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Après avoir traversé l'œuvre de Congar, où nous avons voulu esquisser les grandes lignes de son ecclésiologie et de sa mariologie, et avant de nous lancer dans l'analyse plus détaillée du rapport étudié, nous voulons encore brièvement exposer l'aspect méthodologique de son travail.

«La relecture du passé devient la voie principale pour éclairer le présent»207. Cela peut

être l'axe premier de la méthode, que le P. Congar, à côté des PP. Chenu et Féret, avait approfondi et appliqué inlassablement durant tout son travail théologique. C'est la méthode dite historique dont le second axe est celui de l'écoute de la vie concrète.

207 Bernard Dupuy, «Yves Congar : une vision de l'histoire de l'Église», Bulletin de littérature ecclésiastique, CVI/1, 2004, p. 75.

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1.2.1. LES SOURCES DE LA MÉTHODE HISTORIQUE

À l'origine de la méthode se trouvent les travaux bibliques du P. Lagrange à qui l'on doit l'appellation même de cette méthode, et les recherches historique sur le moyen âge effectués au Saulchoir dans les années 1920. Les professeurs de ce couvent dominicain, Lemonnyer, Gardeil, Mandonnet, Sertillangcs208, voulaient restituer l'œuvre de Saint Thomas dans son contexte historique; travail dont la visée ne serait pas un système spéculatif mais une théologie vivante qui, découlant de l'Ecriture Sainte et du retour aux sources, engagerait en même temps l'intelligence humaine individuelle et collective209. Une autre motivation était de répondre aux questions posées par la crise moderniste en intégrant les acquis des procédés historiques modernes dans le travail théologique. La méthode se transforme au fur et à mesure des générations, mais au fond elle s'appuie sur le réalisme de Saint Thomas et sur le goût irrésistible pour l'histoire des dominicains du Saulchoir. Le professeur Jean-Marie Vezin dans son étude «Présentation raisonnée de la bibliographie d'Yves Congar»210 indique quatre auteurs qui inspirèrent le plus chez Congar cette orientation méthodologique: Saint Thomas d'Aquin - référence spontanée du P. Congar -, Martin Luther, J.A. Môhler et H. Ncwman. Les deux premiers sont découverts par Congar dans leur personnalité spirituelle, l'un et l'autre libérés par lui de l'épaisseur des systèmes et des préjugés. Les deux se trouvaient dans le champ de combat du Père Congar contre cette théologie «baroque» qui a trop substitué le thomisme à Saint Thomas et qui s'est constitué fondamentalement par opposition à la Réforme. Congar découvrait dès 1932 qu'un thomisme d'Ecole «ne suffit pas pour remplir la tâche théologique à laquelle il est voué»2" , c'est-à-dire celle de la réalité de l'Église entre les deux guerres mondiales. Comme le disait Jean Daniélou :

Historicité et subjectivité, ces deux abîmes qui caractérisent l'époque moderne, obligent la pensée théologique à se dilater. 11 est bien clair en effet que la théologie scolastique est étrangère à ces catégories. Le monde qui est le sien est le monde immobile de la pensée grecque où sa mission a été d'incarner le message chrétien. [...] Mais par ailleurs, elle ne fait aucune place à l'histoire,

208 Col. Hommage différé au Père Chenu, [Théologies], Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 261.

im Ibid. p. 264.

210 Jaen-Marie Vezin, «Présentation raisonnée de la bibliographie d'Yves Congar»,

http://www.catho-theo.net/Piesentation-raisonnee-de-la7var recherche=V%E9zin. pp. 12 - 20.

'" Bernard Montagnes, «Le Père Congar disciple de Saint Thomas» Bulletin de littérature ecclésiastique, CVI/2, p. 123.

Et, d'autre part, mettant la réalité dans les essences plus que dans les sujets, elle ignore le monde dramatique des personnes212.

En effet, pour les trois auteurs que nous avons nommés plus haut, c'est l'Incarnation qui constitue le mot-clé de leur travail. Le Père Congar parlera en revanche d'un déficit d'Incarnation de la théologie classique.

L'Incarnation, surtout dans son aspect eschatologique, est, pour Congar, le moyen de penser le christocentrisme et la théofinalité de toute chose, de toute situation et de tout agir humain dans l'histoire. D'une certaine manière, pour Congar, dans une vision globale de l'histoire, l'Incarnation, ses effets et l'achèvement commencé en elle sont présents partout, sans toujours être explicités. C'est aux chrétiens de les découvrir et, même si ce n'est pas de façon exclusive, aux théologiens d'en donner intelligence [...]213.

Et Michael Quisinsky de conclure : « Il s'agit d'incarner la foi dans l'intelligence et l'Evangile dans le temps, de discerner la présence de Dieu dans le déroulement de l'histoire. »

1.2.2. SCHÉMA PRINCIPAL DE LA MÉTHODE HISTORIQUE

La méthode historique peut alors être résumée en quelques mots : «Ecoute de la vie concrète, interprétation théologique de celle-ci, appuyée sur une maîtrise documentaire de la tradition ecclésiale en commençant par les Écritures»214. Chercher à comprendre l'histoire de la théologie et de l'Église, c'est toujours une sorte de dialogue en vue d'une plus grande catholicité215. C'est une méthode dialogalc et ecclésiale.

Voici quelle est l'intuition du P. Congar :

L'Église était présentée vers 1930 comme une société organisée [...]. L'ecclésiologie consistait presque exclusivement dans un traité de droit public 212 Jean Daniélou, «Les orientations présentes de la pensée religieuse», Études, 249 (1946), pp. 14. 211 Michael Quisinsky, «Congar avec Chenu et Féret au Saulchoir des années 1930»,

http;//www.catho-theo.net/Congar-avec-Chenu-et-Feret-au?var recherche=Quisinskv, p. 13. 214 Joseph Famerée, «Originalité de l'ecclésiologie du Père Congar», p. 104.

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[...]. Ce n'était pas fait pour attirer les hommes. [...] Mon intention [...] fut dès lors de récupérer pour l'ecclésiologie l'inspiration et les ressources d'une tradition plus ancienne et plus profonde [...]. L'Église n'apparaîtra plus, dès lors, comme une pure «socictas perfecta», socictas inaequalis, hierarchica, mais comme le Corps du Christ, tout entier et intimement animé par la vie216.

De cette inspiration et de ce modèle théologique découlent la distinction fondamentale, présente chez Congar jusqu'en ses dernières œuvres217, le binôme, structure-vie :

Nous entendons par «structure» les principes qui, venant du Christ, et, à ce titre, représentant avec lui et de lui les causes génératrices de l'Église, sont en celle-ci, sa "pars formaiis" [...]. Ce sont essentiellement le dépôt de la foi, le dépôt des sacrements de la foi et les pouvoirs apostoliques. L'Église a, par là, son essence. Nous entendons par la "vie" de l'Église l'activité que les hommes formés en Eglise par les principes susdits, exercent pour que cette Église remplisse sa mission en atteignant sa fin propre qui est, à travers l'espace et le temps, de faire des hommes et du monde réconcilié un temple communionel de Dieu2'8.

Le binôme est une affaire d'équilibre. Congar est bien conscient des possibles dérives d'un historicisme dont s'était rendu coupable la théologie moderniste.

Pour le problème de laïcat, comme pour celui de l'œcuménisme ou des reformes dans l'Église - tous problèmes de vie et de plénitude -, il s'est efforcé de «ne pas aventurer une doctrine de la vie sans s'être assuré au préalable une solide théologie de la «structure», ou plus précisément de «rattacher la vie à la structure, l'action d'assimilation aux principes, de façon à ce que la plénitude [...] qui est le grand appel de notre temps, ne soit pas autre chose que la plénitude de l'Église apostolique219.

1.2.3. LA DOUBLE DESTINÉE DE LA MÉTHODE HISTORIQUE

Il nous semble que c'est fondamentalement sur cet équilibre théologique que Congar a toujours veillé; ce qui ne lui a pas permis de se situer en dehors des théologiens de la Tradition, et ceci même durant la période postconciliaire, où se profilait déjà le divorce dans la théologie

216 Yves Congar, Ministères et communion ecclésiale, Paris, Éditions du Cerf, 1971, p. 10 cité par Philippe Hourcade, «La sortie d'un schéma tridentin de l'ecclésiologie», Bulletin de littérature ecclésiastique, CVI/2, p. 184.

217 Joseph Famerée, «Originalité de l'ecclésiologie du Père Congar», p. 104.

218 Yvec Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, p. 355s, cité par Philippe Hourcade, Ibid. p. 187. 219 Joseph Famerée, «Originalité de l'ecclésiologie du Père Congar», p. 103.

catholique entre les revues Concilium et Communia. Le P. Congar avait la capacité de garder la

via média. L'attention à l'histoire, c'est évidemment l'attention à l'homme. Situer la théologie

historiquement, c'est la faire à partir de l'homme. C'est pourquoi la théologie anthropologique, qui constitue un second paradigme de la théologie du XXe siècle - avec l'éveil de la théologie

négative et l'apogée de la théologie herméneutique -, peut se réclamer légitimement d'une parenté avec l'école historique. Cependant les distances qu'ont manifesté vis à vis de celle-ci, notamment dans les années 1970 - 80, des théologiens comme de Lubac, Balthasar ou Ratzinger, eux aussi grands initiateurs du renouveau, doivent nous rendre attentifs à la nature de cette parenté. Car on peut constater qu'au centre de la querelle, à un niveau profond, «existe toujours la tension entre l'histoire et l'essence » avec la question du «rôle de médiation de l'histoire par rapport à l'essence»220. La théologie de l'histoire nous laisse en effet pressentir deux choses : la

Révélation qui toujours se constitue intelligible dans l'humain immédiat, et le caractère personnel de la communication du mystère de Dieu, libre de tout enfermement dans le monde ou dans l'homme221.

Selon l'ecclésiologue français Jean-Marie Vezin, on peut encore penser que c'est grâce à la rencontre avec le troisième et le quatrième des inspirateurs du P. Congar que son ecclésiologie est devenue une ecclésiologie dynamique, fondée sur une vision dynamique de l'histoire. La découverte de la vie de Môhler, avec son retour aux sources, son modèle plus pneumatologique de l'Église222 et sa proximité étonnante avec le protestantisme, impressionne durablement

Congar; à tel point que certains commentateurs ont relevé les parallèles entre la vie de l'un et l'autre des deux théologiens223. La rencontre avec Newman et ses textes sur le développement du

dogme marquent enfin sa conception de l'Église qui grandit selon une double loi d'identité et de développement224.

220 Cardinal Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Esquisses et matériaux, [Croire et savoir], Tequi, 1982, 445 p., p. 174.

221 Au sujet du lien entre théologie et anthropologie, P. Congar rédige une note par laquelle il complète après le Concile ses propres vues dans le livre La Foi et la Théologie rédigé avant le Concile, mais édité en 1962. Nova et vêlera... Yves Congar, La Foi et la Théologie, [Théologie dogmatique, 1], Tournai, Desclée, 1962, 281 pp.

222 Cf. Yves Congar, Esquisses du mystère de l'Église, p. 138s.

223 Par exemple Gilles Routhier «Synthèse» Bulletin de littérature ecclésiastique, CVI/2, p. 209. 224 Philippe Hourcade, «La sortie d'un schéma tridentin de l'ecclésiologie», p. 187.

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Notons enfin que l'attention au temps présent va jusqu'à influencer le genre littéraire préféré de Congar : les essais. La forme des essais répond au projet de la théologie historique. «Du moment, disait Hans Urs von Balthasar, qu'il s'agissait non plus de transmettre une science intemporelle mais une «pensée existentielle», le mode d'expression d'un «traité» systématique avec sa démarche argumentative et son projet de démonstration [...] n'était plus adéquat »225.

1.3. L'ECCLÉSIOLOGIE «CHALCÉDONIENNE» D'YVES CONGAR ET LA VIERGE