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L'ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE, LA PERSONNE ET SA MISSION

1.5. LE DIALOGUE ENTRE CONGAR ET BALT1IASAR

2.1.4. L'ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE, LA PERSONNE ET SA MISSION

Par où commencer ? Apprendre qui est l'Église, nous ne le pouvons qu'en nous tournant vers ceux qui la constituent. Marie apparaît alors comme le fondement et la représentante permanente de la réponse parfaite de toute l'humanité à l'élection, à la vocation et à la mission divines, englobant la réponse que l'Église-Épouse ne cesse d'adresser à son Époux dans ses membres. L'Église n'existe jamais en dehors de ses membres. Certes. Or, il faut d'abord se tourner vers le fondateur de l'Église, le premier parmi les frères. Balthasar voulait éviter une

identification totale entre la personnalité de l'Église et la personnalité du Christ""; il refusait d'hypostasier l'Église dans un être éternelJ'". Il harmonise alors l'exigence de parler de l'Église

comme «quelqu'un» - l'Epouse selon Eph. 5- face au Christ , avec une Église qui tire toute sa réalité du Corps du Christ mourant en croix»-"'.

Dans sa Theodramatik, Balthasar introduit une distinction fondamentale entre un sujet spirituel et la personne théologique dont le Christ est le modèle pour toute autre personne. L'être- personne, dit Balthasar, «n'est pas la condition originaire de l'être créé, mais le résultat de sa rencontre avec la Personne absolue»322. Le concept de personne est alors un concept proprement

christologique et théologique. Jésus est La Personne par excellence. Avant de se poser la question «Qui est l'Église?» - comme une personne - , Balthasar s'est donc posé la question «Qui est le Christ?». Et il répond : il est en quelque sorte l'identité entre la personne et sa mission. Dans le Nouveau Testament, commente Angelo Scola323, nous découvrons Jésus Christ comme

l'envoyé du Père pour une mission absolument unique, qui suppose une personne et un mode d'envoi tout aussi uniques. Cette mission dépend de son rapport absolument unique avec le Père... la missio du Christ s'enracine dans la processif) du Fils à partir du Père324. Le caractère dramatique qui est un

élément essentiel de la Personne de Jésus n'affecte pas simplement tout entier le côté terrestre de son être, mais il a ses racines ultimes dans la vie divine elle- même [... ]. Pour résumer la pensée de Balthasar à l'extrême, on pourra commencer par dire que «l'essence divine n'est pas un bloc inerte d'identité, mais une réalité qui se communique à l'Esprit par le Père et le Fils325.

Le devenir du Fils dans sa mission terrestre est en unité avec son être en devenir spécifique et éternel, comme Celui qui procède du Père. Le drame de la Croix - sommet de l'Incarnation car : Verbum caro peccati factum est - manifeste alors le drame d'amour trinitaire, où l'auto-donation totale des Personnes en Dieu est une kénose originelle, capable à la fois

319 Hans Urs von Balthasar, Qui est l'Église?, pp. 29 - 34. 320 Chez Origène Ibid. p. 90.

321 Achiel Peelman, Le salut comme drame trinitaire, pp. 244 - 248.

322 Jean-Noël Dol, «Qui est l'Église, Hans Urs von Balthasar et la personnalité de l'Église», Nouvelle Revue

Théologique 117 (1995), pp. 376 - 395.

323 Ce qui suit est largement exposé in Angelo Scola, Hans Urs von Balthasar, pp. 128 - 143.

124 L'idée reprise de Saint Thomas d'Aquin est commentée par Balthasar in La Dramatique divine, IV, Le

dénouement, [Ouvertures, 9], Culture et vérité, Namur, 1993, 485 pp., pp. 51 - 55.

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d'expliquer et de supprimer toute différence au-dehors de la Trinité326 : la création, l'homme et

même le péché327. Le drame de la Personne de Jésus dans l'ordre de l'économie est une révélation

de Dieu qui est Amour, par la kénose de sa remise de soi, dans sa mystérieuse identification avec le péché, sur la Croix. Ce drame - et c'est ceci la mission de Jésus - nous donne accès à la Trinité personnelle et immanente dont le drame kénotique est alors présupposé. La conscience de soi de Jésus, qui coïncide avec la conscience de sa mission, - qui, redisons-le, dérive du rapport unique entre le Père et le Fils -, doit cependant être psychologiquement éveillé, comme l'enfant s'éveille à soi-même dans le vis-à-vis avec sa mère328. Permettons-nous ici une citation un peu longue du

livre d'Angelo Scola qui va nous conduire de nos méandres trinitaircs au concept des personnes dramatiques de Marie et de l'Église.

Pour Balthasar, c'est là que s'ouvre la voie qui inscrit la mariologie au cœur de la christologie. Marie en effet a été spécialement choisie à l'avance pour être ce «toi qui éveille» pour la conscience de soi de Jésus enfant, en harmonie avec tout ce qui en cette conscience est immémorial et dérivé de son rapport unique avec le Père. La structure unique de la conscience de soi de Jésus (dont l'immémorialité transcendante n'exclut pas une illumination progressive) trouve son fondement dans la forme économique assumée par la Trinité. Il y a en effet pour Balthasar une inversion trinitaire au plan économique, au sens où à partir du moment de sa conception, Jésus se trouve sous l'action de l'Esprit : l'Esprit est au-dessus de lui. Dans l'exécution de la mission, en effet, c'est l'Esprit qui présente à Jésus sa mission de manière toujours nouvelle. «Le rôle de l'Esprit consiste, en prenant la Vierge sous son ombre, à transformer le Fils dans l'état de l'être-homme, comme le disent clairement les formules du Credo. Dans cette activité de l'Esprit, le Fils est déjà obéissant, en tant qu'il se livre selon la volonté du Père à l'action de l'Esprit. Cet abandon de soi n'est pas une simple passivité329, mais une forme d'action33".

Dans la personne et dans la mission du Christ sont inclues toutes les autres personnes du drame331. La nature humaine est considérée à partir du Christ. L'humanité de Jésus Christ est le

lieu où l'Archétype originaire - le Fils comme icône du Père - s'établit dans l'image - homme - sans cesser d'être l'Archétype. Son humanité est celle de Fils de Dieu, elle appartient à Dieu. Il y

3261 lans Urs von Balthasar in La Dramatique divine, IV, Le dénouement, pp. 104-114. 327 Cf. aussi Achiel Peelman, Le salut comme drame trinitaire, pp. 175 - 181.

328 Ibid. pp. 132.

329 Le rôle actif de l'Esprit ne doit donc pas supprimer le rôle actif du Fils dans Tordre de la Trinité immanente, ni son union immédiate au Père. L'Esprit n'a pas un rôle de père suppléant... Cf. aussi Achiel Peelman, Ibid. pp. 123 -

126.

33(1 Angelo Scola, Hans Urs von Balthasar, pp. 123 - 133.

a ensuite une parfaite correspondance entre la personne et la mission du Fils. Alors que tous les autres hommes ne se découvrent qu'en lui, ne trouvent leur propre être-quclqu'un que par la contemplation de l'Amour crucifié, lui-même n'a pas d'autre médiation que sa propre conscience d'être le Fils.

Balthasar «rejoint son ami Przywara pour affirmer que l'homme, comme image de Dieu, est une simple silhouette, et qu'il ne trouve sa figure lumineuse que dans le Christ»332. Dans le

Christ Jésus, tous les autres sujets spirituels (les protagonistes du drame) reçoivent leurs rôle- mission, qui «les décentre d'eux-mêmes, puisqu'ils sont tirés par Dieu hors des limites de leur individualité, et les universalise,[...] ils sont intégrés, à un degré qui leur est propre, dans la personne universelle du Christ»333. En effet «le sujet ne devient personne que dans l'échange avec

Dieu, en se laissant perpétuellement entraîner au-delà de lui-même»334. Cette «expropriation de

l'homme - sa mort à soi-même -, précise Balthasar dans l'article "Qui est l'Eglise", exprimée toujours à nouveau et toujours différemment, est une appropriation de l'homme par Dieu, "une acquisition pour le salut". (ITh 5, 9)»335.

Nous avons ici quelques moments principaux de l'anthropologie théologique et dramatique de Balthasar336; en raison de leur complexité, nous ne les aborderons pas d'avantage.

Remarquons seulement qu'à partir de cette structure énigmatique du «je» humain, il développe la triple tension esprit-corps, homme-femme, individu-communauté, une structure qui est supposée par la grâce, mais jamais évacuée par elle. L'inclusion dans le Christ ne peut se passer de sa ratification par la liberté humaine dans n'importe quelle situation. «Ces tensions constitutives ne sont pas non plus atténuées pour le chrétien : il doit les traverser dramatiquement, par sa liberté»337.

312 Achiel Peelman, Le salut comme drame trinitaire, p. 90. 333 Cf. in Jean-Noël Dol, «Qui est l'Église... » p. 381. 334 Jean-Noël Dol, Ibid. p. 380.

335 Hans Urs von Balthasar in La Dramatique divine, IV, Le dénouement, , p. 70. 336 Cf. Angelo Scola, Hans Urs von Balthasar, pp. 145 - 173.

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Comme le résume Jean-Noël Dol, c'est dans cette nouvelle conception anthropologique, qui transfère la personne du domaine naturel (philosophique) au domaine surnaturel (théologique), que Balthasar fait place à l'Église.

La personnalité de l'Église réside en définitive en ceux qui - selon des degrés divers - se tiennent le plus près de Dieu, et qui sont appelés par Balthasar, à la suite des Pères, animae ecclesiasticae. Dépossédée de soi, jetée hors des limites de sa subsistance naturelle, dilatée et ouverte à l'universel selon un degré fixé par Dieu, Y anima ecclesiastica, en étant assumée dans la personne du Christ, rejoint le Christ souffrant pour l'humanité; elle est appelée à vivre, dans une parfaite disposition de don de soi, en vue de l'édification du Corps qu'est l'Église. Ces personnes singulières ouvrent l'espace universel3 8.

L'Église est ainsi réalisée (analogiquement) dans ces personnes humaines "ecclésialisées"; elles seules, en définitive, sont personne-Église339.

Si Balthasar va définir l'Église comme une «quasi-personne»340 dramatique, il ne le peut

qu'en lui conférant les traits de la personne créée - liberté finie - et christique - liberté universalisée -. Ceci suppose que l'Église ait un caractère de créature qui s'exprime dans sa réceptivité, qui, dans l'ordre de la création corporelle, est signifiée par la féminité; qu'elle soit investie d'une mission; et, finalement, qu'elle ait un centre vraiment personnel, le seul dans lequel le drame du devenir une personne théologique peut se réaliser. Tels sont, nous semble-t-il, les traits théologiquement les plus importants du thème de la personne-Église chez Balthasar.

Dans le livre Qui est l'Eglise?, après avoir cerné et débloqué - par la lecture patristique de Eph 5, 21-33 - la tension entre les images bibliques du corps et de l'épouse du Christ en proposant l'image d'un corps sponsal, Balthasar s'interroge sur la façon dont on peut passer du langage métaphorique à la réalité adéquate d'une épouse du Christ. Nous allons le suivre dans sa méditation.

338 «L'universel n'existe que comme prolongement de la personne et la personne n'existe qu'en vertu de son prolongement dans la mission (universelle)». Cf. Jean-Noël Dol, Ibid. p. 385.

339 Jean-Noël Dol, «Qui est l'Église... » p. 385.