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QUELQUES PERSPECTIVES ISSUES DE LA RENCONTRE

2.2. LE DIALOGUE ENTRE BALTHASAR ET CONGAR

2.2.1. QUELQUES PERSPECTIVES ISSUES DE LA RENCONTRE

Commençons par la fin : pour Congar est-ce la figure de Pierre qui maintient concrètement l'Église-Peuple de Dieu à travers le temps en cohérence avec son modèle eschatologique? C'est bien possible, même si le langage théologique de Congar n'use pas de la lecture typologique et surtout allégorique de l'Écriture de la même manière que Balthasar. L'unité absolue de l'Église chez le premier Congar est articulée autour du Christ367; plus tard elle

sera de plus en plus rattachée à la sainteté venant de l'Esprit Saint368. L'unité de la foi de l'Église 366 Cf. le chapitre «Plusieurs sens du mot Église» in Yves Congar, Vraie et fausse réforme dans l'Eglise, Paris, Éditions du Cerf, [Unam Sanctam, 72], 1968 (T éd. revue et corrigée), p. 89 - 99.

167 Comparer par exemple avec l'article L'Église et son unité dans L'Esquisse du mystère de l'Eglise.

3fi8« ... Parce que sa réalité spirituelle est incarnée, qu'il n'y a pas en elle, ici-bas, de « communauté » qui ne soit « société », de « foi » qui ne soit « dogme », d'incorporation au mystère du Christ qui ne soit sacramentelle, de vie selon la charité qui ne soit aussi selon un droit établi un ordre de société. Tous les principes d'unité de l'Église, dont la catholicité est l'universalité dynamique, ont une forme extérieure, ligure, et instrument de l'unité intérieure : la

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pélegrinante trouve incontestablement son principe dans la figure et le ministère de Pierre. L'Église est fondée sur la foi de Pierre, sur les promesses divines de la victoire finale de l'Église, mais aussi sur la promesse d'être assistée par l'Esprit contre la possibilité de faillir dans la foi.

L'Eglise est sainte dans sa foi, dans ses sacrements, dans les pouvoirs apostoliques dérivés de ceux du Christ (...); elle est objectivement sainte et ne peut perdre cette sainteté, inhérente à ces dons qu'elle reçoit de Dieu369.

Cette perspective - sacramentelle - de l'Eglise, typique de Congar, n'éprouve pas le besoin d'intégrer le principe englobant de la réponse féminine, mariale, qui précède et englobe la foi de Pierre. Congar, tout en admettant une distinction entre, d'une part, l'Église des membres et, d'autre part, l'Église en soi - où l'Église comme Épouse possède toute la sainteté objective , ajoute :

La qualité de sainte suit exactement pour l'Église sa qualité d'Épouse elle se vérifie dans [son union sponsale au Saint- Esprit et au Christ]. Au sens où nous envisageons d'abord l'Église [comme institution venant de Dieu], celle-ci est sainte d'une sainteté objective inamissible (en vertu du don et de la promesse de Dieu), qui ne dépend pas des personnes qui la remplissent, mais des principes formels et constitutifs370.

Dans la ligure de l'Épouse est rassemblé tout l'idéal ecclésial venant de Dieu. Dans la figure apostolique, surtout celle de Pierre, l'infaillibilité et la réformabilité de l'Église se nouent dans la meilleure dynamique eschatologique, qui comprend la conversion de tout chrétien.

Or, chez Balthasar, la figure de l'Épouse aussi bien que la figure de la conversion et du dynamisme apostolique, supposent un principe concrétisé, personnalisé et universellement ouvert à la sainteté, modèle achevé de la vie de l'homme avec Dieu, principe qui trouve son caractère historique en Marie. Ce principe précède l'acte de foi de Pierre, dans ce sens qu'un enfantement

catholicité est apostolique, sociétaire et hiérarchique, comme l'unité.

En fait, cette constitution extérieure de l'Église, organe de son unité et de sa catholicité, est une chose fixée soit par le Seigneur lui-même, soit par les Apôtres, et nul n'y peut rien changer maintenant. Cette constitution intéresse les organes d'unité dans la foi, dans la grâce et dans la vie commune que sont respectivement le magistère, le sacerdoce et le gouvernement. Elle implique pour le magistère un critère positivement déterminé de vie collective dans la vérité; pour le sacerdoce, la loi de la succession apostolique; pour le gouvernement, la double et imprescriptible institution du Siège apostolique et de l'épiscopat. » Yves Congar, Chrétiens désunis, p. 125.

369 Yves Congar, Vraie et fausse réforme dans l'Eglise, p. 101. 370 Ibid. p. 101

parfait du Corps du Christ est déjà advenu dans l'histoire par la foi de Marie. C'est à travers l'histoire que le ministère pétrinien, lui même sans cesse aspirant à la perfection de la charité, prend la forme de la foi de Marie qui «laisse faire». «Une forme déterminante intérieurement offerte à tout être et à toute activité au sein de l'Église...»371 Pierre doit apprendre, il sera conduit,

par la sequela Christi, vers une attitude d'ouverture typiquement mariale. Sa foi a une forme mariale372. Le contenu de la foi - le dépôt de la foi - suppose l'acte de la foi dont le type achevé

est Marie en personne.

Ici, l'Église trouve son centre vivant, capacité fondamentale d'accueillir la grâce-même de son achèvement eschatologique. C'est ici encore que Balthasar voit se fonder la réponse propre de l'Église à la Parole de Dieu qui lui est adressée, une parole qui est un appel à l'existence comme une liberté en face de Dieu correspondant à la grâce de l'appel.

Ceci dit, Balthasar intègre le principe mariai et le principe pétrinien dans la structure fondamentalement christologique - la Figure des figures -, où le caractère mariai aussi bien que le caractère pétrinien sont coextensifs à l'Église.

Le Seigneur eucharistique - représentation concrète de la vie trinitaire - est l'unité fondamentale de l'Église : si Marie et Pierre entrent de manière différente en relation avec cette unité, c'est au service et sur l'ordre du Seigneur373.

Les perspectives de Balthasar et de Congar convergent sur plusieurs points : l'Église dont la vie est communion et partage de la vie trinitaire, son fondement christique, le rôle des ministres - la sainteté objective - et des sacrements, l'Église vivant de sa sainteté subjective, eschatologique. Il faut éviter toute opposition brutale, car, dit Balthasar, «"l'Épouse" elle-même est un prolongement et un produit de la vie du Christ, et sa fécondation par "l'institution" n'est qu'une garantie pour la transmission permanente de la vie provenant du Christ»374.

371 Cf. pour cette citation et ce qui suit, le chapitre Marie et Pierre, in Hans Urs von Balthasar, Le complexe

antiromain, p. 213 - 221.

372 Jean -Noël Dol, «Qui est l'Église... », p. 391. 373 Ibid. p. 214.

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Si nous voulons alors rendre raison, chez Balthasar, de cette insistance sur l'aspect sponsal de l'Église, sur son propre statut en face du Christ - ce n'est par ailleurs pas de la Vierge Marie que Balthasar se soucie en critiquant Congar, mais de l'Église -, et sur la raison de son lien au rôle personnel de Marie, nous devons nous tourner encore une fois vers sa compréhension théologique de la personne. C'est là, nous semble-t-il, que réside le présupposé le plus significatif de ce dialogue.