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3.3. L'ECCLÉSIOLOGIE D'YVES CONGAR ET D'HANS URS VON BALTHASAR DANS LE CONTEXTE DE L'UNITÉ DE LA FOI ET DU PLURALISME

3.3.1. LES CRITÈRES

Le pluralisme théologique est fondé, trouve sa justification, et reçoit ses limites, essentiellement de deux principes : premièrement, dans le mystère du Verbe Incarné, du Christ unique qui réconcilie le multiple - la Création et la Rédemption, l'Ancienne et la Nouvelle Alliance en premier lieu -; et, deuxièmement, dans le mystère de l'Eglise comme sujet qui, tout en croissant dans le temps, dépasse l'histoire par une communion à la même foi en Jésus Christ mort et ressuscité.

Nous pouvons trouver ces deux principes à la base du document de la Commission Théologique internationale (C.T.I.) Unité de la foi et pluralisme théologique de 1972443, texte à la

préparation duquel ont collaboré, entre autres, les pères Congar et Balthasar444. Au moment de la

parution de ce document, le thème du pluralisme dans l'Église suscitait un très grand attrait; beaucoup d'articles et quelques monographies avaient été consacrées à ce sujet445. Partant de tous

les points de vue possibles, parfois dans l'atmosphère d'une incertitude sur la nature du sujet à traiter446, l'étude la problématique s'y concentre cependant sur la question de la légitimité et des

critères de la pluralité théologique dans l'Église. Claude Bruaire écrit : « On voit bien ce que « pluralisme » refuse: un dogmatisme théologique immobilisant la recherche, une exclusion des cultures où s'exprime la révélation, un totalitarisme méprisant l'histoire au prix de confondre

443 Commission théologique internationale, «Unité de la foi et pluralisme théologique», Textes et documents (1969 -

1985), Paris, Éditions du Cerf, 1988, 461 pp., pp. 48 - 63.

444 Cf. Ibid. p. 52. 445 Cf. la bibliographie.

446 Cf. par exemple un n° de la revue Christus intitulé Pluralisme dans l'Église, n° 58, tome 15, avril 1968, où le thème du pluralisme regroupe toutes sortes de réflexions sans qu'il y ait une cohérence manifeste.

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l'histoire, une expression particulière, avec le logos éternel»447. En outre un tel pluralisme «exclut

rigoureusement tout relativisme intellectuel et ecclésial qui tenterait de niveler, en les supposant équivalentes, toutes les positions, et les plus contradictoires, au mépris de leurs auteurs et dans l'indifférence du vrai et du faux»448. Aujourd'hui les discussions passionnées - et, avec elles, une

certaine insécurité de la théologie par rapport à son propre droit à la pluralité - n'atteignent plus le même degré d'intensité; surtout grâce à la pratique théologique actuelle, pour laquelle l'esprit de pluralité est devenu un postulat qui n'est plus sérieusement remis en cause. La question garde cependant tout son intérêt qui n'est pas seulement historique, car le renouveau de l'Eglise est aujourd'hui amené à chercher son unité théologique dans le contexte pluriel du dialogue œcuménique et à travers une rencontre historiquement inédite des peuples et des cultures. Le relativisme ancré très profondément dans la culture occidentale rend encore plus épineux l'engagement et le discernement que les théologiens et le Magistère doivent assumer.

Soulignons maintenant les propositions 4 et 6 du texte de la C.T.I.. Elles nous situent immédiatement au cœur de la problématique :

4. La vérité de la foi est liée à son cheminement historique à partir d'Abraham jusqu'au Christ et du Christ jusqu'à la Parousie. Par conséquent, l'orthodoxie n'est pas un consentement à un système, mais une participation au cheminement de la foi et ainsi au Moi de l'Église qui subsiste, une, à travers le temps et qui est le vrai sujet du Credo.

6. L'Église est le sujet englobant dans lequel est donnée l'unité des théologies néotestamentaires comme aussi l'unité des dogmes à travers l'histoire. Elle se fonde sur la confession de Jésus-Christ mort et ressuscité, qu'elle annonce et célèbre dans la puissance de l'Esprit Saint449.

La pluralité théologique est donc une question ecclésiologique et une question de tension entre l'histoire et l'essence de l'Église. Impossible d'échapper à cette tension que nous avons rencontrée si souvent à travers notre étude. Les sources de la pluralité ne se trouvent pas seulement dans la diversité culturelle des peuples vers lesquelles l'Église est envoyée et par

447 Claude Bruaire, «Le pluralisme des consciences et la liberté de l'infini», Communio, n° VIII, 2, mars-avril, 1983,

p. 3.

"*Ibid,p. 3.

lesquels elle est constituée - critère sociologique -; elles se trouvent déjà dans le mystère même de Dieu et de sa Révélation, dans le mystère inépuisable du Christ.

La Commission a choisi comme point de départ les sources théologiques : c'est le mystère inépuisable du Christ qui fonde, [...], la possibilité et la légitimité du pluralisme, ou plutôt de la pluralité. Aucune expression humaine ne pourra jamais tarir l'inépuisable ni en rendre compte de façon exhaustive450.

La foi est d'abord et avant tout adhésion à la personne du Verbe incarné, mort et ressuscité, et confession de cette Personne dans la puissance de l'Esprit; elle n'est jamais réductible à une construction intellectuelle, à un «système» [...] Ce fondement du Verbe incarné permet à la fois de souligner l'historicité de la foi chrétienne, liée à un cheminement historique et à une praxis, et de distinguer formellement cette historicité d'une historicité dans laquelle l'homme serait créateur de son propre sens451.

Le texte cité souligne la permanence d'un élément qui transcende le temps452. On utilise en effet des notions comme: le Moi de l'Église, le vrai sujet du Credo, le sujet englobant ... Ne sommes-nous pas dirigés ici, une fois de plus, vers la question que nous posions au début de notre travail ? Non pas «qu'est ce que l'Église»? (comme se l'est demandé encore en 1972 Hans Kiing453), mais plutôt «qui est l'Église»? C'est en tout cas ce que suggère le vocabulaire du document de la Commission Théologique Internationale. Nous voilà donc comme ramenés au début de notre périple...

En face des différentes sources de diversité ou de pluralité, il est inévitable de se poser la question : où et comment est donnée l'unité? Est-ce que la pluralité existe ou a existé avant toute unité454? Si l'on répondait affirmativement à cette deuxième question, l'unité ne serait qu'un résultat plus ou moins pragmatique. Les proposition de la Commission théologique ne se prêtent aucunement à une telle interprétation. Déjà la première proposition signale le Christ comme

450 J. Médina Estevez, «Commentaire du texte Unité de la foi et pluralisme théologique)}, dans : Commission théologique internationale, Ibid. p. 55.

451 M.-J. Le Guillou, «Commentaire du texte Unité de la foi et pluralisme théologique», dans : Commission théologique internationale, Ibid. p. 61.

452 Dans le texte, ces deux numéros contrebalancent les propositions visant le caractère historique de la foi (nos 5 et 9)-

453 On peut lire à se sujet les pp. 34-44, puis 193-203 de Rémi Parent dans Communion et pluralité dans l'Eglise,

Pour une pratique de l'unité ecclésiale, [Héritage et projet, 24], Montréal, Fides, 1980, 262 pp., où l'auteur aborde dans une perspective critique les thèses de la C.T.I., en nivelant la tension entre le visage historique de l'Église et son essence selon une vision fort horizontale de l'Église.

454 opinion de beaucoup de théologiens protestants. Cf. Jean-Yves Lacoste, «Le témoignage inépuisable, Notes sur le canon des Écritures», Communio VIII, 1983, mars - avril, pp. 31 - 45.

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mystère d'unité. L'Église, elle aussi, est mystère ou sacrement d'unité, comme l'a rappelé Vatican II (cf. par exemple LG 1). Dans les textes de la Commission, l'Église est présenté comme sujet de l'unité dans la foi. C'est l'Église qui est le sujet du Credo. On doit la considérer comme une quasi- personne qui subsiste à travers le temps et à laquelle participent, par la foi, les fidèles de toutes les époques et de tous les lieux'155.

Ce commentaire du P. Médina Estevez ouvre sur les enjeux du thème qui nous a préoccupé dans notre travail: la quasi-personne Église, comme réalité une, totale et sponsale, visée efficacement par le propos de Dieu chez le P. Congar; et l'Église comme une quasi- personne sponsale avec un centre personnel mariai chez le P. Balthasar. Nous ne voulons plus insister sur les différences délicates qui existent entre nos deux auteurs par rapport à ce sujet. Remarquons plutôt combien la question d'un centre unifiant dans l'Église, d'un principe qui transcende l'histoire, d'un principe vraiment essentiel de l'ecclésiologie catholique, est ici présente.