE

Yves Marie Congar, né en 1904 à Sedan dans les Ardennes françaises, et Hans Urs von Balthasar, né en 1905 à Lucerne en Suisse, ont été témoins non seulement du tournant de la pensée catholique du XXe siècle, mais aussi des changements, sinon des

bouleversements qui ont affecté la civilisation occidentale au siècle dernier. Après la révolution industrielle et l'essor des philosophies matérialistes et au milieu des effrois des deux guerres mondiales, surviennent de façon définitive la fin du colonialisme, l'avènement des médias de masses, la division du monde durant la guerre froide, les premiers pas de l'homme dans l'espace, et finalement, mais c'était déjà l'automne de la vie de nos deux théologiens (décédés le premier en 1995 et le deuxième en 1988), l'éclosion de la conscience et de la culture globales.

Tenir compte de la complexité d'une époque qui, à ses débuts, fonctionnait encore à la vapeur et, sur le tard, finissait sous le signe de la crise écologique, n'est pas sans difficulté. Notre thématique, qui est de nature assez abstraite, nous fera seulement côtoyer, à travers Congar, les drames d'une Eglise qui s'efforce de trouver sa route dans une nouvelle société" et, à travers Balthasar, nous rappellera les questionnements de cette

" «À travers une lente sortie de la misère, on cherchait, dans la grande liberté d'une fidélité aussi profonde que la vie, à rejoindre évangéliquement un monde auquel on venait d'être mêlé comme on ne l'avait pas été depuis des siècles. Que l'avenir de l'Église soit lié à l'avenir du monde, nous l'avons redécouvert depuis, mais c'était alors une évidence donnée dans l'expérience elle-même.» Yves Congar, Une passion : l'unité,

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même Eglise qui s'efforce de ressaisir sa propre mission en dialoguant avec la pensée moderne12. Nous ne devrons cependant jamais oublier combien l'histoire a contribué à

forger les concepts que nous allons étudier.

Face à aux changements mentionnées, l'Église s'est en effet sentie appelée à

1 ^

prendre une nouvelle conscience d'elle-même . C'est sans doute cela qui, tout particulièrement, constitua la tâche de l'ecclésiologie renouvelée; que ce soit en plongeant dans les secrets de sa vie intime par une réflexion systématique, ou bien en cherchant à fonder pratiquement son service en vue de la libération du monde. Notre travail aborde plutôt la première direction, dont les échos sont perceptible dès le début du siècle dernier.

depuis, mais c'était alors une évidence donnée dans l'expérience elle-même.» Yves Congar, Une passion : l'unité, Réflexions et souvenirs 1929 - 1973, [Foi vivante, 56], Paris, Éditions du Cerf, 1974, 117 pp., 60s. Voir aussi le chapitre L'Eglise, humanisation de Dieu, dans Jean-Pierre Jossua, Le Père Congar, La théologie au service du Peuple de Dieu, [Chrétiens de tous les temps, 20], Paris, Editions du Cerf, 1967, 277 pp., p.26s.

12 «Il y a dix années ... nous étions un beau groupe, décidé et menacé: il s'agissait de démanteler les murs artificiels de l'angoisse que l'Église avait érigé autour d'elle-même en direction du monde, de la libérer pour la rendre à elle-même alors qu'elle avait été sollicitée au-delà de ce que lui demandait sa mission dans le monde considéré dans sa totalité et son indivision... » Hans Urs von Balthasar, 1965 - Reddition de comptes, in À propos de mon œuvre, Traversée, Bruxelles, Lessius, 2002, 123 pp., p. 37.

«L'Église est la lumière du monde, le sel de la terre, le levain de la pâte. Elle est donc relative au monde, comme le soleil est au feu concentré pour pouvoir éclairer et chauffer le système solaire jusqu'à ses extrémités. On ne peut rien faire du sel ou du levain seuls : en s'intégrant, en se perdant dans la pâte, ils démontrent leur valeur et vont au bout de leur nature. L'Église est la concentration absolument indispensable pour la dilatation.» H. U. von Balthasar, Qui est chrétien, Mulhouse, Salvator, 1968, p. 102 -103.

Remarquons d'emblée à quel point nous sommes ici, avec nos deux auteurs, bien loin de la théologie de la société parfaite, autosuffisante, indépendante du monde - Ecclesia ... omnia in se et per se ipsa possideat - de Léon XIII...

13 Marc Pelchat, L'Église mystère de communion, L'ecclésiologie dans l'œuvre de Henri de Lubac, [Brèches théologiques, n° 2], Montréal, Éditions Paulines et Médiaspaul, 1988, 395 p., p. 13.

14 Cf. Peter Eicher (dir.), Le dictionnaire de théologie, Paris, Éditions du Cerf, 1988, 838 pp. Herbert Frankenmôlle caractérise l'ecclésiologie comme une auto-compréhension théologique de l'Église, indissociable de la forme théologique et sociologique de chaque étape de l'histoire. (Cf. p. 150) L'ecclésiologie, en conséquence, ne sera pas la même en tous temps.

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X

SITUATION DE L'ECCLÉSIOLOGIE À LA FIN DU XIXE SIÈCLE ET AU DÉBUT DU XXE

L'Église est un mystère15, un objet de foi des chrétiens16. Un mystère - comme tout

mystère, intelligible17 mais non compréhensible18- impliquant aussi une réalité saisissable

de l'extérieur, une figure de société. S'il revient à chaque époque d'approfondir une facette de ce mystère, c'est le XIXe siècle qui, à travers la pensée issue du romantisme et de

l'idéalisme philosophique19, donnera de fortes impulsions pour redécouvrir, après les

siècles de la société de l'Église militante20, la dimension intérieure, spirituelle ou mystique

de l'Église; dimension qui était restée longtemps en disgrâce dans la théologie catholique. La redécouverte de cette dimension du mystère, liée au concept dominant de l'Église comme Corps du Christ, se manifeste par une production théologique considérable en laquelle se sont multipliés les ouvrages sur les aspects et les structures profondes de l'Église. Ceci à tel point que le XXe siècle bénéficia d'un renouveau ecclésiologique

peutêtre sans égal dans toute l'histoire chrétienne. Les ecclésiologues de ce siècle s'inscrivent -et puisent - dans le renouveau biblique, renouveau marqué par le modernisme, la méthode historico-critique, l'encyclique Divino Afflante Spiritu (1943) et l'École biblique de Jérusalem; dans le renouveau liturgique : nous pensons à Solesmes, à la pensée eucharistique du pape Pie XII, puis au Concile Vatican II); dans le renouveau patristique, marqué surtout par l'édition de la collection «Sources chrétiennes» au Cerf (1942) et par la production de l'Abbaye de Bellefontaine; et dans le renouveau œcuménique21 : que l'on

pense à Faith and Order (1927), au Cercle franco-russe auprès de l'institut orthodoxe Saint

15 Ainsi s'intitule le premier chapitre de l'ouvrage ecclésiologique classique par excellence du XXe siècle de

Henri de Lubac Méditation sur l'Eglise (Paris, 1952). Il devient aussi le titre du premier chapitre du Lumen

gentium indiquant par-là que l'objet que le Concile s'apprête de traiter ne peut pas se passer d'un humble

regard de foi posé sur Celui dont les mystères de sa propre vie englobent la vie des chrétien (LG 1.7.).

16 Sur le sens de cette foi ainsi que sur l'aspect du mystère voir : Jean Rigal, Le mystère de l'Église,

Fondements théologiques et perspectives pastorales, Paris, Éditions du Cerf, 1992, 275 pp., p. 86 - 98!

17 «Le mystère [de l'être] n'est cependant pas un en-deçà de la lumière, il est toujours une surabondance

d'intelligibilité...» «Un excès de la lumière, expliquait Journet». Pascal Ide, Être et mystère, La philosophie

de Hans Urs von Balthasar, Bruxelles, Culture et vérité, 1995, 183 pp., p. 142, plus la note 17.

18 Henri de Lubac, op. cit., [Théologie, 27], Paris, Aubier, 1953, 334 pp., p. 20. Pensons aussi à Pascal qui

s'exclame : «Il y a assez de lumière pour croire, mais pas assez pour voir...».

19 Paul Tihon, «L'école romantique allemande», in Bernard Sesbotié (dir.), Histoire des dogmes, t. III, Les

signes du salut, Paris, Desclée, 1995, 661 pp., pp. 496 - 499.

20 Le catéchisme national français de 1938 définit l'Église ainsi : «L'Église est la société des fidèles, instituée

par Jésus-Christ et gouvernée par le pape et les évêques, sous l'autorité du pape». Cité par Jean Rigal, Le

mystère de l'Église, p. 15.

21 Cf. «Œcuménisme» in Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF,

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Serge à Paris (1925), à Chevetogne (1925), aux semaines de prière pour l'unité (1935), à la communauté de Taizé (i940). Ils puisent aussi dans la redécouverte du laïcat22 (J.O.C.,

Action Catholique) et dans le dialogue avec les mouvements philosophiques modernes (rationalisme, romantisme, idéalisme, existentialisme, personnalisme). Le renouveau ecclésiologique (et bientôt le renouveau mariologique) arrive, au cours de la première moitié du XXe siècle, à discerner, à formuler et à introduire effectivement des positions

théologiques rééquilibrées dans l'enseignement officiel de l'Église.

En quoi consiste donc, plus précisément, ce renouveau, et quelles sont ces positions qui, pour la grande majorité d'entre elles, vont être reprises par le Concile Vatican II ? Au départ nous trouvons une ecclésiologie qu'on appelait classique (celle des manuels!), mais qui est en fait l'héritage, pour une très grande part, des développements apologétiques de la théologie catholique en face de la Réforme23. «Il allait falloir s'arrêter

longuement pour justifier l'institution divine d'un appareil institutionnel dans l'Église... (l'enseignement est) davantage polémique, juridique et autoritaire»24. Les accents les plus

forts viennent, à l'origine25, de l'ecclésiologie bellarminienne dont la question par

excellence était celle de la De (vera) Ecclesia avec, comme critère et premier principe d'intelligibilité, l'aspect visible, hiérarchisé, de l'Église, dont le centre de gravité était le pape, puis, en structure pyramidale, les évêques (car le pape ne peut être partout26) et les

curés. Le second principe était celui de l'autorité27. Peu à peu l'apologétique sera marquée

par l'affirmation très vive de l'autorité absolue du magistère; affirmation renforcée par

22 Cf. Chap. «Redécouverte du laïcat dans l'Église» in Etienne Ménard, L'ecclésiologie hier et aujourd'hui, [Essais pour notre temps, 1], Montréal, Desclée de Brouwer, 128 pp., p.60s., avec les références données. 23 Sur la période, existent de brefs résumés avec la bibliographie : l'article «L'ecclésiologie du temps de la Réforme» in Bernard Sesbotié (dir.) Histoire des dogmes, pp. 466 - 485, et Jean Rigal, Le mystère de l'Eglise, pp. 29 - 54, Etienne Ménard, op. cit., pp. 26 - 3 1 .

4 Jean Rigal, Le mystère de l'Eglise, p. 28.

25 «En fait, l'ecclésiologie dite classique, au moins pour ses orientations les plus déterminantes, est antérieure à la fois à la Contre-Réforme et à la Réforme. Elle remonte jusqu'à ...la réforme grégorienne.» Etienne Ménard, op. cit. p. 14.

26 «Parce que le pape ne peut être partout, il communique aux évêques une part de son pouvoir, et ceux-ci une part du leur aux curés. Toujours cependant, ce pouvoir demeure dans celui qui est chef et prince de toute l'Église.» Bellarmin, De controversiis, cité par Jean Rigal, Le mystère de l'Église, p. 54. Lire également la suite qui relativise, en la replaçant dans son contexte, le sarcasme avec lequel est souvent traitée la théologie post-tridentine.

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l'idée de la division formelle de l'Église en ecclesia docens et ecclesia credensn. C'est

notamment en réaction aux «erreurs de la civilisation moderne»29 qu'on insiste sur «l'autorité de l'Église et de ses droits, qui requièrent soumission et obéissance»30, en même temps que sur l'affirmation des pouvoirs temporels des papes.

Au XIXe siècle, cette compréhension de l'Église se déclinait du refus catégorique de toute la réflexion œcuménique11, jusqu'à une véritable piété envers l'Église32 (représentée par le pape) encouragée par la pensée et la prédication ultramontaines.

Le P. Etienne Ménard o.p., publiant en 1966 son bref bilan de l'ecclésiologie «hier et aujourd'hui», intitulait son premier chapitre ainsi : «Notre héritage ecclésiologique immédiat jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle». Le qualificatif «immédiat» n'est pas utilisé, même en 1966, sans raison. En effet la structure societas

perfecta restera largement dominante dans l'ecclésiologie officielle jusqu'à l'encyclique Mystici corporis (1943), sinon jusqu'au Concile Vatican II. Les chemins du renouveau

menant à une ecclésiologie plus équilibrée se sont ouverts plutôt en parallèle avec la théologie dite classique, souvent de manière guère connue, et par les terrains tortueux et non officiels. Nous allons présenter ici brièvement les sources de ce renouveau ecclésiologique. Ses voies, pour être schématique, s'ouvrirent en Allemagne, en Angleterre et à Rome, pour être finalement reprises, et souvent approfondies, en France.

SOURCES DU RENOUVEAU ECCLÉSIOLOGIQUE

Ainsi pointe un nouveau jour! Arrêtons-nous sur un texte écrit en 1825 :

28 Cf. Une brève appréciation de Charles Journet, L'Église du Verbe incarné, t. II, Sa structure interne et son

unicité catholique, Bruges, Desclée de Brouwer, 1951, 1409 pp., p. 1000.

29 L'encyclique Quanta cura avec le Syllabus du pape Pie IX. 30 Bernard Sesboiié (dir.) Histoire des dogmes, p. 502.

11 Réflexion qui pointait déjà du côté des orthodoxes et des protestants...Cf. R. Aubert, «Les étapes de l'œcuménisme catholique depuis le pontificat de Léon XIII jusqu'à Vatican II», La Théologie du renouveau, Paris, Éditions du Cerf, 1968, t.. I, pp. 291 - 307.

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Si l'on voulait définir l'Église en disant qu'elle est une institution ou une société ayant pour but le maintien et la propagation de la foi chrétienne, on n'aurait envisagé qu'un seul de ses aspects. L'Église est avant tout un effet de la foi chrétienne, le résultat de l'amour vivant des fidèles réunis par l'Esprit Saint [...]".

L'auteur de ce texte, Johann Adam Môhler (1796 - 1832), principal représentant de l'école de Tubingen, est pour beaucoup aujourd'hui le plus grand ecclésiologuc du XIXe siècle. Môhler met à profit dans sa théologie deux sources, la

redécouverte de la théologie patristique - notamment celle des quatre premiers siècles - et celle de la Bible, ainsi que son expérience en proximité des mouvements protestants : le piétisme - avec l'influence personnelle de Zinzendorf34- et le renouveau théologique

protestant avec Schleiermacher35. Selon Louis Bouyer, l'ecclésiologie de Môhler est et

restera, même avec sa correction christologique36, toute pneumatologique. L'union dans

l'amour ou l'unité mystique, celle qui procède de la foi et fait participer à la grâce de la vie divine infusée dans l'Église - Corps du Christ, unité organique - par l'Esprit Saint, est le principe premier de la constitution de l'Église. C'est là une perspective vraiment inhabituelle dans l'ecclésiologie catholique au XIXe siècle qui tranche avec l'insistance

sociétaire que nous avons décrit plus haut. Comme telle, elle ne trouvera pas en son temps l'écho qu'elle méritait. L'influence de Môhler se manifestera certes dans le monde universitaire à Tubingen ou à Rome; elle se manifestera aussi explicitement37 - mais sans

aboutir - dans le premier schéma préparatoire du De Ecclesia du Concile Vatican I. On la retrouve aussi dans une faible mesure dans l'équilibre ecclésiologique des encycliques de Léon XIII38. Elle n'apparaîtra en pleine mesure que dans les travaux qui, au XXe siècle,

précéderont l'encyclique Mystici Corporis Christi et le Concile Vatican II39.

33 Johann Adam Môhler, L'unité dans l'Église ou Le principe du catholicisme d'après l'esprit des Pères des

trois premiers siècles de l'Église, [Foi vivante, 197], Paris, Éditions du Cerf, 1980, 110 pp., cité par Jean Rigal, Le mystère de l'Église, p. 74.

34 Cf. Les chapitres VI et VII de Louis Bouyer, L'Église de Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1970, 704 pp., pp. 109- 134.

35 Une autre influence viendra du dialogue avec - et de la critique - des philosophies idéalistes de l'époque. Voir Bernard Sesboilé (dir.) Histoire des dogmes, p. 497.

36 Cf. Yves Congar, Esquisses du mystère de l'Église, [Foi Vivante, 18], Paris, Éditions du Cerf, 1966, 152 pp., p.139, L. Bouyer, op. cit. p. 133, et J. Rigal, Le mystère de l'Église, p. 74s.

37 É. Ménard, L'ecclésiologie hier et aujourd'hui, p. 56, note 2. 38 J. Rigal, Le mystère de l'Église, p. 74.

39 II faut surtout remarquer la parenté de l'équilibre, entre les aspects visible et invisible de l'Église, présent dans la théologie du Concile Vatican II et dans les intuitions de Môhler.

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Un autre courant de l'ecclésiologie, influencé en partie par les théologiens de Tiibingen, se manifesta dans les universités romaines. Carlo Passaglia (1812 - 1887) et ses élèves au Collegium Romanum, les jésuites Johannes Baptist Franzelin et Clément Schrader, dans un élan commun pour la théologie des Pères, pour la théologie spéculative et scolastique, prirent une part prépondérante au premier projet du schéma sur l'Église du Concile Vatican I. Il s'opposèrent nettement à la conception unilatérale et monarchique de l'Église défendue par les ultramontains, et élaborèrent un modèle d'«Église comprise dans une perspective proprement théologique comme mystère "surnaturel" [...]. Elle est le Corps du Christ, dans une perspective d'"incarnation continuée" [...] où, comme déjà pour Môhler, les structures hiérarchiques se trouvent intégrées dans une véritable théologie de l'Église»40. L'école romaine ne peut pas être considérée indépendamment du lieu de l'école, située au cœur de Rome. Comme le rappellent Paul Tihon, les synthèses môhlerienne et bellarminienne s'y juxtaposent alors et on se retrouve longtemps devant l'impossibilité d'affirmer l'interaction entre les aspects visible et invisible de l'Eglise41.

Si l'œuvre de Môhler a reçu, cent ans plus tard, un accueil décisif et fécond dans l'œuvre de Congar42, l'école des jésuites romains, quant à elle, manifestera sa fécondité particulière chez Balthasar à travers les œuvres de Matthias Joseph Scheeben (1835

-1888), un des élèves de Passaglia et de Franzelin43. Nous nous y arrêterons plus tard quand nous évoquerons la connexion entre l'ecclésiologie et la mariologie, ainsi que la dimension de sexualité que Balthasar développe abondamment dans sa théologie et que Scheeben introduisit - ou plutôt réintroduisit en la puisant chez les Pères - dans son ecclésiologie sacramentelle.

Le Concile Vatican I n'a pas abouti à une conclusion ecclésiologique satisfaisante44. Les événements extérieurs - la guerre de 1870 -, tout autant que la poussée 40 Bernard Sesboiié (dir.), Histoire des dogmes, p. 499s. Voir aussi A. Kerkvoorde, «Scheeben et son époque»

in l'Introduction du Matthias Joseph Scheeben, Le Mystère de l'Eglise et de ses sacrement, Paris, Editions du Cerf, 1956, 190 pp. pp. 7 - 3 6 .

41 Bernard Sesboiié (dir.), Histoire des dogmes, p. 500.

42 Cf. Gilles Routhier, «Synthèse», in Bulletin de littérature ecclésiastique, CVI/ 2, avril -juin 2005, p. 209. 43 A. Kerkvoorde, Ibid. p. 28. Sur Scheeben, on consultera l'ensemble de l'introduction de ce livre.

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des évêques ultramontains45, n'ont pas permis d'élaborer une doctrine ecclésiologique

complète. «N'ayant eu le temps d'en traiter qu'un seul chapitre, consacré à la primauté du pape et à l'infaillibilité pontificale de l'Évoque de Rome, le Concile avait développé de façon déséquilibrée le côté visible et hiérarchique de l'Église»46. L'autre côté, l'aspect

invisible, représenté par le concept du corpus mysticum Chrisli, a été involontairement relégué au Concile Vatican II.

Dans notre travail, nous reviendrons plusieurs fois sur l'ecclésiologie organique du Corps mystique de Christ qui va se trouver enrichie au cours du XXe siècle. Il nous reste

seulement à mentionner ici les autres théologiens qui ont posé au XIXe siècle les bases du

renouveau ecclésiologique. Il nous faut nommer en premier lieu le Card. John Henri Newman47 dont l'influence sera tangible chez Congar : pensons à des thèmes comme ceux

de la tradition et du prophétisme, du laïcat, du progrès de l'Église dans l'intelligence de la foi. Nommons aussi la découverte de la nouvelle théologie orthodoxe48 avec A. S.

Khomiakov (1804 - 1860) dans la veine du romantisme, proche de Môhler. V. Solovicv (1853 - 1900) d'abord slavophile, puis influencé par l'idéalisme, et se tournant vers le catholicisme, introduira le principe féminin de la Sagesse comme âme du monde dans la théologie orthodoxe. On peut sans doute nommer encore comme significatifs pour nous, les dominicains J, M. Lagrange (1855 - 1938) et Ambroise Gardeil qu'a pu connaître Congar, ainsi que le professeur Romano Guardini49 qui, au début du XXe siècle, posait un nouveau

regard sur le monde et l'Église, et dont Balthasar a pu suivre un cours dans les années 1920.

CHANGEMENT DES PROPOSITIONS ECCLÉSIOLOGIQUES AVEC LA CRISE MODERNISTE

Les trois derniers auteurs nommés nous conduisent cependant vers un autre épisode, de grande importance, du renouveau ecclésiologique : celui de la crise moderniste. Pour

45 La séparation du chap. XI (sur la primauté pontificale) de l'ensemble du De Ecclesia donnera la constitution

Pastor aeternus. Voir É. Ménard, L'ecclésiologie hier et aujourd'hui, p. 37.

46 Bernard Sesboiié (dir.), Histoire des dogmes, p. 516. 47 Cf. Louis Bouyer, /, 'Eglise de Dieu, pp. 135-151. 48 Ibid. pp. 163-169.

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kl

Claude Bressolette, l'insistance trop unilatérale de la théologie ecclésiastique du XIXe siècle sur l'autorité, ainsi que la relative pauvreté de la réflexion théologique officielle, ne créaient pas l'espace nécessaire pour assumer la nouvelle culture scientifique et laïque qui s'imposait rapidement dans toute la culture occidentale. L'apologétique classique, renforcée par la promotion - certainement démesurée50- de la philosophie thomiste par les papes Léon XIII (Aelerni Palris 1879), Pie X (24 thèses philosophiques de 1914) et Benoît XV (Codex Iuris Canonici, n° 1366, § 2), n'arrive pas à rendre compte de la «distorsion entre les progrès de la science, de la critique historique, et [...] l'enseignement théologique traditionnel [,..]»51. La France est l'épicentre de la crise, et la séparation entre l'Église et l'État par la Loi du 9 décembre 190552 est probablement un des ses aboutissements les plus flagrants. L'ecclésiologie classique y est évidemment frappée en plein cœur, même si les tensions s'étaient manifestées depuis le temps des Lumières. La problématique politique n'est évidemment pas isolée des questionnements sur l'auto-compréhension profonde que l'Église a d'elle-même en face du monde. L'origine de l'Église, la personne de son fondateur, l'autorité des Écritures, la fonction et le fonctionnement de la Tradition et du Magistère sont remis en question par la critique textuelle, l'archéologie, la philosophie religieuse, l'avènement des systèmes philosophiques kantien et hégélien, etc. Avec Jean-Claude Petit nous pouvons schématiser la réaction qui s'est manifestée dans la théologie face à ces nouveaux défis qui sont concentrés autour de trois axes majeurs : une nouvelle conscience historique accompagnée par un nouveau rapport à l'histoire - et donc à sa propre histoire -, l'avènement du sujet, et donc la requête de l'expérience, et un nouveau rapport aux origines permanentes : à ce qu'on appelle la révélation et la foi. Commençant par la France, la théologie se déploie en deux mouvements : le renouveau thomiste et la «nouvelle théologie» dont le Saulchoir est l'école la plus emblématique. Le renouveau thomiste d'ecclésiologie systématique trouvera son expression dans l'une des œuvres les plus imposantes du XXe siècle, celle du professeur Charles Journet. Il s'agit là d'un réel sommet de ce que le néothomisme a pu apporter de spirituel et de profond dans l'ecclésiologie du siècle dernier. À côté du P. Journet, nous trouvons deux laïcs d'inspiration thomiste, appliqués - parmi bien d'autres domaines - à l'ecclésiologie: Jacques Maritain et Etienne so Jean - Pierre Torrell, «Thomisme», in Jean - Yves Lacoste (dir.) op. cit. p. 1159.

s' Claude Bressolette, «Modernisme», op.cit. p. 749.

52 Suivie par les pays traditionnellement catholiques tel le Portugal (1910), le Mexique (1910), l'Espagne (1931), l'Italie fasciste (1929), et l'Allemagne nazie (1933).

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Gilson, dont la façon de situer Saint Thomas dans le contexte historique influencera le thomisme de Congar. Plus proche encore de Congar, il nous faut nommer le P. Ambroise Gardeil51 dont les travaux thomistes sur le donné révélé servaient de «bréviaire»54 aux

étudiants du Saulchoir. Le thomisme d'école et la «nouvelle théologie» vont fatalement s'opposer, et cela dans les années 50. C'est une constatation quelque peu amère de Jean Daniélou : «L'historicité et la subjectivité (deux axes de la philosophie contemporaine du marxisme et de l'existentialisme) obligent la pensée théologique à se dilater. Or il est bien clair en effet que la théologie scolastique est étrangère à ces catégories...»55.

Une grande influence dans le processus de renouveau a aussi été exercée par la production théologique protestante d'après la première guerre mondiale. La théologie dite dialectique de Karl Barth, inaugurée par la parution de son Commentaire de l'Épître aux

romains (1919), refuse toute théologie qui soit basée sur la possibilité de l'analogie entre la

raison naturelle et la Révélation qui, entièrement souveraine et libre, s'adresse à la seule foi des hommes. La répercussion de la pensée barthienne dans le protestantisme est immense; son accueil - critique - dans le monde catholique l'est aussi. Nous aurons l'occasion d'y revenir, car grande était l'estime de Congar pour ce théologien56, et le dialogue et l'amitié

avec lui furent profonds chez Balthasar. En effet la question de Karl Barth sur la possibilité de l'analogia entis, étudiée de près par Balthasar, question que se pose la théologie depuis la fin du XIXe siècle, représente de quelque manière celle de la possibilité de concilier - ou

non - la Révélation avec l'histoire et l'expérience, de concilier la foi avec la raison.

Le projet de la « nouvelle théologie »57 consistait justement à admettre que

l'histoire (de la théologie) n'est pas constituée comme un réservoir d'informations ou comme un outil pragmatique de conclusions théologiques, mais que l'histoire est d'abord le

51 Cf. Sur cet auteur : Jean-Claude Petit, «La compréhension de la théologie dans la théologie française au XXe siècle», Laval théologique et philosophique, 45, 3 (octobre 1989), pp. 379 - 391.

54 Yves Congar, Jean Puyo interroge le Père Congar, [Les interviews], Paris, Centurion, 1975, p. 47, cité in Jean-Claude Petit, «La compréhension de la théologie dans la théologie française au XXe siècle», Laval

théologique et philosophique, 47, 2 (juin 1991), p. 216.

55 Jean Daniélou, «Les orientations présentes de la pensée religieuse», Études, t. 249, avril, 1946, p. 14. 56 Cf. la préface de Chrétiens en dialogue, [Unam Sanctam, 50], Paris, Éditions du Cerf, 1964, 576 pp., pp. I -LXIV.

57 Cf. Pour une information sommaire l'article «La nouvelle théologie» in Rosino Gibellini, Panorama de la

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fondement même de la connaissance humaine. La connaissance théologique ne doit pas être bâtie circulairement autour d'elle-même, fondée sur l'efficacité rationnelle de

Y argumentatio scripturaire, traditionnelle et rationnelle. Une telle théologie, que Chenu

qualifiera de morte, réduit, non seulement les sources historiques du christianisme, mais aussi la foi chrétienne elle-même, à être un ajout, une garniture ou un échafaudage de son propre système (sic). Le théologien n'est pas tourné vers l'histoire pour y trouver la matière de sa réflexion, comme le ferait un archéologue: se tenant dans l'histoire, «il puise le donné (révélé) dans la vie présente de l'Église et l'expérience actuelle de la chrétienté»58. Cette

relation «contemplative» de la théologie au donné révélé modifie radicalement le travail scientifique. La théologie devient l'interprétation de l'expérience actuelle de la foi où le donné est présent dans toutes ses dimensions sociales et historiques. Il est aussi le lieu permanent de la communion à la nouveauté et à l'intériorité de l'Évangile. La Tradition est alors, dans la foi, la présence même de la révélation, non comme «un agrégat de traditions, mais comme un principe de continuité organique, dont le magistère est l'infaillible instrument, dans la réalité théandrique de l'Église corps du Christ»59. La théologie de Y. M.

Congar s'inscrit directement dans la ligne de cette méthode théologique. C'est pourquoi dans notre chapitre sur sa méthode nous reviendrons à l'école du Saulchoir.

Lyon-Fourvière, autre centre d'émancipation de la théologie face à la modernité, passera par des chemins multiples. La rencontre de noms comme Henri de Lubac, Pierre Teilhard de Chardin, Jean Daniélou, Gaston Fessard, Hans Urs von Balthasar, Paul Claudel, Maurice Blondel, ne peut pas être ramenée à une « école »60. Ces auteurs se rencontrent

cependant, et leurs recherches se fécondent mutuellement sur le terrain commun du retour aux sources, du contact avec les courants de la pensée contemporaine et du contact concret avec les besoins des âmes. Leurs critères sont en harmonie parfaite avec les efforts du Saulchoir; les adversaires du mouvement le remarqueront d'ailleurs facilement. C'est par ailleurs Congar qui va donner à Lubac l'impulsion décisive pour la publication de sa première monographie Catholicisme (1937). Il restera en effet l'ami très proche du cercle

58 M. D. Chenu, Une École de théologie, p. 66.

59 Remarquons que Chenu invoque ici les thèmes principaux de l'école de TUbingen.

60 A moins de considérer avec Gibellini que l'article de J. Daniélou Les orientations présentes de la pensée

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des théologiens jésuites. Pour nous, il est plus significatif encore de constater qu'à travers la lecture assidue des Pères, se manifeste alors une certaine absence d'effort de systématisation rigide. La théologie devient une théologie spirituelle et souvent en même temps une œuvre littéraire. Comme le remarque Olivier de Berranger, «par un recours à la «théologie symbolique» des Pères (ces auteurs) avaient raison de refuser de s'en tenir à une «théologie des conclusions» qui ignorait la dimension historique du dogme»61. D'où,

certainement, l'incompréhension des défenseurs de Saint Thomas, et les accusations fréquentes de subjectivisme, de scepticisme et finalement de fantaisie...

Nous terminons ici notre présentation de la situation dans laquelle se trouvait l'ecelésiologie au moment de la formation de nos deux théologiens. Il nous revient seulement d'ajouter que l'attention portée au monde s'articulait à l'époque avec le mouvement de l'apostolat des laïcs, dont l'expression majeure en France était l'Action Catholique. Congar entretiendra, au début de sa formation, un vif contact avec ce mouvement, certainement en vertu du second critère de son binôme théologique

structure-vie62. Pour Balthasar, selon ses propres mots, l'engagement dans le monde est la priorité de

sa vie. Son travail d'éditeur et de théologien ne peut se comprendre que dans cette lumière63. Un autre mouvement est celui du dialogue œcuménique. Du point de vue

herméneutique, il s'agit d'un critère majeur pour comprendre aussi bien l'œuvre de Congar que celle de Balthasar. Nous avons déjà mentionné l'influence qu'avait sur la nouvelle théologie la personne de Karl Barth. Mais il s'agit de beaucoup plus. Au cours de notre travail, nous remarquerons la richesse de ce présupposé méthodologique et théologique qu'accompagne l'ensemble de l'œuvre de nos deux théologiens.

Saisissons l'occasion et entrons justement avec Karl Barth dans la présentation du renouveau mariologique du début du XXe siècle. Dans sa Dogmatique, Barth adresse au

61 Olivier de Berranger, l'article «Lubac Henri Sonier de» in Jean-Yves Lacoste (dir.) op. cit. p. 681.

62 Jeannine Espitallier, «Une théologie du laïcat : l'apport du Père Congar» in Bulletin de littérature

ecclésiastique, CVI/ 2, p. 197. Aussi Jean-Pierre Jossua, op. cit., p. 26.

63 Mans Urs von Balthasar, Esprit et feu, Entretien de Michel Albus avec H. U. von Balthasar, 1976, in op.

cit., pp. 91s, aussi Peter Henrici, «La mission du chrétien dans le monde», in Alois M. Haas ... [et al.], Hans Urs von Balthasar, Mission et médiation, Saint-Maurice, Saint-Augustin, 1995, 199 pp., pp. 173 - 195.

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catholicisme - en visant le principe de la coopération à la grâce - cette remarque perspicace et ... piquante :

Le dogme mariai n'est ni plus ni moins que le critère dogmatique déterminant de l'Église catholique romaine, le dogme qui permet de comprendre toutes ses position décisives et avec lequel elle subsiste ou elle tombe...64.

SITUATION DE LA MARIOLOGIE

La présentation du renouveau mariologique sera nécessairement beaucoup plus concise que la présentation précédente. Cela pour trois raisons. Premièrement parce que notre travail se situant dans le cadre de l'ecclésiologie et non de la mariologie, nous ne nous posons pas la question du développement du dogme mariai, mais celle de la figure de la Vierge Marie à l'intérieur des œuvres ecclésiologiques; en deuxième lieu parce que le domaine de la mariologie est nettement plus jeune que celui de l'ecclésiologie; troisièmement, parce que dans la présentation de l'histoire de la connexion des deux domaines que nous étudions, nous reprendrons des thèmes comme ceux de la virginité, de la maternité et de la sainteté de Marie. .Ceci nous permet d'être plus bref ici.

LA MARIOLOGIE DES «PRIVILÈGES»

Le jugement de Karl Barth visait le dogme mariai en ceci qu'au début du XXe

siècle celui-ci était couvert d'une opulente et souvent excessive piété mariale. Celle-ci s'alimentait notamment à deux sources. La piété que l'on peut qualifier de haute - avec le rosaire, l'hymnographie monastique et paraliturgique, et l'iconographie médiévale - plonge ses racines dans le moyen âge où commence65 à se former la vision «de la Vierge comme 64 Traduction française : Karl Barth, Dogmatique, I, : La Doctrine de la Parole de Dieu, t. II, fasc. I, Genève,

1954, pp. 132ss.

65 II est évident que l'antiquité chrétienne avait connu le culte mariai, attesté depuis le IIIe siècle (Sub tuum

presidiutn), largement présent dans l'hymnographie. C'est néanmoins le moyen âge qui commence à s'intéresser au privilèges mariaux comme tels. Voir René Laurentin, La question mariale, Paris, Seuil, 1963,

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associée au Christ, situé dans une position médiatrice entre lui et l'Église, douée d'un rôle universel dans l'œuvre de salut»66, et dans les écrits des grands spirituels et mystiques des

siècles d'après le Concile de Trente, où apparaissent les noms de Bérulle, Jean Eudes, Grignon de Montfort, Alphonse de Ligori, etc. Une littérature, qui n'est pas seulement dévotionnelle, est en pleine éclosion depuis le XVIIe siècle; les fêtes et les institutions se

multiplient, mais la réflexion théologique profonde n'arrive pas à renaître.

La seconde source est constituée des apparitions mariales, qui ont malheureusement généré une piété basse qui entraîne la dévotion mariale vers un «marianisme67» et donne au mouvement mariai du XIXe siècle la forme d'un tsunami

spirituel avec toutes sortes de confréries, de sociétés, de formes de consécrations, d'ouvrages sur la vie de Marie68 accompagnés d'une dévotion fort douteuse, où la

«générosité du cœur s'est donné libre cours »69. Le mystère de l'Immaculée est au centre :

rue de Bac à Paris (1830), La Salette (1846), Lourdes (1859), Fatima (1917). La définition du dogme de l'Immaculée Conception - par Pie IX, sans employer ce terme abstrait, à travers la bulle Ineffabilis Deus du 8 décembre 1854 - clôt le débat théologique controversé ouvert depuis plusieurs siècles et encourage en même temps le développement de la mariologie à venir. Celle-ci s'applique à donner aux gloires de Marie des bases théologiques solides et larges puisées auprès des Pères et de la Théologie70, incluant ainsi

de riches références à la tradition. Apparaît, entre autres, un mouvement71 aspirant à la

dogmatisation de titres comme corédemptrice, médiatrice universelle, auxiliatrice. Sont inaugurés les Congrès mariologiques internationaux; sont fondés les congrégations et les instituts missionnaires des œuvres mariales; est ouverte une Académie mariale pontificale à Rome. Ainsi se profile un climat chargé et peu à peu tendu autour de l'humble villageoise de Nazareth. Or l'exagération n'atteint pas toujours les fruits souhaités. Il est significatif

66 René Laurentin, La question mariale, p. 52.

67 L'expression est de René Laurentin, Ibid, p.27.

68 II faut signaler surtout l'influence de la publication des visions de la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich (1774-1824).

6'' René Laurentin, «Marie dans la foi chrétienne», in Bernard Lauret et François Refoulé, Initiation à la

pratique de la théologie, t. III : Dogmatique 2, Paris, Éditions du Cerf, 1983, 792 pp., p. 490.

70 Cf. Par exemple J. B. Terrien, La Mère de Dieu et la Mère des hommes (1902), Emilio Campana, Marie

dans le dogme Catholique (1913)

71 Cf. René Laurentin, Ibid., pour la reprise après le Concile Vatican II voir Dominique Cerbelaud, Marie, un

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qu'au milieu de ce temps mariai, la petite Thérèse de Lisieux, dans son discernement profond et simple, proteste contre le mal causé par ceux qui «montrent la Sainte Vierge inabordable...»72. Touche-t-on ici au comble du paradoxe? Celle qui, depuis le moyen âge,

intercède pour nous auprès de son Fils inabordable73, deviendrait inabordable à son tour

Les années du pontificat de Pie XII (1939 - 1958) furent riches d'événements mariaux, parmi lesquels ressort la définition dogmatique de l'Assomption de Marie (1 novembre 1950). La mariologie de ces années-là, désignée par une expression un peu rapide comme une «mariologie des privilèges», atteint son sommet. Mais, dans la vaste production mariologique de cette période était présente, de façon parfois larvée, parfois manifeste, un danger de maximalisme, soit dans les propositions théologiques, soit dans les expressions de piété74.

Le début du XXe siècle, où se situent nos deux auteurs, est ainsi marqué par la

tension montant entre les minimalistes et les maximalistes qui va aboutir à la crise conciliaire autour du schéma De Ecclesia du Concile Vatican II. Les commentaires théologiques sont abondants75 sur ce thème et l'événement bien connu. Nous verrons

comment le Père Yves Congar a pu, dès avant le Concile, sentir et exprimer un malaise par rapport aux excès dont était accompagné le développement de la théologie mariale. Le mouvement biblique, liturgique, patristique et, certainement, le mouvement œcuménique, ont introduit de nouvelles exigences dans les considérations sur la place de la Vierge Marie dans le christianisme. Ceux-ci ne pouvaient pas être ignorés. Il fallait au contraire rendre compte des équilibres fondamentaux de la théologie76. On peut observer en effet avec

Bernard Sesboùé77 que ce n'est pas tel ou tel motif mariai qui était mis en cause, mais

c'était toute une perspective théologique sur la personne de Marie qui changeait. Non

72 Vraiment à lire! Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, Novissima verba, Lisieux, s. a. 1926, pp. 154 - 157. Cité amplement in Rmile Mersch, La théologie du Corps Mystique, t. I, [Muséum Lessianum - Section théologique, 38], Bruges, Descléc de Brouwer, 389 pp., pp. 206 - 207.

73 Cf. La critique que fait Congar en 1952 du monophysisme christologique de la piété catholique, in Le

Christ, Marie et l'Eglise, pp. 56 -67.

74 Académie Mariale Pontificale Internationale, op. cit., p. 16s.

75 René Laurentin, La Vierge au Concile, Henri M. Guindon Marie de Vatican II, Gérard Philips, L'Église et

son mystère au 11° concile du Vatican, t. II, Paris, Desclée, 1969, pp. 207 - 289.

76 Gilles Routhier, «Quarante ans après le Concile : qu'est devenu le mouvement mariai?», Istina, n° 3, juillet-septembre 2005, pp. 306 - 336.

77 Bernard Sesboûé, «La Vierge Marie à Vatican II et depuis le Concile» in Pierrette Daviau (dir.), Parler de

Marie d'hier à aujourd'hui, Ottawa, Novalis, 2004, 200 pp., p. 106s. Aussi Cardinal Joseph Ratzinger, Hans Urs von Balthasar, Marie première Église, Montréal, Médiaspaul, [Mariologie], 1998, 187 pp., pp. 15 - 2 1 .

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seulement au Concile on ne voulait plus «ajouter de nouvelles pierres sur la couronne glorieuse de la Vierge Marie», mais on se demandait «qui» elle est vraiment, et quelle est sa place par rapport à la ligure centrale de la Révélation, Jésus Christ et par rapport à son Eglise.

LA MARIOLOGIE AUTOUR DU CONCILE VATICAN II

Les années 50 sont marquées par une prolifération mariologique très intense78. On

y trouve de véritables chefs-d'œuvre mariologiques, où les grandes figures de la théologie du XXe siècle s'appliquent à intégrer la mariologie dans le renouveau théologique. Ces

auteurs nous fournissent un arsenal de références patristiques et d'analyses exégétiques et dogmatiques. On peut distinguer trois directions vers lesquelles partent les recherches : l'histoire de la théologie mariale (chez les Pères, dans le dogme, mais aussi dans l'art et la mystique7''), Marie dans l'Ecriture Sainte80 et une thématique récemment redécouverte :

Marie et l'Église. Les trois se tiennent souvent ensemble. Un ouvrage collectif, qui peut être considéré comme aboutissement de ces enquêtes, est à mentionner : les sept tomes des nouvelles études sur la Vierge Marie, «Maria», dirigées par P. Hubert du Manoir s.j. et publiés entre 1949 et 1964 chez Beauchesne. Du point de vue méthodologique, ils représentaient un véritable maillon entre les mariologies christotypique et ecclesiotypique81

et préparaient ainsi le Concile. Il faut aussi relever quelques méditations mariales qui vont bien au-delà de la théologie des privilèges82. Il faut cependant admettre que la structure des

78 Cf. Un petit compte rendu in René Laurentin La question mariale p. 1 6 - 1 7 . 79 Cf. Par exemple : René Laurentin, Marie, l'Église et le Sacerdoce (1952 - 53)

80 Cf. Par exemple : Lucien Deiss, Marie, Fille deSion (1959), Jean Galot, Marie dans l'Évangiles (1958), 81 «Le point d'application privilégié de ce courant (christotypique) est la médiation mariale, considérée en ses deux phases : participation à l'œuvre fondamentale de la Rédemption, participation à la dispensation des fruits de cette même Rédemption». La conformité la plus grande avec le Christ est le point tournant, c'est pourquoi on parle de mariologie christotypique. «Elle faisait de la mariologie un décalque de la christologie...» La mariologie ecclesiotypique est plus ou moins celle du Concile qui intègre la Vierge Marie dans la Communion des saints, donc dans l'Église et non au-dessus d'elle, même si son rôle est unique et spécifique. Voir René Laurentin, Court traité de théologie mariale, Paris, Lethielleux, 1953, 187 pp., p. 61 et Pierrette Daviau (dir.) op. cit. 104. Cette schématisation comporte évidemment des simplifications qui sont à repousser - comme le fait à notre avis pertinemment mais un peu hardiment - R. Laurentin in La question mariale, pp. 6 9 - 7 9 .

82 Nous pensons à J. Guitton, La Vierge Marie (1954), H. Rahner, Marie et l'Église (1955 en français), K. Rahner, Marie, Mère du Seigneur (1960 en français), Louis Bouyer, Trône de la Sagesse, mais aussi malgré son langage très mariai, Jean Galot, Le cœur de Marie, où Marie apparaît plongée dans le mystère trinitaire, motif très actuel de la mariologie.

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nombreux ouvrages de cette époque reste encore proche de la perspective de la mariologie des privilèges"1; ce que confirme le fait qu'il faut vraiment attendre le Concile, et la voie de noble sobriété qu'il dégage, pour trouver un travail mariologique réellement renouvelé. Nous osons porter un tel jugement sur des livres qui ont par ailleurs une très grande rigueur scientifique, comme l'Esquisse du développement du dogme mariai de Charles Journet (1954)84, Marie dans le gouvernement de l'Église du P. Henri-Marie Guindon (1957) ou La

piété du Fils du professeur Charles de Koninck (1954).

Après la définition de l'Assomption, on peut discerner deux courants dans la théologie marialc.

L'un voit dans la définition de l'Assomption le point de départ et l'exemple d'une série de promotions ultérieures des privilèges de Marie; [...] l'autre, qui apparaît précisément à cette même date [...] procède d'un besoin, non de développer et d'augmenter, mais de recentrer, de situer, la doctrine mariale dans l'ensemble du dogme. Cette tendance prend corps autour d'un thème jusque-là quasi absent des productions mariales du mouvement mariai : Marie et l'Église85.

HISTOIRE DE LA CONNEXION ENTRE LES DEUX DOMAINES

En 1964, dans une des études de synthèse très complète sur la Vierge Marie intitulée Maria, Mgr. G. Philips commente :

Le thème du parallélisme entre Marie et l'Église a surgi dans la théologie contemporaine d'une manière aussi inattendue que fulgurante. Muhller a comparé son apparition à celle d'une comète dans le ciel mariologique. Mais si, comme il l'affirme, l'idée était sortie à peu près du néant, on ne comprendrait plus qu'elle ait pu se répandre aussi rapidement et sur une échelle aussi large : la théologie n'est point habituée à de semblables créations86.

83 Cf. un exemple typique E. Neubert, Marie dans le dogme, Paris, Editions Spes, 1953.

84 II n'est pas également sans signification que dans sa grande synthèse, L'Eglise du Verbe Incarné, Ch. Journet place le chapitre Marie est au cœur de l'Eglise entre le chapitre Le Christ tête de l'Eglise et le chapitre L'Esprit divinisateur de l'Églisel

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La bibliographie rassemblée à la fin de cette étude est à vrai dire décourageante. En couvrant seulement la production des années 50, le P. Philips mentionne quelque soixante-dix ouvrages consacrés, soit entièrement, soit en partie, à ce thème. À l'intérieur de ces études critiques nous pouvons trouver, à n'en pas douter, une abondance d'appréciations exégétiques et patristiques.

Puisque cette thématique touche directement notre sujet de mémoire nous allons nous attarder davantage sur elle. Cependant, la littérature étant abandonnante et le thème aujourd'hui bien connu, nous abrégerons le travail là où il peut devenir trop complexe.

NOUVEAU TESTAMENT

Il faudrait d'abord distinguer dans l'Écriture les passages qui se rapportent seulement à l'Eglise, et ceux qui se rapportent seulement à Marie. Un exercice cependant qui ne peut être que très enchevêtré sinon périlleux, car notre lecture est, même depuis le temps des Apôtres, chargée du parallélisme entre la femme, Israël - ou l'humanité rachetée qui est l'Église - , l'Épouse, et la Vierge, nouvelle Eve, située en face du Christ Seigneur, Époux et nouvel Adam. La seule possibilité pour parvenir à la réfutation de ce parallélisme - chose peu souhaitable -, serait de maintenir absolument l'écart critique entre les divers récits bibliques et de ne point faire une lecture catholique de l'Écriture (DV 3, 12), où l'Ancien Testament et Nouveau s'éclairent et s'expliquent réciproquement (DV4, 16) dans l'unité de l'Écriture toute entière (DV3, 12). Admettant cet écart nous aurions ainsi un saint Marc isolé qui tient toute la parenté de Jésus à distance, un saint Jean isolé qui nous présente l'Épouse sans dire qui elle est, un saint Luc isolé qui insiste sur la maternité virginale de Marie, un saint Paul isolé qui parle du grand mystère nuptial entre le Christ et son Eglise, un Sophonie isolé, enfin, qui invite la Fille de Sion à la joie, etc87. Or l'exégèse manifeste de façon convaincante une transparence typologique entre la personnification 86 Gérard Philips, «Marie et l'Église, un thème théologique renouvelé» in Hubert du Manoir, (dir.),. Maria,

nouvelles études sur la Sainte Vierge, tome Vil, Paris, Beauchesne, 1964, 457 pp., p.365.

87 «L'aspect ecclésial du mystère de Notre-Dame dans l'Écriture», in Lucien Deiss, Marie, Fille de Sion, [Thèmes bibliques] Paris, Desclée de Brouwer, 1959, 291 pp., Max Thurian, Marie, Mère du Seigneur, figure de l'Église, [Foi Vivante, 61], Taizé, Les Presses de Taizé, 1968, 314 pp., F. - M. Braun, La Mère des fidèles. Essai de théologie johannique, Paris-Tournai, Casterman, 1953.

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d'Israël comme Épouse et l'Église, ainsi qu'entre Israël en attente croyante et la Vierge Marie. Mais jamais expressément entre l'Épouse et Marie, ni entre l'Eglise et Marie.

Pour l'Écriture prise elle seule, Marie est la mère virginale de Jésus; puis elle est la croyante parmi les autres disciples, et, enfin, - mystérieusement, comme la « femme » -, la mère adoptive du disciple bien-aimé. Marie est là à cause du Messie, dont le signe est qu'il sera conçu d'une vierge. La présence de Marie dans l'Écriture, ainsi que dans les premiers dogmes, est premièrement christologique. À ce stade là, si on reste très en retrait par rapport à la profondeur théologique des textes, on ne pourra pas même affirmer que c'est Marie qui est le modèle, le type et la figure de l'Église88. Car tout ce que nous disons

aujourd'hui de Marie, a été dit de l'Église dans le Nouveau Testament. Dire : «Marie est la figure idéale de l'Église» suppose en effet que l'on ait une intuition idéale de l'Église. Celle-ci est présentée dans le Nouveau Testament comme l'œuvre salvifïque de Jésus Christ, en lui possible, et déjà réalisée en sa profondeur eschatologique. En effet c'est l'Église89 qui est l'Eve nouvelle, l'Épouse Sainte et Immaculée, sans tache ni ride, la

Vierge, la Mère, la Femme vêtue du soleil, etc90.

C'est pourtant à partir du témoignage scripturairc que, en corrélation avec les doctrines christologique et ecclésiologique, se dessine dans la Tradition le lien essentiel91

entre Marie et l'Église. «Dans la tradition, les mêmes symboles bibliques sont appliqués, tour à tour simultanément, avec la même profusion de plus en plus débordante, à l'Église et à la Vierge»92. L'aspect premier et déterminant sera justement la maternité virginale de

Marie. Marie fût en effet perçue, et cela très tôt dans la tradition, comme celle qui précède

88 Comparer chez Gérard Philips, Marie et l'Église..., p. 372 - 374.

89 Église certes, mais toujours en continuité avec Israël la Fiancée choisie, purifiée, conduite au désert... Cf. Par ex. in René Laurentin, Court traité ..., pp. 71 - 74.

',0 Joseph Ratzinger, op. cit., p. 24 -25. De manière spontanée, l'image de l'Église prend chez lui des traits féminins. Il faut toutefois rappeler que ce n'est pas la seule image dont dispose le Nouveau Testament, pour révéler la structure intime de l'Église. La vigne, le troupeau, la cité, le temple, et surtout le corps, sont les images qui nous conduisent, par des voies complémentaires, au mystère de l'Église. L'allégorie d'une femme, d'une personne, qui, à partir du Christ, obtienne le statut d'un vis-à-vis proportionné, comporte cependant les perspectives particulièrement fortes que nous auront l'occasion de découvrir surtout avec la réflexion balthasarienne.

91 Henri de Lubac, Méditation sur l'Église, [Théologie, 27], Paris, Aubier, 1953, 334 pp., p. 275. 92 Henri de Lubac, Ibid., p. 275 - 278 avec les premières références.

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