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3.2. LE PASSAGE DU DOGMATIQUE AU PASTORALE

3.2.2. LA SAINTETÉ DE L'ÉPOUSE

Plus concrètement, pour revenir au premier objet de notre mémoire, il nous semble qu'à travers l'élaboration de la thématique : Eglise - personnalité propre de l'Église - Marie, transparaissent l'option pour une ecclésiologie d'en haut et pour une ecclésiologie d'en bas. Cette option reflète l'accent - plus ou moins grand - mis sur l'aspect eschatologique de l'Église, représentée par la figure de l'Immaculée; accent qui détermine, comme nous le disions plus haut, le travail théologique jusqu'à son passage à la dimension pastorale. En effet, on peut interpréter la réalité ecclésiale à la lumière de sa situation dans le monde, et on peut l'interpréter à la lumière de son icône. On peut alors soit atténuer, soit susciter, par exemple, une «dissolution progressive d'idée de l'Église dans la médiocrité jusqu'à devenir [une idée] simplement sociologique»423.

Nous pouvons encore illustrer notre propos par le travail du théologien orthodoxe Jean Zizioulas, qui constate dans son livre L'Être ecclésial l'importance du facteur eschatologique dans la conscience théologique des églises orthodoxes. «L'orthodoxie est connue pour la place centrale et l'importance qu'elle donne à la liturgie dans sa vie et sa théologie, et cela conduit à une conception "théophanique" et, dans un certain sens, "méta-historique" de l'Église»424. La

liturgie évidemment vue ici comme le lieu eschatologique de la communion entre le Ciel et la terre. Si nous revenons à l'exemple de la charge apostolique, nous remarquons avec le même

422 Paul Bailly, «Eschatologie», Dictionnaire de spiritualité, p. 1053.

423 H. U. von Balthasar, Le complexe antiromain, Essai sur les structures ecclésiales, Apostolat des Éditions - Éditions Paulines, Paris - Montréal, 1976, 383 pp., p.211.

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auteur, que, du point de vue de la mission historiquement continuée, peut être considéré comme apôtre «tout missionnaire individuel possédant l'autorité et le charisme de la prédication de l'Évangile..., alors que regardé du point du vue eschatologique on est amené à les comprendre comme un collège»425.

Pour nous cela signifie que, dans la gestion de l'ecclésiologie, la tension entre la sainteté de l'Église et son historicité peut être le lieu où se manifeste le plus la différence entre nos deux auteurs. Car, si nous avons repéré une différence majeure entre le statut de Marie dans l'ecclésiologie de Congar et dans celle de Balthasar, il s'agissait bien de la différence liée à la question de la sainteté de l'Église et au rôle de la Vierge Marie par rapport à cette sainteté.

Nous avons vu comment Congar tend progressivement à dégager l'ecclésiologie de son temps de la rigidité que lui a infligé la conception substantielle-organique de l'union entre le Christ et l'Église. Dans le livre Jésus-Christ il écrit :

Une des traits les plus caractéristiques de l'ecclésiologie des Pères et de la liturgie, est qu'elle englobe l'anthropologie. Leur Église est très activement vue comme faite par des hommes, on lui attribue les thèmes néo-testamentaires de l'anthropologie chrétienne concernant l'homme sauvé, la lutte de l'esprit contre la chair; on lui applique les images et les types dans lesquels la Bible a exprimé la situation de l'homme et celle du peuple de Dieu devant la péché et sous la grâce (types de Rahab, Marie-Madeleine, etc.) Il s'ensuivait qu'une certaine tension était maintenue entre l'Église et le Seigneur de l'Église, entre l'état historique de l'Église et son type idéal, dont les Pères et la liturgie ne cessent de dresser l'image sublime.

Depuis le milieu du moyen âge, on est assez largement passé à une affirmation prédominante de conformité de l'Église à son type idéal et d'adéquation entre ce qu'elle fait et ce que fait Jésus-Christ [...]. Développement d'une conception organique de l'Église comme Corps du Christ en un sens biologique [...] lié à la théologie de la grâce capitale et à l'idéologie corporative, ... exprimant les rapports intimes entre le Christ et l'Église [d'une façon qui] pouvait être entendue dans le sens d'identité, se prêtant à absolutiser l'institution [...].

A ne voir le rapport existant entre l'Église et le Christ que dans le cadre d'un organisme qui les engloberait tous les deux, comme un rapport d'identité au

plan de la vie et des opérations, à ne citer que les textes scripturaires qui parlent en ce sens, on risquerait de ne pas honorer d'autres affirmations scripturaires, qui sont des affirmations de dualité et de tension.

Il y a une dualité de termes. Le rapport entre l'Église et le Christ n'est pas de type substantiel-organique, mais de type personnel. C'est précisément dans l'épître dite aux Ephésiens, où l'intelligence nouvelle du mystère reçue par Paul en captivité développe tout spécialement ses aspects ccclésiologiques, que l'Apôtre attribue à l'Eglise une sorte d'autonomie de personne morale en face du Christ posé comme son Chef, au-dessus d'elle : (Eph 1,22 - 23; 4,15-16; 5, 2 2 - 2 7 ) .

Malheureusement, ce thème de l'Église-épouse a très tôt et surtout à la suite de saint Augustin, été interprété à la lumière des versets qui suivent, à savoir sous le signe et au sens de Yuna caro. On est revenu à l'identité. La pleine vérité du dualisme impliqué dans le rapport personnel, a été quelque peu noyée dans l'affirmation d'unité organique [...]. Dans l'action priante et liturgique, l'Église est à la fois très unie à son Seigneur, et constituée devant lui comme son Épouse...

Une certaine tension, un certain dialogue, font partie de la condition militante de l'Église. Celle-ci doit tendre à égaler son Chef (Eph 4, 15) elle ne peut le faire qu'en cherchant à lui être soumise comme une épouse à son époux [...], consistant dans un effort pour convertir les chrétiens nominaux, superficiels et pécheurs, à une vie chrétienne réelle, sérieuse et pure : bref, dans un effort pour garder intact le sceau du baptême et être eschatologiquement ce qu'on a été fait dans le baptême, des «sanctifiés et purifiés par le bain d'eau qu'une parole accompagne» (Eph 5, 26 - 27). [...]

Le domaine d'influence du Christ et le domaine de l'Église se rejoindront eschatologiquement.. ,426.

Soulignons ici l'intégration que ce texte représente de l'image de l'Épouse dans l'ecclésiologie du P. Congar. L'image du Corps est à rejeter quand elle mène à une ecclésiologie qui conçoit l'Église comme tendant à être trop institutionnalisée et trop «sainte »; une Église installée, aveugle quand à son imperfection et à son besoin d'être purifiée. Pratiquement intemporelle, elle se situerait en opposition à l'histoire et au monde. C'est le monde qui devrait changer. Elle vit immobilisée, comme si elle était alimentée, branchée, directement et sans

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obstacle, à ses sources célestes. Le P. Congar nous dit alors qu'une telle ecclésiologie serait privée du «dynamisme que lui confère l'image de l'Epouse encore à purifier».