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1.3. L'ECCLÉSIOLOGIE «CHALCÉDONIENNE» D'YVES CONGAR ET LA VIERGE MARIE COMME UNE FIGURE DE MÉDIATION

1.4.2. LA PLACE DE MARIE

Et la Vierge Marie? Le Père Congar la mentionne ainsi dans la conclusion de son exposé:

Il y a cependant une réalité personnelle excellente de la réponse de l'Église, et même de toute l'humanité, à l'offre d'alliance sponsale de Dieu : la Vierge

278 Yves M.-J. Congar, Le mystère du Temple. Ou l'économie de la présence de Dieu à sa créature de la Genèse à

l'Apocalypse, [Lectio Divina, 22], Paris, Éditions du Cerf, 1958, 345 pp., p. 306.

279 Voir aussi Yves Congar, L'Église une, sainte, catholique et apostolique, [Mysterium Salutis, 15], Paris, Éditions du Cerf, 1970,281 pp., p. 14s.

Marie, figure achevée de l'Église dont elle est, comme dit saint Augustin, le membre excellent, membre surémincnt... Marie et l'Église ont même cœur et même voix, elles sont spirituellement la même personne, étant le terme et la réalité du même dessein de grâce, l'une de façon personnelle et parfaite, l'autre de façon collective, selon le beau mot de II. Rahner appelant l'Église "la Marie de l'histoire du monde"21"1.

Considérant notre analyse précédente, cette note finale de l'article, avec toute sa beauté et sa vérité, ne peut cependant pas jouer dans l'ensemble de la réflexion un rôle tel que nous l'aurions imaginé. En tout cas, elle ne vient absolument pas remettre ni en question ni en mouvement le texte précédent. Il s'agit effectivement d'une note finale, qui orne une construction sans rien y ajouter vraiment, et sans rien y enlever. La mariologie ne vient pas amorcer dans l'ecclésiologie un trouble structurel. Comme nous l'avons vu, elle s'intègre dans la structure définie par l'image du Corps, et ceci notamment grâce à l'équilibre parfait des expressions théologiques ici utilisées : « réalisation personnelle de la réponse de l'Église », « figure achevée de l'Eglise », « membre excellent »; L'Église et la Vierge Marie comme spirituellement « une même personne », comme ayant le « même cœur » et la « même voix » , l'une, l'Église, de façon collective (et imparfaite), l'autre, Marie, de façon personnelle et parfaite .

Marie apparaît entièrement comme un modèle et non comme un principe. Le passage s'accomplit entre la figure de l'Épouse et la figure mariale. Marie est la figure achevée de l'Église. Son rôle personnel reste pour ainsi dire timide par rapport à son statut de figure qui vise la plénitude beaucoup plus essentielle, car totalisante : celle de l'Église. Ce que Marie a fait, ce qu'elle est devenue une fois pour toutes de façon personnelle, l'Église est appelée jour après jour à le faire et à le devenir. Cela se fait à Vunisson, d'une seule voix. On peut dire : chaque «oui» ecclésial est un «oui» mariai, et le «oui» de Marie est déjà le «oui» de l'Église. Cette unité comporte toutefois une évidente préséance de Marie. Au moins dans l'ordre du temps. Y a-t-il plus?

280 Yves Congar, L'Église une, sainte, catholique et apostolique, p. 640. La référence à saint Thomas donnée par le P. Congar, où \efiat de Marie est.dit loco totius humanae naturae est inspirante, mais elle n'est pas à nos yeux vraiment intégrée in la vision de notre théologien. La fonction représentative de Marie subsiste, mais non pas sa fonction structurelle qui conduirait à une révision de la première partie de l'argumentation sur le caractère du lien entre la grâce et la nature humaine. La réponse humaine, donnée par Marie, serait plus que représentative quant à ce lien.

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Dans un autre article datant des années 1950 intitulé Marie et l'Église2^, après avoir

exploré le développement patristique de la typologie Eve-Marie et Eve-Église - c'est chez saint Ambroisc que Marie devient le modèle et l'Eglise sa réplique -, le P. Congar fait une remarque par rapport à la maternité de Marie et à la maternité de l'Église : «dans l'identité du mystère de Marie et de l'Église, il n'y a pas seulement la présence d'un dessein de grâce en deux de ses moments : le premier moment est décisif et enveloppant pour le second»282. Nous ne pouvons

donc pas soupçonner le P. Congar d'ignorer le principe que le P. Semmelroth appelle le deuxième aspect de l'image originale : l'efficacité causale, la liaison qui sert de fondement objectif à la valeur exemplative. Ici cela signifie que «l'Église, en chacun de ses membres et en tant que corps organisé, se reconnaît en Marie comme en son image primitive et parfaite, son idéal déjà réalisé et entraînant, et non son portrait ou sa reproduction imaginativement projetée en avant»283.

Cependant, et c'est peut-être notre seule critique adressée au théologien dominicain, le rôle spirituel personnel de Marie, qui irait au-delà de sa maternité selon la chair, est faiblement présent. Marie, d'après la Tradition, accueille le Verbe spirituellement, dans son âme, avant de le recevoir dans son sein. Son office peut donc être considéré d'abord à partir de ce moment de la foi, où Marie n'est pas juste un modèle de l'Église, mais son foyer toujours vivant284.

Le point central de la mariologie de l'antiquité, écrit Delahaye, c'est le Gesamtbild, la figure intégrale de la Vierge Marie, qui, grâce à sa foi, devient mère du Christ et mère de son peuple (l'Église). Le type, en langage biblique, revêt un caractère ontique et dynamique. Ce trait ne se situe pas sur le plan métaphysique : il s'insère dans la trame de l'histoire de salut. Il dépend, en

281 Yves Congar, «Marie et l'Église», Revue philosophique et théologique, 38, 1954, pp. 3 - 38, p. 37. 282 Cité par Gérald Philips, «Marie et l'Église, un thème théologique renouvelé», p. 403.

283 Ibid. p. 404.

284 Paul Florensky, cité par Gérald Philips, Ibid. p. 413. Si nous prolongeons la réflexion sur le statut de l'Église en devenir, sur son statut inachevé, eschatologique, nous avons à chercher non seulement le point du départ de son chemin à travers l'histoire, et la personne concrète en laquelle celle-ci a pu commencer, mais aussi une possibilité de continuité d'accueil inconditionnel de ce qui vient d'en haut, dans lequel l'Église subsiste. Restant entièrement membre de l'Église, le statut de Marie par rapport à l'Église est très particulier. C'est en Marie, qui est sans péché, que l'Esprit Saint trouve à tout moment ce «juste ce qu'il faut», pour reprendre le langage congarien, afin de former le Corps mystique du Christ, son Église. Sans Marie l'Église en tant que personne mystiquement autre que le Christ n'aurait pas pu exister, ou ne l'aurait pu qu'en elle seule. L'Église n'aurait pas ce centre «saint» capable d'ouverture fondamentale et perpétuelle (la réponse de l'Église est à la fois progressive dans l'ensemble des fidèles et à la fois dite une fois pour toutes dans lefiat immaculé de Marie) à la grâce de l'Esprit, donc à sa propre fondation et à son existence humaine elle-même. Au sommet de ce dialogue entre l'Époux et l'Épouse, nous dit enfin Ch. Journet, se trouve le dialogue entre le Verbe et l'Esprit. Il s'agit d'un dialogue éternel, qui a pris sa forme salutaire dans le dialogue entre l'Eglise et son Sauveur. Les deux, l'Esprit et l'Épouse disent «Viens» ! Et que celui qui entend dise «Viens» (Ap 22, 17). C'est à tout chrétien d'entendre et dire ce qu'a dit l'Esprit dans l'éternité et l'Épouse dans le temps.

effet, de la volonté salvifique personnelle de Dieu et affecte une personne chargée par lui d'une mission surnaturelle285.

Mais ici nous touchons déjà à la problématique du rôle du langage métaphorique et de la typologie dans l'œuvre de Congar; question que nous voulons nous poser surtout dans la partie consacrée à l'évaluation du dialogue entre les deux théologiens que nous avons choisis.